Bienheureux Raphaël-Louis Rafiringa 2
Bienheureux Raphaël-Louis Rafiringa
Premier Frère des Écoles Chrétiennes de Madagascar
1856-1919
Avant propos
Les lignes suivantes pages de ce livret retracent le parcours humain et spirituel du Frère Raphaël-Louis Rafiringa, premier Frère des École Chrétiennes de Madagascar qui accède a la gloire de la béatification. De plus, à travers l'évolution de ce fils du pays, c'est toute l'histoire d'une période de profonde transformation de Madagascar qui est brièvement relatée. Quand Rafiringa naquit en 1856 dans le quartier de Mahamasina a Antananarivo, le pays n'avait que peu de contacts avec le monde extérieur. A sa mort en 1919, devenu colonie française depuis 20 ans, Madagascar s'était ouvert a la civilisation chrétienne. La vie de notre Frère s'est cependant développée au début dans un cadre traditionnel, puis sous l'influence franco-anglaise et enfin totalement française. Le contexte dans lequel il a du évoluer projette sur lui un éclairage particulier qui en fait un interprète très significatif de ce qui s'est passe dans son pays. Frère Raphaël-Louis Rafiringa apparait ainsi comme le nouveau malgache situe sur la crête de deux époques. Et il suscite encore plus d'intérêt parce qu'il évolue dans différentes ambiances: païenne, chrétienne, scolaire, littéraire, politique et finalement judiciaire. Il a été dit que les hommes ressemblent plus a leur époque qu'a leurs géniteurs. En effet, quelle énorme discordance historique et psychologique entre Raphaël-Louis Rafiringa et Rainiantoandro, son père, capitaine des forgerons royaux ! Le premier franchit l'horizon limite de sa terre tandis que le destin du second, bien que diligent et honnête chef forgeron, évolue dans le contexte de l'Imerina traditionnelle. Entre l'un, analphabète dévoué et fidèle a sa reine et l'autre, capable d'accéder a l'académie malgache et fervent serviteur du Roi des rois, les différences sont substantielles. Deux générations seulement, mais quel contraste! Ce qui les sépare en fait, ce sont deux cyclones qui ont marque profondément la grande ile : le christianisme et la colonisation occidentale. C'est principalement dans le domaine spirituel que la personnalité du Fr. Raphaël-Louis Rafiringa acquiert toute sa signification. Ce fut surtout un homme de Dieu amène par les circonstances a sortir du domaine restreint d'une petite école pour répondre a une exigence dont lui-même ne comprenait probablement pas la portée. Premier disciple de Saint Jean-Baptiste de La Salle a Madagascar, dote d'une grande intelligence et d'une forte volonté, il défie les ambitions de la famille et demande de se joindre a ces "étranges" missionnaires, non prêtres, arrives depuis peu dans l'ile. Le Frère charge de le suivre durant sa formation le retint en "apprentissage" pendant 7 ans! Pendant ce temps, il avait muri humainement, culturellement et spirituellement d'une façon surprenante. L'école, la traduction d'ouvrages français en malgache, la composition de textes scolaires, l'occupèrent constamment jusqu'à l'expulsion de tous les missionnaires étrangers provoquée par les mouvements d'indépendance qui éclatèrent dans l'ile. Il fut alors élu par le peuple comme chef des catholiques. Dans ces circonstances imprévues il donna une preuve admirable de ses capacités extraordinaires en formant des catéchistes, en organisant des rencontres, des réunions et des para liturgies dans tous les coins de l'ile, en écrivant des brochures et des abrégés de la doctrine catholique, des chants et des poésies. Quand les missionnaires eurent la possibilité de revenir, ils constatèrent avec admiration que les communautés chrétiennes étaient devenues plus nombreuses et plus ferventes qu'au moment de leur départ. Ce païen, devenu digne fils de Saint Jean-Baptiste de La Salle, est une preuve magnifique de ce que peut la grâce divine quand elle rencontre un terrain fertile. Par son savoir, son action et sa sainteté il est une des gloires les plus authentiques dont la Grande Ile peut maintenant être fier. Je remercie le Frère Italo Carugno, qui a redonne une brillante nouvelle vie a la brochure Sous l'ardent soleil malgache écrite par le Frère Martial-André Mertens en 1927, et aux Frères Jean-François Morlier, José Martinez et Luke Salm qui l'ont traduite respectivement en français, en espagnol et en anglais.
Frère Rodolfo Cosimo Meoli, Postulateur
Rome, 7 avril 2009, Fête de Saint Jean-Baptiste de La Salle.
L'itinéraire
1856 Naissance a Antananarivo, capitale de Madagascar, le 1 mai (?), le 3 novembre (?).
1866 Rencontre avec trois Frères français, récemment arrives a Antananarivo, il entre a leur école
1869 (24 octobre) Il reçoit le Baptême a l'âge de treize ans et prend le nom de Raphaël.
1873 Il accepte de devenir maitre suppléant a l'école des Frères.
1876 Il demande de faire partie de la Congrégation des Frères et commence sa formation.
1878 (1 mars) Il prend l'habit religieux et reçoit le nom de Frère Raphaël-Louis.
1879 (21 novembre) Il fait les premiers vœux religieux.
1883 Les missionnaires étrangers sont expulses et il est élu Chef des Catholiques de tout Madagascar.
1889 (14 novembre) Il fait sa Profession Perpétuelle.
1902 Il est nommé Membre de l'Académie de Madagascar.
1903 (2 mai) Il est décoré de la Médaille du Mérite Civil par le Général Joseph-Simon Gallieni, Gouverneur Français, pour l'efficacité de son engagement pour la pacification des relations entre la France et Madagascar.
1919 Il meurt le 19 mai a Fianaratsoa.
1933 Ses restes sont translatés a Antananarivo.
2009 Il est proclamé Bienheureux par le Pape Benoit XVI.
D'une Ile à l'autre
L'ile de Madagascar, la troisième plus grande ile au monde, ou est né, a vécu et est mort le bienheureux Frère Raphaël-Louis, est située a seulement 800 kilomètres au nord d'une autre beaucoup plus petite, celle de la Réunion ou est mort le Saint Frère des Écoles Chrétiennes, Frère Scubilion Rousseau, français béatifie par S.S. Jean-Paul II le 29 avril 1989. Ce Frère était arrive dans l'ile Bourbon, comme on appelait alors la Réunion en 1834, a l'âge de 37 ans. Cependant il désirait débarquer un jour sur « la grande ile ». Dans une lettre envoyée le 8 décembre 1885 a son Provincial en France, il écrivait ceci :"Cela fait plusieurs dizaines d'années que les Pères Jésuites travaillent pour apporter la religion catholique a Madagascar: ils souffrent beaucoup, mais, jusque la, l'évangélisation réalise peu de progrès ».¦Prions pour que l'arbre de la croix, puisse être plante jusque sur les sommets les plus élevés de la montagne malgache! Espérons qu'arrive le plus vite possible le moment ou les disciples de notre vénéré Père et Fondateur se répandront en grand nombre sur cette terre! Cela fait plus de vingt ans que je demande cette grâce a Dieu. Personnellement j'aimerais être au nombre de ceux qui auront la chance d'aller la-bas..." Mais la Providence avait d'autres plans et il dut demeurer a la Réunion durant toute sa vie. Son extraordinaire et percutante action apostolique le conduisit a l'abolition de l'esclavage sur l'ile. En 1867 a la mort de notre saint religieux, notre Frère Raphaël avait seulement 11ans mais il était destine a être le continuateur, sur sa terre natale, de l'œuvre du Frère Scubilion, a devenir la personnalité qui, durant un demi siècle, remplirait un rôle de plus en plus décisif sur la scène de Madagascar. Il s'agit, donc, d'un passage de témoin idéal, entre deux fortes personnalités, entre deux saints religieux lasalliens dans deux iles voisines, mais si différentes entre elles.
Une gazelle en terre malgache
Firinga, ainsi s'appelait notre Bienheureux avant de recevoir en 1869, lors de son baptême le nom de « Raphaël », et d'ajouter "Ra" (monsieur) a Firinga. Il est ne le (?) mai 1856, a Antananarivo, capitale de Madagascar. Son père qui était un fonctionnaire ayant le titre de Capitaine des esclaves, descendait d'une famille des Hova, une caste de la noblesse. Mais était-il noble le travail qu'il effectuait en enchainant les esclaves et en les privant de leur liberté ? Faute d'une éthique plus humaine, ou si l'on veut, dans le respect de la tradition de sa terre, son travail cruel et sanglant ne lui posait aucun problème. Il le considérait comme « bon » parce que l'autorité suprême du pays le considérait ainsi, parce qu'il lui garantissait un bonheur matériel enviable et parce qu'il était considéré comme occupant le dixième rang dans l'échelle sociale, a égalité avec les officiers supérieurs. Il avait servi la terrible reine Ranavalona I, qui pendant les trente années de son règne élimina par étranglement, poison ou poignard plus de deux cents mille sujets gênants. Et le père de Firinga avait pris part a cette épuration incessante, parce que la responsabilité qu'il exerçait le lui imposait. L'arrivée de ce second enfant (le précédent issu d'un premier mariage avait vécu seulement « cinq lunes ») le remplit de joie y il choisit pour lui le nom de Rakotonirina, "le désiré ". Mais le Mpisikidy (le sorcier) intervint : « Non pas ce nom! Quand elle entendra ce beau nom la mort l'emportera avant qu'il n'atteigne « vingt deux lunes comme elle l'a fait avec ton autre fils » "Mpanandro (le divin) a parle répondit le père aussi pour que notre fils vive nous l'appellerons "Firinga" (poubelle). Marina izany! (Ainsi soit-il)". Le petit Firinga, bien qu'ayant été si désiré, grandit selon la coutume locale, c'est-a-dire sans que personne ne s'occupe beaucoup de lui. Firinga voyait son père toujours brièvement, pendant le repas quotidien; puis le père retournait a son travail et le fils allait s'ébattre en pleine liberté entre les ébènes et les tamarins, agile et svelte comme la gazelle des bois : aucune chaine n'entravait ses pieds... Il n'avait pas besoins de vêtements : un pagne attache a la ceinture, couvrait ce qui convenait. Il ne portait ni chaussures ni chapeau de paille, malgré l'ardeur du soleil qui lui brulait la peau. Quand la nuit tombait, il s'endormait sans les caresses de ses parents : on disait que cette coutume austère servait a forger le caractère et la personnalité des enfants . Firinga ne reçut ni en famille ni ailleurs, des règles d'éducation ou d'enseignement. Ses maitres furent les sorciers et son savoir s'enrichissait exclusivement au contact d'un tel monde superstitieux et crédule. Les sorciers parlaient des esprits bons et mauvais, qui voltigent autour de chaque être humain. « Si tu veux protéger ta terre des voleurs, appuie contre la porte de ta maison une canne de bambou avec dessus une touffe de paille de riz, ensuite cherche dans un champ l'herbe magique qui te mettra a l'abri des malheurs et conserve la toujours avec toi ». Le culte des morts était très développé : « Ils ont une autorité supérieure a toutes les autres, supérieure même a celle du roi et des sorciers ; ils décident du destin des vivants : bonheur ou malheur, prospérité ou ruine dépendent de leur pouvoir occulte. Ayez-les toujours présents et obéissez aux ordres qu'ils vous donnent dans le secret de votre conscience ou par l'intermédiaire des rêves. Il n'y a pas de serment plus sacre que celui que l'on fait au nom des ancêtres ». Firinga s'imprégnait de ces doctrines. Mais, en resterait-il esclave pour toujours, lui, svelte et agile comme une gazelle, fondamentalement bon et généreux ? Serait-il toute sa vie tributaire des doctrines des sorciers qui enchainaient les gens dans l'erreur, comme son père le faisait pour les esclaves ? Combien de fois, une fois devenu le Frère Raphaël, regretterait-il les heures gâchées dans ces pratiques erronées ! Firinga, le regard fixe sur l'horizon, ressentait dans son cœur que l'homme a des ailes pour voler et que personne n'a le droit de les lui couper ou de l'enchainer.
Trois sorciers à la peau blanche
Firinga venait d'avoir 10 ans (1866) et il jouait devant chez lui quand brusquement il vit devant lui trois hommes jamais aperçus auparavant. Ils avaient un habit noir, avec un col blanc et portaient sur la tête un tricorne qui n'était pas le chapeau courant. Mais encore, sur les épaules ils portaient aussi un manteau noir, qui flottait au vent quand ils marchaient. Qui étaient-ils ? Trois nouveaux sorciers ? Quelque chose d'indéfini suscita sa curiosité. Ces trois sorciers a la peau blanche marchaient en silence et leur visage exprimait la joie et la sérénité. Entre leurs doigts ils égrainaient un objet étrange avec beaucoup d'éléments et ils remuaient seulement les lèvres. Qu'ils étaient différents des sorciers qu'il connaissait! Mais pourquoi étaient-ils venus a Antananarivo? Firinga, garçon éveillé, intelligent, a l'esprit vif, essaya de trouver une explication. Les jours suivants, au contact des "trois sorciers a la peau blanche " il put découvrir celle que nous allons maintenant résumer. Au XVIeme siècle, précisément en 1540 et plus tard en 1585, trois hommes a la peau blanche (des Pères Dominicains) avaient essayé de fonder une mission catholique a Madagascar. Mais tout se termina quand on les tua. Les tentatives réalisées par les Jésuites entre 1613 et 1630 n'eurent pas plus de succès, même si Andrea Ramaka, fils d'un chef indigène, avait été baptisé a Goa. Ce fut seulement grâce a la fondation de la colonie-forteresse française de Fort-Dauphin au sud de l'ile, en 1642, que l'on put commencer une activité missionnaire régulière. Les religieux Pauliniens débarquèrent en 1648. En dépit d'énormes sacrifices (20 prêtres et 19 religieux furent victimes du climat traitre et des indigènes sauvages) les fruits furent bien rares. En 1674 avec la fin de la colonie- forteresse française, la mission s'acheva. Deux autres tentatives des Pauliniens au XVIIIe siècle c'est-a-dire en 1724 et en 1784, tombèrent a plat. Néanmoins, en 1820, les protestants pénétrèrent dans l'ile et réussirent a y travailler avec succès, alors qu'elle demeurait fermée aux catholiques. En 1829 le prêtre portugais Enrico Solages fut nomme préfet apostolique des Iles de la Mer du Sud , ou Grand Océan, qui comprenait les Iles Maurice, Bourbon (La Réunion) et Madagascar. En 1832 il décida de pénétrer lui-même dans la grande ile, mais mourut alors qu'il voyageait vers Antananarivo. Le père François Dalmond,son successeur, de la congrégation des Spiritains, eut plus de chance puisqu'il parvint a implanter une mission sur la petite ile de Sainte Marie a l'est de Madagascar y sur les iles de Nossibe et de Mayotte a l'ouest, qui devinrent préfecture apostolique en 1848. Cette même année, Madagascar devint un vicariat apostolique qui en 1850 fut confie aux Jésuites, lesquels après une tentative en 1856, réussirent enfin a fonder une mission stable a Antananarivo chez les Hovas en 1861, quand Radama II, fils de la reine, monta sur le trône. Celui-ci autorisa officiellement l'enseignement de la religion dans ses possessions. Les catholiques tout comme les protestants en profitèrent. Cependant ces derniers bénéficiaient de moyens économiques beaucoup plus puissants, et , surtout après la mort tragique de Radama II, ils réussirent a mettre de leur bord, la reine Ranavolona II. Malgré cela, les Jésuites ne se considérèrent pas comme vaincus et, convaincus que la base de l'adhésion au catholicisme était l'enseignement, appelèrent a l'aide les Frères des Écoles Chrétiennes de l'ile voisine de la Réunion. Lesquels, effectivement, arrivèrent sur la grande ile en 1866. C'était ceux-ci que Firinga croyait être "trois sorciers a la peau blanche ». Ils ne venaient ni pour conquérir ou piller, ni pour enchainer ceux qui refusaient leur proposition. Ils arrivaient, respectueux des coutumes et des traditions locales, respectueux des façons de penser, de parler et d'être de ces gens pour chercher des enfants qui puissent les aider a transformer l'esprit et la vie des autres grâce a l'adhésion aux enseignements du Christ. Ils s'étaient préparés pour cette tache missionnaire en apprenant leur langue avant de partir. Cette préparation était indispensable, parce qu'ils savaient que civiliser un peuple ne veut pas dire lui enlever une façon de vivre ancestrale pour lui en imposer une autre, mais valoriser avant tout la culture locale pour l'amener a un développement tel qui soit comme la maturité du passé lui-même, du caractère, de l'émotion et de la tendance ethnique préexistante. Et quelle façon plus efficace que de parler la langue elle-même ? Par conséquent quand ils arrivèrent a Antananarivo, les trois sorciers a la peau blanche connaissaient suffisamment la langue malgache, délicate, précise, d'une régularité extraordinaire, faisant leur l'intuition de leur fondateur, Saint Jean Baptiste de La Salle (1651 - 1719) a savoir que tout enseignement, et particulièrement celui de la religion, pour être efficace, doit être dispensé dans la langue maternelle. Avaient-ils atteint leur cible ? Seraient-ils capables de faire admettre a ces gens l'unique Vérité qui nous rend véritablement libres ? C'est ce qu'ils espéraient. Les trois Frères des Écoles Chrétiennes s'installèrent comme ils purent sur la colline qui domine la ville. L'école que leur confièrent les Pères consistait en une baraque de bois divisée en trois locaux au rez-de-chaussée pour les classes et un second étage, pour la résidence des trois religieux. Un jour Firinga, se joignit a ses compagnons habituels de jeux pour aller faire les curieux dans la modeste résidence des trois sorciers a la peau blanche. Il ne pouvait pas croire ce que voyaient ses yeux et des pensées jusque la impensables troublèrent son esprit. Sur un mur il voit deux cadres accroches. Sur l'un d'eux étaient représentés une mère et un père penches sur leur fils nouveau-né reposant sur de la paille. Pourquoi une telle tendresse du père envers son fils ? pensait-il lui qui n'avait jamais joui de quelque chose de semblable ! Sur l'autre tableau était représenté un homme, très certainement un esclave, a moitie nu et couvert de sang , attache a une croix, sans chaine aux pieds. Cependant son visage exprimait la sérénité et la tendresse. Qui était-il? Pourquoi l'avait-on traité ainsi? Ensuite le regard de Firinga s'arrêta sur l'un des trois sorciers a la peau blanche. C'était un homme de belle allure, vif et svelte et il s'adonnait totalement a expliquer quelque chose a un groupe d'enfants : Il disait que les scènes représentées sur ces deux tableaux , avaient bien eu lieu il y a plus de mille ans, dans un pays très éloigné de la terre Malgache, plus proche de la fabuleuse Égypte et très proche de l'endroit ou des milliers d'hommes étaient en train de travailler pour réaliser un vaste canal pour y faire passer les bateaux. Firinga se sentit envahi par une forte émotion, et respira profondément. En rentrant chez lui il dit a son père qu'il voulait aller dans cette école. Et il y alla. Son maitre fut le Frère Ladolien qui se distinguait par son amabilité, sa profonde piété et une culture digne d'envie (bientôt il écrira et traduira en langue malgache de nombreux traites utiles pour l'enseignement a l'école). Firinga était enchanté avec lui, spécialement parce que chaque matin il adressait a ses élèves quelques minutes de « réflexion »sur des sujets éthico-religieux qui se terminaient toujours par l'affirmation: « Un fils de Marie très certainement sauvera son âme , parce qu'elle est la terreur des démons et la porte du ciel ». Trois années plus tard (il avait 14 ans) il comprit que pour lui le moment était arrive de suivre ces enseignements d'amour prêchés par cet « esclave cloue a la croix, sans chaines aux pieds, mais dont le visage exprimait sérénité et tendresse ». Et il se fit baptiser : c'était le 24 octobre 1879, fête de l'archange Raphaël et, pour cela, il reçut ce nom avec la possibilité d'ajouter « Ra » (monsieur) a Firinga.
Une école de qualité
Tandis que Raphaël assistait a « son » école, l'horizon politique de Madagascar s'obscurcissait et retrouvait le calme très fréquemment. Sur le trône, se succédèrent au prix de procédés plus ou moins trompeurs, des membres de la famille royale jusqu'à ce qu'arrive le tour de la reine Ranavalona, dont la « candidature » fut clairement appuyée par les puissants protestants méthodistes anglais de la capitale, mais qui entraina aussi un soupir de soulagement dans le milieu catholique de l'ile. De fait, selon les chroniques de l'époque , pour la cérémonie de couronnement, dans la tribune royal, contrairement a l'antique tradition, il n'y avait aucun simulacre d'idoles , mais au contraire les trois Frères des Écoles Chrétiennes et d'autres religieux et religieuses en chair et en os... De plus dans le discours de la Reine et dans celui du Premier Ministre on affirma solennellement que : « La prière est un don de Dieu et chaque malgache sera libre de choisir celle qui lui plait ». Le Premier Ministre, alors qu'il se rendait avec de nombreux officiels au Consulat de France, entendit retentir en son honneur l'ovation « Vive le Premier Ministre » qui provenait du groupe des élèves des Frères, alignes le long du chemin devant l'école. Le Premier Ministre fit arrêter le cortège, salua les Frères, s'intéressa a leurs activités et fit savoir au Directeur que son jeune fils était élève du collège des Frères a Paris... Tous ces évènements et circonstances positives firent que le père Jésuite qui était le chef et le guide indiscuté des catholiques d'Antananarivo osa demander l'autorisation de construire une cathédrale catholique digne de la capitale. Une fois l'autorisation obtenue il chargea le Frère Gonzalvien de dessiner les plans d'architecte: c'est ainsi qu'apparut la belle cathédrale de style nettement gothique qui causa l'émerveillement et la satisfaction de Raphaël. Mais les protestants méthodistes ne le virent pas d'un bon œil et ils attendaient le moment opportun... Hélas la construction de la cathédrale fut source de travail supplémentaire pour le Directeur de l'école et pour ses Frères. Par la suite le bon Frère Yon (le troisième des religieux) fut victime de la fièvre typhoïde et en peu de temps remit son âme a Dieu. Une telle perte fut un coup dur pour le directeur Frère Gonzalvien. Que faire? Demander un remplaçant en France? Pas question! Et c'est ainsi que survint l'inspiration céleste qui provoqua un tournant décisif dans la vie de Raphaël. Sans plus de façons le directeur lui demanda : « Raphaël, je connais ta valeur et ton amour pour Notre Seigneur. Veux-tu être notre collaborateur comme maitre suppléant ? » Les grosses lèvres de notre Raphaël se serrèrent avec force et avec la puissance d'expression qui est une des caractéristiques des chefs de sa race il répondit: « Frère Directeur, ce sera comme vous le voulez ». Cette réponse sera le premier pas qui plus tard permettra d'unir Raphaël a cet ensemble d'intellectuels, a qui revenait d'exercer sur le peuple malgache une grande influence moralisatrice pour le convertir en un peuple profondément catholique, sans pour autant mortifier sa physionomie particulière. Plus tard quelqu'un affirmera de façon catégorique : « Sage principe pédagogique celui de réussir la reforme de l'Afrique par l'intermédiaire des Africains ».
Le grand passage
La participation aux funérailles du Frère Yon, ou le jeune Raphaël était en tête de la colonne des élèves en attitude fervente, attirant l'attention et la sympathie de ses compatriotes, l'arrivée a Antananarivo du fils du Premier Ministre qui avait terminé ses études au collège des Frères a Paris et une voix mystérieuse et persuasive qui depuis un certain temps lui susurrait des paroles séduisantes, l'amenèrent à une décision existentielle de grande signification pour lui, pour sa famille et pour toute la ville, ou il était estimé plus pour son attachement aux Frères que parce qu'il était le fils du Capitaine des esclaves. Arriva le jour de la grande décision: devenir en tout et pour tous un Frère des Écoles Chrétiennes Avec crainte il en parla a son père, lequel ne pouvait croire ce qu'entendaient ses oreilles. Comment renoncer au mariage et à avoir des enfants, renoncer a l'héritage paternel, vivre loin de la société comme un lépreux, s'exposer à la colère des ancêtres ! Le jeune Raphaël passa des nuits d'insomnie, mais finalement sa décision l'emporta. Et à vingt ans, le jour de Pâques 1876, Raphaël, le fils du Capitaine des esclaves, demanda officiellement et obtint de se préparer à devenir un Frère des Écoles Chrétiennes. Les compatriotes de Raphaël, les bien pensants, sans préjugés ni idées préconçues, se sentirent orgueilleux de ce que l'un d.entre eux soit admis dans le monde des Frères et prenne part à leurs prières, à leur vie religieuse et à leurs repas, tout en gardant sa façon malgache de s'habiller. Dès le premier jour de sa nouvelle vie, Raphaël lut les pages du livre de la Règle, d'abord avec curiosité, ensuite avec édification. Les deux Frères avec lesquels il vivait étaient pour lui une réalité vécue de ces sévères prescriptions. L'apprentissage de la règle lui fut, donc, facile, parce qu'il la lisait dans la façon même d'agir des deux Frères. Sous l'impulsion du prudent directeur, Frère Gonzalvien, le jeune postulant Raphaël chemina d'un pas décidé, avide de réaliser le plus tôt possible ses désirs. Il sollicita à plusieurs reprises la faveur de revêtir l'habit des Frères, mais le Directeur, qui connaissait le caractère instable des malgaches, ne fut pas pressé et il le laissa le désirer pendant longtemps. Finalement, le premier mars 1877 le Frère Gonzalvien remit à Raphaël Rafiringa, fils du Capitaine des esclaves, l'habit des Frères des Écoles Chrétiennes A partir de ce jour Raphaël devint le Frère Raphaël-Louis Le fait d'avoir pris l'habit religieux ne limiterait pas l'engagement du Frère Raphaël à celui d'enseigner aux élèves, au contraire, les besoins locaux, imposaient à la nouvelle recrue, encore porteuse d.une mentalité païenne, d'être forgée avec encore plus de soin, pour s'investir le mieux possible dans les domaines professionnel et religieux. Pour cette raison, le Frère Raphaël dut s'appuyer sur une formation initiale beaucoup plus longue que celle habituelle des novices français. Son noviciat dura trois ans au terme desquels il put émettre les vœux annuels de pauvreté, chasteté et obéissance, indispensables pour être admis parmi les religieux d.une congrégation. L'exemple des deux Frères avec lesquels il vivait, exprimait concrètement la portée des engagements assumés. Si on parlait d'humilité, l'éloge le plus éloquent en ce domaine que l'on pouvait faire était celui de l'abnégation du Frère Gonzalvien, lequel, alors qu'il se sentait orgueilleux d'appartenir a une Congrégation religieuse répandue dans le monde entier, gardait un silence héroïque quand l'ignorance ou la jalousie attribuèrent à une main étrangère le plan de sa belle cathédrale en construction. Si l'on recommandait au jeune novice la dignité dans le comportement, il trouvait un magnifique modèle dans le Frère Ladolien qui marchait d'un pas mesure, se tenait dans l'église comme un officier en présence du roi et traitait les élèves avec un grand respect. Chez les deux religieux qui étaient avec lui le Frère Raphaël admirait la profonde piété qui vivifiait les actes quotidiens: les prières du matin, faites ensemble, interrompues par des pauses fréquentes, étaient récitées lentement, sur le rythme d'une mélodie grecque, pendant que leurs visages reflétaient le brulant amour de leurs cœurs. Quand ils sortaient ou rentraient chez eux, ils ne manquaient passer à l'église pour saluer le « maitre de maison ». On n'en finirait pas si nous voulions passer en revue tous les exemples de vertu grâce auxquels ce refuge religieux, saturé par une atmosphère surnaturelle, offrait au Frère Raphaël une illustration pratique des préceptes qu.il devait observer. Un règlement plus développé le contraignait sans relâche: étude approfondie de la doctrine chrétienne, étude réfléchie des Règles des Frères et de leurs livres d'ascétisme, études à caractère professionnel, pratique humbles taches, application constante à son perfectionnement personnel... Tel fut le programme que dut suivre le Frère Raphaël durant les trois ans qui suivirent la prise d'habit jusqu'au jour de l'émission des premiers vœux. A ceux qui le plaignaient pour cette longue et implacable épreuve le Frère Raphaël répondra: « Ce n'est pas trop de temps pour former un malgache païen pour devenir un véritable fils de Jean-Baptiste de la Salle, parce qu'il existe un abime entre la vie dissolue de l'un et celle surnaturelle de l'autre ». A peine le Frère Raphaël avait-il terminé le noviciat que le Seigneur appela au ciel l'excellent frère Ladolien, que même les protestants et les infidèles estimaient pour ses grandes vertus. Mais du haut des cieux le saint frère Ladolien devint le protecteur, l'intercesseur et le guide virtuel de son disciple, que la Divine Providence allait soumettre a une épreuve sans précédent dans l'histoire de Madagascar.
Chantage contre chantage
Comme on l'a déjà signale, les protestants méthodistes, ne virent pas d.un bon œil la construction de la cathédrale catholique a Antananarivo. Aussi, au moment opportun, c'est à dire à la mort du consul de France, il essayèrent de convaincre les nouvelles autorités gouvernementales qui avaient embrassé la religion protestante, que les Jésuites présents dans l'Ile, (tous français) cherchaient a détruire les us et coutumes traditionnels et que par conséquent ils constituaient un danger pour la nation, aussi il était nécessaire de s'en défaire et de confisquer leurs biens. Dans un premier temps la tentative n'eut pas de succès, et cela tombait bien, parce que justement c'est durant ces mois que le Frère Gonzalvien procédait à la construction d.un nouveau bâtiment pour remplacer la première école provisoire. La lutte entre catholiques et protestants s'inscrivait cependant dans une crise beaucoup plus profonde entre le gouvernement français et le gouvernement malgache. On faisait le lien entre les catholiques et les français qui détenaient d'importantes possessions coloniales dans l'ile. Ainsi peu à peu, sous prétexte de contrecarrer les catholiques on augmentait la pression contre les français Le 17 mai 1883 une flotte navale française reçut l'ordre de s.emparer de Majunga, principal port de Madagascar et éventuellement de le faire par les armes. Face à cela la contre attaque du gouvernement malgache survint rapidement: au 30 mai aucun français ne devait demeurer dans l.ile. Les indigènes païens et les protestants méthodistes se réjouirent. Mais le frère Raphaël et quelques religieuses étaient malgaches et ne pouvaient pas être expulses de l'ile. Et de fait, malgré la crainte et la consternation, ils y restèrent. Le 29 mai 1883 le frère Raphaël s'agenouilla aux pieds du Frère Gonzalvien, prêt a abandonner l'ile avec son petit bagage. Il reçut la bénédiction du Directeur et accueillit ce commandement: « Après notre départ confirme tes frères dans la foi et devant tout danger reste fidèle a Dieu et a la Règle de l'Institut. Dieu te bénisse comme je te benis ». Il traça sur sa tête un grand signe de croix. A partir de ce moment le Frère Raphaël demeura sur la brèche seul et sans ses Frères Au même moment, un père Jésuite adressait des paroles similaires a Vittoria Rasoamanarivo, fille du Premier Ministre, élève des sœurs, baptisée malgré les siens quand elle avait quinze ans. Maintenant à trente-six ans, elle était prête a n'importe quel sacrifice, afin d.empecher que s'éteigne la lumière de la foi dans son pays. Ce fut cette situation qui fit naitre entre notre Frère Raphaël et Vittoria une sainte alliance qui produira de bons fruits inespérés et abondants. Pendant ce temps le Frère Raphaël, pour réfléchir a sa mission et pour ne pas courir de risques inutiles, revêtit a nouveau le "lamba" (vêtement indigène) et se réfugia dans sa famille. Ce fut une « retraite stratégique » tres brève, durant laquelle il reçut de nombreuses visites de catholiques inquiets comme lui.
Naissance d'un leader
La consigne chez les catholiques était de ne pas se rendre. Aussi le dimanche 3 juin, a l'heure de la grand messe, tous se dirigèrent vers la cathédrale. La ils trouvèrent quelques gardes, postes par les protestants qui en empêchaient l'accès. Déconcertés par un tel contre temps, les fidèles ne savaient que faire. Alors, la fille du Premier Ministre, Vittoria, s'avança. Il lui fut même intime cet ordre: « On ne peut pas entrer; c'est un ordre de la Reine ». La femme répondit avec énergie : « Si vous cherchez le sang, il y aura du sang; et mon sang sera le premier. Nous n'avons pas peur et nous entrerons dans l.eglise. Personne ne nous empêchera de nous réunir et de prier ». Et sans rien ajouter, elle franchit avec détermination et sans crainte les portes du temple suivie par tous les autres. Peu après arriva le Frère Raphaël qui avait repris son habit religieux. Avec les élèves de son école, il passa la tête haute devant les gardes intimides. Que faire sans un prêtre qui célébré l'Eucharistie et administré les sacrements ? Le Frère Raphaël sentit que tous les regards convergeaient vers lui. Aussi il monta à l'Autel pour diriger la prière commune. A la fin la proposition de Vittoria fut claire : « Sil y a quelqu'un qui peut nous guider dans notre itinéraire de foi, c'est bien le Frère Raphaël ». Tous applaudirent enthousiastes. Sauf le Frère Raphaël qui ne l'était pas autant que cela et qui demanda un temps de réflexion: ils se retrouveraient l'après midi, après avoir discute et décidé de la façon d'agir. L'après midi le temple se remplit a déborder: « Choisissons un chef » fut la pétition la plus appuyée. Face à la proposition réitérée de Vittoria, instinctivement, tous se mirent debout en signe d'approbation et prononcèrent le nom du Frère Raphaël : sa noblesse de naissance, son habit religieux, la fermeté de son caractère, les innombrables résultats obtenus a l'école avec les enfants et le charisme qu'il démontrait étaient de sérieux motifs de garantie. Le Frère Raphaël se sentit accablé par la responsabilité qu'on lui confiait. Il douta, bredouilla quelque chose, supplia. Mais finalement il accepta d.etre le Président de l'Union Catholique de tout Madagascar. Mais avec une condition: que l'on ne changeât rien de tout ce qu'avaient fait jusque la les pères missionnaires et qu.on lui adjoignit un Conseil Consultatif. Il avait appris de ses maitres que l'on ne doit jamais travailler en solitaire, mais partager les responsabilités avec les autres, même si le dernier mot revient toujours au chef. Tous acceptèrent avec enthousiasme la proposition: un chef était ne! Une prière mit fin a cette première réunion décisive, après quoi la foule sortit de l.eglise, pleine d'enthousiasme et d'espérance. Le coup de canon, qui a la tombée du jour indiquait le début du couvre feu, fit rentrer chacun chez soi. On pouvait parier que cette nuit tous les commentaires des habitants d.Antananarivo, avaient trait aux événements mouvementes de la journée. Durant quelques temps les catholiques n'eurent pas plus d'ennuis et leur vie religieuse ne rencontra pas d'obstacles particuliers. Chaque matin a sept heures le Frère Raphaël accueillait les élèves de l'école à la cathédrale pour la récitation du Rosaire et le chant de quelques hymnes a la place de la Messe. Le vendredi on effectuait un chemin de croix et le samedi a la même heure on chantait les litanies de la Sainte Vierge devant la statue de l'Immaculée entourée de petites lampes. Apres quoi le Comité d'Action arrêtait le programme du dimanche et procédait au choix de ceux qui, spécialement préparés par le Frère Raphaël en personne, devraient présider les petites assemblées situées dans les villages. Durant trois ans, à l'exception de quelque modification ou ajouts par les fidèles eux-mêmes ce type d.organisation se révéla efficace pour maintenir allumée la flamme de la foi et même augmenter le nombre de fidèles. Ce serait une erreur évidemment de penser qu.une si importante responsabilité n.attirerait pas à l'encontre du Frère Raphaël la rancœur des adversaires. Il dut passer par la triste expérience des paroles de l'Evangile: « Nul n'est prophète dans son propre pays ». De fait, les protestants ne s'estimèrent pas vaincus. N.ayant pas d'autres prises, ils se mirent a répercuter les critiques que quelques uns parmi les catholiques eux-mêmes, a voix basse, faisaient au Frère Raphaël: « Pourquoi tant d'austérité? Pourquoi insiste-t-il pour porter cet habit noir si étrange? Pourquoi ne nous laisse-t-il pas la direction de l'école? Pourquoi ? Pourquoi? » Le Frère Raphaël pour sauver l'Union Catholique, consentit à quelques modifications: Il revêtit la robe longue et apparut en public enveloppe de l'ample tunique blanche des malgaches, avec un grand chapeau de paille sur la tête Mais il ne pouvait pas en faire plus. Pour en faire plus, les protestants augmentèrent la dose, convaincus que seulement quand le Frère Raphaël aurait disparu de la circulation ils pourraient être en paix. Mais ils avaient fait leurs calculs sans compter avec l.hote, encore moins avec l'hôtesse. Parce que la belliqueuse Vittoria était toujours en alerte et contrôlait la situation, prête a intervenir en cas de danger imminent et grave.
Catholique et Malgache
L'expulsion des français fut suivie d'un regain de patriotisme dans l'ile et, dans l'éventualité d'une possible attaque militaire, le gouvernement ordonna que chaque malgache capable de prendre les armes, s'entraine pour être prêt a combattre. Le Frère Raphaël, comme bon citoyen, se conforma à la situation et même devint d.une certaine façon instructeur militaire, parce qu.il assuma la responsabilité de l'entrainement collectif dans la cour du collège de son école. Le couronnement de la nouvelle reine donna lieu a une imposante parade militaire. Pendant qu'une salve de 21 coups de canon annonçait l.arrivee de la reine, la multitude admirait avec visiblement beaucoup de sympathie le superbe tableau des élèves militaires qui, aux ordres du Frère Raphaël, lui servaient d.escorte avec dextérité et sureté. Un autre événement attira de nouvelles sympathies a l'égard de notre Frère: la clôture de l'année scolaire, qui depuis quelques années donnait lieu a un concours entre les élèves des différentes écoles. A la cérémonie fut même invite le premier ministre qui envoya plusieurs fonctionnaires pour le représenter! A la fin de la série de questions sur différents sujets, les fonctionnaires se montrèrent enthousiastes du savoir, de l'intelligence et du comportement des élèves de l'école du Frère Raphaël Le succès fut si grand que le journal officiel de la ville publia un compte rendu détaille du concours et de son brillant succès. Les résultats scolaires étaient peu de chose en comparaison de ce que le zèle du Frère Raphaël obtenait dans le domaine religieux. L'action la plus significative et fructueuse fut la création d'un groupe de catéchistes qui, formes par lui et fortement motives, se répartissaient dans les villages et autres lieux ou il pouvait y avoir des catholiques. Chaque mois ils revenaient pour rendre compte de leur action, préparer un nouveau cycle d.instruction et, au bout d.une semaine, repartir pour continuer leur oeuvre. En même temps il organisait des rencontres et des retraites pour les Sœurs, écrivait des fascicules et naturellement dirigeait son école. Le dimanche il les réunissait tous dans la cathédrale pour une para liturgie commune souhaitée par tous et tres appréciée. On peut s'interroger: le Frère Raphaël, si engagé dans tant d'occupations et d'initiatives pouvait-il conserver son intimité personnelle avec Dieu et penser à lui-même ? Question inutile, parce que le Frère Raphaël faisait tres attention a ne pas négliger la plus petite pratique de la règle, conforte par le conseil divin: « marche en ma présence et tu seras parfait ». L'observance de la Règle était assurée tant en ce qui concerne son esprit que ses prescriptions extérieures. Finalement entre le gouvernement français et celui de Madagascar on arriva a un accord: la paix fut signée à bord du vaisseau amiral français en décembre 1885. On décida qu'un Représentant français, accompagne d'une escorte militaire, s'établirait dans la capitale: en contrepartie, la jeune Ranavalona était reconnue comme reine de Madagascar. En conséquence même les missionnaires pourraient revenir. Et ce fut pour eux une agréable surprise que de constater que la chrétienté qu.ils avaient laissée était restée forte grâce a l'Union Catholique dont le Frère Raphaël était Président.
L'académicien
Apres la paix de 1885, la vie du Frère Raphaël redevint tranquille et laborieuse, entièrement consacrée à son engagement de religieux éducateur. En 1889, un an après la béatification du fondateur, Jean Baptiste de La Salle, le Frère Raphaël émettait ses vœux perpétuels, c'est-a-dire pour toute la vie. Par cet acte il se consacrait entièrement a Dieu dans la Congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes. Cet indigène si particulier attira beaucoup l.attention du nouveau Représentant du gouvernement français qui fut si admiratif des impeccables manifestations culturelles, artistiques et sportives qu'il réussissait a organiser, qu'il le chargea d'abord d.un cours spécial de langue française pour 120 jeunes, puis d'un cours de perfectionnement en culture malgache pour d.autres jeunes provenant des universités françaises. En dépit de la fatigante vie scolaire, le Frère Raphaël trouvait encore du temps pour une intense activité culturelle. Il a laisse des écrits de caractère religieux, historique, artistique et didactique; il écrivit des vies de saints, des drames sacres, il a traduit et compose des prières pour diverses circonstances ; des fascicules pour combattre les superstitions païennes et les erreurs de protestants; une grammaire et une syntaxe de la langue malgache ; il a collaboré aussi à la rédaction d'un dictionnaire malgache-français. Deux genres d.ecrits qui révèlent sa sensibilité particulière méritent une mention spéciale. Il s'agit tout d'abord d'une série d'articles parus dans le journal catholique « Ny feon' ny marina » (la voix de la vérité) destinés aux parents et aux éducateurs; dans lesquels il montre qu.il a bien assimile la doctrine de Saint Jean-Baptiste de La Salle qui, peut-on dire, transparait à chaque ligne. Les autres, parus également dans la même revue sont destinés aux missionnaires étrangers. On est étonné en lisant les suggestions qu.il fait par rapport aux us et coutumes des indigènes. Nous avons presque l'impression de lire un traité moderne sur l'inculturation, c'est à dire comment incarner l'Evangile dans la culture autochtone et aussi comment adapter et transformer dans un sens chrétien des rites et des croyances de cultures non chrétiennes. Il avait l'habitude d'affirmer: « rien n'éloigne plus un peuple de l'adhésion au Christianisme que de vouloir supprimer des coutumes millénaires pour les remplacer par d.autres inconnues ». Pour tous ces mérites culturels et pour les responsabilités qu'il avait exercées avec zélé et compétence en faveur de son peuple, il fut l'un des premiers a être nomme membre de la toute récente Académie de Madagascar, crée par le général Gallieni en 1902. De la nombreuse et multiforme production littéraire du Frère Raphaël, hélas il subsiste bien peu. Les causes de sa dispersion sont diverses et vont depuis le vandalisme des soldats au moment de son arrestation en 1915 (lors de l'enquête à propos des écrits qui pouvaient prouver son adhésion à la secte secrète V.V.S. ils emportèrent tout ce qu'il y avait dans sa chambre) jusqu'à la destruction de quelques uns de ses écrits a caractère « trop patriotique » par l'un de ses Frères Par ailleurs beaucoup d'entre eux, conformément a la coutume répandue dans l'Institut des Frères, par humilité, ne portaient pas de nom d'auteur. Ce que l'on a pu réussir a répertorier, on le doit au docteur Roland Martin, de l'Université de Antananarivo, qui a réalise un inventaire assez fiable en 1970.
La gazelle blessée
38 ans s'étaient écoulés depuis le jour ou pour la première fois le Frère Raphaël avait revêtu l'habit des Frères Trente huit ans de travail ardu et constant, consacre a se sanctifier grâce a l'observance de la Règle et l'accomplissement du travail qui lui était assigne. Malgré tout il lui semblait être loin de la sainteté telle qu.il l'avait rêvée. Il s'agenouilla puis, devant le Saint Sacrement et les bras en croix, laissa jaillir de son cœur cette prière: « Seigneur, je te supplie ardemment, accorde-moi une grande épreuve qui contribue a ma sanctification ». La réponse du ciel arriva sous la forme d'un drame dont le Frère Raphaël fut une victime mémorable. L'explosion de la Première Guerre Mondiale (1915) fit répandre le sang dans toute l'Europe. Beaucoup de malgaches, profitant des circonstances, crurent résoudre les difficultés séculaires de leur Pays par le renversement de la monarchie pro-française et par la proclamation de la république. Pour cet objectif ils créèrent une « societe secrete » de tendance fortement nationaliste, constituée principalement des intellectuels de la capitale. La police découvrit son existence et se consacra à arrêter ses membres. Dans ce filet tomba, curieusement, même le Frère Raphaël Que s'était-il passé ? Pour attirer le plus nombre d'adhérents, les chefs de la societe secrete, connaissant l.amour du Frère pour sa terre, sans son consentement, avaient place son nom parmi les premiers adhérents A la stupeur générale de ses frères, le 24 décembre 1915 les gardes vinrent l'arrêter; ils fouillèrent sa chambre et, en même temps que lui ils emmenèrent aussi une boite de manuscrits, qui selon eux, devait contenir on ne sait quels secrets politiques et militaires. Celas, on ne sut jamais rien de ce qu'il advint de tout ce matériel : tout fut détruit et perdu a jamais. Le Frère Raphaël fut reclus dans un cachot souterrain, petit et crasseux. Une méchante table et une couverture en lambeaux étaient le seul mobilier dont il disposait. Le Frère Raphaël se sentit complètement innocent; il ne se lamenta pas, mais il sentait au fond de lui même que l'on ne peut pas enfermer dans une cage, un aigle ne pour voler dans l.azur du ciel. Quelques heures seulement s'étaient écoulées, quand il entendit grincer la porte de fer de sa cellule. Une torche a la main, un garde entra pour lui donner de la nourriture. « Merci mon ami- fut la réponse du frère Raphaël- j'apprécie ton geste mais aujourd'hui c'est la vigile de Noël : et nous les catholiques nous faisons jeune ». Le garde se retira étonné: durant toute sa vie de sbire il ne lui était jamais arrivé une chose semblable. Et en lui il se demandait comment un homme d'une telle foi et d'une telle bonté pouvait se trouver la, enfermé comme un bandit. Peu après minuit- la Nuit de Noël!- la porte de la cellule s'ouvrit a nouveau. Cette fois pour un premier interrogatoire. « Sais-tu pourquoi on t'a arrêté? - Non, monsieur le juge, je l'ignore totalement. - Parce que tu as participe a un complot contre l'Etat. Tu n'as rien a dire? » Le Frère Raphaël ne pouvait croire ce qu.il venait d'entendre. Au bout d'un moment il répondit: « Monsieur le juge, je n'ai rien contre le gouvernement, contre l'Etat et contre personne. Mes seules préoccupations sont de faire le bien aux jeunes malgaches, en diffusant le message de l'Evangile. Il s'agit certainement d'une erreur ». La réponse ne convainquit pas le juge. Les jours suivants eurent lieu d.autres interrogatoires et les manuscrits séquestrés furent examines. Aucun d.eux ne s.avera compromettant. Et arriva le jour du procès avec l'audition des témoins a charge. Qu'en fut-il des accusations ? L'un après l'autre ses accusateurs ne réussirent qu'à balbutier : « En réalité, j'ai entendu dire que ». Un de mes amis m'a dit que. Moi je n.ai rien vu mais tous disaient que" Devant une telle incertitude générale et cette réticence gênée, le juge fut convaincu de l'innocence de l'inculpé. Mais la procédure judiciaire exigeait que l'on écoutât aussi les témoins de la défense. Alors la musique changea. La file des témoins était sans fin et les louanges et les remerciements envers le Frère Raphaël semblaient composer un crescendo sans qu'aucun ne fasse de fausse note. Par conséquent le 18 février le procès contre le Frère Raphaël s'acheva avec la demande publique d'excuses de la part du juge a l'égard de l'inculpé et avec l'ordre de libération immédiate. La gazelle blessée par traitrise courait a nouveau, librement... Il était huit heures du soir. Une marée humaine envahit les rues et accompagna notre frère chez lui, a la maison des Frères. Tous ceux qui le purent lui baisèrent les mains : ces mains qui avaient été entravées par des chaines iniques. Le fils du Capitaine de esclaves marchait la tête haute, bien qu'affaibli physiquement mais le regard serein et noble. Pendant ce temps les amis les plus intimes étaient accourus a la maison des Frères pour être présents au retour de leur ami, et jusqu'aux heures avancées de la nuit ils se disputèrent l'honneur de se congratuler avec la victime de cette odieuse intrigue. Les jours suivants se renouvelèrent ces démonstrations de joie, accompagnées, selon la coutume locale, d'offrande de cadeaux. L'évêque lui-même vint rencontrer son « suppléant durant les années d'exil » et révéla aux Frères un secret : le lendemain de sa mise en liberté, le Frère Raphaël était accouru vers lui pour lui demander un nouveau rosaire, étant donne que le sien s'était usé complètement durant son incarcération.
L'épilogue
La gazelle courait à nouveau, de fait; mais elle portait dans son corps des traces du temps et les blessures de la prison. Le séjour dans la cellule crasseuse, obscure et glaciale de la prison, même pour peu de temps avait eu des répercussions nocives sur la santé du Frère: des lors il eut fréquemment la fièvre. En espérant qu'un changement de climat pourrait le rétablir, les Supérieurs l'envoyèrent à Fianarantsoa, seconde ville de Madagascar. La-bas les Frères des Ecoles Chrétiennes possédaient un terrain tranquille sur le flanc d.une colline appelée en malgache « Bel Sito »: c'était un véritable paradis terrestre. Pour qui que ce soit sauf pour le Frère Raphaël : passer d'Antananarivo, ville agreste et encaissée entre les montagnes, à la belle Fianarantsoa, ornée de toutes les beautés de la nature, a la riche végétation, avec des oiseaux et des fleurs, aurait été comme échanger ses guenilles contre des vêtements somptueux. Mais pour le Frère Raphaël, qui portait au plus profond de son cœur l'amour de sa ville, Fianarantsoa était comme une terre d'exil. Il partit par esprit d'obéissance, sans émettre un soupir, laissant derrière lui la ville ou il était né, ou il avait reçu le baptême, ou il était devenu religieux, ou il avait prononce ses premiers voeux, ou il avait effectué quarante longues années de travail, combattant et souffrant pour la cause du Christ. Il ne reverrait pas Antananarivo avec sa belle cathédrale, son joli collège, les endroits ou il avait joué, libre et heureux comme une gazelle... Le Frère Raphaël vécut à Fianarantsoa seulement deux années pendant lesquelles il tacha d'être utile dans la mesure de ses forces. Le 15 mai 1919 le religieux épuisé se traina difficilement jusqu'à l'église principale de la ville pour participer aux célébrations en honneur de Saint Jean Baptiste de La Salle (qui avait été canonisé durant l'Année Sainte de 1900): ce fut sa dernière sortie, parce que le 19 mai, après avoir reçu, pleinement conscient, les derniers sacrements, le Frère Raphaël-Louis Rafiringa s'endormit paisiblement dans la paix du Seigneur a l'âge de 63 ans. Ils furent tres nombreux les admirateurs du Frère Raphaël qui surtout dans la capitale Antananarivo, furent affliges par la nouvelle de sa mort et de ne pas avoir pu lui rendre le dernier hommage. Au fur et a mesure que le temps passait, ils se résignaient de moins en moins a l'idée de savoir ses restes mortels enterres si loin du théâtre de son intense activité. Ils décidèrent donc d'effectuer les démarches nécessaires pour faire revenir Antananarivo le corps de leur vénérable maitre, pour lequel ils érigeraient un digne mausolée. Nous arrivons ainsi en 1933, année ou eut lieu le transfert tant désiré. La surprise fut énorme quand de la terre surgit le corps du Frère : il était intact, comme s'il venait d'être enterré. Une photographie décolorée de l'époque la montre debout, au milieu des Frères et des Elèves Le parcours de Fianarantsoa a Antananarivo fut triomphal. Particulièrement émouvant fut l'étape nocturne dans la cathédrale, porteuse de faveurs spéciales et de grâces. Parmi celles-ci on trouve la guérison reconnue comme « miracle » par les membres de la Cause des Saints, qui conduisit notre Frère a la béatification.
Le miracle qui a conduit le Frère Raphaël Rafiringa à la Béatification
Monsieur Pierre Rafaralahy avait 65 ans quand en 1927 il eut conscience de la paralysie de ses membres inférieurs. Depuis plusieurs années il avait ressenti dans ses jambes une faiblesse inexplicable, qui avait entraine une certaine appréhension pour son moral qui évolua plus tard en préoccupation parce que la faiblesse au lieu de disparaitre s'était accrue et s'était transformée, justement en 1927, en une paralysie complète.. Monsieur Pierre Rafaralahy était né en 1862, et il était seulement 6 ans plus jeune que le malgache Rafiringa devenu plus tard le Frère Raphaël des Ecoles Chrétiennes. Les relations avec les missionnaires qui passaient dans son village avaient fait qu'il se convertisse au christianisme, au point que, quand en 1883 les missionnaires durent abandonner l'ile il se trouvait parmi ceux qui étaient des disciples assidus du Frère Raphaël, choisi comme chef de la chrétienté. De 1895 a 1927 il remplit la fonction de catéchiste dans diverses communautés de l'ile. Pendant ce temps la il s.etait marie et avait fonde une famille chrétienne. Mais la mort prématurée de deux de ses filles lui avait cause beaucoup de douleur et, selon le témoignage d'une de ses filles adoptives, lui causa même des troubles cardiaques, avec des répercussions, d'après elle, dans les extrémités inférieures. Mais ou trouver un médecin, et qui plus est un spécialiste? On pouvait consulter uniquement les sorciers et les guérisseurs : mais cela en valait-il la peine ? Le bon Pierre accepta le malheur en baissant la tête devant la volonté du Seigneur, sans la discuter et s'inquiéter beaucoup a ce sujet. Elevé selon les principes de la religion catholique, et conscient de l'efficacité de l'intercession des saints, il n'avait pas oublie son maitre Frère Raphaël, qu.il considérait, ainsi que ses camarades, comme un « saint ». Aussi quand il apprit que ses restes mortels, durant leur transfert de Fianarantsoa a Antananarivo, allaient rester un moment dans la cathédrale d'Antsirabe, il se fit transporter dans cette ville pour rendre un dernier hommage a son maitre et pour lui demander, pourquoi pas, son aide ? Et le miracle eut lieu. Apres la célébration de la messe, le cercueil était exposé au centre de la cathédrale Pierre s'approcha en titubant et posa sa main sur le cercueil. Il ressentit un frisson dans tout le corps et se sentit poussé a se lever. Il put le faire sans difficulté: il était guéri! Le bon Pierre, maintenant solide sur ses deux jambes, qui étaient restées inactives pendant 6 ans, se présenta immédiatement au curé de la cathédrale et lui laissa comme souvenir les béquilles, désormais inutiles. Le jour même, après avoir accompagné durant une partie du trajet le cortège qui se dirigeait vers Antananarivo, il retourna joyeux chez lui, parcourant a pied les 14 kilomètres de distance. Le bénéficiaire du miracle reprit avec une énergie renouvelée son activité normale, familiale et sociale et mourut en 1940, à l'âge de 78 ans, sans avoir eu la moindre rechute en aucune sorte de la paralysie soufferte dans ses membres inférieurs entre 1927 et 1933.
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