Spiritualité Chrétienne

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La Bienheureuse Marguerite Rutan 6

Soeur Marguerite Rutan, Fille de la Charité

 

Chapitre cinquième

L'Échafaud

(3 Mars 1794 - 9 avril 1794)

 

Institution d'une commission extraordinaire, ses opérations dans les landes, rigueurs demandés par le comité de surveillance contre la Soeur Rutan, arrivée des représentants du peuple et de la commission extraordinaire à Dax, jugement et exécution de la Soeur Rutan, preuve du martyre, retour des Soeurs à l'hopital, lieu de sépulture de la Soeur Rutan, enquête sur la disparition de ses effets, hommage de l'administration de l'hôpital à la Soeur Rutan.

 

Pinet quitta la ville de Dax avec l'intention bien arrêtée d'y revenir bientôt et d'y faire fonctionner la guillotine, dont il venait de décréter la construction. À peine de retour à Bayonne, il établit, à l'imitation de ce qui se faisait ailleurs, une Commission extraordinaire, sorte de tribunal militaire, auquel il confia le pouvoir de juger les causes relatives à la désertion, à la trahison et à l'émigration, et donna pour mot d'ordre à ceux qui la composaient d'agir énergiquement et rapidement (1). En pratique, Pinet oublia qu'il avait limité les, attributions de la Commission, dont il désirait se servir pour assouvir ses haines et répandre arbitrairement la terreur.

 

Dans la nuit du 19 au 20 février 1794, quarante-sept Basques passèrent la frontière et ne reparurent plus (2). Pinet multiplia les mesures de rigueur; il dévasta plusieurs villages, enferma leurs habitants dans d'affreux cachots ou les dispersa dans les départements voisins (3). Sa colère n'était pas encore apaisée que la saisie d'une lettre, oeuvre d'un faussaire (4), lui fournissait l'occasion de venir exercer de nouveau sa vengeance dans les Landes. Le 27 ventôse (17 mars), il écrivait au comité du salut public: « La mesure de l'internat des Basques se continue avec vigueur et nous espérons que nous parviendrons enfin à purger ce malheureux pays, acquis à l'Espagne par l'or et les prêtres, et qui lui fournissait une pépinière d'espions, qui le rendaient possesseur de nos plans d'opération bien avant que nous, les missions à exécution. Nous vous envoyons, citoyens collègues, la copie d'une lettre qui va vous faire frémir d'horreur; c'est un plan de contre-révolution bien ourdi, bien concerté dans un département qui borde nos frontières, dans le département des Landes. Cette lettre est écrite à un abbé émigré, nommé Juncarot, par un huissier du district de Saint-Sever; ce district et celui de Dax ont toujours été contre-révolutionnaires; c'est dans le premier que se réfugient tous nos déserteurs, qui sont tolérés par la municipalité, soutenus, encouragés et égarés par les nobles et les prêtres… La guillotine va jouer; ce n'est qu'en purgeant la terre des nobles, des prêtres et des fanatiques, nos ennemis éternels, que nous jouirons de la paix et du bonheur (5) ». La guillotine joua, selon l'expression cynique, de Binet. Elle joua d'abord à Saint-Sever, où les chefs supposés du complot dénoncé par la lettre du 27 ventôse furent punis de mort, puis à Tartas, où deux prêtres versèrent leur sang pour la foi, enfin à Dax(6). Le comité de surveillance, prévenu de la prochaine arrivée de la Commission extraordinaire, choisit à l'avance ses victimes. Il les prit dans toutes les classes de la société, parmi les nobles, les prêtres assermentés et insermentés, les religieuses et le bas peuple. Il fallait des exemples; il fallait que les réfractaires et les tièdes apprissent par des faits propres à frapper fortement l'imagination combien il était périlleux de préférer le fanatisme et l'aristocratie à la Révolution.

 

Le 8 germinal, la conduite de la Soeur Rutan fut soumise à une enquête ou plutôt à un semblant d'enquête, qui ne révéla aucune charge nouvelle; six jours après, le comité de surveillance arrêtait que son nom serait mis sur la liste des personnes proposées pour la guillotine (7). « Le 14 germinal, l'an II de la République une et indivisible. Les membres composant le comité de surveillance, réunis aux formes ordinaires. Vu la dénonciation faite par la Société populaire de la commune de Dax contre la Soeur Rutan, ci-devant supérieure de l'hôpital de bienfaisance de cette commune, du 4 nivôse dernier, portant que la Soeur Rutan emploie tous les moyens pour corrompre, les braves défenseurs de la patrie qui sont malades à l'hôpital et qu'elle est d'ailleurs incivique. Vu l'arrêté du présent comité, du dit jour 4 nivôse, portant que ladite Soeur Rutan sera de suite conduite dans la maison de réclusion et les scellés apposés sur ses papiers. Vu le verbal de la levée des scellés et vérification des papiers de ladite Soeur Rutan, du 6 du même mois. Vu la déclaration, en forme de dénonciation donnée par le citoyen Bouniol contre ladite Soeur Rutan, du 8 du même mois, portant que, conférant avec un soldat national qui était à l'hôpital, celui-ci lui dit que toutes les Soeurs étaient des coquines d'aristocrates, débauchant les soldats, qu'elles les prêchent pour d'aller dans la Vendée, qu'elles les font danser et chanter des chansons diaboliques et leur donnent de l'argent. Vu le verbal de la visite des appartements qu'occupait ladite Soeur Rutan audit hôpital, constatant les sommes qu'elle avait en bourse, ledit verbal daté du 13 du même mois. Vu l'interrogatoire, pris par le comité, de ladite Soeur Rutan, le 26 du même mois. Vu l'enquête faite par ledit comité contre ladite Soeur Rutan, en date du 8 germinal. Vu enfin les lettres et pamphlets infâmes et vraiment contre-révolutionnaires trouvés dans les papiers de ladite Soeur Rutan, qui font justement présumer qu'elle est animée des principes désorganisateurs des armées. Considérant que ladite Soeur Rutan est prévenue d'avoir employé des moyens de séduction, soit en propos, soit en donnant de l'argent aux braves défenseurs de la patrie que des blessures honorables ont amenés à l'hôpital, pour les engager à joindre les brigands de la Vendée et tourner les armes contre la patrie. Considérant que ladite Soeur Rutan est prévenue d'avoir entretenu des correspondances et des liaisons criminelles avec des parents du tyran d'Autriche, qu'elle a même favorisé le passage dans cette commune, d'un personnage, se disant prince d'Allemagne, allié à l'empereur. Considérant que les délits imputés à ladite Rutan méritent, non seulement la peine de réclusion, mais encore des peines infamantes et afflictives portées par les lois. Arrête que copie du présent arrêté sera envoyée à l'agent national près le Directoire du district de Dax, ainsi que la procédure instruite contre ladite Rutan, avec déclaration que ladite Rutan est dans la maison de réclusion dite des Carmes de cette commune à sa disposition ».

 

Le comité de surveillance relève deux griefs: conseils donnés aux soldats de passer de l'armée de la République dans celle des Vendéens et relations illégales avec des princes de la maison d'Autriche. On est étonné de voir sur quel faible fondement repose la première de ces accusations, suggérée par la seule déposition de Bouniol. Si les membres du comité eussent pris la peine d'interroger le soldat dont Bouniol prétendait rapporter les propos, mention du procès verbal de cet interrogatoire figurerait dans la liste des pièces qu'ils disent avoir eues sous les yeux. Il y a bien l'enquête du 8 germinal; mais, à cette date, les registres d'entrée et de sortie en font foi (8), des quatre-vingt-cinq soldats qui étaient à l'hôpital le 8 nivôse, jour où Bouniol vint dénoncer les Soeurs, il n'en restait plus que deux (9); les autres avaient regagné leur régiment, étaient morts, ou avaient obtenu l'autorisation de rentrer dans, leurs foyers. Si le comité de surveillance avait réellement conçu le dessein de recueillir le témoignage si important du soldat qui avait renseigné Bouniol, il n'aurait pas attendu le moment où, suivant toute probabilité, cet individu ne serait plus à Dax. Inutile d'insister davantage sur les prétendus appels à la désertion; arrivons au second grief. Le comité de surveillance accuse la Soeur Rutan d'avoir échangé des lettres avec des parents de l'empereur d'Autriche et favorisé le passage à Dax d'un personnage se disant prince d'Allemagne, allié à l'empereur. D'après l'acte de condamnation à mort, qui sera reproduit plus loin, ces parents de l'empereur d'Autriche et ce prince d'Allemagne seraient un seul et même personnage, Louis- Géris de Lorraine, parent de l'empereur des Romains, avec lequel la Soeur Rutan aurait fait un repas

à Pouillon.

 

Que penser de renseignements aussi précis? Serions-nous encore en face d'une invention, née de la malveillance ? on ne saurait en douter. Les généalogies les plus complètes et les plus sérieuses de la maison de Lorraine ne présentent, à aucune époque, le nom de Louis-Géris. La première maison de Lorraine, représentée uniquement par des femmes, devint maison de Lorraine-Anjou. À l'époque de Charles le Téméraire, il n'y avait plus, pour le même motif, que la maison de Lorraine-Vaudémont, à laquelle appartenait François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse et empereur d'Autriche. La branche principale des Lorraine-Vaudémont cessa dès lors d'être française. François de Lorraine avait cinq frères et sept soeurs. Des cinq frères aucun ne laissa de postérité; tous, sauf peut-être le sixième, Charles, moururent jeunes.

 

Passons aux branches latérales. Des Lorraine-Vaudémont sortirent les Mercoeur et les Guise, des Guise les Mayenne, les Aumale et les Elboeuf, des Elboeuf les Harcourt, les Lillebonne et les Armagnac-Brienne. En 1789, une seule branche, celle des Armagnac-Brienne, avait des représentants. À elle se rattachent les princes de Marsan, qui s'éteignirent en 1782 avec Camille-Louis de Lorraine, prince de Marsan, marquis de Puyguilhem, comte de Pontgibaud et baron de Saint-Barthélemy, né à Paris le 19 décembre 1725. Charles-Louis de Lorraine, prince de Lambesc et comte de Brienne, qui appartenait à la branche principale des Armagnac-Brienne, se maria trois fois ; la troisième union fut seule féconde. De Louise-Julie-Constance de Rohan-Montauban, il eut des filles et deux fils, Charles-Eugène et Joseph-Marie, les seuls représentants mâles de la maison de Lorraine en France au début de la Révolution. Charles-Eugène de Lorraine, prince de Lambesc, comte de Brienne et duc d'Elboeuf, né à Paris le 25 septembre 1751, était grand-écuyer de France en 1761, colonel du régiment de Lorraine en 1773 et maréchal de camp en 1788. Le 12 juillet 1789, il fut chargé de dissiper les groupes tumultueux qui envahissaient le jardin des Tuileries. La défection des gardes françaises, qui pactisèrent avec la foule, le mit dans l'obligation de rétrograder et de rentrer dans le camp. Ses troupes tuèrent un vieillard et blessèrent un jeune homme. Le comité des recherches l'en rendit responsable et le cita devant les tribunaux. Par mesure de prudence, avant d'attendre la sentence des juges, qui fut une sentence d'acquittement, Charles-Eugène s'enfuit en Allemagne, où son régiment vint le rejoindre au commencement de 1792. Il servit dans l'armée des frères de Louis XVI, entra en Champagne avec l'armée prussienne, l'évacua avec elle et prit du service en Autriche, où il obtint les grades de général-major et de feld-maréchal. Il mourut à Vienne le 21 novembre 1825. Son frère, Joseph-Marie de Lorraine, prince de Vaudémont, naquit le 23 juin 1759, devint maître de camp des dragons de Lorraine, partit pour l'exil avant le mois de juillet 1792 (10) et fut, durant son émigration, général-major au service de l'Autriche. Comme son frère, il ne laissa pas de postérité (11). Que conclure de toutes ces données? D'abord que Louis-Géris de Lorraine n'a jamais existé; ensuite que la présence d'un prince de Lorraine à Dax ou à Pouillon pendant la période révolutionnaire est absolument invraisemblable. Charles-Eugène et son frère habitaient Paris; ils s'engagèrent au service de l'Autriche; pourquoi auraient-ils choisi, pour émigrer, les frontières de l'Espagne, où ils ne devaient pas trouver plus de sécurité que sur les frontières de pays étrangers, plus voisins de leur domicile et de la contrée où ils voulaient se retirer?

 

Les représentants du peuple en mission dans le sud-ouest racontent en détail, dans leur correspondance officielle à la Convention ou au Comité du salut public, les événements d'ordre diplomatique ou autres relatifs à l'Espagne; nulle part il n'est question de ce prétendu voyage d'un prince de Lorraine (12). Aucune pièce manuscrite, sauf le procès-verbal des accusations portées contre la Soeur Rutan, aucun livre imprimé, un seul excepté, ne mentionne ce fait. L'auteur qui nous en parle et le tient pour certain est l'abbé Légé. Voici ce qu'il écrivait en 1875 (13): « Cossaune, dans le procès Rutan, avait parlé d'un repas aristocratique à Pouillon. Ce repas, comme celui des Basques à Itsassou, fut une grave imprudence. Les amis à Pouillon se permirent des propos assez lestes contre les sans-culottes; ils jugèrent librement les affaires du temps, oubliant que les murs ont des oreilles et que l'effervescence de leurs sentiments n'aurait rien pu en ce moment contre les excès de la Terreur. Un misérable, nommé la Bonté, vint dire au district que les aristocrates s'étaient vantés, à Pouillon, de boire dans les crânes des patriotes à l'anéantissement de la République. La Supérieure de l'hôpital de Dax et le médecin Grateloup étaient de ce repas. On arrêta Grateloup avec sa servante, Daudine Darjo ».

 

L'abbé Légé ne dit pas d'où il a tiré ce récit (14); il est hors de doute qu'il ne l'a pas inventé. Tout porte à croire qu'il a consigné de confiance, sans en vérifier l'exactitude, une tradition orale, née elle-même des imputations calomnieuses lancées contre la Soeur Rutan et, durant une période de quatre-vingts ans, grossie par l'imagination populaire de détails aussi faux que le fond primitif. La France était en guerre avec l'Autriche et l'Espagne depuis l'année 1792; et, depuis le mois de juin 1793, elle gémissait sous le joug intolérable des terroristes. Est-il vraisemblable qu'un prince allié à la maison d'Autriche ait, en de telles circonstances, traversé notre pays et banqueté à Pouillon en si nombreuse compagnie? Si les faits, en les supposant vrais, avaient eu le caractère de gravité que leur prête l'abbé Légé, la Commission extraordinaire aurait-elle blâmé Marguerite Rutan de s'être trouvée à un banquet organisé en l'honneur d'un prince, sans relever, au moins d'un mot, les imprudents écarts de langage des convives? Le comité de surveillance se serait-il contenté de déclarer, sans même faire allusion au repas et aux discours de Pouillon, que la Supérieure de Saint-Eutrope avait favorisé le passage du prince à Dax?

 

Voilà qui serait déjà bien étrange ! Il y a mieux. Dans aucune des pièces qui composent le dossier de Grateloup, dont le sang rougira l'échafaud encore humide de celui de la Soeur, il n'est fait mention du prétendu dîner. L'acte de dénonciation (15), le décret d'incarcération (16), l'arrêté en vertu duquel il fut condamné à mort (17), un récit contemporain de son exécution et des causes qui l'amenèrent (18), le procès-verbal de la déposition d'un vieillard interrogé en 1862 par le maire de Dax (19), enfin l'histoire de la Révolution dans cette ville par Dompnier de Sauviac, qui n'est pas sobre de détails sur Grateloup (20), se taisent complètement sur un fait qui constituerait à lui seul, contre l'accusé, une charge cent fois plus accablante que tous les autres griefs réunis. On l'accuse de fanatisme; on lui reproche d'avoir conspiré contre la liberté et l'égalité; on s'indigne de ce qu'il a osé conserver chez lui les portraits de Bailly, de Bergasse, de Lafayette, de Polignac et de Le Chapelier; et on ne soufflerait mot du dîner de Pouillon, où, en compagnie de plusieurs aristocrates, réunis autour d'un prince sur le point d'émigrer, il aurait, lui ou ses complices, exprimé le regret de ne pouvoir encore boire à l'anéantissement de la République dans le crâne des patriotes ! En voilà sans doute assez pour ruiner de fond en comble l'étrange récit que l'abbé Légé a eu tort de faire sien. Supposons un instant qu'un prince de Lorraine et la Soeur Rutan aient dîné ensemble à Pouillon. Ce repas n'eut lieu ni avant 1790, car on ne comprendrait pas, autrement, le reproche adressé par le comité de surveillance à la Soeur Rutan d'avoir favorisé le passage de l'auguste voyageur à Dax (21), ni après 1792, puisqu'au début de 1793, les princes de la maison de Lorraine, étaient, sans aucun doute, à l'étranger (22). Si le fait incriminé s'est passé entre 1790 et 1793, on ne pouvait en faire la base d'une condamnation; les lois pénales contre les complices des émigrés ne furent, en effet, votées qu'au mois de mars 1793.

 

De tout ce qui vient d'être dit, il résulte, - peut-on en douter? - que l'existence de Louis-Géris de Lorraine, le passage d'un prince de cette illustre maison à Dax pendant la période révolutionnaire, le dîner de Pouillon et les relations de la Soeur Rutan avec le prince voyageur, sont autant de faussetés. Eh bien ! malgré l'éclatante évidence des preuves accumulées, quand on voit les juges de la Soeur Rutan déclarer devant l'accusée elle-même qu'elle a franchement avoué sa présence au dîner de Pouillon, en compagnie de Louis-Géris de Lorraine, parent de l'empereur d'Autriche, quand on entend affirmer par ceux qui ont dépouillé ses papiers qu'elle était en correspondance avec ce prince, si l'on n'est pas au courant des manoeuvres familières aux comités de surveillance et aux sociétés populaires, qui mettaient chaque jour les mensonges et les faux au service de la haine, on est tellement étonné d'une pareille impudence, que l'on se demande, comme malgré soi, s'il n'y aurait pas un peu de vrai dans les allégations des accusateurs. Dompnier de Sauviac lui-même s'est laissé prendre au piège et l'abbé Domec, ancien curé de Saugnac, un contemporain de la Révolution et une victime des révolutionnaires, qui le tinrent longtemps enfermé dans les prisons de Mont-de-Marsan, a également reçu de confiance les calomnies du comité de surveillance (23).

 

Il n'y eut, en réalité, ni aveux arrachés, ni lettres trouvées. Nous le savons par le Directoire du district, qui, on s'en souvient, avait, en l'an II, reçu communication de la procédure instruite contre Marguerite Rutan. On lit, en effet, à la date du 15 prairial an III (3 juin 1795), dans le procès-verbal d'une délibération (24), signée de plusieurs noms que l'on retrouve au bas des pièces de l'an II (25): « La commune de Dax regrettera longtemps une femme vertueuse, une femme créatrice du plus bel établissement d'hospitalité qui existât dans plusieurs départements, qui, par caractère, tenant à une opinion religieuse, a été inhumainement sacrifiée sur des motifs dont la preuve est encore à acquérir. Nous le savons encore par l'auteur de l'Abrégé, qui écrivait, en 1796: « Il ne manquait qu'un prétexte pour l'immoler; le prétexte même ne se présentait pas; on l'imagina; on l'accusa d'avoir dîné avec une personne qui émigrait ». S'étonnera-t-on maintenant que la Commission extraordinaire se soit contentée de consigner dans son registre l'acte de condamnation à mort de la Soeur Rutan et n'ait pas cru devoir, comme elle l'a fait pour d'autres victimes, transcrire tout au long au moins une des prétendues lettres criminelles qui justifiaient, disait-on, la sentence rigoureuse portée contre l'accusée?

 

L'arrêté par lequel le comité de surveillance jugeait la Soeur Rutan digne de peines infamantes plus dures que la réclusion, datait du 14 germinal (3 avril). Est-ce pure coïncidence ou conséquence de cette mesure? Ce jour-là même, une Ursuline prêtait le serment; c'était la première religieuse qui faiblissait. Le lendemain, deux Clarisses et une Ursuline suivaient son exemple. Du 19 au 26, la liste s'accrut de quatre noms, qui étaient ceux de deux Ursulines et de deux Clarisses (26). Après les sanglantes exécutions de Saint-Sever et de Tartas, la Commission extraordinaire prit le chemin de Dax, où elle arriva le 19 germinal (8 avril). Dès le lendemain, elle fit comparaître Jean-Eutrope de Lannelongue, curé de Gaube (27), et la Soeur Rutan. À la sécurité dans l'exil le curé de Gaube avait préféré les périls de l'apostolat dans la patrie. Il comparut le premier et fut condamné à mort en vertu de la loi qui punissait de la peine capitale les prêtres réfractaires trouvés sur le territoire de la République. Après le prêtre, la Fille de la Charité. « Marguerite Rutan fut amenée à la barre, écrit Dompnier (28). Après la lecture de la procédure dirigée contre elle, on l'admit à se défendre (29). Elle répondit sans trouble, sans hésitation, que les règlements de l'hospice exigeaient que les papiers délaissés par les militaires décédés fussent religieusement conservés pour être remis à leurs familles, qu'elle n'était donc que simple dépositaire de tous ceux qu'on avait trouvés dans son bureau. Ces paroles nous ont été transmises par un témoin digne de foi… Marguerite Rutan parla jusqu'au moment où Cossaune l'interrompit par ces mots: Nous sommes convaincus.

 

 

Les juges disparurent pour délibérer. Le temps de rédiger les motifs et dispositifs suivants, ils avaient repris leur siège. Le président, d'une voix grasseyante, et en disant toujours Routan pour Rutan, prononça le jugement suivant: « Au nom de la République. La Commission extraordinaire, séante à Dax, a rendu le jugement suivant, auquel ont assisté les citoyens Cossaune, président, Dalbarade, Maury, Martin et Toussaint, membres de ladite Commission. A été amenée à l'audience, une femme, laquelle, sur l'interpellation que lui a faite le président, a répondu se nommer Marguerite Rutan, âgée de cinquante-sept ans, native de Metz, en Lorraine, ci-devant Supérieure de l'hôpital de la présente commune. Le président lui a dit qu'elle était accusée d'avoir employé des moyens de séduction soit en propos, soit en donnant de l'argent aux braves défenseurs de la patrie, que des blessures honorables ont amenés à l'hôpital, pour les engager à joindre les brigands de la Vendée et tourner les armes contre la patrie, d'avoir entretenu des correspondances et des liaisons criminelles avec des parents du tyran d'Autriche, et qu'il a été trouvé dans son bureau des pamphlets infâmes et contrerévolutionnaires. La Commission extraordinaire, vu la dénonciation faite par la société populaire de Dax contre ladite Rutan, l'enquête faite par le comité de surveillance et les réponses de l'accusée. Considérant que ladite Soeur Rutan, ci-devant supérieure de l'hôpital de Dax, est convaincue qu'au lieu de propager les principes, patriotiques aux volontaires malades détenus dans ledit hôpital, comme sa place lui en faisait un devoir, ne les a qu'engagés à la désertion en leur offrant de l'argent, leur en donnant même, d'après leur propre aveu et comme les pièces qui ont été remises, à la Commission par le comité de surveillance en font mention. Considérant en outre qu'il a été trouvé dans son bureau un grand nombre de pamphlets aristocratiques, fanatiques et plus contre-révolutionnaires les uns que les autres, qu'elle n'a point désavoué d'en avoir transcrit certains de sa propre main et qu'elle était de plus en correspondance avec Louis-Géris de Lorraine, parent de l'empereur des Romains, avec lequel elle a convenu avoir fait un repas à Pouillon. Ladite Commission, conformément à la loi, qui condamne à la peine de mort tous ceux qui seront convaincus d'avoir attenté à la sûreté générale de la République, condamne ladite Soeur Rutan à la peine de mort, confisque ses biens au profit de la République, ordonne que le présent jugement sera à l'instant, exécuté sur la place de la liberté de cette commune, imprimé et affiché partout où besoin sera. Jugé lesdits jour, an et mois que dessus. Cossaune, président; H. Martin, juge; P. DaIbarade, juge; Toussaint, juge; Maury, juge » (30).

 

Les délits que la Commission extraordinaire retient contre la Soeur Rutan sont ceux-là mêmes que le comité de surveillance lui avait reprochés: appels à la désertion, correspondance et relations avec un prince de Lorraine. Elle en ajoute un troisième, les pamphlets aristocratiques et fanatiques trouvés dans son bureau. Dans le style de l'époque - ceux qui ont étudié l'histoire de la révolution le savent bien - fanatique signifiait ce que signifie de nos jours clérical. Tant que dura l'existence officielle de l'Eglise constitutionnelle, cette épithète fut réservée aux partisans des insermentés. Quand tout culte fut aboli, fanatisme devint synonyme de religion (31). Les pamphlets fanatiques trouvés parmi les papiers de Marguerite Rutan seraient donc des livres de piété, des feuilles de prières, au nombre desquelles il faudrait mettre, d'après une tradition particulière, conservée dans plusieurs familles, les litanies du Sacré-Coeur, qu'elle aurait cachées dans ses habits. Jusqu'ici, le motif d'ordre religieux, bien qu'il fût en réalité l'unique stimulant du club des Barnabites et du comité de surveillance, n'avait pas été formellement invoqué. On l'avait tu, à dessein, sans doute, parce que, légalement, tout citoyen était libre d'avoir des opinions religieuses de son choix. Le code pénal prévoyait et défendait l'exercice du saint ministère sur le territoire de la République; il était muet sur les croyances. Aussi, avait-on jugé préférable de dénoncer des faits que la loi punissait de mort.

 

Cette tactique n'était pas spéciale au comité de surveillance de Dax; la plupart des tribunaux tenaient à se couvrir des apparences de la légalité. Si l'on examine les arrêtés de leurs juges, les victimes de la Terreur immolées en haine de la foi ont presque toutes à leur actif des motifs d'ordre politique; on savait que, seule, l'accusation de fanatisme n'était pas de nature à justifier la peine de mort. Les Carmélites de Compiègne, récemment béatifiées, furent traitées de royalistes et de fanatiques; les perquisitions opérées chez elles avaient amené la découverte du portrait de Louis XVI et de lettres compromettantes, où il était question du malheur des temps, de résistance aux lois criminelles, et où se trouvaient exprimés des voeux pour le succès des armes des alliés et des regrets pour la mort de Louis XVI (32). La Soeur Fontaine, Supérieure des Filles de la Charité d'Arras, fut condamnée comme « pieuse contre-révolutionnaire, ayant conservé pieusement et même caché sous un tas de paille une foule de brochures et de journaux renfermant le royalisme le plus effréné, ayant refusé le serment, ayant même insulté aux commissaires du district, en leur disant que cela n'irait pas, qu'il n'y avait plus de diables dans l'enfer, qu'ils étaient sur la terre (33) ». Le délit d'émigration fut seul reproché aux Ursulines de Valenciennes, qui avaient quitté cette ville pour s'installer à Mons (34). Les ennemis de la Soeur Rutan, comme ceux des religieuses de Compiègne, d'Arras et de Valenciennes, voulurent, eux aussi, porter devant ses juges des accusations d'ordre non religieux; seulement, comme il ne s'en présentait pas, ils les imaginèrent.

 

La Supérieure de Saint-Eutrope accueillit la sentence de la Commission extraordinaire avec le calme et la sérénité d'une âme qui a, depuis longtemps, fait le sacrifice de sa vie. Elle avait achevé sa course; elle avait combattu le bon combat; son regard plein d'espérance entrevoyait déjà la béatitude promise par Celui qui s'est engagé à récompenser même un verre d'eau donné aux pauvres en son nom. Dès que l'arrêt de mort fut prononcé, la condamnée, toujours maîtresse d'elle-même, voulut prendre la parole; mais, sur l'ordre du président, un roulement de tambour étouffa sa voix. Aussitôt, les membres de la Commission se levèrent (35). La nouvelle de la condamnation qui frappait la vénérable Supérieure de Saint-Eutrope franchit bien vite les portes, du prétoire. Quoique prévu de tous, ce malheur plongea la ville entière dans une consternation profonde et des larmes coulèrent de bien des yeux. Indignés d'une injustice aussi criante, les soldats qui étaient en traitement à l'hôpital conçurent le projet de prendre les armes pour arracher la Soeur Rutan aux mains de ses lâches ennemis; la pensée que leur entreprise était fatalement vouée à l'insuccès les fit changer de résolution. Les juges avaient achevé leur oeuvre; le bourreau allait commencer la sienne.

 

L'interrogatoire et la proclamation de la sentence étaient les deux premiers actes du terrible drame; le troisième, l'exécution devait suivre sans retard. Le curé de Gaube et la Soeur Rutan ne quittèrent le prétoire que pour prendre le chemin de l'échafaud. On les attacha dos à dos et on les fit monter sur une charrette qu'entourait un peloton de gendarmes et de dragons; le bourreau fermait la marche. Le cortège avançait au pas de charge et au bruit du tambour. « Il semblait, dit Dompnier, qu'il courût à l'assaut de la guillotine ». Il suivit d'abord la rue de l'Évêché, puis la rue Cazade. De toutes les avenues débouchaient, par groupes nombreux, des curieux qu'attirait le désir de voir les condamnés et d'être témoins de leur supplice (36). Intrigué par le bruit extraordinaire qui s'élevait dans la rue, un enfant mit sa petite tête à une fenêtre. Ses yeux rencontrèrent ceux de la martyre, qui le reconnut et lui sourit avec tendresse; c'était un habitué de l'hospice, où la Soeur Rutan l'avait vu plus d'une fois jouer avec tout l'entrain de son âge. Sa mère, impressionnée par le douloureux et lugubre spectacle qui s'offrait à ses regards, ferma brusquement la fenêtre et lui dit: « Mets-toi à genoux et prie pour la Soeur; des malheureux vont la tuer ». Le pauvre petit ne sut que donner libre cours à ses larmes; le chagrin l'étouffait. D'autres pleuraient aussi; les soldats de l'escorte partageaient eux-mêmes l'émotion commune. La douleur des deux dragons placés aux côtés des condamnés faisait particulièrement peine à voir; elle toucha la Soeur Rutan, qui leur donna en souvenir le peu qui lui restait, sa montre et son mouchoir (37).

 

Déjà une foule compacte s'était amassée sur la place Poyanne, où devait avoir lieu l'exécution (38). Pour s'assurer du bon fonctionnement de la guillotine, le bourreau avait, le matin, décapité un mouton (39). À l'approche du lugubre cortège, un frisson d'horreur secoua l'assistance tout entière; les yeux se remplirent de larmes; cette consternation générale manifestait avec une poignante éloquente la douleur qui oppressait les coeurs. Seule, au milieu de l'émotion commune, la Soeur Rutan conservait son âme dans la paix; debout, au pied de l'échafaud, elle assista, sans trahir la moindre frayeur, aux préparatifs du supplice (40). Jean-Eutrope de Lannelongue, curé de Gaube, devait être exécuté le premier. Au moment où le digne prêtre s'inclinait pour recevoir le coup fatal, un dragon, ému de pitié, pria doucement là Soeur Rutan de détourner la tête. « Comment! citoyen, lui répondit-elle dans un noble sentiment de fierté, croyez-vous donc que la mort courageuse d'un innocent soit un triste spectacle? » (41). Pour cette âme vaillante, en effet, une telle mort était le plus grand honneur qu'elle pût envier, Le courage de l'héroïque Fille de la Charité semblait grandir à l'approche du supplice. Après avoir gravi les degrés de l'échafaud, elle enleva elle-même sa pelisse et le fichu qui recouvrait ses épaules; et, comme le bourreau voulait lui enlever le second fichu, elle se redressa vivement de toute sa taille et lui dit d'un ton plein de dignité: « Laissez-moi, la main d'un homme ne m'a jamais bouchée (42). Un instant après, l'âme de la martyre, purifiée par le baptême du sang, prenait son vol vers le ciel et commençait à goûter, au milieu des saints et des anges, les joies ineffables promises à la vertu. La tradition rapporte qu'après l'exécution le bourreau, pour se venger d'avoir été repoussé par la Soeur, frappa indignement sa victime devant la foule assemblée.

 

N'y a-t-il pas, dans cette belle mort, la résignation et la vaillance d'une martyre? Oui, la Soeur Rutan porte dans le ciel la couronne que Dieu réserve à ceux dont le sang a coulé pour lui. La passion antireligieuse serait-elle seulement la cause initiale de sa mort, il n'en faudrait pas davantage pour qu'il nous soit permis d'affirmer son martyre. Mais il y a plus. Après l'avoir menée du chevet des pauvres malades à la prison, l'impiété de ses juges la conduisit de la prison à l'échafaud. Si les révolutionnaires de Dax ont poursuivi de leur haine la courageuse Fille de saint Vincent de Paul et ont réclamé sa tête, ce n'est, n'en doutons pas, ni parce qu'elle avait excité des soldats à la désertion, ni parce qu'elle avait dîné ou correspondu avec Louis-Géris de Lorraine, ces faits sont certainement faux, mais bien à cause de son attachement à la religion de ses pères. N'est-ce pas ce qu'ont voulu signifier les juges eux-mêmes en décidant que la Supérieure de l'hôpital Saint-Eutrope et le curé de Gaube iraient ensemble au supplice? (43) N'est-ce pas ce que témoigna publiquement, un an après la mort des deux victimes, le Directoire du district, en déclarant que « la commune de Dax regrettera longtemps une femme vertueuse, qui, par caractère tenant à une opinion religieuse, a été inhumainement sacrifiée sur des motifs dont la preuve est encore à acquérir ».

 

Comme les bienheureuses Carmélites de Compiègne, comme les vénérables Filles de la Charité immolées à Cambrai et les vénérables Ursulines de Valenciennes, la Soeur Rutan a pris place au ciel dans la glorieuse phalange des martyrs. Tel est le témoignage de ses contemporains, dont le verdict est devenu celui de la postérité. « Parmi les victimes immolées dans le diocèse d'Acqs, écrit l'auteur de l'Abrégé, il en est bien peu dont la piété soit digne d'éloges. Cependant, il n'en est que deux qu'on puisse, à proprement parler, inscrire sur le catalogue des martyrs et qui méritent, au jugement des hommes, cette glorieuse dénomination. La première est le sieur Dambourgès, jeune prêtre de trente à trente-cinq ans… La seconde victime est la Soeur Rutan, Fille de la Charité ». Ce témoignage est d'autant plus précieux à recueillir que l'auteur de l'Abrégé écrivait ces lignes deux ans après les événements et se montre sévère à l'excès en ne donnant pas le titre de martyr à Jean-Eutrope de Lannelongue, curé de Gaube, condamné à mort comme « prêtre réfractaire, errant et vagabond dans le département des Landes, où il entretenait, dit l'arrêté des juges (44), le fanatisme et l'esprit contre-révolutionnaire ».

 

Le premier biographe de la Soeur, un contemporain encore, reconnaît, lui aussi, qu'elle fut victime des opinions antireligieuses de ses accusateurs. « Pour punir son zèle et son dévouement à une époque où la vertu était un crime, a-t-il écrit, des monstres altérés de sang la dénoncèrent aux proconsuls conventionnels ». Dompnier de Sauviac est plus catégorique. Nous lisons dans ses Chroniques (45): « Ainsi mourut cette sainte fille, éminemment privilégiée de Dieu, qui avait déposé en elle toutes les vertus au service du génie de la charité. Après avoir semé tant d'oeuvres éclatantes dans, les différentes villes où elle avait passé, elle était venue chercher le martyre au berceau de Saint-Vincent de Paul, où ses oeuvres brillèrent d'une gloire incomparable. Au lieu d'une statue dont elle était digne, elle y trouva le pilori; mais, pour les vies supérieures, le pilori se change en apothéose ». Dans le texte manuscrit de son histoire de la Révolution dans les diocèses d'Aire et de Dax, l'abbé Légé juge la Soeur Rutan digne du titre de vierge-martyre (46). Tel est bien aussi le sentiment de Mgr Cirot de la Ville. « Entre cette sainte fille et l'évêque de Dax (Mgr Lequien de Laneufville), dit-il (47), il n'y a qu'une vie confondue dans la même oeuvre de charité, qu'une mort deux fois partagée dans le martyre de l'exil ou le martyre de l'échafaud ».

 

Aussi, voyons-nous sans étonnement les deux familles de saint Vincent de Paul inscrire le nom de Soeur Rutan sur leur martyrologe et retracer les derniers moments de cette héroïque chrétienne dans leur Petit Pré spirituel, à la fin de chapitres qui ont pour titre Trois belles perles encore à notre couronne de martyrs, ou, Quelques Filles de la Charité que décora la pourpre de leur propre sang, et se terminent sur ces mots : O glorieuses martyres, priez pour nous ! (48). La Commission extraordinaire resta quatre jours à Dax, et, pendant ce temps, prononça plusieurs condamnations. Le jour où la Soeur Rutan fut exécutée, les prisonniers enfermés dans la maison des Capucins pouvaient voir, à travers les barreaux de leurs fenêtres, trois fosses nouvellement creusées dans le cimetière de la ville; on les destinait aux victimes du lendemain. Du 9 au 13 avril, dix têtes tombèrent sous le couperet de la guillotine (49). La ville de Dax payait chèrement son tribut à la Révolution (50). Les malheureuses compagnes de la Soeur Rutan ressentirent, plus vivement que tout autre, la perte qu'elles venaient de, faire. La présence de leur vénérée supérieure, ses exhortations, ses exemples leur avaient été d'un grand secours aux heures de découragement, durant les ennuis de la prison en particulier ; la mort, qui avait mis fin à ses souffrances, leur ouvrait peut-être une série de nouvelles épreuves. Après cinq mois d'une dure captivité, les Soeurs Victoire Bonnette, Félicité Raux et Sophie Charpentier, confiantes en la modération de Monestier de la Lozère, représentant du peuple, de beaucoup plus humain que Pinet, demandèrent leur liberté (51); elles ne furent pas écoutées. Au mois d'octobre, le conseil général de la commune de Dax (52), le comité de surveillance (53), le Directoire du district (54) et le Directoire du département furent unanimement d'avis que les Soeurs devaient être mises en liberté. Monestier de la Lozère finit par se rendre à des voeux si légitimes (55). La captivité des cinq Filles de la Charité, commencée le 1er mars, prit fin le 3 novembre; elle avait duré huit longs mois.

 

Rendues à la liberté, Sophie Charpentier, Marie Chânu et Félicité Raux songèrent à reprendre sans bruit, auprès de leurs chers malades, leurs fonctions d'infirmières, trop longtemps interrompues (56), en compagnie de Marguerite Nonique (57), que la mort leur enleva dans le courant de l'année (58). Rose Biarotte, Ursuline du couvent de Tartas (59), demanda de s'adjoindre à elles et fut acceptée (60). Hélas ! Soeur Rutan n'était plus là pour les éclairer par ses conseils et les soutenir par ses exemples ; mais son souvenir survivait dans leur mémoire, entouré d'un pieux respect et devenait partout le meilleur des encouragements. Il planait toujours, comme un génie tutélaire, sur cet hôpital, auquel elle avait donné le meilleur de son activité et de son dévouement. Et n'est-ce pas un effet de sa protection que l'établissement ait pu avoir à sa tête, au lendemain des sombres jours de la Terreur et garder pendant plusieurs années une Soeur de la valeur de Judith Mousteyro, ancienne, supérieure de l'hôpital de Clermont, en Auvergne, qui devait être appelée plus tard dans des circonstances particulièrement difficiles, au poste le plus élevé qu'une Fille de la Charité puisse occuper dans sa Compagnie (61) ? Malheureusement, les circonstances ne leur permirent pas de venir prier et pleurer sur la tombe de celle qui n'était plus, et, de toutes, les privations, aucune ne leur était plus pénible. Le lieu choisi pour la sépulture des victimes de la Commission extraordinaire était situé à l'est de l'ancien couvent des Capucins (62), et si près des murs du bâtiment que, de leurs fenêtres, les prisonniers pouvaient causer avec le fossoyeur (63) et prévoir en comptant chaque jour le nombre de fosses, combien de têtes tomberaient le lendemain sur l'échafaud (64). Avant la Révolution, cet emplacement faisait partie d'une prairie très petite et très humide, que traversait un ruisseau.

 

Confisquée aux Capucins par l'État, la prairie fut, dès 1791, transformée provisoirement en cimetière de la ville après la suppression des cimetières de la cathédrale, des Carmes et des Cordeliers. Tout alla bien jusqu'à l'hiver. On s'aperçut alors que les infiltrations souterraines amenaient l'eau en abondance, et il devint impossible de descendre les cercueils à plus d'un mètre de profondeur. Des odeurs fétides s'élevèrent du sol et donnèrent lieu de craindre pour la salubrité publique (65). Les autorités locales, émues par les plaintes réitérées des voisins, demandèrent au Directoire du département, puis aux représentants du peuple, un autre emplacement (66). En 1795, les réclamations restant toujours sans réponse ou du moins sans résultat, le Directoire du district se permit d'autoriser le transfert du cimetière à l'extrémité du jardin, tout proche du point où, de nos jours, la rue Chanzy rencontre le boulevard Carnot (67). Pour arrêter l'exhalaison des miasmes malsains, Monestier de la Lozère ordonna que le cimetière abandonné serait couvert de deux mètres de terre (68). Les travaux, auxquels on employa d'abord les prisonniers espagnols (69), puis probablement des ouvriers salariés (70), demandèrent au moins un mois.

 

L'herbe poussa librement sur ce sol remué, dont Lassalle fit l'acquisition le 28 pluviôse an X (17 février 1801) (71). Jusqu'alors, l'État en était resté propriétaire, et il n'était pas d'humeur à tolérer des emblèmes sur le lieu où avaient été inhumées les dix victimes de la Révolution ou même à ylaisser circuler le public. Lassalle ne fut pas plus facile; il ne songeait pas à faire de ce terrain un lieu de dévotion, mais plutôt un agréable jardin (72). Les Soeurs de l'hôpital connurent-elles, dès leur sortie de prison, l'endroit précis où reposaient les restes de la Soeur Rutan? C'est fort douteux: la mise en terre n'avait eu pour témoins que le fossoyeur et un petit nombre de personnes et tout indice extérieur était formellement prohibé (73). En tout cas, si elles l'avaient connu, les transformations profondes par lesquelles passa successivement le sol du cimetière auraient jeté de la confusion dans leurs souvenirs. Comme il a été dit plus haut, les effets de la Soeur Rutan, qui étaient légalement propriété de la Nation, furent mis sous scellés à l'hôpital, où ils se trouvaient encore le jour de son exécution. Était-ce désir d'utiliser, dans un hôpital dénué de tout linge, des habits qui restaient sans emploi, ou plutôt vénération pour la victime, les desservantes de l'hospice brisèrent les scellés et enlevèrent une grande partie du précieux dépôt. Quand les Soeurs, sorties de prison, reprirent leur service auprès des malades, il restait fort peu de chose; n'importe! ce peu de chose excita leur pieuse convoitise. Elles n'osèrent toutefois en disposer sans se munir des autorisations requises. Les administrateurs de l'hôpital consentirent à porter la demande des Filles de la Charité devant le Directoire du district.

 

« Citoyens, écrivaient-ils le 23 pluviôse an III (11 février 1795) (74), les besoins présents de l'hospice civil ont déterminé les desservantes de cet hospice a se servir d'une partie du linge de la cidevant Soeur Rutan. Réduite à choisir entre deux devoirs impérieux, l'un de ne pas toucher au vestiaire de ladite Soeur Rutan, et l'autre, de s'en servir pour soulager l'humanité souffrante, leur charité les a portées à disposer, pour le besoin de l'hospice, d'une partie des effets de ladite Rutan; et, comme ce qui reste est peu de chose, nous demandons qu'il plaise à l'administration de permettre qu'il n'ait d'autre destination que celle de servir aux besoins de l'hospice civil. Salut et fraternité ». La requête était fort maladroitement présentée. Le Directoire du district, étonné que des particuliers aient osé disposer à leur gré des biens de la Nation, voulut connaître le nom des coupables ainsi que la nature et la quantité des effets enlevés. Le 24 pluviôse (12 février), il chargea Lavielle de l'enquête et lui donna ordre de mettre en vente, conformément aux arrêtés du Comité du salut public, les meubles et les effets des émigrés, des déportés et des condamnés (75). Le commissaire n'avait pas encore terminé ses recherches le 4 thermidor (22 juillet) (76). L'insuffisance des renseignements ne permet pas de dire quel en fut le résultat.

 

Ces enlèvements étaient, suivant toute probabilité, l'effet de la vénération qu'inspirait à Saint-Eutrope le nom de Marguerite Rutan. Quand les habitants de Dax purent, en toute liberté et sans crainte de la prison ou de l'échafaud, envoyer leur salut respectueux aux victimes de la Révolution frappées au milieu d'eux, ils se gardèrent d'oublier la Soeur Rutan. En 1805 ou 1806, Joseph Grateloup, trésorier de l'hôpital (77), écrivait à Dompnier (78); « J'ai l'honneur de vous remettre, par l'entremise de mon neveu, une inscription que je conçus, en 1803, au récit que j'entendis fairedes éminentes qualités du coeur charitable de la vertueuse Soeur Rutan. Je souhaite qu'elle réponde au désir que vous avez d'honorer sa mémoire… « En mémoire de Marguerite Rutan, supérieure des Filles de la Charité de l'hospice de Dax. Heureusement née pour la consolation des malheureux, elle trouva dans leur soulagement le vrai bonheur qui, en effet, ne réside que là sur la terre. Elle naquit à Metz, dans le pays Messin, le 23 avril 1739. Le 23 avril 1757, elle se consacra au soulagement des pauvres et elle mourut le 23 avril 1795, victime des erreurs du temps. Le concours des époques des principaux événements de sa vie avec celle de sa mort est aussi remarquable que celui de ses actions dans l'exercice de la charité chrétienne. L'administration de l'hospice, réunie aux respectables Soeurs qui le gouvernent, témoigne publiquement ses regrets de la perte de cette vertueuse Soeur ».

 

Grateloup, on l'aura remarqué, se trompe sur la date du décès. Il aurait voulu placer cette inscription sur les murs ou du moins sur les registres de l'hôpital. Les administrateurs de l'établissement ne se prêtèrent pas à ses désirs. Ils firent mieux. Le crime commis contre la Soeur Rutan était un crime public; le 11 ventôse an XIII (1er mars 1805), ils jugèrent qu'une réparation publique était nécessaire. Nous lisons dans le procès-verbal de la séance (79): « La Commission administrative, considérant que, sans payer de la plus noire ingratitude les bienfaits inappréciables que la respectable Soeur Rutan, supérieure, a prodigués à l'hospice, elle ne peut se dispenser de vénérer publiquement la mémoire de cette digne Fille de la Charité, objet des regrets universels. Arrête: Il sera fait un service solennel pour célébrer l'anniversaire de la Soeur Rutan, supérieure des Filles de la Charité attachées à l'hospice. ce service aura lieu dans la chapelle et avec toute la pompe que les facultés de la maison le permettront ; toutes les personnes distinguées de la ville y seront appelées ». La Soeur Rutan était morte le 9 avril ; le 9 avril semblait le jour naturellement désigné pour la cérémonie funèbre. Des circonstances fâcheuses amenèrent un retard. Le 1er mai fut choisi.Toutes les autorités de la ville, tous les fonctionnaires publics reçurent une lettre d'invitation. « La mémoire de la respectable Soeur Rutan, Supérieure des Filles, de la Charité attachées à l'hospice, disaient les administrateurs (80), commande une vénération publique: Souffrez, Monsieur, que nous vous priions de vouloir assister à un service funèbre, qui doit se faire jeudi prochain, 12 du courant, à dix heures du matin, dans la chapelle de l'hospice, pour l'âme de cette mère compatissante du pauvre. Les vertus et les talents qui ornaient cette belle âme excitèrent votre admiration. Vous partagez les regrets universels qu'elle a emportés; vous serez jaloux de concourir aux prières publiques ».

 

Malgré ses étroites dimensions, la chapelle de l'hospice était bien le sanctuaire où il convenait d'honorer et de prier Marguerite Rutan. Peut-être n'est-il pas loin le jour où ses soeurs en religion et les admirateurs de sa vie de charité, couronnée par le martyre, auront la joie de l'y glorifier et d'y célébrer, avec l'approbation du Souverain Pontife, l'héroïsme de ses vertus et la constance de sa foi. Son nom mérite en effet de prendre place dans les diptyques des saints. Qui n'admirerait son dévouement au service des pauvres, son inébranlable fermeté en face du schisme, sa prudence au milieu des dangers, sa résignation dans les épreuves, sa courageuse attitude devant ses accusateurs, ses juges et son bourreau ? Elle a connu la calomnie, la persécution, la prison et l'échafaud ; mais, si les hommes ont répondu à ses bienfaits par la plus noire ingratitude, Dieu ne l'a pas oubliée: il a déposé sur sa tête la couronne des vierges et mis dans ses mains la palme des martyrs.

 

Notes

 

1 Dompnier, op.cit., p. 142. 2 Archives nationales AF II, 262; Aulard, Recueil des Actes du comité du salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission, t. XI, p. 398. 3 Archives nationales AF II, 262; Recueil des Actes, t. XI, p. 600. La, série L des archives départementales des Basses-Pyrénées est particulièrement instructive sur ce sujet. 4 Conçoit-on qu'à cette date un huissier ait eu la maladresse d'écrire et de signer de son nom une lettre, où étaient clairement indiquées toutes les circonstances d'un complot en préparation, lieu, temps, personnes, et de l'adresser sous pli non cacheté à un sous-lieutenant de l'armée des Pyrénées-Occidentales, afin de la faire remettre à un prêtre émigré sur la montagne de la Rune en Espagne? Il fallait une forte dose de naïveté pour croire à l'authenticité d'un pareil document, et il est peu probable que Pinet fut dupe. Peu à peu la vérité se fit jour et l'on ne tarda pas à connaître le criminel auteur du faux, qui coûta la vie à tant de personnes. Nous lisons dans une délibération du Directoire du département, datée du 16 ventôse an V (6 mars 1797): « Considérant… que c'est avec de pareilles manoeuvres et par un écrit supposé que le féroce Pinet trouva le prétexte dont il se servit pour faire couler les flots du sang innocent, qui fume encore dans les villes de Saint-Sever et de Dax … » Dans un rapport officiel sur la situation générale des Landes, le préfet Méchin écrivait en 1800 au ministre de la police générale : « Il est un autre (individu) qui est l'auteur des signatures contrefaites au bas d'une lettre qui fit périr à Saint-Sever vingt-deux personnes; et cet être odieux vit paisiblement ». (Cité d'après Légé, op.cit., t. II, p. 209). 5 Archives nationales AF II, 262; Aulard, op.cit., t. XII, p. 26. Dans une lettre adressée à la Convention nationale (Arc. nat. AF II, 262; Aulard, op.cit., t. XII, p. 199) Pinet et Cavaignac reproduisent la prétendue lettre de Dumartin et racontent tout au long l'histoire de la saisie. 6 L'abbé Légé (op.cit., t. I, p. 259; t. II, p. 23) et Dompnier (op.cit., p. 145-168) nous ont laissé des récits bien documentés des atrocités commises par la Commission extraordinaire dans son court voyage à travers les Landes. 7 Archives départementales L 783, f° 52 v°. 8 Archives de l'hôpital F II. 9 C'étaient Bernard Barifouse, volontaire, entré le 7 octobre 1793, et Etienne Bidot, grenadier, entré le 11 octobre de la même année. 10 Liste généalogique … des émigrés, dressée en l'an II sur l'ordre du gouvernement. 11 On peut voir pour tous ces détails les Almanachs royaux du 18e siècle; de la Chesnaye-Desbois et Badier. Le Dictionnaire de la noblesse (troisième édition, 1868); le Père Anselme ct Potier de Couroy, Généalogie de la maison de France (1868·1890); le Manuel d'état généalogique général (XLIVe année, 1811, Francfort-sur-le-Mein); la Biographie des hommes vivants (1818); Feller, Biographie universelle (1834). 12 Voir Aulard, op.cit., t. XI, p. 398, 600; t. XII, p. 26, 199, 204, 273, 648, 653, 694, 696, etc. 13 Op.cit., t. II, p. 16. 14 Dans son manuscrit, l'abbé Légé indique d'ordinaire ses sources écrites ou orales; il a oublié de nous dire celles qui lui ont servi à faire le récit du repas de Pouillon. Tiendrait-il ses renseignements de M. Besselère, père, qui lui a parlé plus d'une fois de la mort courageuse de Soeur Rutan, ou de M. Duviella, ancien vicaire général, qui lui a appris bien des détails sur l'histoire de la Révolution dans les Landes? 15 Archives départementales L 783, f° 43. 16 Ibidem, f° 40 v°. 17 Archives départementales des Basses-Pyrénées L 338. 18 Archives de M. de Laborde (Montfort, près Dax). 19 Registre des Archives municipales de Dax: Transcription des documents intéressant la ville de Dax 20 P. 161-162. 21 Joseph II, empereur d'Autriche et frère de Marie-Antoinette, passa par Bayonne le 24 juin 1777 sous le nom de comte de Falkenstein (Archives municipales de Bayonne, BB 63, et Bulletin de la Société des sciences et arts de Bayonne, deuxième trimestre, 1901, p. 62); la Soeur Rutan n'était pas encore à Dax, où elle fut placée deux ans après. 22 La liste générale… des émigrés, dressée en l'an II, mentionne le prince Lorraine, Joseph-Marie-Lorraine Brienne, Lorraine-Lambesc et Lorraine-Charles-Eugène; il est facile de voir, d'après les renseignements donnés par cette même liste, que le prince Lorraine, Lorraine-Lambesc et Lorraine-Charles-Eugène étaient un seul et même personnage. 23 Le manuscrit Domec est entre les mains de M. le curé de Saugnac, qui a bien voulu nous en donner communication. On y lit : « Pendant la semaine de la Passion, 1794, on égorgea, à Dax, Labarrère, grand-prévôt de la maréchaussée, Neurisse, lieutenant-général au Sénéchal, une dame Caunègre, la Soeur grise Rutan, supérieure de l'hôpital, sujet rare, qui avait mis l'hôpital sur le plus bel état de décoration, chez lesquels on avait trouvé des lettres de correspondance avec les émigrés, Grateloup, excellent médecin, etc. » Remarquons que Domec écrivait en 1804 et qu'il ne donne à personne le titre de martyr. 24 Archives départementales L 760, n° 6124. 25 Signalons Hosseleyre président du Directoire du district, et Roch Ducos, secrétaire. 26 Archives municipales de Dax, registre des serments. 27 Chef-lieu de canton du département des Landes. 28 Op.cit., p. 155. 29 La Commission avait-elle réellement le temps d'interroger? Entre l'instant où les gendarmes venaient chercher dans leur prison les condamnés à mort et celui où les cadavres des guillotinés étaient portés au cimetière, il ne s'écoulait pas plus de demi-heure à trois quarts d'heure. (Témoignage de Camiade et de Brocha recueillis par le comité de surveillance le 8 ventôse an III, archives du tribunal). Pendant ces quelques minutes, il fallait conduire les accusés de la maison des Carmes ou des Capucins au Tribunal, aujourd'hui hôtel de ville, procéder à l'interrogatoire, rédiger et lire l'acte de condamnation, se rendre du tribunal à la place Poyanne, aujourd'hui place Thiers et jardin du. casino, exécuter les condamnés et transporter les cadavres au cimetière, qui s'étendait sur le jardin actuel de madame de Maulan et une partie de la cour des Filles de la Croix. Ajoutons que tous les jours; sauf le jour du départ de la Commission, il y eut plusieurs victimes jugées, condamnées et exécutées en même temps. 30 Le registre où La Commission extraordinaire de Bayonne a consigné ses condamnations à mort est conservé aux archives départementales des Basses-Pyrénées (L 338). Il a été décrit, étudié et publié par M. l'abbé Dubarat dans ses Études historiques et religieuses du diocèse de Bayonne (1900, p. 97, 145; 1901, p. 37, 87, etc.). L'acte de condamnation à mort de la Soeur Rutan se trouve au folio 32 du registre et à la page 407, année 1900, des Études. 31 Taine. Les origines de la France contemporaine. La Révolution, t. III, p. 85; Jean-François Laharpe, Du fanatisme dans la langue révolutionnaire, p. 9. 32 Victor Pierre, Les seize Carmélites de Compiègne, 2e édition, p. 145. 33 Lucien Misermont, op.cit., p. 204. 34 Loridan, Les Ursulines de Valenciennes avant et après la Terreur. 35 Dompnier, op.cit., p. 156. 36 Dompnier, op.cit., p. 158. 37 Biographie manuscrite. 38 Abrégé. 39 Dompnier, op.cit., p. 158. 40 Abrégé; Dompnier, op.cit., p. 157-158. 41 Abrégé. 42 Dompnier, op.cit., p. 158; témoignages de M. Besselère, père, et d'autres, recueillis, en 1768, par l'abbé Légé. (Ms. de l'ouvrage de l'abbé Légé). 43 Le décès des victimes de la Commission extraordinaire ne fut pas mentionné dans les registres d'état civil de la municipalité de Dax. Par lettre du 11 floréal an XIII (1er mai 1805) le maire demanda au sous-préfet l'autorisation de réparer l'oubli; il ne fut pas écouté. (Registre des correspondances). 44 Archives départementales des Basses-Pyrénées L 338. 45 P. 158. 46 Le tome premier de ce manuscrit est la propriété du grand-séminaire de Poyanne; le tome second est dans les mains de M. Meyranx, curé de Cazères. 47 Monseigneur Charles-Auguste Le Quien de Laneufville, p.78 (Bordeaux, 1890). 48 Petit pré spirituel de la Congrégation de la Mission, (Paris, 1880), p. 199-203; Petit Pré spirituel des Filles de la Charité, 2e édition, t. I, p. 688-691. 49 Dompnier, op.cit., p. 158. 50 Pour en finir avec la sanguinaire Commission, ajoutons qu'en deux mois elle prononça soixante-quatre condamnations à mort, dont sept à Auch. Arrêtés à leur tour, ses membres se virent appelés, un an après, à répondre à Auch de leurs assassinats juridiques. L'amnistie prononcée par la Convention vint leur assurer l'impunité. Voir Tarbouriech, Histoire de la Commission extraordinaire de Bayonne, Paris, 1869. 51 Archives départementales des Landes L 787, pièces 74, 75 et 76. Afin d'arriver plus sûrement à ses fins, la Soeur Sophie Charpentier, dont la lettre est, à quelques termes près, la reproduction de celle qu'écrivit le même jour la Soeur Félicité Raux, simula des intentions qui ne convenaient guère à une Fille de la Charité. Elle ne pensait pas que sa lettre serait conservée pendant des siècles dans des dépôts publics et scandaliserait peut-être maints lecteurs assez naïfs pour la prendre au sérieux. 52 Archives municipales, délibérations des 10 et 13 vendémiaire an III, BB 45, f° 65 v°. 53 Archives départementales, délib. du 13 vendémiaire an III, L 783. 54 Id., délib. du 14 vendémiaire an III, L 456. 55 Archives départementales, arrêté du 13 brumaire an III, L 452, f° 131 v°. 56 Archives départementales L 459, f° 48 v° et f° 90; Archives de l'hôpital E 5, f° 65. 57 Dompnier assure (op.cit., p. 158) qu'après sa sortie de prison Victoire Bonnette s'établit à Saint-Sever et ne reprit pas l'habit religieux. Quant à Catherine Devienne, nous ne savons ce qu'elle devint. 58 Registre des décès, 25 décembre 1795. 59 Abbé Légé, op.cit., t. II, p. 292. Rose Biarotte s'appelait en religion Soeur Marie Julienne. Un registre des avis du Directoire du district (Archives départementales. L 465, f° 72) la nomme à tort ex-soeur-grise. 60 Archives départementales, délibération du Directoire du district, du 17 pluviôse an III, L 459, f° 90; archives de l'hôpital, délibération du Bureau, du 16 pluviôse an III, E 5, f° 67. 61 Notice de Judith Mousteyro. Cette Soeur exerçait encore en l'an VIII les fonctions de Supérieure à l'hôpital de Dax. (Archives de l'hôpital E 59). 62 Il y avait à Dax, quand la Commission extraordinaire vint y prononcer ses iniques jugements, une jeune fille de quatorze ans et demi, du nom de Jeanne Munier qui garda, jusqu'à un âge avancé, toute la vivacité de sa mémoire. Interrogée par le maire de Dax, le 26 décembre 1862 et le 6 septembre 1864, sur les circonstances dans lesquelles furent mis à mort Grateloup et sa servante, Daunine Darjo, elle fit des déclarations qui furent consignées dans le registre intitulé: Transcription de documents intéressant la ville de Dax. Elle dit des guillotinés en général : « Tous furent enterrés dans le cimetière des Capucins, aujourd'hui jardin de M. Casenave-Preuilho. » La matrice et le plan cadastral ne permettent pas de douter que le jardin de Preuilho, passé à Casenave, ne fût là où se trouvent aujourd'hui la maison et le jardin de Mme de Maulan (Rue Chanzy). Avant 1825, il s'étendait au delà du côté ouest, et englobait une portion de la cour actuelle des Filles de la Croix. Le lopin de terre que Preuilho détacha de son jardin fut vendu à la ville le 20 janvier 1825 et séparé plus tard de son bien par un mur de clôture; l'acte de vente (Étude Vallée-Lourreyt) nous en a conservé le plan et les dimensions. 63 Enquête du 8 ventôse an III, déposition de Camiade. (Archives du tribunal). 64 Dompnier, op.cit., p. 158; enquête du 8 ventôse an III, dépositions de Camiade, Brocha et Dufourcet. (Archives du tribunal). Ces témoignages permettent de ne pas prendre au pied de la lettre l'affirmation de Jeanne Munier. Que les guillotinés de 1794 aient été enterrés dans le cimetière des Capucins ce n'est point douteux; mais était-ce bien dans la partie du cimetière qui formait, en 1862 et en 1864, le jardin de M. Casenave? Il est plus probable que ce fut dans la partie la plus proche du couvent, c'est-à-dire, dans la cour actuelle des Filles de la Croix. Jeanne Munier pouvait fort bien ignorer que la ville avait acheté un lopin de terre à Preuilho ou du moins n'y pas penser. 65 Registre des délibérations du Directoire du district, délibération du 7 pluviôse an III. (Archives départementales L 459, n° 5223). 66 Archives départementales L 459, n° 5223; archives municipales, registre des délibérations, délibération du 2 nivôse an III; registre des correspondances de la municipalité, lettres des 22 pluviôse an II, 3, 21 et 23 nivôse an III. 67 Archives départementales, délibération du 16 thermidor an III, L 461, n° 6449; cf. archives municipales, délibération du 25 vendémiaire an XIII. Plusieurs pièces du commencement du XIXe siècle, reportent la date du transfert à 1793. (Lettre du maire au sous-préfet, an XI; archives de l'hôpital G 2, 17). Il y a là une erreur certaine. 68 Archives municipales, délibérations du 21 pluviôse et du 14 ventôse an III; registre des correspondances, lettres des 23, 24, 25 et 27 pluviôse, 12 et 14 ventôse, 21 floréal an III. Cette dernière lettre montre que le projet d'exhausser le sol reçut au moins un commencement d'exécution; l'état des lieux ne permet pas de croire que l'exhaussement ait atteint deux mètres, comme il avait été décidé. 69 Registre des correspondances de la municipalité, lettres des 27 pluviôse, 4 et 12 ventôse an III; délibération du conseil municipal du 21 pluviôse an III. 70 Registre des correspondances de la municipalité, lettre du 14 ventôse an III. 71 Archives départementales Q 94. Dans l'acte de vente ce terrain est encore appelé le cimetière dépendant des ci-devant Capucins. De Lassalle il passa, le 18 août 1815, à Louis Cabiro (Étude Seniean ainé-Marty) et de Louis Cabiro, le 19 février 1816, à Jean Preuilho (Ibidem). 72 Ajoutons, pour en finir avec le, ou plutôt, avec les cimetières successifs dits des Capucins, que le cimetière placé en 1795 au fond du jardin des Capucins y resta jusqu'en 1806. Dompnier, qui avait acheté le jardin des Capucins, le 25 brumaire an XII (Archives départementales Q 94), en fit don à la fabrique, le 11 mars 1806, pour qu'elle y établît le cimetière. Ainsi fut fait. Le cimetière fut rapproché de l'ancien couvent et l'on peut voir encore, près de la villa de M. Dufourcet, une partie du mur qui clôturait à l'ouest le troisième cimetière des Capucins, abandonné en 1832. 73 Le 6 brumaire an II, les représentants du peuple interdirent dans les cimetières tout autre signe qu'une statue représentant le sommeil et, sur la tombe des patriotes marquants, une pierre figurée en couronne de chêne. Au-dessus de la porte devaient être écrits ces mots: La mort est un sommeil éternel (Archives nationales AF II, 113, 853) Le Directoire du département pressa, le 23 brumaire, l'exécution de cet arrêté et la municipalité de Dax ne tarda pas à se mettre en règle. (Registre des délibérations du conseil municipal, délibération du 4 frimaire an II). 74 Archives de l'hôpital E 5, f° 68 v°. 75 Registre des délibérations du Directoire du district, délib. du 24 pluviôse an III. (Arch. départ. L 459, f° 86 v°). 76 Ce jour-là, le comité de surveillance envoyait au Directoire du district copie des procès-verbaux et inventaires relatifs aux scellés ct aux effets de la Soeur Rutan. (Archives départementales L 784, f° 16). 77 Ce même Joseph Grateloup avait été trésorier de l'hôpital de 1789 à 1791. 78 L'inscription se trouve chez M. de Laborde à Montfort (Correspondance Grateloup, 1704-1820); la lettre est aux archives de l'hôpital (F 35, n° 57). 79 Archives de l'hôpital E 20. 80 Archives de l'hôpital E 25, f° 31 v°.

 

Fin



20/01/2011
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