Vie de Saint Géraud d'Aurillac 5e partie
Vie de Saint Géraud d'Aurillac 5e partie
Deuil général
Très vite — comme il en va habituellement pour un personnage de ce rang éminent — le bruit de son trépas se répandit de tous côtés. Et bientôt on vit accourir, même de très loin, une foule incroyable de gens, d'importants groupes de nobles, des masses innombrables de paysans et de pauvres, des moines en grand nombre aussi, et de véritables cortèges de prêtres. Profondément émus, comme ils l'eussent été pour un parent, tous pleuraient sa mort, et sous l'effet de je ne sais quel instinct secret du cœur, leur deuil se faisait plus intime encore et plus tendre du fait — ils n'étaient pas sans le savoir — qu'ils pleuraient un ami de Dieu.
Un « signe » après sa mort
On avait, selon l'usage, dévêtu le corps pour le laver. Lorsque pour y procéder, Ragambert, et d'autres serviteurs avec lui, lui posèrent leurs mains sur la poitrine, ils virent soudain son bras droit s'étendre, pour, de la main, voiler sa nudité. Croyant à un hasard fortuit, ils ramenèrent sa main sur sa poitrine. De nouveau elle se plaça de manière à recouvrir les parties sexuelles. Saisis cette fois d'étonnement, pour mieux s'assurer du fait, ils replient de nouveau son bras, et ramènent cette main près de l'autre sur la poitrine : elle reprit immédiatement la première position. Les hommes qui faisaient la toilette funèbre furent frappés d'admiration autant que de crainte, et comprirent, maintenant, que tout cela n'avait pas pu se produire sans intervention divine. Le ciel voulait sans doute donner par là à comprendre que, pour la garde d'une pudique chasteté, cette chair, de son vivant, avait toujours observé la plus grande retenue. Ils se hâtèrent donc d'habiller le pauvre mort. Et dès qu'on l'eut vêtu, la main ne bougea plus.
De Saint Cirgues à Aurillac
Accompagnés d'une foule considérable, les siens apportèrent le saint corps à Aurillac, conformément à ses recommandations, et le placèrent sur la pierre funéraire, savoir à gauche dans la basilique, tout auprès de l'autel de Saint-Pierre, cet autel ayant par conséquent ce tombeau à sa droite, le tombeau lui-même se trouvant sur le côté. Mais mettons le point final à ce livret. Sinon, à la rusticité ajoutant encore la prolixité, je risque d'indisposer. Si par contre mon lecteur y trouve, ici ou là, de l'agrément, qu'il n'en doute pas, c'est aux mérites de seigneur Géraud que tout sera dû. Ce qui aura déplu, c'est à ma maladresse qu'il faudra l'attribuer. Mais il saura trouver des raisons de me le pardonner : je lui en fais l'humble demande. Qu'il considère, en outre, que c'est pour obéir à un ordre exprès que j'ai été assez présomptueux pour faire ce travail, et que, dès lors, il veuille bien prier pour moi le Juge des cœurs.
Géraud « témoin de Dieu »
Au bienheureux Géraud il suffisait déjà que le témoin fidèle qui est aux cieux et qu'il s'appliquera toujours à satisfaire, le récompense maintenant en son royaume du paradis ; pourtant, l'éclatant degré de gloire dont il y est en possession, ce même témoin, le Christ, daigne le manifester extérieurement. Il est écrit, en effet, que Dieu se donne contre nous des témoins. Si quelqu'un observe ses préceptes, il devient, par le fait même, témoin de Dieu contre nous, car il est la preuve que, comme lui, nous pourrions nous aussi observer les commandements mais que nous ne le voulons pas. Pour ne parler que de mes semblables, nous n'avons plus que dégoût pour la lecture de tant d'écrits des saints, nous n'avons de même nul souci d'imiter leurs exemples, alors qu'au contraire les conversations oiseuses ou mondaines nous trouvent toujours infatigables. Mais, ce faisant, nous démontrons que nous sommes du nombre de ceux que censure la voix de l'Apôtre quand il dit: a Ils se détourneront d'écouter la vérité, pour se tourner vers la fable. » Pour secouer un peu cette paresse, pour tâcher de redresser des vices aussi difformes, L'Ordonnateur souverain des siècles, le Christ, se donne contre nous Géraud pour témoin. Il fait plus : il lui confère sous nos yeux la gloire de multiples miracles. Son dessein est que, si nous fermons les yeux, comme je viens de le dire, aux exemples des saints, la gloire de celui dont nous parlons, en jetant son éclat de tout près, si je puis ainsi dire, vienne, elle du moins, attirer nos regards. C'est de nos jours qu'il a observé les préceptes divins ; mais on dirait que, dès qu'il a été mort, il est sorti de notre cœur, et que nous l'avons immédiatement relégué dans l'oubli ; sans vouloir un instant songer à la récompense que lui vaut la sainteté de sa vie, nous apportons à l'imiter la plus fâcheuse indolence. S'il daigne opérer des miracles à l'adresse, semble-t-il, des besoins de l'heure, c'est à l'effet de nous faire, par là du moins, comprendre la gloire intérieure qui est la sienne, de nous faire accorder toute notre attention, comme les ayant encore sous nos yeux, aux actions qui lui ont valu cette gloire, et de nous porter enfin à les imiter avec une persévérante application. Ces miracles, et leur raison d'être, nous allons, Dieu aidant, les rapporter.
Livre quatrième
Sur le tombeau
Une guérison de mal caduc
C'est le dimanche qui suivit sa mort que, dans un grand concours de foules, nous l'avons dit, on l'apporta à Aurillac. On passa la nuit à psalmodier en chœur autour du cercueil. Or, un homme de la noblesse, nommé Gibbon, dont la fille était sujette à des attaques du haut mal, lui dit de se mettre sous le catafalque : elle ne se ressentit, après cela, jamais plus de cette maladie. Elle est aujourd'hui mère de famille, et c'est elle-même qui témoigne que ce miracle l'a totalement guérie.
La main desséchée
Un homme du nom de Grimal, qui habitait la ville, se vit en songe en train d'essayer de soulever le couvercle du sarcophage du saint. A son réveil, il constata qu'à partir du coude jusqu'à l'extrémité, ses bras et ses mains étaient desséchés, et au point qu'il ne pouvait absolument pas s'en servir. Il resta près de quinze jours en cet état d'impuissance. Il vint alors prier au tombeau : il recouvra aussitôt la santé.
Autre guérison
La servante d'un nommé Lambert était épileptique. Il lui fut recommandé, en songe, d'aller prier au tombeau du Saint. Elle fit part de la chose à son maître. De crainte que ce ne fût là qu'imagination, et qu'il s'y ajoutât encore le ridicule pour le cas où la vision ne serait pas suivie de miracle, il le lui défendit. Même recommandation, une deuxième, une troisième fois, lui fut faite, toujours en songe. Même demande à son maître de lui permettre d'y aller. Il le lui accorda finalement. Cette femme alla passer la veillée devant le tombeau : elle s'en revint complètement guérie.
La « roue » de verdure
Devant la crypte, et l'encerclant, on vit une certaine portion de terrain, en forme ronde, tout comme une roue, se couvrir de gazon. Le sol, à cet endroit, était couvert d'herbe, alors que sur le pourtour extérieur c'était la terre nue et meuble. Ceux qui passaient par le cimetière, à la vue de cette surface gazonnée, alors que, tout autour, le sol était de terre nue, s'étonnaient, sûrs qu'ils étaient que ni homme ni bête n'avaient pu venir le piétiner ainsi. La chose resta quelque temps en l'état, puis tout s'effaça. Mais, L'été suivant, tout réapparut sur le même emplacement, en plus étendu même, mais comportant toujours, tout autour, une bordure de terre meuble, comme précédemment. Un troisième été encore, cette roue gazonnée reparut tout pareillement, toujours entourée d'une bande de terre nue, mais le gazon gagnait toujours davantage. Dans les années qui suivirent, poussant toujours devant lui, il sembla vouloir occuper tout le terrain. Ceux qui cherchaient à s'expliquer le phénomène étaient convaincus qu'on était devant un prodige : d'après eux, cette roue de verdure était peut-être l'image de la renommée de Géraud , renommée dont la puissance miraculeuse était dans sa plus verte fraîcheur. Ce renom, en se répandant toujours plus parmi les populations arides et stériles en fait d'œuvres saintes — stérilité symbolisée par la bordure de terre poudreuse — va les féconder, pour ainsi dire, par son exemple, en les incitant à entreprendre de bon cœur, par dévotion pour lui, un long et dur pèlerinage, en vue de lui porter leur offrande, et, souvent, pour en revenir dans des sentiments et des dispositions améliorés. Cela, à la manière de cette roue qui gagnait sans cesse du terrain et occupait peu à peu cette bordure d'aride poussière. En était-ce là le sens ? L'Ordonnateur du Monde le sait. Ce qu'on peut affirmer, c'est que rien sur terre n'arrive sans raison.
Le songe du clerc de Rodez
A Rodez vivait un clerc d'excellente réputation Cet homme — si tant est qu'on doive se fier à un songe — eut une vision qui consistait en ceci : Sur une sorte de haut lieu, brillait une lumière du plus vif éclat. Quatre degrés permettaient de monter vers cette éclatante lumière. Devant le premier de ces degrés se trouvait une sorte d'antepodium de fer. Le second degré en avait un de bronze. Le troisième, en argent, le quatrième, en or. Il vit se présenter sur le premier degré deux hommes de visage comme aussi bien d'extérieur magnifiques. Deux autres les suivaient, qui entre eux deux en menaient par la main un troisième. Il fut dit au clerc qui avait cette vision que les deux premiers étaient saint Paul et saint Martial, et les deux qui les suivaient, saint Pierre et saint André, et enfin, que le troisième qu'ils conduisaient avec eux était saint Géraud. Il faut dire que ce clerc ne l'avait jamais connu de son vivant. Mais lorsque, dans la suite, il raconta quelle taille, quel visage il lui avait vus, ceux qui avaient connu le Saint identifièrent sans peine les traits ainsi décrits. Donc, ils arrivèrent au premier degré. Là, ils psalmodièrent une sorte de psaume. Après quoi, saint Pierre dit une oraison, à laquelle ils répondirent : Amen. Ils réitérèrent, une deuxième, une troisième et une quatrième fois. Ils restèrent là : le bienheureux Pierre se dirigea seul vers le lieu d'où partait la brillante lumière que nous avons dite. Il se prosterna à terre, et resta ainsi quelque temps, à adorer. Puis il se leva, et se prosterna encore, jusqu'à trois fois. Une voix alors se fit entendre, du sein, semble-t-il, de cette éclatante lumière, lui demandant ce qu'il voulait. Il répondit : « — Seigneur, j'implore votre miséricorde pour votre serviteur Géraud ». A ce moment quelqu'un, je ne sais qui, se mit à lire le récit de la vie de notre Saint, dans une sorte de manuscrit qu'il avait entre les mains. La lecture dura quelque temps, mais notre clerc n'en saisit que les mots suivants : ...Celui qui pouvait transgresser tes commandements et ne tes a pas transgressés ; faire te mat, et ne l'a pas fait... La voix dit ensuite à saint Pierre : « — Fais pour lui ce que tu désires. » Et on lui tendit une sorte de sceptre, en signe du pouvoir qu'il aurait de décerner à saint Géraud les honneurs qu'il voudrait. Le clerc entendit la voix de celui qui remettait ce sceptre, mais vit seulement le sceptre. Le bienheureux Pierre revint tout joyeux vers ceux qui l'attendaient. On vit alors apparaître, à l'endroit où ils se trouvaient, une sorte de sentier en pente qui se prolongeait jusqu'au ciel. Le bienheureux Pierre prit par la main Géraud l'ami de Dieu et, au moment de gravir les degrés que nous avons dits, il entonna à haute voix Te Deum laudamus. Et c'est en chantant de la sorte qu'ils montèrent avec lui vers le ciel... ...Mais ultérieurement il se produisit un autre prodige, à son tombeau celui-ci, et que tout le monde a pu voir.
Un pèlerin de Limoges
Six ans après son départ de ce monde, le sarcophage, qui était enfoui jusqu'à mi-hauteur dans la terre qu'on avait tassée là en la piétinant, commença à s'élever graduellement au-dessus du sol, sans toutefois que la terre dans laquelle il était plongé parût, elle, s'exhausser ou s'abaisser. Les gens du pays n'avaient encore rien remarqué, lorsqu'un jour un clerc qui arrivait du Limousin demanda aux moines si le sarcophage de seigneur Géraud avait continué de monter. Il ajouta qu'un songe l'avait averti de se rendre à son tombeau, où le sarcophage était maintenant bien visible. Les moines vinrent avec lui au tombeau. Ayant enlevé le drap qui le recouvrait, ils trouvèrent tout dans l'état exactement que le clerc avait pu voir en dormant. Déjà l'exhaussement était sensible. Mais aujourd'hui on peut constater qu'il est nettement plus accentué. Si on y réfléchit, il est impossible de ne pas voir là quelque intervention divine.
Les miracles du tombeau de Saint Géraud
C'était en la solennité de la Circoncision du Seigneur. Un vassal nommé Adralde avait fait allumer chez lui un de ces bûchers de sorciers dont le feu doit durer toute la nuit. Au plus noir de cette même nuit, les démons jetèrent dans le feu ceux qu'on avait mis là pour le surveiller. Et ils furent tellement mis à mal que l'un d'eux en mourut, un second en resta infirme, et la santé tout à fait compromise. Il passa le reste de sa vie à mendier, ce qui le conduisit un jour à Aurillac, où il trouva à vivre un certain temps. Or, des forcenés s'étant soulevés contre l'autorité du lieu, les moines sonnèrent la cloche d'alarme et commencèrent d'instantes prières solennelles. Lui, tout paralysé, suppliait les gens qui l'entouraient de le porter au tombeau du seigneur Géraud . C'est ce qu'ils firent. Et il priait le Saint de lui être secourable. Au bout d'un moment, il se lève guéri : il a retrouvé l'usage de tous ses membres, il avait instantanément recouvré la santé. Désormais les miracles commencèrent à se multiplier, et le bruit des prodiges opérés par le Saint à retentir toujours plus assuré et toujours plus loin. Si par hasard on voulait les mettre en doute, il est facile de s'en assurer de visu, car ils se renouvellent assez fréquemment chez les malades, et on trouvera là une garantie pour l'authenticité de ceux qui ont eu lieu antérieurement. Oui, c'est assez fréquemment que la miséricorde divine daigne ainsi les renouveler chez des malades affligés de misères diverses. Ces cas, pour éviter d'être long, nous les avons laissés de côté. Nous en avons toutefois, très brièvement, raconté un certain nombre, en vue de répandre la gloire de notre Saint : nous n'avons pas voulu donner à penser que nous les passions inconsidérément sous silence.
..subvenite, sancti Dei...
Tout le monde le sait, notre Saint, de son vivant, réunit à Aurillac de nombreuses reliques des saints. C'était là, chez lui, nous l'avons dit plus haut, un de ses goûts les plus prononcés, et, pour en arriver à ses fins, il eut le concours d'une faveur toute spéciale de la grâce divine. Au nombre des reliques de saints qu'il avait apportées ici, se trouve un certain lignum Domini auquel des expériences répétées ont fait attribuer une propriété singulière : si on l'emporte avec soi en montant à cheval, le cheval ne tarde pas à périr, et si on fait dessus un faux serment, c'est l'épilepsie qui vous attend — assez nombreux sont les cas de mal caduc survenus pour ce péché. Les gens de ce pays-là avaient pour la plupart des mœurs fart barbares : L'exemple personnel et le prestige du Saint les ont, semble-t-il, quelque peu adoucies. Un détail encore : s'ils ont à conclure une alliance en forme ou à prêter quelque serment solennel, ils font apporter cette relique par un des moines, ou un clerc — mais qui feront le chemin à pied.
Jean, fils du Vicomte d'Auvergne
D'aucuns, je le sais, discourent à la légère sur la gloire de saint Géraud , prétendent que ce don de guérison doit être rapporté, non à ses mérites à lui, mais à la vertu de ces diverses reliques. A y bien réfléchir, nous estimons, nous, que si c'est bien par l'instrument de ces saintes reliques qu'est accordé le bienfait de la santé recouvrée, on n'a pas pour autant à nier qu'y coopère la vertu aussi du bienheureux Géraud . Ce qui le donne à croire, ce sont les circonstances mêmes des cas qui se produisent : c'est lui ordinairement qui apparaît aux malades, et c'est principalement devant son tombeau qu'est accordée la faveur de la guérison. Ce fut le cas d'un fils de Jean, vicomte d'Auvergne : il l'y apporta sourd, muet et, en outre, une des mains paralysée. Il se prosterna devant le tombeau, et entra en prière. A la minuit, du sang sortit des oreilles de l'enfant, et sa main se redressa : il la passa même, bien guérie, au cou de son père, et ses premiers mots furent pour demander du pain. Pénétré d'une vive reconnaissance pour cette guérison de son fils, le vicomte emplissait l'église de ses exclamations. Il fit don au saint tombeau d'un alleu qui lui appartenait. Si nous le mentionnons nommément, c'est parce que, opéré au bénéfice de personnalités éminentes, ce miracle est venu à la connaissance d'un grand nombre de gens. Les cas tout différents ou simplement les divers cas d'une autre catégorie, les gens du pays en prirent d'abord note, mais, comme le nombre ne faisait qu'augmenter indéfiniment, on ne se donna plus la peine de les compter.
La table de Saint Géraud
Dans la cité d'Aurillac il y avait, devant la porte de l'église, une pierre dont il se servait habituellement pour monter à cheval. Si les malades, par dévotion pour lui, vont la baiser, il arrive souvent qu'ils recouvrent la santé. Aussi les gens du lieu ont-ils depuis transporté la pierre à l'intérieur de l'église, où ils l'ont recouverte d'une pièce d'étoffe, comme on fait pour un autel. Non loin du bourg que les campagnards appellent Mulsedon, l'homme de Dieu dont nous parlons possédait une maison. Or, des habitants de la petite ville s'entendirent entre eux pour aller prendre, pour leur repas à eux, la table du seigneur, qui se trouvait toujours dans ladite maison. Ainsi fut fait. Ceux qui l'en emportèrent la déposèrent au hasard, sur le devant d'une maison. Un particulier, sur le coup de midi, voulut s'y étendre pour y faire un somme : il perdit aussitôt la vue et devint fou. Jusqu'à un chien, qui, marchant dessus, y eut les pattes paralysées. Personne ne sachant encore de quoi il s'agissait, quelqu'un vint deL même s'y étendre : lui aussi devint immédiatement aveugle. On comprit finalement que tout venait de ce que la table où le Saint avait si souvent pris ses repas en était comme consacrée : on la transporta donc, tout près de là, à l'église Saint-Martin, et on la recouvrit d'une pièce d'étoffe. On peut l'y voir aujourd'hui encore, attachée à la charpente du toit. Une table encore de saint Géraud : celle qui se trouvait à sa villa Vaxia... Un prêtre avait invité ses voisins. Le repas se fit à cette table. Comme il arrive d'ordinaire dans les bons repas, la conversation était bruyante, et les convives se renvoyaient l'un à l'autre les plaisanteries, quand tout à coup une frayeur intense s'empara de tout le monde : les rires cessèrent, et on se transporta ailleurs pour la fin du repas. On porta cette table à l'oratoire qui fut construit à l'endroit où les porteurs du corps de saint Géraud le posèrent un instant pour changer le drap. Les troupeaux qui se trouvent de passer par là, s'il leur arrive de paître sur l'emplacement où le cercueil, comme nous venons de le dire, avait été déposé par les porteurs, y prenaient aussitôt mal, et plus d'une bête périssait. Ce qui arrivait ainsi aux animaux, les gens du lieu en comprirent bien la raison, et ils construisirent ledit oratoire. Ce qui est sûr, c'est que les malades, en grand nombre, y obtiennent leur guérison. Ajoutons une autre merveille, qui serait presque incroyable si elle n'était garantie par l'usage quotidien : une source, depuis lors, coule en cet endroit, peu abondante, suffisante cependant pour étancher la soif des voyageurs qui passent par là.
Un neveu dénaturé
N'ayant aucune confiance en Rainald [son neveu], notre Saint se l'était, de son vivant, lié par serment, nous l'avons dit plus haut. Rainald, violant le serment prêté, ne cessait avec son monde de s'attaquer aux serviteurs que le Saint avait donnés au monastère. Au cours des brigandages auxquels il se livrait contre eux, il arrivait souvent à ses victimes de crier le nom de seigneur Géraud. Or, une nuit, ce Rainald crut voir l'homme de Dieu, debout près de lui, lui réclamant la foi du serment qu'il lui avait prêté, et l'avertissant en même temps de mettre fin désormais aux mauvais traitements qu'il infligeait à ses serviteurs. A son réveil, il raconta la vision à sa femme. Elle l'engageait à se rendre à cet avertissement et à garder désormais le serment prêté. Saisi de repentir, il s'en va aussitôt faire à ses gens le même récit, leur recommandant, assez mollement il est vrai, de ne pas tracasser lesdits serviteurs. Mais ses hommes ne tardèrent pas longtemps à reprendre leurs pillages accoutumés. Et Rainald ne s'y opposait guère : il était, en vérité enclin au mal, et, bien que proche parent d'un Saint par le sang, il était tout à fait étranger à sa sainteté. Alors notre Saint lui apparut une nouvelle fois, mais cette fois avec des menaces, et en lui reprochant en termes très vifs le mal qu'il lui rendait pour le bien qu'il lui avait fait. Là-dessus, lui donnant un coup sur la tête, il joignit à ce geste la menace d'un mort prochaine.
A la recherche du tombeau de Saint Géraud
Dans la province qu'on appelle Alémanie, un homme de la noblesse était possédé du démon. Ses parents et ses soldats le menaient du tombeau d'un saint à un autre, pour obtenir de la grâce divine, par leur intercession, qu'il en fût délivré. Mais le Distributeur de tous biens, dans les plans de qui il entrait de glorifier son élu, lui réserva ce miracle. Or, dans cette province, on n'avait pas même entendu prononcer jamais le nom du Bienheureux. Mais tandis que les parents présentaient ainsi leur malade aux divers tombeaux des saints, les démons s'écrièrent à plusieurs reprises qu'ils ne lâcheraient pour rien au monde cet homme, sauf intercession du bienheureux Géraud. Les parents du démoniaque s'en allaient donc de tous côtés cherchant çà et là à découvrir en quelle province se trouvait ce bienheureux Géraud . Je ne sais qui — des Romées ? un pèlerin quelconque ? — leur indiqua et la province et l'endroit précis. En hâte ils se rendirent à Aurillac. Dès que le possédé se trouva devant le tombeau, les démons par sa voix, se mirent à crier : « — O Géraud , pourquoi te moques-tu de nous ? pourquoi profites-tu de ta puissance pour nous tourmenter ainsi ? » Il tombe aussitôt à terre, et les vomit, avec un flot de sang. Depuis lors, et pour le reste de sa vie, il demeura hors de leurs atteintes.
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