Saint Grégoire le Sinaïte
Saint Grégoire le Sinaïte
+ en 1346
Fête le 8 août
Le divin Grégoire est né en Asie Mineure, non loin de Clazomène, près de Smyrne, dans un petit village dénommé Kukula. Ses parents étaient riches et de plus, ce qui compte davantage, vertueux. Ils firent instruire leur fils dans la philosophie grecque et plus encore dans les vérités des saintes Écritures.
C'était alors le règne d'Andronic Paléologue. Les Turcs ravageaient l'Asie Mineure et pillaient les villages. Ils s'emparèrent entre autres de celui de saint Grégoire, qui était chrétien, et ce dernier, avec ses parents et ses proches, fut emmené en captivité à Laodicée où, par la Miséricorde de Dieu, les barbares lui donnèrent la permission de visiter l'église de ce lieu. Les chrétiens de Laodicée furent sensibles au malheur de leurs frères. Pour alléger le lourd joug qui les faisait ployer, ils demandèrent aux Turcs de rendre leur liberté aux captifs, leur promettant en échange une rançon en argent. Les infidèles furent conquis par cette offre et les chrétiens prisonniers recouvrèrent leur liberté et le droit d'aller où bon leur semblerait. Le divin Grégoire en profita pour gagner Chypre. Il y attira vite l'attention générale et, par ses perfections naturelles ou acquises, intérieures et extérieures, il devint l'objet de l'affection et du respect d'un grand nombre. Car il avait au naturel un grand air de bonté et sa beauté intérieure surpassait encore l'extérieure.
Dieu, qui connaît les siens (voir 2 Tim 2,19), et les assiste en tout bien, fit en sorte que le divin Grégoire pût s'établir sur l'île auprès d'un moine vertueux vivant dans le silence. Peu de temps après, ce moine le revêtit du premier habit angélique (petit schème). Sous sa direction, saint Grégoire devint bientôt expert dans la vie monastique. De là, il alla au Mont Sinaï à la recherche de plus grands labeurs. Il y reçut le grand habit angélique (grand schème). En peu de temps, il surprit et étonna les ascètes de ce lieu par la vie d'ange, presque incorporelle, qu'il menait. Ses jeûnes, ses veilles, sa psalmodie et sa prière continuelles étaient au-delà de la description. Il semblait chercher querelle à la nature, souhaitant rendre immatériel son corps de chair, à tel point qu'étonnés par ses efforts, les ascètes l'environnant l'appelaient habituellement l'incorporel. "Mais je suis dans l'embarras pour savoir comment parler de la racine de toutes ses vertus, son obéissance et sa profonde humilité de peur qu'une telle description suggère à quelque amant de la vie facile que je dis un mensonge," écrit l'auteur de la Vie de saint Grégoire, - le patriarche oecuménique Calliste. Mais comme ce serait un péché contre la vérité elle-même de rester silencieux à ce sujet, je dois rapporter ce que j'ai entendu de son sincère et très dévoué disciple, Gérasime. Selon les paroles de ce sage, le divin Grégoire exécutait chaque tâche que lui assignait son supérieur sans le moindre retard et avec tout son zèle, s'imaginant toujours que Dieu avait les yeux fixés sur son travail. En même temps, en dépit de toutes ses obligations, il n'omettait jamais ses prières habituelles. C'était là sa pratique ordinaire. Chaque soir, après avoir reçu la bénédiction du supérieur, il regagnait sa cellule, en fermait la porte et commençait métanies, récitation des psaumes et élévation des mains et de l'esprit vers Dieu, oblation de lui-même qu'il poursuivra jusqu'à ce que retentît la simandre, annonciatrice des Matines. Le martèlement initial lui faisait rejoindre le premier la porte de l'église. Une fois entré, il ne sortait jamais avant le terme du service; le premier arrivé, il était toujours le dernier sorti. Sa nourriture, un peu de pain et d'eau, suffisait à peine à le garder en vie. La charge de cuisinier lui échut cependant. Trois années durant, il s'acquitta de cette lourde et pénible tâche. Qui peut célébrer dignement son extraordinaire humilité à ce propos ? Elle lui fit toujours considérer qu'il servait des anges et non des hommes; aussi honorait-il cette activité à l'égal du service de l'autel. Il faut dire encore qu'il brillait dans la calligraphie. Quoi-que livré à toutes ses occupations corporelles, il n'abandonna jamais ses études spirituelles. Il passa probablement autant de temps que les pères du même endroit à la lecture des saintes Écritures et d'autres ouvrages de piété. Il les surpassa presque tous en savoir. Il avait pourtant la pieuse coutume d'ajouter à ces travaux de l'esprit l'ascension presque quotidienne du sommet du Sinaï afin d'élever de dévotes prières sur le site d'aussi glorieux miracles.
L'ennemi du bien pouvait-il considérer saint Grégoire avec indifférence à la vue de tels labeurs ? Afin de l'empêcher de persévérer sur ce chemin de perfection, il réussit à semer l'ivraie du trouble parmi ses compagnons d'ascèse en éveillant en eux la passion de l'envie. Disciple du doux et humble Jésus, Grégoire, à peine se fut-il aperçu de cette criminelle passion, qu'il quitta secrètement le monastère, emmenant avec lui le digne Gérasime. Ce dernier était originaire de l'Euripe et parent du prince de cette île; mais, méprisant la vaine gloire du monde il vint au Mont Sinaï. C'est là qu'il connut le divin Grégoire et, stupéfait de ses extraordinaires combats, qu'il s'y attacha et devint un de ses disciples. Avec l'aide de Dieu, il atteignait aussi le plus haut degré dans la pratique (praxis) et la divine contemplation (théoria), devenant ainsi après le grand Grégoire un modèle de vie ascétique pour beaucoup.
Ils laissèrent donc le Sinaï et allèrent à Jérusalem vénérer le Sépulcre donateur de vie. Après avoir visité et dévotement vénéré tous les lieux saints, ils naviguèrent vers la Crète, jusqu'à un endroit appelé Bons-Ports où ils abordèrent. Désirant ne pas perdre de temps, ils partirent à la recherche de quelque endroit silencieux convenant pleinement à la vie solitaire. Non sans difficulté, ils trouvèrent quelques grottes leur agréant, où ils s'installèrent avec joie. Saint Grégoire y reprit ses exploits ascétiques avec une énergie redoublée, si bien qu'à titre particulier les paroles du prophète-roi furent justifiées : "A force de jeûner, mes genoux fléchissent, ma chair est amaigrie faute d'huile." (Ps 108,24) Cette abstinence immodérée communiqua une extrême pâleur à son visage, et ses membres desséchés devinrent à peine capables de se mouvoir. Cependant, l'homme de Dieu gardait un brûlant désir de trouver quelque spirituel pouvant le guider vers ce qu'il n'avait pas encore atteint sur le chemin de la perfection. Le Seigneur prit bientôt en considération le saint désir de son fidèle serviteur et l'exauça à sa manière. Par une révélation privée le divin Grégoire apprit que vivait dans la même région un solitaire épris de silence et passé maître dans la pratique et la contemplation spirituelle. Arsène était son nom. Mû par l'Esprit de Dieu, Arsène vint en personne à la cellule de saint Grégoire qui l'accueillit avec grande joie. Après la lecture et la prière habituel-les, l'ancien auquel avait été départi le don de lire dans les esprits, engagea une conversation sur quelque divin livre traitant de la garde du coeur, de l'impassibilité et de l'attention, de la prière spirituelle, de la purification de l'esprit par l'observation des commandements, de la possibilité de le rendre capable de voir la lumière et de bien d'autres sujets encore. Il demanda ensuite à saint Grégoire : "Et toi, mon fils, quelle sorte de pratique est la tienne ?" Le divin Grégoire lui fit alors le récit de sa vie, presque depuis ses premiers jours. Arsène, qui avait déjà très bien quelle voie mène un homme au faîte de la vertu, lui dit : "Tout ce que tu m'as raconté, mon fils, est appelé par les pères théophores pratique , et non contemplation.
Entendant cela le bienheureux Grégoire tomba aussitôt aux pieds de l'ancien et, le conjurant par le Nom de Dieu, le supplia instamment de l'instruire de la voie de la contemplation spirituelle. Ne souhaitant pas tenir caché dans un vain but le don que Dieu lui avait fait, le divin Arsène acquiesça volontiers à la requête du saint et, en peu de temps, lui enseigna ce dont la grâce divine l'avait richement pourvu. En outre, il révéla à Grégoire combien sont variés et innombrables les pièges de l'ennemi de notre salut. Il l'instruisit donc de ce qui arrive à ceux qui livrent les combats de la vertu par la haine des démons et la jalousie d'hommes envieux dont le diable fait des instruments de sa ma-lice. Ayant recueilli cet inestimable enseignement, saint Grégoire gagna l'Athos. Désirant voir tous les pères de la sainte Montagne, pour leur présenter ses respects et obtenir leurs saintes prières et leur bénédiction, il fit le tour de tous les monastères, ermitages, cellules, et aussi des déserts et des endroits impraticables. Parmi les pères de la sainte Montagne, il vit beaucoup d'ascètes qui étaient ornés des seules vertus actives. Quand il leur demanda s'ils pratiquaient la prière spirituelle, l'impassibilité et la garde du coeur, ils lui répondirent qu'ils ne savaient même pas de quoi il s'agissait.
Après avoir visité toute la sainte Montagne, il vint à l'ermitage de Magoula, près du monastère de Philothéou, et il y trouva trois moines, Isaïe, Corneille et Macaire, qui joignaient la théoria à la praxis. Il construisit là une cellule pour lui-même et d'autres pour ses disciples. Il établit la sienne à une distance suffisante de celles de ses disciples pour pouvoir s'immerger entièrement en Dieu seul dans la prière spirituelle et vivre constamment en union avec Lui, désirant s'engager dans la théoria sans obstacle, selon les enseignements de son divin directeur Arsène. Rassemblant ainsi tous ses sens en lui-même, unissant son esprit à son âme et la clouant à la croix du Christ, il répétait fréquemment : "Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur !" Il priait avec tendresse et contrition du coeur, soupirant profondément et inondant le sol de chaudes larmes qui telle une rivière s'échappaient de ses yeux. Dieu ne dédaigna pas sa prière : "Un coeur brisé et humilié, Dieu ne le méprisera point." (Ps 50,19), l'exauçant bientôt : "Sur les justes, les Yeux du Seigneur, et pour leurs clameurs, ses Oreilles" (Ps 33,16).
Aussi, quand il eut élevé son âme et son cour à la véritable incandescence, la grâce du saint Esprit le renouvela et quelle ne fut alors son émotion en voyant sa cellule s'inonder de lumière. Gonflé de joie et d'ineffable bonheur, fondant à nouveau en larmes, il fut consumé par le divin amour. En lui trouva sa pleine réalisation cette parole des pères : "La pratique est une montée vers la contemplation divine." Parce que le saint s'était élevé vers la contemplation du monde, il était entièrement empli du divin amour et, depuis lors cette lumière ne cessa plus de sanctifier le juste selon le mot : "La lumière est toujours pour le juste" (Pr 13,9). A ma question et à celle de mes compagnons au sujet de la contemplation spirituelle, dit l'auteur de la vie de saint Grégoire, ce glorieux père répondit que celui qui s'est élevé vers Dieu voit par la grâce du saint Esprit toute la création resplendir comme un miroir; qu'il soit dans son corps ou hors de son corps lorsque cela se produit, il ne le sait pas davantage que le divin Paul, jusqu'à ce que quelque fait extérieur le fasse revenir à lui.
Le voyant sortir de sa cellule le visage inondé de joie, je lui en demandai la raison en toute simplicité de coeur. Tel un père aimant, cet homme à jamais mémorable me répondit : - L'âme qui est attachée à Dieu et consumée d'amour pour Lui, s'élève au-dessus de la création et vit au-dessus des choses visibles; brûlant entièrement de désir pour Dieu, elle ne peut pas se dissimuler, selon la promesse du Seigneur : "Ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra," (Mt 6,6), et : "Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes oeuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16) Alors, en effet, le coeur bondit et danse de joie, l'esprit entre en agréable mouvement et le visage respire le bonheur et la joie, selon l'expression du sage : "Coeur joyeux fait bon visage" (Pr 15,13). Je lui répliquai : "Très divin père. Pour l'amour de la vérité, expliquez-moi ce qu'est l'âme et comment elle est contemplée par les saints ?" Avec un grand calme, selon son habitude, il me répondit doucement : - Enfant spirituel bien-aimé : "Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi, ne scrute pas ce qui est au-dessus de tes forces" (Si 3,21). Tu es encore un enfant, et donc un homme non accompli; tu ne peux assimiler une très forte nourriture; tu ne peux comprendre des sujets qui dépassent ta capacité, comme l'alimentation d'un homme mûr qui ne convient pas à des enfants d'âge tendre encore à la mamelle. Tombant à ses pieds et les empoignant fortement, je le pressai avec véhémence de m'expliquer cet important sujet. Il y consentit et me dit brièvement : - Jusqu'à ce que l'on ait vu la résurrection de son âme, on ne peut savoir exactement ce qu'est l'âme spirituelle (noétique). Mais, m'adressant à lui avec les égards requis, je lui demandai à nouveau : - Dites-moi, père, êtes-vous parvenu à la mesure de cette résurrection, pour tout dire : avez-vous appris ce qu'est une âme spirituelle ? - Oui, me répondit-il avec une grande humilité. - Pour l'amour de Dieu, enseignez-le moi aussi, lui demandai-je humblement. Ceci peut être de grand profit pour mon âme. Alors cette âme divine, louant mon ardeur, me tint ces propos : - Quand l'âme use de tout son zèle et lutte par les vertus actives avec la modestie voulue, elle renverse toutes les passions et se les soumet. Quand elle les subjugue, les vertus naturelles l'entourent alors et la suivent comme l'ombre suit le corps, puis, qui plus est, l'instruisent de ce qui est au-dessus de la nature, comme si elles gravissaient les degrés d'une échelle spirituelle. Quand l'esprit, par la grâce du Christ, atteint ce qui surpasse la nature, il est illuminé par l'éclat du saint Esprit et se déploie jusqu'à parvenir à la claire vision. S'étant dépassé, selon la mesure de la grâce donnée par Dieu, il voit très clairement et très purement l'essence des choses, pas du tout cependant comme l'entendent les sages du dehors, qui étreignent seulement des ombres et n'essaient pas, comme il convient, de parvenir à l'action essentielle de la nature. Car, ainsi que le dit la divine Écriture, leur coeur inintelligent s'est enténébré et, "dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous" (Rom 1,21-22). Ensuite, avec l'habitude et la grâce du saint Esprit, l'âme abandonne peu à peu ses anciennes préoccupations en raison de la multitude de visions qu'elle perçoit, et passe aux réalités plus élevées et vraiment divines, comme le dit l'apôtre Paul : "Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant" (P 3,13). Ainsi purifiée, l'âme bannit vraiment alors toute crainte ou terreur et, unie par l'amour au Christ Époux, voit que ses pensées naturelles cessent complètement et restent en chemin, selon ce qu'affirment les saints pères. Atteignant la beauté qui surpasse toute forme et demeure ineffable, elle ne converse qu'avec Dieu et se voit illuminée par le rayonnement et la grâce du saint Esprit. Lorsqu'elle accueille cette lumière infinie, elle n'a alors d'affection que pour Dieu et, en raison de cette merveilleuse et nouvelle transformation, elle ne sent plus du tout ce corps terrestre et matériel. Elle est pure et brillante en effet, vierge de toute passion matérielle, et sa nature, spirituelle notamment, est semblable à ce qu'elle était avant la désobéissance de notre premier père, Adam. Celui-ci était au début ombré de la grâce de cette lumière infinie mais, ultérieurement en raison de son amère transgression, il fut dépouillé de cette gloire lumineuse et éclatante.
A tout cela, cette tête divine ajouta que l'homme parvenu à une telle hauteur par la pratique assidue de la prière spirituelle et qui, de plus voit avec pureté quelle était sa propre attitude quand il vint à la grâce du Christ, a déjà vu la résurrection de son âme avant la résurrection générale attendue. Une âme purifiée de la sorte peut alors dire avec le divin Paul : "Était-ce en son corps ? Était-ce hors de son corps ? je ne sais" (2 Cor 12,2). Mais aussi voilà qui la déconcerte et la bouleverse et elle s'écrie avec stupeur : "Ô abîme de la Richesse, de la Sagesse et de la Science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles !" (Rom 11,33). Tels furent les propos que je puis recueillir de ce très divin père.
Nous dirons maintenant un mot des disciples de saint Grégoire. Le premier d'entre eux fut saint Gérasime. Originaire de l'Euripe, il profita ensuite des conseils spirituels du très saint patriarche Isidore. Ce nouveau Gérasime était un reflet de l'ancien Gérasime du Jourdain. Tel ce dernier qui s'était fait pèlerin à la manière des apôtres et avait transformé en une contrée populeuse le sauvage désert du Jourdain en l'ensemençant d'anges terrestres, ce nouveau Gérasime plein de la grâce divine et illuminé par Dieu, fit le tour de la Grèce à la façon des apôtres, comblant tous ceux qui avaient faim et soif de la parole de Dieu et les nourrissant du succulent enseignement de la vertu. Il ne manqua pas, à l'exemple de l'ascète du Jourdain, de fonder à son tour, au gré de ses voyages, nombre d'asiles de piété et de chasteté, enseignant à leurs membres de saintes moeurs la science de la perfection originelle de l'homme. Ayant oeuvré dans cette voie et vu dès ici-bas la gloire préparée pour les élus de Dieu, il rejoignit le Seigneur pour la partager, non plus seulement un bref instant, mais à jamais.
Le second disciple de Grégoire fut Joseph, un compatriote de Gérasime. Bien que n'ayant pas reçu une instruction choisie, il était riche intérieurement de la vraie sagesse donnée par le saint Esprit, comme ces glorieux pêcheurs qui conquirent princes et royaumes.
Le troisième fut le merveilleux abba Nicolas, natif d'Athènes. Après avoir fait l'expérience de mainte vicissitude, le patriarche Joseph voulut élever Nicolas à l'épiscopat. Mais, épris de modestie et d'humilité, il s'échappa sur l'Athos. Il était déjà un vieillard quand il rencontra saint Grégoire. Mais ce dernier, semblable à l'aimant qui attire l'acier, attirait tous ceux qui le voyaient et l'entendaient parler. Comme saint André qui abandonna aussitôt le Précurseur dès qu'il eût vu Jésus le très doux, Nicolas n'eut pas plus tôt entendu Grégoire qu'il devint à l'instant son disciple avec toute l'ardeur de son âme. Sous cette sage direction, il brilla vite dans toutes les vertus et surpassa en humilité tous ses frères et compagnons.
Autre merveilleux disciple encore fut Marc, devenu moine au monastère d'Isaac à Thessalonique. Au bout de quelque temps, il partit pour l'Athos et se mit sous la direction de saint Grégoire. Ayant acquis la prière spirituelle et le renoncement, il était un trésor de toutes les vertus. Il se distinguait notamment par son humilité et son obéissance qu'il pratiquait non seulement à l'égard du supérieur mais aussi de tous les frères, et il allait jusqu'à servir tous les étrangers comme un esclave. Il faisait l'étonnement général, tous le célébrant et nourrissant pour sa personne les plus tendres sentiments. Sa sainte personnalité exhalait une sorte de parfum spirituel et exerçait une influence merveilleuse sur les autres; ceux qui voyaient Marc sentaient aussitôt dans leur âme une sanctification s'opérer et un vif attrait pour l'humilité se créer. Aussi prenaient-ils ce bienheureux père pour modèle de vertu. Même lorsqu'il atteignit un âge fort avancé, le divin Marc accomplit les devoirs de sa charge de cuisinier, il ne manifesta jamais de lassitude ni de négligence. C'est pourquoi Dieu, qui regarde les doux et humbles de coeur, le gratifia d'une profonde paix de l'âme et d'une imperturbable tranquillité de coeur, le comblant d'une joie et d'un bonheur ineffable; en d'autres termes, Marc devint un admirable organe du saint Esprit, une demeure de la Trinité divine. L'exemple ainsi donné fit l'édification de beaucoup qui trouvèrent dans ses labeurs et sa conversation pleine de grâce un abondant profit spirituel. Je suis au nombre de ceux qui furent édifiés par sa vie angélique. Je vécus en effet avec lui presque jusqu'à sa récente mort et je bénéficiais de sa sincère amitié. Nous avions pour ainsi dire une âme en deux corps et ne savions distinguer entre mien et tien. Qui appelait Calliste aussitôt ajoutait Marc et qui parlait de Marc voyait en lui Calliste aussi. Tous les pères du même ermitage saluaient en nous, dans l'unanimité qui faisait notre union par la grâce du Christ, un exemple digne de louange, et, si un différend, par la jalousie du diable, s'élevait parmi eux, ils évoquaient aussitôt notre amitié et leur désaccord s'évanouissait.
Notre divin père Grégoire priait que cette unanimité durât jusqu'à notre mort et, mû par la grâce de l'Esprit saint, il ajoutait que si nous restions dans semblable unité d'esprit nous atteindrions le royaume des cieux. Cette amitié se perpétua durant vingt-huit pleines années. Avant sa mort, Marc, malade, dût laisser l'ermitage pour la laure et y demeurer jusqu'à son trépas mais notre séparation corporelle ne détruisit jamais notre union spirituelle. S'affermissant de jour en jour dans les choses de Dieu, le bienheureux Marc atteignit le plus haut degré de perfection, si bien qu'il est impossible de dire ses vertus. Le peu que je vous ai livré, je l'ai communiqué contre sa volonté. Car, par humilité, il m'ordonna de ne rien dire à ce sujet. Mais, comme la gloire des saints revient à Dieu, j'ai cru juste de ne pas demeurer silencieux sur ses labeurs, pour le profit spirituel et l'édification des autres.
Le bienheureux patriarche nous parle ensuite d'un autre disciple de saint Grégoire, Jacques. Grâce aux enseignements et à la direction de Grégoire, il atteignit un tel degré de vertu qu'il devint évêque de Serbie.
Je ne peux omettre le merveilleux Aaron. Comme il était aveugle, saint Grégoire avait beaucoup de sympathie pour lui. Il lui expliqua que la cécité de nos yeux corporels non seulement purifie ceux de notre âme mais aussi que la lumière éternelle est donnée à ceux qui endurent cette infirmité avec gratitude et mettent sans hésiter en tout domaine leur confiance en Dieu; quand avec l'aide et la grâce de Dieu, ajouta-t-il, nous purifions notre coeur par de ferventes et constantes prières, notre esprit et notre entendement, les deux yeux de l'âme, sont alors illuminés. Lorsque cela se produit, l'homme devint spirituel en Dieu et voit naturellement comme Adam avant sa désobéissance. Saint Grégoire lui expliqua aussi la chute de notre premier père et son retour à sa perfection originelle.
Après avoir écouté cet enseignement, Aaron, le coeur profondément contrit, pria Dieu ainsi : "Ô Seigneur mon Dieu, qui a relevé celle qui était prostrée, rendu d'un mot le mouvement au paralytique et ouvert les yeux de l'aveugle, élève-moi aussi par ton indicible Compassion, ne dédaigne pas mon âme misérable enfoncée dans la boue du péché et ne la précipite pas dans l'abîme de désespoir; mais, Toi qui es généreux, ouvre les yeux de mon coeur, mets en lui la crainte de Dieu et accorde-moi de comprendre tes commandements et de faire ta Volonté."
Cette humble prière de l'aveugle, venue des profondeurs de son âme, ne fut pas faite en vain. Dieu l'accueillit et illumina ses yeux spirituels, si bien qu'il n'eut plus jamais besoin de ceux de la chair. Nul n'eut plus désormais à lui montrer son chemin. Plus encore, il vit les actions des autres même à grande distance. Une fois, comme il allait chez un moine avec le père Jacques, dont nous avons déjà parlé, et alors qu'ils étaient encore loin de l'endroit vers lequel ils s'acheminaient, Aaron, éclairé d'en haut, dit à son compagnon : "Le moine chez lequel nous allons a le saint évangile dans ses mains et en lit tel et tel passage." Quand ils arrivèrent chez leur hôte, ils constatèrent qu'il en était exactement comme Aaron l'avait annoncé. Mais c'est là seulement un épisode entre bien d'autres.
Il nous faut au moins mentionner les noms de quelques autres disciples du saint : Moïse, Longin, Corneille, Isaïe et Clément. Sous la sage direction de Grégoire, ils firent de grands progrès dans la vertu et la contemplation spirituelle et, ayant eux-mêmes attiré de nombreux disciples, ils moururent paisiblement, remettant leurs âmes dans la main de Dieu.
Nous devons dire quelques mots de ce que Dieu accorda à Clément. Ce dernier était originaire de Bulgarie et berger de son état. Une nuit, alors qu'il était de garde, comme les bergers des anciens temps, il fut gratifié de la vision de la lumière céleste; il la vit, merveilleuse et brillant sur ses brebis et sur tout le pâturage. Tout en étant comblé de joie, Clément fut déconcerté par la vision. Il pensa que cette lumière était peut-être celle de l'aube, car juste auparavant il s'était endormi un court instant sur son bâton. Mais, au moment même où il avait cette pensée, cette lumière s'éleva petit à petit au ciel devant ses yeux, laissant derrière elle l'obscurité de la nuit. Peu après cela, Clément alla à la sainte Montagne et, arrivé à l'ermitage de Morphima, se confia à un moine simple mais pieux et vertueux. Tout l'enseignement de ce moine tenait dans la prière : Seigneur, aie pitié ! Clément fut bientôt à nouveau jugé digne de la lumière divine. Il informa son père spirituel de cette vision et lui en demanda l'explication. Mais comme il n'avait pas d'expérience spirituelle, ils allèrent en-semble voir le divin Grégoire. Clément le mit au courant et le supplia avec chaleur de l'accepter dans sa fraternité. Imitant le Christ et souhaitant le salut de tous, le saint l'accueillit avec joie et lui enseigna tout ce qui peut servir à notre salut éternel. Pour l'âme de Clément qui avec le temps était parvenue à la vision de Dieu, les faits spirituels qu'elle avait contemplés ne furent plus incompréhensibles. Il rapporta qu'envoyé souvent par saint Clément à la Lavra, il voyait toujours s'il chantait "Toi plus vénérable que les chérubins Š ", un nuage brillant descendre des cieux sur la laure et merveilleusement l'envelopper. L'hymne une fois terminée, il voyait la nuée rejoindre le ciel dans la lumière.
Les disciples du saint ne furent pas les seuls à bénéficier de ses enseignements salutaires; il en était de même pour ses nombreux visiteurs. Aussi, presque tous considéraient comme une grande infortune de ne pouvoir demeurer à ses côtés et d'être ainsi privés de ses conseils. Comme sa parole était pleine d'onction, elle produisait toujours des fruits bénéfiques dans le coeur de ses auditeurs. De même qu'au temps de l'enseignement du grand Pierre dans la maison de Corneille, le saint Esprit était descendu sur l'assistance, ainsi en était-il avec ceux que le divin Grégoire dirigeait, m'ont rapporté des témoins qui avaient ressenti personnellement cela. Car, disaient-ils, au moment même où saint Grégoire nous entretenait de la pureté de l'âme et de la lumière, pour l'homme, de devenir un dieu par la grâce, venait alors en nos âmes un divin et irrésistible désir, une affection pour vertu et un inexplicable amour pour Dieu. Saint Grégoire engageait pareillement solitaires et cénobites à pratiquer la prière spirituelle et la garde du coeur, et en fait il y invitait chacun.
Mais l'ennemi du bien, le démon, ne pouvait demeurer indifférent à des labeurs tels que ceux de Grégoire. Il suscita contre lui quelque moines à l'enseignement erroné qui, mus par l'envie, décidèrent de le chasser de la sainte Montagne. Par ignorance, des hommes simples sans expérience de la science spirituelle s'accordèrent avec eux. Envieux et rustres criaient au divin Grégoire : "Ne nous enseigne pas une voie que nous ne connaissons pas," visant ainsi la prière spirituelle et la garde du coeur. devant ce prodige de l'envie, le saint laissa place au malin et fut silencieux pour un temps.
Plus tard, prenant avec lui un de ses disciples et un certain autre dénommé Isaïe, que l'empereur Michel Paléologue avait beaucoup tourmenté à cause de son désaccord avec le faux patriarche Jean Beccos, il alla au Protaton pour y faire examiner son enseignement. Le Protos 2 les accueillit avec bienveillance et commença à réprimander le divin Grégoire de façon amicale et indirecte, non pour son enseignement sur l'impassibilité et la prière spirituelle, car il n'était pas du nombre des clercs jaloux et rustauds, mais pour l'avoir dispensé sans sa permission. Mais, connaissant les extraordinaires labeurs de saint Grégoire et la véritable élévation de son divin enseignement, il laissa tout cela et fut sincèrement amical. Au cours de son entretien avec saint Grégoire et Isaïe, il dit : "Aujourd'hui, je converse avec les principaux apôtres, Pierre et Paul."
Les pères qui s'opposaient à saint Grégoire, voyant l'aimable réception que lui avait réservé le Protaton de la sainte Montagne et entendant les louanges du chef de leur famille monastique, furent persuadés de la vérité de son enseignement. Dès lors, tous, ermites ou non, reconnurent le divin Grégoire et l'eurent pour maître. Mais, comme le nombre de ceux qui venaient à lui pour leur profit spirituel s'accroissait si considérable-ment qu'il était privé de son silence bien-aimé, il décida d'user de ruse pour se débarrasser de ses visiteurs. Il commença ainsi à changer fréquemment de demeure. Il gagnait parfois les déserts les plus éloignés et difficiles d'accès. Mais cette brûlante lumière ne pouvait nulle part rester inaperçue; la citadelle des vertus ne pouvait échapper à la vue de ceux qui la cherchaient. De toute part venaient à elle ceux qui souhaitaient recueillir de ses lèvres melliflues son enseignement divin. Aussi, dans les endroits les plus déserts où il vivait, il construisait des abris pour ses visiteurs, manifestant son indulgence à leurs efforts et à leur zèle.
Les musulmans qui ravageaient alors la Grèce menaçaient aussi de détruire et d'asservir la sainte Montagne. Pour cette raison, puisqu'il avait déjà fait l'expérience du joug de fer de ces barbares, et pour une autre encore, la crainte de perdre son précieux silence, saint Grégoire décida de retourner au Sinaï et de vivre sur sa cime. Mais apprenant que là non plus, il ne trouverait pas le calme qu'il cherchait, puisque les Sarrasins impies se répandaient comme la lave sur tout l'Orient, il abandonna cette idée. Il visita alors beaucoup d'endroits, en cherchant un où il pourrait poursuivre sa vie contemplative. Après être resté quelque temps à Thessalonique, il partit pour Mytilène, d'où, via Constantinople, il atteignit Scythopolis. Dans les environs de cette ville, il découvrit un lieu désert approprié à sa vie et il s'y était déjà établi lorsqu'il fut en butte à la jalousie et aux persécutions des solitaires de l'endroit, allant même jusqu'à mettre sa vie en danger. Ne parvenant à vaincre cette jalousie perverse, ni par sa magnanimité, ni par sa douceur, il retourna à Constantinople par Scythopolis. Mais, comme les fils impies de la femme esclave 3 s'étaient alors calmés un peu et ne troublaient plus la sainte Montagne, il revint de Constantinople à l'Athos. Avec un autre de ses disciples, j'étais son fidèle compagnon de voyage en ces périples. Durant son séjour dans le désert de Scythopolis, il composa les cent cinquante chapitre sur l'impassibilité, la praxis et la theoria.
Il rejoignit alors la Lavra où il fut accueilli avec une affection véritable et une grande joie; son arrivée y fut saluée comme un triomphe spirituel. Avec la bénédiction des anciens de la Laure, le saint construisit quelques cellules en différents endroits près du monastère pour lui-même et ses disciples; il conversait là avec Dieu seul. Lorsque, par la permission de Dieu, les musulmans recommencèrent à troubler la sainte Montagne, il ne lui fut plus possible de préserver le silence hors de la Laure et il s'établit dans ses murs. Mais la vie de la communauté n'était pas pour lui. Il avait soif de solitude et de theoria. Aussi, prenant un disciple avec lui, il laissa secrètement la laure et partit à Antrinople. De là, il s'achemina vers une montagne dénommée Montagne de la solitude. Il y trouva un endroit approprié mais presque toute la montage était infestée de voleurs. Poussés par le démon qui craignait que le saint ne transforme le désert en une demeure d'anges terrestres, ils lui causèrent beaucoup d'ennuis. Saint Grégoire ne désespéra pas. Il savait que pour un homme nu les voleurs des biens corruptibles ne sont pas à redouter. Il entendit parler du pieux roi Alexandre de Bulgarie. Par conséquent, mettant son espoir en Dieu qui assiste toujours les bonnes intentions de ses serviteurs, l'homme de Dieu dépêcha ses disciples au souverain, l'entretint à travers eux de lui-même et de ses besoins et implora pour l'amour de Dieu son aide et sa protection contre les brigands. La réputation de piété du roi ne fut pas surprise. Ce merveilleux prince, qui tenait la vertu et ses adeptes en grande estime, accueillit avec joie la supplique du saint et fit plus que l'homme de Dieu lui demandait. Car le royal amant de la piété édifia tout un monastère, le pourvoyant princièrement de tout le nécessaire. Il envoya au saint de l'argent en quantité suffisante pour la subsistance de la communauté, lui fit don de plusieurs villages et d'un lac poissonneux pour l'entretien futur des frères et ajouta à tout cela quantité de bétail, de moutons et de boeufs de labour. (Plus tard trois nouvelles laures surgirent sur la montage). Le saint y acheva paisiblement le reste de son pèlerinage terrestre, continuant à pourvoir au bien de l'âme de chacun de tous. Il brûlait d'enrichir le monde entier de la science qui conduit au sommet de l'activité et de la contemplation, et d'en allumer en tous le désir consumant. En un certain sens, on peut lui appliquer ces divines paroles : "Sa voix résonne par toute la terre, ses paroles jusqu'aux limites du monde" (Ps 18,5). Car il répandit son divin enseignement non seulement parmi les Grecs et les Bulgares, mais aussi chez les Serbes et au delà, sinon personnellement, en tout cas par ses disciples. Presque tout scélérat cédait au pouvoir de sa parole. Il convertit même ces loups sauvages, voleurs et meurtriers féroces, en brebis douces et sages : en faisant d'eux dès cette terre les bergers des brebis folles, il les transforma en agneaux sans tache du troupeau de l'éternel Pasteur et Évêque de nos âmes.
Vint enfin, même pour lui l'heure d'acquitter la dette commune de la mort. C'est ainsi que cet homme de Dieu, au terme d'une maladie courte et sans gravité, remit son âme bien-heureuse dans les Mains du Seigneur en 1346 et s'éleva aux cieux pour y jouir du Christ qu'il avait toujours désiré dans la vallée terrestre.
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