Saint Trivier
Saint Trivier
+ vers 538
Fête le 16 janvier
Profession monastique de saint Trivier, voyage en Bresse
Nous avons à coeur de relater par écrit et de célébrer la vie du bienheureux moine Trivier, personnage vénérable et digne d'être imité dans sa conduite religieuse. Nous voulons dire quels laborieux combats il s'est efforcé de soutenir, quels merveilleux exemples il a montré à nos âges, quel souvenir il a laissé aux siècles futurs, si bien qu'il a eu non seulement à recevoir le fruit de son travail, mais qu'il entraîne aussi, depuis lors, bien des gens à imiter ses luttes, et que, après son glorieux triomphe, il enseigne à remédier aux péchés, à acquérir la palme de l'éternelle récompense. Il nous faut commencer par le principe même, et par le lieu où naquit le saint.
Donc, le pieux et vénérable moine Trivier naquit dans les contrées de Neustrie et de la race romaine, au territoire du Caturcum. Il se rendit à un monastère du pays des Tarovvaniens, lequel était situé dans un faubourg de la ville de Tarovvana, et, les clercs le recommandant tous à leur abbé, avec actions de grâces et entière dévotion, le firent recevoir au monastère, après avoir adressé pour lui à Dieu leur prière commune. En ce temps, où la Gaule était soumise à l'empire du consul Justin, ce monastère existait près d'un fleuve nommé Ulte (en français le Lys), et non loin de la mer. Ce fut là que le bienheureux Trivier, obéissant avec une intègre piété, reçut la dignité de la cléricature, lorsque déjà sa vie en était à son huitième lustre.6
Comme les rois des Gaules et ceux des Francs asseyaient leur gouvernement, quand ils eurent anéanti le pouvoir impérial, et que, mettant de côté la domination de la république, ils exerçaient leur autorité propre, il arriva que Theudebert, fils de Theudéric, qui était fils de Clodovée, portait la guerre en Italie, puis, ayant passé les Alpes, inquiétait ce pays, et que, revenant avec célérité, après avoir congédié les chefs auxquels il avait confié le soin de la guerre, Mummolénus et Buccilénus, il retournait lui-même dans sa patrie. Les peuples des Francs ravageaient alors en ennemis les régions des Burgunds, et comme ils ramenaient avec eux de jeunes captifs, deux enfants, Radignisélus et Salsufur, du territoire de la Dôme, au pays qu'on appelle Briscia (Bresse), près du fleuve de l'Arar ou Sagonna (la Saône), dans le village ou l'utinque, qui est éloigné de six milles du bourg de Prisiniacum, où passe un petit ruisseau, nommé Monienta (Moignens), avaient été pris par l'ennemi, et furent amenés dans le pays des Neustrasiens, près de la ville de Tarovvana. Or, l'abbé du susdit monastère ayant demandé à ceux qui possédaient les enfants s'ils voulaient recevoir le prix en échange et les remettre en son pouvoir, ces hommes-là consentirent avec joie à recevoir le prix, et l'envoyèrent à l"abbé par le bienheureux Trivier.
Alors, saint Trivier se mit à demander aux enfants eux-mêmes s'ils désiraient de retourner dans leur patrie; et eux, avec un grand gémissement et des larmes, manifestant leur désir et leur souhait, dirent aussitôt qu'ils voulaient s'en retourner, et promirent avec toute affection de coeur de donner à qui les ramènerait la troisième partie de l'héritage qu'ils recevraient de leurs parents. Quand donc l'homme de Dieu, Trivier, eut tout exposé à son abbé, ceux-ci, au bout de trois années, furent absolument congédiés par lui, avec des vêtements et de la nourriture, puis, le bienheureux Trivier leur ayant été donné pour compagnon, ils se mirent avec anxiété de coeur à prendre leur chemin.
Lorsqu'ils furent entrés dans la vastitude du désert, et qu'ils eurent erré trois jours déjà, dans les épaisseurs d'une forêt, qui avait nom Menficus, l'homme de Dieu, Trivier, appréhendant qu'ils ne fussent dévorés par les bêtes sauvages, fléchit le genou et se mit à prier, afin que le Seigneur usât de miséricorde avec eux, et qu'ils eussent pour guide un ange qui leur accordât le bonheur de marcher en droite ligne le chemin de la paix. Quand donc fut achevée cette prière, voilà que deux bêtes féroces, deux loups, venant avec un air doux et bénin, la tête penchée, les oreilles basses, la queue caressante, leur montraient le chemin qu'il fallait suivre, et, par un sentier, les précédaient vers la voie publique, les guidaient dans les écarts de la solitude, en sorte qu'ils purent reconnaître la route commencée, et que, marchant vers la patrie, ils arrivèrent au diocèse de la ville de Lugdunum (Lyon), en Bresse, à l'endroit déjà nommé.
Sainte vie, mort
Ceux donc qui avaient été ramenés de captivité, offrirent à l'homme de Dieu la troisième partie de tout le bien de leurs parents. Mais, dit-on, le saint homme Trivier, appréhendant pieusement en son âme que les dons terrestres ne le détournassent de la dévotion au Christ, leur dit : "Que l'héritage de vos pères vous reste, mais accordez un bienfait à mes nécessités, et que près de votre habitation j'aie une petite cellule, puis un tout petit jardin; ce que ceux-ci s'empressèrent aussitôt de faire avec joie.
Dans la suite, ledit serviteur de Dieu, paissant leurs brebis, demeura là bien peu de temps, et ne cessa de se dire en ses vigilantes méditations : "Si je retourne aux lieux d'où je suis venu, je crains que la longue distance ne m'empêche d'arriver, fatigué comme je serai, et que je n'aie à courir toutes sortes de dangers dans les divers pays; mais si j'ai le bonheur d'échapper, et que, gardé par la divine protection, j'arrive jusque là, j'appréhende qu'on ne m'accable du poids d'un honneur immérité, et que, dans la pratique de la divine religion, je ne devienne un serviteur désobéissant".
Comme donc chaque jour, ainsi qu'on l'a dit, il méditait ces choses-là, il choisit le meilleur parti, celui de souffrir pour le Nom du Christ la solitude de l'exil, se rappelant le prophète David qui n'avait pas dédaigné de prendre l'office de gardien de brebis; se souvenant de Jacob, qui avait désiré l'exil; et de Moïse qui, errant dans une région étrangère, y avait été longtemps pèlerin. Ainsi donc, le jour et la nuit, se livrant au chant des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels, s'adonnant aux jeûnes, aux veilles et aux prières, il s'empressait d'accomplir l'oeuvre de son désir, méditant en lui-même par quel mode, par quel genre de vie il se réglerait; songeant à ce qui est dit au psaume trente-huitième : "Exauce ma prière et ma supplication, Seigneur; prête l'oreille à mes larmes. Ne garde pas le silence, car je suis un étranger chez Toi, un pèlerin, ainsi que tous mes pères"; et dans un autre psaume : "Tes Jugements étaient le sujet de mes cantiques dans le lieu de mon exil".(Ps 118,54); et encore : " Il n'y a qu'un esprit tranquille qui puisse méditer les préceptes de Dieu; puis il recourait encore aux paroles du Seigneur : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée" (Lc 10,41), et le Christ ne blâmait point cette part de Marthe, mais il louait celle de Marie, laquelle consiste à garder de toute son âme l'amour de Dieu et du prochain, à se reposer de toute action extérieure, à s'efforcer incessamment de ne désirer que le Créateur, en sorte que l'âme ne veuille rien faire, mais que, foulant aux pieds tous les soucis, elle brûle d'impatience de voir la Face du Seigneur; qu'elle sache alors porter avec tristesse le fardeau d'une chair corruptible, et de tous ses voeux désirer la céleste patrie, y assister aux hymnes des choeurs angéliques, se mêler aux citoyens des cieux, se réjouir de l'éternelle incorruptibilité réservée en la Présence de Dieu, à nous mortels, qui, placés dans cette vie, ne goûtons encore que les prémices de la contemplation intérieure.
Il était déjà fort âgé, le bienheureux Trivier, et dès long-temps gardait son âme dans une profonde dévotion, allant aux saints lieux qu'il y avait dans les environs, au bourg de Prissiniacum surtout, dans le diocèse de la ville de Lyon, puis, ayant grand soin d'assister aux pieuses solennités de la Liturgie, les jours de la Résurrection du Seigneur. Il plaça publiquement à Prissiniacum, sur le saint autel, le psautier qu'il avait lui, et, peu de temps après, étant revenu dans sa cellule, alors, pendant qu'il paissait aux champ les brebis, et qu'il s'appliquait chaque jour aux prières et au chant des psaumes, ayant fléchi les genoux en terre le dix-septième des calendes de février, comme il adressait sa prière au Seigneur Jésus, il rendit l'esprit.
Quand donc la fin de Trivier fut divulguée ça et là, les populations voisines accourant en foule, et creusant la terre avec des hoyaux, placèrent révérencieusement son saint corps, avec son vêtement accoutumé, sans cercueil de bois ni de pierre, à l'endroit même où il avait fait ses prières accoutumées, puis, comblant de terre la fosse, donnèrent à ce lieu le nom de Nonnifossa.10
Translation, miracles
Ainsi, pendant un long temps s'altéra le souvenir de Trivier, lorsque, au bout de quatorze lustres, pendant que vivaient encore deux hommes qui l'avaient vu en cette vie, plu-sieurs prodiges admirables commencèrent, par la vertu céleste, à éclater au susdit tombeau du saint personnage, et des boiteux marchèrent, des aveugles recouvrèrent la vue, des malades la santé.
Il fut révélé de plusieurs manières à quelques chrétiens, en de nocturnes visions, qu'il fallait avertir une illustre religieuse, du nom d'Épiphanie, ou Emenone, qui avait de riches domaines près de cet endroit, - l'avertir pour que, de la profondeur de la terre qui s'y aiderait, elle fît enlever par des prêtres le saint corps de Trivier, en sorte qu'on le plaçât dans un tombeau avec d'honorables funérailles. Mais, comme Épiphanie ne voulait pas, craignant qu'il n'y eût séduction de l'ennemi, ou illusion du sommeil, car l'apôtre dit que "Satan se transfigure en ange de lumière"(2 Cor 11,14), et qu'il dispose ses ministres, amenant la nuit pour le jour, les ténèbres pour le salut, il lui fut annoncé plusieurs fois encore, qu'elle eût à se mettre au saint ouvrage, et, comme elle ne voulait pas, elle fut frappée à la tête, si bien qu'elle ne pouvait plus marcher. Alors, des prêtres ayant été mandés auprès d'elle, ils se mirent à délibérer sur ce qu'il y aurait de plus opportun à faire, et après s'être consultés, appelèrent les pauvres et les mendiants, la famille entière d'Epiphanie, tous ses clercs, puis, avec eux ladite religieuse, et supplièrent par les jeûnes du jour, par les veilles de la nuit, la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, de leur montrer ce qui était agréable à Dieu.
Alors, il fut révélé à l'un de ces prêtres que l'illustre femme ne devait pas appréhender cette oeuvre sainte. Épiphanie fit donc réunir là des prêtres et de nombreux secours pour accomplir ce qui lui avait été enjoint. Or, il y avait près de Prissiniacum, à trois milles de distance, un monastère appelé Ansilla. Quand se fut répandu le bruit de ce que l'on se disposait à faire, trois clercs venant la nuit en secret du monastère même d'Ansilla, la veille du jour déterminé, en écartant la terre, parce qu'ils voulaient enlever de force le saint corps, puis fouillant bien profond, dans la pensée qu'ils trouveraient de la pierre ou du bois, l'un des clercs frappa la tête de saint Trivier, mais aussitôt ils furent aveuglées, frappés rudement et comme fixés par des clous, ne pouvant se remuer, jusqu'à ce que les prêtres arrivassent avec la religieuse et la foule du peuple; mais on fit des prières pour eux, et ils retournèrent sains et saufs en leur demeure.
Les serviteurs de Dieu éloignant ensuite la cellule de bois, qui avait là construite à cause de la dévotion pour ce saint lieu, ils trouvèrent dans un état d'entière conservation, couvert de tout son vêtement, et exhalant d'agréables odeurs, le corps du bien-heureux saint Trivier. Comme il vint là plusieurs serviteurs de Dieu, notamment trois prêtres âgés et pleins de foi et de piété, savoir : le prêtre Symphonorianus, le prêtre Trasulfus et le diacre Eusébius, anciens du clergé, ceux-ci portèrent en cercle; l'espace d'un mille, le saint corps de Trivier, et chacun sentit les odeurs de ses vertus, telles que des feuilles de rose, des lis, du baume et de l'encens. La noble femme, pendant ce temps-là, considérant de loin le sarcophage, avec crainte de Dieu, tandis que les clercs chantaient des psaumes et que brillaient les flambeaux, on plaça dans un tombeau le bienheureux Trivier, couvert comme il était de ses vêtements, et sans lui rien ôter, si ce n'est des reliques de ses cheveux, puis on construisit sur sa tombe une cellule formée de pierres et de ciment.
Mais Sécundinus, évêque de la ville de Lyon dans les Gaules, y envoya bientôt un saint autel, qui est placé au pied du sépulcre saint, et où l'on offre aujourd'hui les sacrifices du Christ, où l'on répand des prières, où les malades trouvent des remèdes, où les suppliants adressent des voeux, où les affligés reçoivent des consolations.
Il ne sera pas hors de propos d'ajouter à cet ouvrage ce qui se fit alors en ce lieu. Il y avait à Lyon, ville des Gaules, un noble personnage, appelé Vigofrédus, et avec lui sa femme, nommée Marcelle, puis leur fille, du nom de Gallinia, faible dès sa naissance, ramenée de tous ses membres, prise d'une langueur de jambes, et que ses parents firent porter en toute diligence au tombeau de saint Trivier, où elle ne pouvait aller par elle-même. Aussitôt qu'elle eut été portée au tombeau par de pieuses mains, et prosternée sur le pavé, toute faiblesse disparut, la santé fut recouvrée, et aussi dans le peuple chrétien, tout âge et tout sexe, louant la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, ne cessait de se réjouir dans le Sauveur qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit, en une parfaite Trinité, Dieu dans les siècles des siècles. Amen.
Texte écrit au VIIe siècle par un auteur anonyme
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