Saint Polycarpe de Smyrne
Saint Polycarpe de Smyrne
+ en 167
Fête le 23 février
Polycarpe (gr. fruit abondant) naquit au temps de Vespasien, vers l'an 70, et fut converti à la religion chrétienne dès son enfance, sous le règne de Titus. Son biographe, Pionius, l'a dit originaire des contrées du Levant, puis amené jeune encore à Smyrne par des marchands qui le vendirent à une femme noble, nommée Callisto. Cette généreuse chrétienne l'éleva dans la crainte du Seigneur, lui confia le soin de sa maison. Héritier des biens de Callisto, Polycarpe n'en aurait usé que pour se perfectionner dans la connaissance des Ecritures, s'avancer dans la pratique de la piété, et aurait reçu le diaconat des mains de l'évêque de Smyrne, Bucolus, qui l'attacha à son Eglise. Saint Irénée de Lyon (Adversus hæresses, V, XXXIII) affirme que Polycarpe avec Papias suivit également les leçons du " disciple Jean ", qui était probablement l'apôtre bien-aimé du Christ. Au prêtre Florin qui était tombé dans l'erreur de Valentin, Irénée écrivait (Eusèbe, Hist. eccl., V, XX) : " Lorsque j'étais encore enfant, je vous ai vu en compagnie de Polycarpe […] ; je pourrais […] exposer les entretiens qu'il nous disait avoir avec saint Jean et les autres disciples qui avaient vu le Seigneur ; je pourrais vous dire enfin comment il répétait leurs paroles et celles qu'ils avaient recueillies de la bouche même de Jésus ".
Toujours selon Irénée et Eusèbe, ce fut par les apôtres eux-mêmes que Polycarpe fut établi évêque de Smyrne ; des auteurs ont même pensé que l'apôtre Jean eut, en son disciple, plus d'égard au mérite qu'à l'âge, et le sacra avant son exil dans l'île de Pathmos. S'appliqueraient alors à Polycarpe les éloges de l'Apocalypse (II, 8-10) au sujet de l'ange de l'Eglise de Smyrne, le seul de tous déclaré irrépréhensible. L'épiscopat de Polycarpe fut assez tranquille sous le règne de Trajan, alors que la persécution agitait l'église dans les autres provinces de l'empire. Ignace d'Antioche, ami de Polycarpe, fut condamné à mort en Syrie et, de là, envoyé à Rome. Il passa par Smyrne, heureux de voir Polycarpe et de l'embrasser avant de mourir. Arrivé à Troade, il lui adressa une lettre pour le remercier de son hospitalité ; il se félicitait d'avoir pu l'entretenir et lui donnait de sages conseils pour le gouvernement de son Eglise ; il lui demandait de communiquer en son nom avec les Eglises de l'Asie Mineure, notamment avec son Eglise d'Antioche. Sur la demande des fidèles de Philippes, Polycarpe leur écrivit pour les féliciter d'avoir reçu Ignace et ses compagnons de captivité ; il leur exposait dans le détail les devoirs attachés aux différents états, leur donnait des instructions sur la réalité de l'incarnation et de la mort du Fils de Dieu ; il les félicitait d'avoir l'intelligence des saintes Ecritures et les exhortait à prier pour tous les saints. Il ajoutait en terminant : " Quant aux lettres d'Ignace que j'ai pu me procurer, je vous les envoie toutes, elles vous seront d'un grand profit, respirant la foi, la patience, l'édification ".
Polycarpe se rendit à Rome et y séjourna, mais il est difficile de dire à quelle époque. Il devait entretenir le pape Anicet (155-166) de divers sujets, défense des vérités de la foi, union et paix des fidèles, observances de discipline. Concernant la date de célébration de la Pâque, Anicet et Polycarpe estimèrent que le plus sage était de laisser jusqu'à nouvel ordre l'Orient et l'Occident suivre leur coutume respective.
Rentré dans son Eglise de Smyrne, Polycarpe n'y jouit pas longtemps du calme et de la tranquillité. L'empereur Marc-Aurèle fit ouvrir une nouvelle persécution contre les chrétiens. Polycarpe fut arrêté par Hérode l'Erénarque et déféré devant le proconsul Statius Quadratus. Le Martyre de Polycarpe, qui est en réalité une lettre que l'Eglise de Smyrne adressa à l'Eglise de Philadelphie, affirme que Polycarpe aurait été martyrisé le " deuxième jour du mois de Xanthikos, le septième jours avant les calendes de Mars, lors d'un grand sabbat ". Rordoff interprète le " grand sabbat " comme étant un samedi coïncidant avec la fête officielle des Terminalia, ce qui correspond au 22 février ; mais Brind'Amour considérait que la même expression désigne un dimanche et aboutit ainsi au 23 février. Devos propose une autre interprétation, à laquelle s'est ensuite rallié Brind'Amour : le " grand sabbat " ne désignerait pas un jour de la semaine, mais renverrait au repos éternel dans le Christ. Quant à l'année du martyre, elle dépend de la date à laquelle Anicet reçut Polycarpe. Le passage du Martyre où Polycarpe dit servir le Christ depuis " quatre-vingt six ans " est ambiguë : Polycarpe comptait-il les années passées depuis sa naissance, ou seulement celles écoulées à compter de sa conversion ? Certains penchent pour l'extrême fin du pontificat d'Anicet, soit 166, et Brind'Amour propose même 167. La plupart tient néanmoins pour le début du pontificat d'Anicet, en 155 ou 156.
Seule une lettre de Polycarpe a été conservée - la Lettre aux Philippiens en quatorze chapitres - alors qu'Irénée fait référence à plusieurs épîtres. On observe néanmoins que le chapitre IX présuppose la mort d'Ignace d'Antioche, tandis qu'au chapitre XIII, Polycarpe demande aux Philippiens des nouvelles plus récentes à son sujet. Selon l'hypothèse de Fischer, récusée par Nautin, la Lettre aux Philippiens serait ainsi une compilation de deux lettres : la chapitre XIII représenterait une première lettre brève aux Philippiens, accompagnant les copies des lettres d'Ignace que Polycarpe envoya à la communauté de Philippes, et rédigée peu avant le départ d'Ignace pour Rome ; la deuxième lettre suivrait alors de près, faisant suite à la réponse de l'Eglise de Philippes.
La Lettre de Polycarpe est une exhortation générale destinée à conforter les Philippiens dans leur foi: ils sont appelés à mener une vie juste, à observer leurs devoirs selon leur état et leurs responsabilités au sein de la communauté, et à se garder de l'hérésie.
La relation du martyre de Saint Polycarpe,
une lettre de l'Eglise de Smyrne
L'Église de Dieu qui séjourne à Smyrne à l'Église te Dieu qui séjourne à Philomelium et à toutes les communautés de la sainte Eglise catholique qui séjournent en tout lieu : que la miséricorde, la paix et l'amour de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ vous soient données en plénitude. Nous vous écrivons, frères, au sujet des martyrs et du bienheureux Polycarpe, qui, par son martyre, a pour ainsi dire mis le sceau à la persécution en la faisant cesser. Presque tous les événements antérieurs sont arrivés pour que le Seigneur nous montre encore une fois un martyre conforme à l'Évangile. Comme le Seigneur, en effet, Polycarpe a attendu d'être livré, pour que nous aussi nous soyons ses imitateurs, sans regarder seulement à notre intérêt, mais aussi à celui du prochain (cf. Ph 2, 4). Car c'est le fait d'une charité vraie et solide que de ne pas chercher seulement à se sauver soi-même, mais aussi à sauver tous les frères.
Bienheureux donc et généreux tous ces martyres qui sont arrivés selon la volonté te Dieu. Car il nous faut être assez pieux pour attribuer à Dieu la puissance sur toutes choses. Qui n'admirerait la générosité te ces héros, leur patience, leur amour pour le Maître ? Déchirés par les fouets, au point qu'on pouvait voir la constitution de leur chair jusqu'aux veines et aux artères intérieures, ils demeuraient fermes si bien que les spectateurs eux-mêmes en gémissaient de compassion. Ils en vinrent à un tel degré de courage que pas un d'entre eux ne dit un mot ni ne poussa un soupir. Ils nous montrèrent à tous que dans leurs tortures les généreux martyrs du Christ n'étaient plus dans leur corps, ou plutôt que le Seigneur était là qui s'entretenait avec eux. Attentif à la grâce du Christ, ils méprisaient les tortures de ce monde, et en une heure ils achetaient la vie éternelle. Le feu même des bourreaux inhumains était froid pour eux, car ils avaient devant les yeux la pensée d'échapper au feu éternel qui ne s'éteint pas, et des yeux te leur coeur ils regardaient les biens réservés à la patience, biens que l'oreille n'a pas entendus, que l'oeil n'a pas vus, auxquels le coeur de l'homme n'a pas songé (1 Co 2, 9 ; cf. Is 64, 3), mais que le Seigneur leur a montrés, à eux qui n'étaient plus des hommes, mais déjà des anges. De même ceux qui avaient été condamnés aux bêtes enduraient te terribles supplices ; on les étendit sur des coquillages piquants, et on leur fit subir toutes sortes de tourments variés pour les amener à renier, si possible, par ce supplice prolongé.
Le diable machinait contre eux toutes sortes de supplices, mais grâce à Dieu, il ne put l'emporter contre aucun d'entre eux. Le généreux Germanicus fortifiait leur timidité par sa constance ; il fut admirable dans la lutte contre les bêtes ; le proconsul voulait le fléchir et lui disait d'avoir pitié de sa jeunesse ; mais il attira sur lui la bête en lui faisant violence, voulant être plus vite délivré de cette vie injuste et inique. 2. Alors toute la foule, étonnée devant le courage de la sainte et pieuse race des chrétiens, s'écria : " A bas les athées ; faites venir Polycarpe. " Mais l'un d'entre eux, nommé Quintus, un Phrygien récemment arrivé de Phrygie, fut pris de peur à la vue des bêtes. C'est lui qui avait entraîné quelques frères à se présenter spontanément avec lui devant le juge. Le proconsul, par ses prières instantes, réussit à le persuader de jurer et de sacrifier. C'est pourquoi, frères, nous ne louons pas ceux qui se présentent d'eux-mêmes, puisque ce n'est pas l'enseignement de l'Évangile. Quant à l'admirable Polycarpe, tout d'abord il ne se troubla pas à ces nouvelles, mais il voulait rester en ville ; mais la plupart cherchaient à le persuader de s'éloigner secrètement. Il se retira donc dans une petite propriété située non loin de la ville, avec un petit nombre ; nuit et jour il ne faisait que prier pour tous les hommes et pour les Églises du monte entier, comme c'était son habitude. Et étant en prière, il eut une vision, trois jours avant d'être arrêté : il vit son oreiller entièrement brûlé par le feu ; et se tournant vers ses compagnons il leur dit : " Je dois être brûlé vif. "
Comme on continuait à le chercher, il passa dans une autre propriété, et aussitôt arrivèrent ceux qui le cherchaient. Ne le trouvant pas, ils arrêtèrent deux petits esclaves, et l'un d'eux, mis à la torture, avoua. Il lui était donc impossible d'échapper, puisque ceux qui le livraient étaient dans sa maison ; et l'irénarque, qui avait reçu le même nom qu'Hérode, était pressé de le conduire au stade ; ainsi lui, il accomplirait sa destinée, en entrant en communion avec le Christ, tandis que ceux qui l'avaient livré recevraient le châtiment de Judas lui-même.
Prenant avec eux l'esclave,--c'était un vendredi vers l'heure tu souper--, les policiers et les cavaliers, armés comme à l'ordinaire, partirent comme pour courir " après un bandit " (cf. Mt 26, 55). Et tard, dans la soirée, survenant tous ensemble, ils le trouvèrent couché dans une petite chambre à l'étage supérieur. Il pouvait encore s'en aller dans une autre propriété, mais il ne le voulut pas et dit : " Que la volonté de Dieu soit faite. " Apprenant donc que les agents étaient là, il descendit et causa avec eux ; ils s'étonnaient de son âge et de son calme, et de toute la peine qu'on prenait pour arrêter un homme aussi âgé. Aussitôt, à l'heure qu'il était, il leur fit servir à manger et à boire autant qu'ils voulaient ; il leur demanda de lui donner une heure pour prier à son gré.Ils le lui accordèrent, et debout, il se mit à prier, rempli de la grâce de Dieu au point que deux heures durant il ne put s'arrêter de parler, et que ceux qui l'entendaient en étaient étonnés et que beaucoup se repentirent d'être venus arrêter un si saint vieillard.
Quant enfin, il cessa sa prière, dans laquelle il avait rappelé tous ceux qu'il avait jamais rencontrés, petits et grands, illustres ou obscurs, et toute l'Église catholique répandue par toute la terre, l'heure étant venue de partir, on le fit monter sur un âne, et on l'emmena vers la ville ; c'était jour de grand sabbat. L'irénarque Hérode et son père Nicétès vinrent au-devant de lui, et le firent monter dans leur voiture ; assis à côté de lui, ils essayaient de le persuader en disant : " Quel mal y a-t-il à dire : César est Seigneur, à sacrifier, et tout le reste, pour sauver sa vie ? " Lui, d'abord, ne répondit pas, et, comme ils insistaient, il dit : " Je ne ferai pas ce que vous me conseillez. " Alors, ne réussissant pas à le persuader, ils lui dirent toutes sortes d'injures, et il le firent descendre de la voiture si précipitamment qu'il se déchira le devant de la jambe. Sans se retourner, et comme si rien ne lui était arrivé, il marchait allègrement ; il allait vers le stade, et il y avait un tel tumulte dans le stade que personne ne pouvait s'y faire entendre.
Quand Polycarpe entra dans le stade, une voix du ciel se fit entendre : " Courage, Polycarpe, et sois un homme. " Personne ne vit celui qui parlait, mais la voix, ceux des nôtres qui étaient là l'entendirent. Enfin, on le fit entrer, et le tumulte fut grand quant le public apprit que Polycarpe était arrêté. Le proconsul se le fit amener et lui demanda si c'était lui Polycarpe. Il répondit que oui, et le proconsul cherchait à le faire renier en lui disant : " Respecte ton grand âge " et tout le reste qu'on a coutume de dire en pareil cas ; " Jure par la fortune de César, change d'avis, dis : A bas les athées. " Mais Polycarpe regarda d'un oeil sévère toute cette foule de païens impies dans le stade, et fit un geste de la main contre elle, puis soupirant et levant les yeux, il dit : " A bas les athées. "Le proconsul insistait et disait : " Jure, et je te laisse aller, maudis le Christ " ; Polycarpe répondit : " Il y a quatre-vingt six ans que je le sers, et il ne m'a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon roi qui m'a sauvé ? " Et comme il insistait encore et disait : " Jure par la fortune de César ", Polycarpe répondit : " Si tu t'imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, et si tu fais semblant de ne pas savoir qui je suis, écoute franchement : Je suis chrétien. Et si tu veux apprendre de moi la doctrine du christianisme, donne-moi un jour, et écoute-moi. " Le proconsul répondit : " Persuade cela au peuple. " Polycarpe reprit : " Avec toi, je veux bien discuter ; nous avons appris en effet à donner aux autorités et aux puissances établies par Dieu le respect convenable, si cela ne nous fait pas tort. Mais ceux-là, je ne les estime pas si dignes que je me défende devant eux. "
Le proconsul dit : " J'ai des bêtes, et je te livrerai à elles si tu ne changes pas d'avis. " Il dit : " Appelle-les, il est impossible pour nous de changer d'avis pour passer du mieux au pire, mais il est bon de changer pour passer du mal à la justice. " Le proconsul lui répondit : Je te ferai brûler par le feu puisque tu méprises les bêtes, si tu ne changes pas d'avis. " Polycarpe lui dit : " Tu me menaces d'un feu qui brûle un moment et peu de temps après s'éteint ; car tu ignores le feu du jugement à venir et du supplice éternel réservé aux impies. Mais pourquoi tarder ? Va, fais ce que tu veux. "
Voilà ce qu'il disait et beaucoup d'autres choses encore ; il était tout plein de force et de joie et son visage se remplissait de grâce. Non seulement il n'avait pas été abattu ni troublé par tout ce qu'on lui disait, mais c'était au contraire le proconsul qui était stupéfait ; il envoya son héraut au milieu du stade proclamer trois fois : " Polycarpe s'est déclaré chrétien. " A ces paroles du héraut, toute la foule des païens et des Juifs, établis à Smyrne, avec un déchaînement de colère, se mit à pousser de grands cris : " Voilà le docteur de l'Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos dieux ; c'est lui qui enseigne tant de gens à ne pas sacrifier et à ne pas adorer. " En disant cela, ils poussaient des cris et demandaient à l'asiarque Philippe de lâcher un lion sur Polycarpe. Celui-ci répondit qu'il n'en avait pas le droit, puisque les combats de bêtes étaient terminés. Alors il leur vint à l'esprit de crier tous ensemble : " Que Polycarpe soit brûlé vif ! " Il fallait que s'accomplît la vision qui lui avait été montrée : pendant sa prière, voyant son oreiller en feu, il avait dit d'un ton prophétique aux fidèles qui étaient avec lui : " Je dois être brûlé vif ".
Alors les choses allèrent très vite, en moins de temps qu'il n'en fallait pour les dire : sur-le-champ la foule alla ramasser dans les ateliers et dans les bains du bois et des fagots, les Juifs surtout y mettaient de l'ardeur, selon leur habitude. Quand le bûcher fut prêt, il déposa lui-même tous ses vêtements et détacha sa ceinture, puis il voulut se déchausser lui-même : il ne le faisait pas auparavant, parce que toujours les fidèles s'empressaient à qui le premier toucherait son corps : même avant son martyre, il était toujours entouré de respect à cause de la sainteté de sa vie. 3. Aussitôt donc, on plaça autour de lui les matériaux préparés pour le bûcher ; comme on allait l'y clouer, il dit : " Laissez-moi ainsi : celui qui me donne la force de supporter le feu, me donnera aussi, même sans la protection de vos clous, de rester immobile sur le bûcher. "
On ne le cloua donc pas, mais on l'attacha. Les mains derrière le dos et attaché, il paraissait comme un bélier de choix pris d'un grand troupeau pour le sacrifice, un holocauste agréable préparé pour Dieu. Levant les yeux au ciel, il dit : " Seigneur, Dieu tout-puissant, Père de ton enfant bien-aimé, Jésus-Christ, par qui nous avons reçu la connaissance de ton nom, Dieu des anges, des puissances, de toute la création, et de toute la race des justes qui vivent en ta présence, je te bénis pour m'avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, de prendre part au nombre de tes martyrs, au calice de ton Christ, pour la résurrection de la vie éternelle de l'âme et du corps, dans l'incorruptibilité de l'Esprit-Saint. Avec eux, puissé-je être admis aujourd'hui en ta présence comme un sacrifice gras et agréable, comme tu l'avais préparé et manifesté d'avance, comme tu l'as réalisé, Dieu sans mensonge et véritable. Et c'est pourquoi pour toutes choses je te loue, je te bénis, je te glorifie, par le grand prêtre éternel et céleste Jésus-Christ, ton enfant bien-aimé, par qui soit la gloire à toi avec lui et l'Esprit-Saint maintenant et dans les siècles à venir.
Quand il eut fait monter cet Amen et achevé sa prière, les hommes du feu allumèrent le feu. Une grande flamme brilla, et nous vîmes une merveille, nous à qui il fut donné de le voir, et qui avions été gardés pour annoncer aux autres ces événements. Le feu présenta la forme d'une voûte, comme la voile d'un vaisseau gonflée par le vent, qui entourait comme d'un rempart le corps du martyr ; il était au milieu, non comme une chair qui brûle, mais comme un pain qui cuit, ou comme de l'or ou de l'argent brillant dans la fournaise. Et nous sentions un parfum pareil à une bouffée d'encens ou à quelque autre précieux aromate. A la fin, voyant que le feu ne pouvait consumer son corps, les impies ordonnèrent au confector d'aller le percer de son poignard. Quand il le fit, jaillit une quantité de sang qui éteignit le feu, et toute la foule s'étonna de voir une telle différence entre les incroyants et les élus. Parmi ceux-ci fut l'admirable martyr de Polycarpe qui fut, en nos jours, un maître apostolique et prophétique, l'évêque de l'Église catholique de Smyrne ; toute parole qui est sortie de sa bouche s'est accomplie ou s'accomplira.
Mais l'envieux, le jaloux, le mauvais, l'adversaire de la race des justes, voyant la grandeur de son témoignage et sa vie irréprochable dès le début, le voyant couronné de la couronne d'immortalité, et emportant une récompense incontestée, essaya de nous empêcher d'enlever son corps, bien que beaucoup d'entre nous voulussent le faire pour posséder sa sainte chair. Il suggéra donc à Nicétès, le père d'Hérode, le frère d'Akè, d'aller trouver le magistrat pour qu'il ne nous livre pas le corps : " Pour qu'ils n'aillent pas, dit-il, abandonner le crucifié et se mettre à rendre un culte à celui-ci. " Il disait cela à la suggestion insistante des Juifs, qui nous avaient surveillés quand nous voulions retirer le corps du feu. Ils ignoraient que nous ne pourrons jamais ni abandonner le Christ qui a souffert pour le salut de tous ceux qui sont sauvés dans le monde, lui l'innocent pour les pécheurs,--ni rendre un culte à un autre. Car lui, nous l'adorons, parce qu'il est le fils de Dieu; quant aux martyrs, nous les aimons comme disciples et imitateurs du Seigneur, et c'est juste, à cause de leur dévotion incomparable envers leur roi et maître ; puissions-nous, nous aussi, être leurs compagnons et leurs condisciples.
Le centurion, voyant la querelle suscitée par les Juifs, exposa le corps au milieu et le fit brûler comme c'était l'usage. Ainsi, nous pûmes plus tard recueillir ses ossements plus précieux que des pierres de grand prix et plus précieux que l'or, pour les déposer en un lieu convenable. C'est là, autant que possible que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l'allégresse et la joie, pour célébrer l'anniversaire de son martyre, de sa naissance, en mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, et pour exercer et préparer ceux qui doivent combattre à l'avenir.
Telle fut l'histoire du bienheureux Polycarpe, qui fut, avec les frères de Philadelphie, le douzième à souffrir le martyre à Smyrne ; mais de lui seul on garde le souvenir plus que des autres, au point que partout les païens eux-mêmes parlent de lui. Il fut non seulement un docteur célèbre, mais aussi un martyr éminent, dont tous désirent imiter le martyre conforme à l'Évangile du Christ. Par sa patience, il a triomphé du magistrat inique, et ainsi il a remporté la couronne de l'immortalité ; avec les Apôtres et tous les justes, dans l'allégresse, il glorifie Dieu, le Père tout-puissant, et bénit notre Seigneur Jésus-Christ, le sauveur de nos âmes et le pilote de nos corps, le berger de l'Église universelle par toute la terre.
Vous aviez désiré être informés avec plus de détail sur ces événements ; pour l'instant, nous vous en avons donné un récit sommaire par notre frère Marcion. Quand vous aurez pris connaissance de cette lettre, transmettez-la aux frères qui sont plus loin pour qu'eux aussi glorifient le Seigneur qui fait son choix parmi ses serviteurs. 2. A celui qui, par sa grâce et par son don, peut nous introduire tous dans son royaume éternel par son fils unique Jésus-Christ, à lui la gloire, l'honneur, la puissance, la grandeur dans les siècles (cf. 1 Tm 6, 16 ; 1 P. 4, 11 ; Jude 25 ; Ap 1,16; 5,13 ; etc.). Saluez tous les saints (cf. Rm 16, 15; Hé 13, 24; etc.) Ceux qui sont avec nous vous saluent, et aussi Erariste qui a écrit cette lettre, avec toute sa famille.
Le bienheureux Polycarpe a rendu témoignage au début du mois de Xanthique, le deuxième jour, le septième jour avant les calendes de mars, un jour de grand sabbat, à la huitième heure. Il avait été arrêté par Hérode, sous le pontificat de Philippe de Tralles, et le proconsulat de Statius Quadratus, mais sous le règne éternel de notre Seigneur Jésus-Christ ; à lui soit la gloire, l'honneur, la grandeur, le trône éternel de génération en génération. Amen.
Appendice
Nous vous souhaitons bonne santé, frères, marchez selon l'Évangile, dans la parole de Jésus-Christ ; avec lui, gloire à Dieu le Père et au Saint-Esprit, pour le salut des saints élus. C'est ainsi que témoigna le bienheureux Polycarpe ; puissions-nous marcher sur ses traces, et être trouvés avec lui dans le royaume de Dieu. Gaïus a transcrit cette lettre sur le manuscrit d'Irénée, disciple de Polycarpe ; Gaïus a vécu avec Irénée. Et moi, Socrate, je l'ai copiée d'après la copie de Gaïus. La grâce soit avec tous. Et moi, à mon tour, Pionius, je l'ai copiée sur l'exemplaire ci-dessus ; je l'ai recherché, après que le bienheureux Polycarpe me l'eût montré dans une révélation, comme je le raconterai par la suite. J'ai rassemblé les fragments presque détruits par le temps ; que le Seigneur Jésus-Christ me rassemble aussi avec ses élus dans le royaume du ciel ; à lui la gloire avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.
Appendice du manuscrit de Moscou
Gaïus a copié ceci dans les écrits d'Irénée ; il avait vécu avec Irénée, qui fut disciple de saint Polycarpe. Cet Irénée, qui était à Rome à l'époque du martyre de l'évêque Polycarpe, instruisit beaucoup de personnes. On a de lui beaucoup d'écrits très beaux et très orthodoxes ; il y fait mention de Polycarpe, disant qu'il avait été son disciple ; il réfuta vigoureusement toutes les hérésies et nous transmet la règle ecclésiastique et catholique, telle qu'il l'avait reçue du saint. Il dit aussi ceci : Marcion, d'où viennent ceux qu'on appelle les marcionites, ayant un jour rencontré saint Polycarpe, lui dit : " Reconnais-nous, Polycarpe. " Mais lui dit à Marcion : " Je reconnais, je reconnais le premier-né de Satan. " On lit aussi ceci dans les écrits d'Irénée : Au jour et à l'heure où Polycarpe souffrit le martyre à Smyrne, Irénée se trouvant à Rome entendit une voix pareille à une trompette qui disait : Polycarpe a été martyrisé. Comme on l'a dit, c'est donc dans les écrits d'Irénée que Gaïus a copié ceci, et Isocrate à Corinthe l'a transcrit sur la copie de Gaïus. Et moi, Pionius, à mon tour je l'ai copié sur l'exemplaire d'Isocrate, que j'avais recherché d'après une révélation de saint Polycarpe. J'en ai rassemblé les fragments presque détruits par le temps. Que le Seigneur Jésus-Christ me rassemble aussi avec ses élus dans la gloire du ciel ; à lui la gloire avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.
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