Spiritualité Chrétienne

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Saint Edmond Campion (2e partie)

Saint Edmond Campion, 2e partie

 

Le secrétaire lut alors une lettre. D'après cette lettre, Sherwin, au coin du feu, dans un séminaire anglais, au delà de la mer, aurait dit que s'il était en Angleterre, il pourrait accomplir beaucoup de choses ; qu'il y avait dans la Cornouailles un Arundel capable de mettre sur pied une force considérable en un instant, et que si on envoyait une armée en Angleterre, le meilleur point de débarquement était le Mont-Saint-Michel.


Sherwin : « Je n'ai jamais parlé de tels sujets, Dieu m'en est témoin ; jamais même je n'ai eu le moins du monde de telles idées. »


On lut alors les opinions exprimés par Bosgrave. Il avait nié la suprématie, esquivé de donner une réponse nette au sujet de la bulle, et admis qu'il était venu en Angleterre pour y prêcher la religion catholique, tout en reconnaissant Sa Majesté pour sa reine et Sa souveraine dans l'ordre temporel. D'après son interrogatoire, il avait entendu dire au delà des mers que le pape, le roi d'Espagne et le duc de Florence devaient envoyer une grande armée en Angleterre pour enlever à la reine le pouvoir et la vie et pour rétablir la religion catholique.


L'avocat général : « Garder pour soi et ne pas découvrir une trahison rend un auditeur coupable de trahison. Par conséquent, pour avoir caché ce que vous avez entendu, pour ne pas en avoir informé Sa Majesté, le conseil ou le gouvernement de ce royaume, vous êtes devenu confident et complice de ce crime, par conséquent, de ce chef, vous êtes un traître.


Bosgrave : « Quoi ! je suis un traître pour avoir entendu parler ? »


Mais Campion, voyant que Bosgrave était tout décontenancé, le défendit en ces termes :


Campion : « Milord, Votre Honneur sait sur quels fondements légers et fragiles reposent les bruits et les nouvelles: La plupart du temps il y a plus de fausseté que d'apparence de vérité, aussi doit-on toujours craindre de s'en mêler, d'autant plus que celui qui les propage rencontre peu de crédit et recueille peu de remerciements pour sa peine. La cause en est la nature propre de la rumeur publique, qui est toujours incertaine et souvent mensongère. Tout le monde le sait par l'expérience  de chaque jour ; dans chaque ville, dans chaque village, même dans chaque boutique de barbier, dans toute l'Angleterre, on lance mainte nouvelle de choses qui n'ont pends été traitées ou décidées à la cour. S'il en est ainsi en Angleterre, pourquoi n'en serait-il pas de même en Italie, en Flandre, en France, en Espagne ? Bien que les contrées diffèrent, le caractère des hommes y est le même, désireux et avide de nouvelles. Le commun du peuple y rapporte et y débat beaucoup de choses que les chefs du pouvoir n'ont jamais eues en vue. Ne serait-ce pas une grande crédulité chez un homme séparé de l'Angleterre par tant de mers et de pays d'écouter des bruits en circulation dans la foule, et d'entreprendre un voyage ou d'envoyer un rapport pour informer le Conseil de la reine ou le gouvernement de choses qui n'ont jamais été résolues et encore moins exécutées ? Je crois que M. Bosgrave a montré plus de discernement en laissant de côté tous ces racontars qu'en prenant les moyens de les faire connaître. Mais admettons qu'il eût agi comme vous l'auriez voulu, et qu'il eût fait connaître ici ce qu'il avait entendu dire, qu'en serait-il résulté ? Assurément de plus grands risques de scandale pour ce royaume, et très peu de remerciements pour ses informations erronées. Par conséquent, pour agir avec sagesse et sécurité, il n'avait rien de mieux à faire que ce qu'il a fait.


Le procureur général : « II n'y a point de vêtement si grossier que Campion ne puisse teindre en couleur. Mais quoi ? De l'aveu même de Bosgrave n'est-il pas arrivé en Angleterre pour enseigner et persuader les gens ? Et que devait-il leur persuader, sinon de se tenir prêts pour ces guerres?


Campion : « Voilà des déductions faibles et sans fondement qui émeuvent mais ne pressent pas, qui affirment mais ne prouvent pas. D'ailleurs, vous ne devriez pas amplifier et amasser des mots dans un sujet qui touche à la vie d'un homme. »


Cottain, dans son interrogatoire, ne voulut jamais ni admettre la suprématie ni répondre nettement au sujet de l'autorité du pape.


L'avocat général : « Vous êtes arrivé en Angleterre à la même époque que les autres, ou à peu près. Ce devait être d'après un plan concerté entre vous pour l'accomplissement de ces projets qui étaient en train de s'ouvrir. Que pouvez-vous répondre à cela ?


Cottam : « Je n'avais ni l'intention ni la mission de venir en Angleterre, et je n'y serais point venu si Dieu ne m'y avait poussé. J'étais destiné aux Indes, et c'est là que je serais allé si ma santé l'avait permis ; mais sur ces entrefaites il plut à Dieu de me visiter par la maladie. Les médecins me conseillèrent d'aller chercher la santé en Angleterre, disant que nulle part ailleurs je ne pourrais me rétablir. Voilà le motif pour lequel je suis venu dans ce royaume ; il n'y en a point d'autre.


Campion : « Effectivement les médecins de Rome tiennent pour certain que si un Anglais tombe malade chez eux, le meilleur, le plus sûr moyen de le rétablir, c'est de le renvoyer en Angleterre respirer l'air natal qui convient mieux à sa constitution. »


Cottam : « Voilà la seule cause de ma venue : je n'avais aucun projet de persuader ou de dissuader, puisque mon prévôt m'avait destiné aux Indes. A mon arrivée, je ne me suis point caché ; j'ai agi comme il convient à un homme qui ne s'occupe de rien. Je restais la plus grande partie du temps à Southwark ; chaque jour je faisais une promenade à Saint-Paul ; je n'évitais aucun endroit de la ville, ce qui montrait mon innocence.


L'avocat général : « Vous n'avez jamais ni persuadé ni dissuadé ? N'a-t-on pas trouvé sous votre sac un livre qui n'avait pas d'autre objet ? Ce livre a pour auteur un nommé d'Espignata et est intitulé Traité de conscience. Il renferme certaines réponses relatives à la suprématie, les moyens. de se dérober habilement à toutes sortes de questions, une méthode développée indiquant la manière de se comporter dans toute espèce de compagnie, soit de protestants, soit de puritains, les discours à employer pour les convertir, les éloges à faire des protestants pour leur montrer qu'ils sont beaucoup plus près de la vérité que les puritains, les noms des puritains qu'il faut abaisser de préférence, les arguments à présenter aux protestants pour les persuader d'obéir au pape. Pour quel motif, dites-vous, portez-vous ce livre avec vous, sinon dans l'intention de vous y conformer ?


Cottam: « J'affirme devant Dieu que je ne connais rien de ce livre et que je ne sais comment il m'est venu. »


Alors Campion, le voyant réduit à cette nécessité extrême de nier la responsabilité d'un fait évident, répondit pour lui en ces termes :


Campion : « Il peut se présenter beaucoup de circonstances où un homme sans le savoir court un danger par le fait de transporter avec lui une chose dont il n'a pas connaissance. Parfois c'est la malice des autres qui l'a mise à son insu dans ses bagages ; parfois il l'a prise lui-même sans aucune attention, par négligence ou méprise. Dans les deux cas il y a erreur, mais non faute. Par conséquent on ne peut soutenir que M. Cottam a fait de propos délibéré une chose que nous voyons clairement avoir été faite à son insu. Mais, en supposant qu'il ait apporté ce livre avec lui sciemment, où y a-t-il en cela un acte de trahison ? Ce livre traite de la conscience ; il enseigne les bonnes moeurs ; il montre comment gagner à la foi les infidèles : matières toutes d'édification, spirituelles, propres à unir à Dieu ; où y a-t-il trahison ? Mais si ces raisons ne sont pas convaincantes, remarquons que tous les étudiants d'outre-mer ont la coutume, quand un auteur savant et estimé a composé un traité sur des points de conscience ou de morale, de le copier et de le porter avec eux non point en vue de factions ou de conspirations, mais pour leur propre instruction. »


Johnson refusa d'accepter la suprématie ou d'exprimer une opinion bien nette sur l'autorité du pape relativement à la bulle et à sa sentence d'excommunication. Elliot, un des témoins, fit contre Johnson la déposition suivante. Etant chez Lady Peter, il y aura deux ans à Noël, il fit connaissance avec un prêtre nommé Pain qui remplissait dans la maison la charge d'intendant. Peu à peu, à l'occasion des services qu'il lui rendait comme valet de chambre, ii entra dans sa familiarité. Ce prêtre se mit à le détourner de ses devoirs d'obéissance envers Sa Majesté et à lui persuader de se soumettre au pape. D'après lui, la reine n'avait plus longtemps à vivre, et après elle la religion catholique serait rétablie. Les catholiques d'outre-mer avaient imaginé le plan suivant pour arriver à ces résultats : cinquante d'entre eux, connus les uns des autres, devaient venir à la cour avec des déguisements, des poignards, des épées à deux tranchante. Lorsque la reine sortirait, ils devaient se précipiter sur elle, sur le lord-trésorier, le comte de Leicester, Sir Francis Walsingham et les principaux spppotts de l'hérésie. Après avoir tué la reine, ils devaient l'attacher par les cheveux à la queue d'un cheval peur être traînée au galop à la grande joie des catholiques et au désespoir des protestants. Pain offrait à Elliot de s'engager parmi ces conjurés, ajoutant que, s'il en trouvait l'occasion, il poignarderait la reine sans plus d'hésitation que s'il avait à tuer une bête à cornes. Pain, voyant ses invitations repoussées avec mépris, quitta la maison. A son arrivée, Johnson demanda au témoin ce que Pain était devenu; en apprenant de lui qu'il n'en savait rien, il lui dit : « Pain a passé la mer dans la crainte que ses secrets ne fussent dévoilés par vous : je vous en conjure, ne dites rien, autrement vous seriez en état de damnation. »


Johnnson : « Je n'ai jamais eu conversation de ce genre avec cet homme ; jamais je n'ai tenu de propos sur de tels sujets. »


On lira l'interrogatoire de Bristow qui reconnaissait Sa Majesté comme sa reine et sa souveraine légitime, quoi que-le pape eût fait ou pût faire.


L'avocat général : « Quelle était donc là cause de votre venue dans ce royaume ? Il semble, d'après votre arrivée-subite et votre voyage en compagnie des autres, que vous étiez leur confident et leur associé.


Bristow : « Ma mère est une pauvre veuve qui, en plus de moi, avait un autre fils. Celui-ci, tant qu'il vécut, resta près d'elle et fut son appui. Il plut à Dieu de le retirer à lui. Ma mère, profondément atteinte par ce coup, employa tous les moyens pour me faire revenir. Elle m'envoya lettres sur lettres avec une insistance telle que bon gré mal gré je dus revenir. Telle fut Dieu m'en est témoin, la seule cause de mon arrivée en Angleterre. »


Anthony Munday fit une déposition contre Bristow. Celui-ci aurait dit qu'il était habile dans les feux d'artifice ; que bientôt il fabriquerait une sorte de feu grégeois avec lequel il brûlerait Sa Majesté quand celle-ci irait en barque sur la Tamise. Le témoin ajouta sous la foi du serment qu'il avait entendu dire outre-mer que quiconque n'aurait pas le mot d'ordre : Jésus, Marie, serait massacré.


Bristow : « Je prends Dieu à témoin que je n'ai jamais entretenu pareilles pensées, que je n'ai point cette prétendue connaissance de feux d'artifice. Par conséquent cet homme affirme par serment le plus grand mensonge qu'on puisse imaginer. »


Kirby, dans son interrogatoire sur la suprématie et sur l'autorité du pape, n'avait pas d'autre opinion que celle de Campion. Sledd, un des témoins, déposa contre Kirby, qu'étant malade outre-mer, il vit venir un jour ce Kirby près de son lit. Celui-ci lui conseilla de faire attention à la conduite à tenir dans la condition actuelle de l'Angleterre, car il viendrait un jour terrible où le pape, le roi d'Espagne et le duc de Florence y feraient un changement considérable. Le témoin ajouta que Kirby avait assisté à un sermon du Dr Allen qui engagea les prêtres et les séminaristes à se rendre en Angleterre pour détacher les Anglais de leur obéissance à la reine et leur persuader de venir en aide au pape et à ses alliés. Il déposa en plus qu'étant outre-mer, il eut l'occasion de parler à un nommé Tedder, ami intime de Kirby. Il lui demanda s'il était parent de Sa Majesté, comme permettait de le supposer son nom de Tedder. Celui-ci répondit que s'il se savait parent de cette prostituée de Babylone, de cette Jézabel d'Angleterre, il aurait horreur de lui-même pendant toute sa vie. Il espérait qu'un jour il irait en Angleterre l'expédier hors de ce monde.


Kirby : « J'affirme sur mon salut qu'il n'y a pas un mot de vrai ni même de plausible dans ce qui a été dit à mon sujet. Jamais je n'ai fait la moindre mention de ce prétendu jour ; jamais je n'ai assisté à aucun sermon de ce genre ; j'ai gardé un coeur aussi fidèle à la reine que celui d'aucun Anglais ; jamais je n'ai entendu parler mal de Sa Majesté sans la défendre, et j'ai toujours fait son éloge. On n'ignore pas que j'ai sauvé de la potence un certain nombre de marins anglais seulement par considération pour Sa Majesté, par attachement à mon pays natal. Mais vous qui venez de déposer, dites-nous quand fut prêché ce sermon dont vous parlez ? A quel moment de la journée ? »


Le témoin répondit que le sermon avait été prêché après trois conférences philosophiques tenues le même jour. « Orton n'a pas voulu reconnaître la suprématie, ni se prononcer sur l'autorité du pape et la validité de l'ex-communication. » Anthony Munday déposa que, étant à Lyon, il eut un entretien avec Orton. Celui-ci lui aurait dit que Sa Majesté n'était point reine légitime d'Angleterre, et qu'il ne lui devait aucune obéissance. Il ajouta que ce même Orton demanda au Dr Allen de lui faire obtenir une pension du pape, ce à quoi le Dr Allen ne voulut point consentir, à moins qu'il ne devînt prêtre ou séminariste, chose qu'il refusa.


Orton : « Je nie absolument avoir eu le moindre entretien avec ce témoin, soit à Lyon, soit ailleurs. Assurément il s'est parjuré, comme il faut l'attendre d'un homme sans honnêteté et sans religion, indifférent aux deux. »


Tous les accusés affirmèrent la même chose, disant que c'était un athée, car outre-mer il allait en pèlerinage, communiait et faisait le catholique ; ici, il joue le rôle de protestant. C'est donc un homme indigne de porter témoignage et de prêter serment dans une cause' capitale. Munday répondit qu'il avait fait le catholique sur le continent pour surprendre et déjouer leurs complots. Les prisonniers récusèrent un autre témoin qui était; coupable de deux meurtres. Un des juges dit alors aux jurés qu'il s'agissait de savoir qui méritait le mieux d'être cru, ou des prisonniers défendant leur vie, ou des témoins venant déposer spontanément.


Le président : « Vous qui avez été cités ici, vous voyez ce dont vous êtes accusés. Si vous avez encore quelque chose à dire à votre décharge, parlez, et nous vous écouterons jusqu'à demain matin. Nous nous ferions de vifs reproches si nous vous donnions lieu de vous plaindre du tribunal. Voyez donc s'il reste quelque chose à dire pour votre défense et parlez : vous serez écoutés avec impartialité. »


Tous le remercièrent en protestant qu'ils avaient trouvé dans les juges de l'équité et de l'impartialité.

Alors Campion adressa aux jurés le discours suivant :


Campion : « Vous connaissez tous, j'en suis sûr, l'importance de la charge que vous remplissez aujourd'hui, et le compte que vous devrez en rendre au jour terrible du jugement, dont je voudrais que celui-ci fût une image. Je ne doute pas non plus que vous avez considéré combien l'innocent est cher à Dieu, et combien le sang de  l'homme a de valeur à ses yeux. Ici, nous sommes des accusés, exposés à une sentence de mort ; ici, vous avez un choix à faire : nous les rendre ou bien les perdre. Nous ne pouvons en appeler qu'à vos consciences ; nous n'avons à nous concilier ici que votre attention et votre discrétion. « Faites attention, je vous en supplie ; ne vous laissez point tromper par de vaines apparences ; que vos fondements soient solides, car l'édifice est considérable. Vous remplirez tous ces devoirs, je n'en doute pas, si vous considérez attentivement ce qui a été traité après l'avoir ramené à trois points distincts. Tout ce qui s'est dit aujourd'hui consiste premièrement en présomptions et probabilités, deuxièmement en questions de religion, troisièmement en serments et dépositions de témoins. Le peu de force probante qui résulte de suppositions ne peut emporter la condamnation d'un si grand nombre de personnes et ne suffit pas dans une cause capitale. Les constitutions du royaume exigent une certitude écrasante et ne veulent pas qu'un homme voie sa vie dépendre des hasards de simples apparences: Les raisons les plus fortes de nos accusateurs consistent en de simples présomptions sans fondement ; vous ne pouvez vous y appuyer, vous qui devez accepter seulement ce qui est évident. Laissez de côté les détails non probants ; mettez à part les présomptions ; n'acceptez pour vous guider que des raisons 'certaines. « Mais dans ce qui a été discuté mal à propos, il n'y a pas que les suppositions : on a employé aussi une grande partie de la journée à des points de doctrine et de religion tels que : excommunications, livres et pamphlets. Aujourd'hui même, en plus de nous, vous avez entendu aussi le pape, le roi d'Espagne, le duc de Florence, Allen, Sanders, Briston, Espigneta et beaucoup d'autres encore qui ont été mis en accusation. « La valeur des excommunications, l'autorité due à l'évêque de Rome, la manière dont il faut former la conscience des hommes, ne sont point des faits matériels sur lesquels un jury puisse se prononcer, mais des points qui sont encore discutés et non résolus dans les écoles. Comment, simples laïques, ignorants de ces matières, pourriez-vous donner une décision à ce sujet, si sages et si expérimentés que vous soyez par ailleurs ? Et quand même vos connaissances et vos talents théologiques vous permettraient de trancher ces questions, elles ne rentrent point dans nos actes d'accusation, et par conséquent le jury n'a point à s'en occuper. « Peut-être me demanderez-vous sur quoi portera votre examen si ces choses ne prouvent rien contre nous, car si on les met de côté, le reste n'est presque plus rien ? Pardonnez-moi, je vous en prie, car notre innocence est telle que si l'on retranchait tout ce qui a été allégué contre nous sans fondement et sans vérité il ne resterait, en effet, rien qui nous prouvât coupables. Mais je vous dirai qu'il reste des serments non pas à accepter comme des preuves réelles, mais à examiner, mais à considérer avec soin pour voir s'ils sont sincères et si leurs auteurs méritent crédit. Dans des causes ordinaires, nous voyons souvent des témoins récusés, et si leur crédit est faible d'une manière générale, il doit l'être encore plus quand , il s'agit de causes capitales. Rappelez-vous comment certains témoins ont parlé avec peu d'assurance, d'autres avec froideur, les autres sans vérité, surtout deux dont les dépositions ont été les plus longues. Que peut-il sortir de vrai de leur bouche ? L'un s'est avoué coupable d'un meurtre ; l'autre est un athée, un païen avéré, qui a causé déjà la mort de deux hommes. En conscience, pouvez-vous croire des gens qui ont trahi également Dieu et les hommes, qui n'ont rien laissé pour appuyer leurs serments, ni religion ni honneur ? Votre sagesse est trop grande, vos consciences trop droites pour les croire ; estimez-les ce qu'ils valent. Examinez les deux autres témoins : ni l'un ni l'autre n'ont affirmé d'une manière précise que quelqu'un d'entre nous ait rien fait de préjudiciable à ce royaume ou de dangereux pour ce gouvernement. Que Dieu vous accorde la grâce de peser nos causes avec justice, d'avoir du respect pour vos propres consciences. Je n'occuperai pas davantage l'attention du jury Je remets le reste à Dieu et vos décisions à votre discernement équitable.   Les plaidoiries avaient duré trois heures. — Le jury se retira pour délibérer. Alors il se passa un fait extraordinaire. Seul un des juges, Ayloff, était resté dans la salle. En retirant un de ses gants, il trouva sa main pleine de sang, ainsi que l'anneau lui servant de sceau ; cependant,il n'y avait pas trace de blessure. Il eut beau secouer la main et s'essuyer, le sang continua à couler devant plusieurs personnes. La plupart des assistants croyaient que les accusés, au moins Campion, seraient acquittés. Mais le procureur général Popham avait nettement fait connaître que la relue voulait une condamnation. Au bout d'une heure destinée à faire croire qu'il avait délibéré, le jury rentra et déclara tous les accusés « coupables ».


Alors Anderson s'exprima en ces termes : « Puisque ces prisonniers, après avoir accepté d'être jugés par Dieu et leur pays, sont reconnus par l'unanimité du jury coupables des conjurations et des trahisons dont ils ont été accusés, nous demandons à Vos Seigneuries d'accepter ce verdict, et de prononcer au nom de Sa Majesté la sentence qu'ils méritent comme traîtres.


Le président : « Campion, et vous autres prisonniers, qu avez-vous à objecter à une sentence capitale ?


Campion : « Ce n'était pas la mort que nous redoutions. Nous savions bien que nous ne sommes pas les maîtres de notre vie, et si nous avons à mourir, ce ne sera pas faute d'avoir répondu. La seule chose que nous ayons à dire maintenant, c'est que si notre religion constitue un fait de trahison, nous méritons d'être condamnés, mais par ailleurs nous sommes et nous avons été toujours fidèles entre tous les sujets de la reine. « En nous condamnant vous condamnez tous nos ancêtres, tous les anciens prêtres, évêques, rois, tout ce, qui fut jadis la gloire de l'Angleterre, l'île des Saints et  la plus dévouée des filles du siège de Pierre. Quel a été, en effet, l'objet de notre enseignement, de cet enseignement auquel vous appliquez si indignement le nom odieux de trahison, sinon ce qu'ils ont enseigné d'une manière uniforme ? Etre condamnés avec ces anciennes lumières non seulement de l'Angleterre, mais du monde entier, par leurs descendants dégénérés, c'est une joie, c'est une gloire pour nous. Dieu est éternel ; des hommes vivront après nous ; leur jugement n'est pas exposé à être corrompu comme celui des hommes qui vont nous condamner à mort. »


Campion, si remarquable pendant toute la journée par son calme, sa dignité, sa force d'argumentation se surpassa dans son dernier discours au point de remplir ses compagnons de courage et d'enthousiasme.


Le président : « Vous allez retourner aux prisons d'où vous êtes venus, et vous y resterez jusqu'à ce que l'on vous traîne sur des claies à travers les rues de Londres jusqu'au lieu d'exécution. Là, vous serez pendus et détachés du gibet encore vivants ; on vous coupera les parties naturelles ; on vous enlèvera les entrailles, pour les brûler sous vos yeux ; puis on vous coupera la tête et votre corps sera coupé en quatre parties dont il sera disposé selon le bon plaisir de Sa Majesté. Que Dieu fasse miséricorde à vos âmes ! »


Après la sentence, les prisonniers s'écrièrent avec enthousiasme qu'ils étaient les plus vrais et les plus fidèles sujets de la reine. Campion s'écria : Te Deum laudamus. Te Dominum confitemur. Sherwin entonna le chant : Hæc est dies quam fecit Dominus, exultemus et lætemur in ea. Les autres prisonniers exprimaient leur joie par quelque verset de la sainte Écriture. Toute l'assemblée était émue et pleine d'admiration. Enfin Campion fut embarqué et ramené à la Tour ; les autres furent renvoyés en prison et mis aux fers, en attendant la miséricorde de Dieu et le bon plaisir de la reine.

Le lendemain on condamna de la même manière les autre prêtres : Collington, Richardson, Hart, Ford, Filby, Bryant et Shert. Un spectateur réussit après la sentence à établir que Collington n'était pas à Reims le jour du prétendu complot et à lui sauver ainsi la vie. Une tentative semblable en faveur de Ford valut seulement la prison à son auteur. Lorsque Campion eut été ramené à la Tour, il y fut mis aux fers et traité avec beaucoup de rigueur. Il supporta tout avec une grande patience. Sa soeur vint inutilement au nom des protestants lui offrir la vie et la liberté avec un bénéfice de 100 livres par an s'il voulait assister aux offices de la nouvelle religion. « Judas » Elliot lui exprima son regret d'avoir déposé contre lui, affirmant que s'il en avait prévu les conséquences, il ne l'aurait jamais fait. Campion le reçut avec bonté et lui proposa de se retirer en Allemagne, sous la protection d'un duc catholique. Le gardien de la prison, Delahays, qui avait admiré la sainteté de Campion, fut tellement touché par ce fait qu'il devint catholique dans la suite.


Cependant on s'agitait de divers côtés pour empêcher la sentence d'être mise à exécution. Des hommes éminents faisaient ressortir la honte dont l'Angleterre se couvrirait devant toute l'Europe ; on comptait aussi sur l'intervention du duc d'Anjou, qui était alors l'hôte de la reine, et ne tarderait pas, disait-on, à l'épouser. La reine elle-même semblait disposée à épargner la vie des condamnés.

Mais Lord Bughley et l'avocat général firent prévaloir dans le grand Conseil l'avis de ceux qui étaient pour l'exécution. Le duc d'Anjou, tout entier à ses plaisirs, montra une indifférence coupable à l'égard des condamnés. Il fut d'abord décidé que Campion serait exécuté le samedi 25 novembre et que Sherwin et Bryant, représentant l'un le séminaire de Reims,l'autre le Collège romain, partageraient son sort. Puis la sentence fut remise au mercredi suivant, qui coïncidait avec la vigile de Saint-André. Cette nouvelle remplit de joie les trois martyrs, qui s'encourageaient mutuellement en s'adressant les paroles de l'apôtre : O bona Crux ! A cette nouvelle, Conseil changea encore le jour de l'exécution,qui fut fixé irrévocablement au vendredi 1er décembre.


Par une matinée pluvieuse de décembre, on fit sortir de sa cellule Campion, revêtu du costume qu'il portait à son procès, et on le conduisit à la tour de Elcharbour, où l'attendaient Sherwin et Bryant. Le lieutenant de la tour, Hopton, désireux de rendre Campion aussi ridicule que possible, fit chercher le pourpoint couleur chamois qui lui avait valu des moqueries au procès et qu'on avait jeté de côté. Après qu'on eut perdu beaucoup de temps en recherches inutiles, Hopton se décida à faire partir les condamnés. Au sortir de la tour, on se trouva en présence d'une foule considérable. Sans se laisser déconcerter le moins du monde, Campion promena autour de lui un regard joyeux et salua en disant : « Que Dieu vous sauve tous, Messieurs ! Que Dieu vous bénisse et vous rende tous bons catholiques. » Puis il s'agenouilla, et, le visage tourné vers l'Orient, fit une prière qu'il termina par ces mots: In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Il y avait là deux claies attachées chacune aux queues de deux chevaux. On étendit et on attacha Campion sur l'une, Sherwin et Bryant sur l'autre.


Les claies se mirent alors en mouvement au milieu des mares d'eau, de la terre et des immondices, suivies d'une cohue de ministres et de fanatiques qui insultaient et maudissaient les condamnés. Parfois des catholiques parvenaient à s'approcher dé Campion pour obtenir de lui quelques mots d'encouragement. L'un d'eux même, comme Véronique sur la Voie douloureuse, lui essuya le visage tout couvert d'éclaboussures de boue et de fange. Le cortège continuant à suivre la route ordinaire, par Cheapside et Holborn, on arriva à l'arche de Newgate. Dans une niche au-dessus de la porte se trouvait une statue de la sainte Vierge qui avait échappé au marteau et à la hache des iconoclastes. Lorsque Campion passa sous l'arche, il se souleva un peu avec beaucoup de peine sur sa claie et salua la Reine des cieux qu'il espérait voir bientôt. Son visage était souriant comme celui de ses deux compagnons. Quand ils arrivèrent près de Tyburn, ils avaient réellement le rire sur les lèvres ; aussi du milieu de la foule on entendit crier : « Mais ils rient ! Ils ne s'inquiètent pas de mourir ! » Il y avait foule à Tower-Hill ; il y avait foule dans toutes les rues ; mais à Tyburn, le lieu habituel des exécutions, la foule dépassait tout ce que l'on peut imaginer. On était venu pendant toute la matinée, malgré la pluie et le vent. Lorsque les claies arrivèrent au sommet de la colline, les nuages s'écartèrent de manière à laisser le soleil briller dans tout son éclat. Quelques gentils-hommes catholiques avaient réussi à se placer tout près des potences pour noter toutes les circonstances du martyre des trois confesseurs de la foi.


Avec beaucoup de peine on réussit à faire passer Campion à travers les rangs d'une foule pressée, et on le fit monter sur une charrette qui était sous une potence puis on lui dit de se passer une corde autour du cou, ce qu'il fit avec une grande soumission. Il attendit pendant quelques instants que les rumeurs de la foule se fussent un peu calmées, puis d'une voix douce et forte, avec une expression pleine de gravité, il s'exprima ainsi : «Spectaculum facti sumus Deo, angelis et hominibus. Ces paroles de saint Paul : « Nous avons été donnés en spectacle à Dieu, aux anges et aux hommes, » trouvent aujourd'hui leur application en moi, qui suis donné ici en spectacle à Dieu, aux anges et à vous, mortels qui m'écoutez. » A ce moment Sir Francis Knowles et les shériffs l'interrompirent en le pressant vivement de confesser sa trahison envers la reine et de se reconnaître coupable. Il leur répondit: « Quant aux trahisons dont j'ai été accusé et pour lesquelles je vais souffrir, je vous certifie et vous prends à témoin que j'en suis complètement innocent. » Un membre du Conseil lui répliqua qu'il n'était pas en droit de nier des faits qui avaient été prouvés d'une manière évidente.


« Bien, Milord, répondit Campion, je suis catholique et prêtre. La foi dans laquelle j'ai vécu est celle dans laquelle je veux mourir. Si ma religion constitue à vos yeux une trahison, alors je suis coupable. Mais quant à d'autres trahisons, je l'atteste devant Dieu mon juge, je n'en ai jamais commis. Vous avez obtenu ce que vous vouliez. Ayez maintenant, je vous prie, un peu de patience et laissez-moi dire un mot ou deux pour soulager ma conscience. »


Mais on voulut qu'il ce bornât à parler du point en question. Alors il protesta qu'il était innocent de tout crime de conspiration ou de trahison, demandant instamment que l'on crût à la sincérité d'une dernière réponse faite au moment de mourir. Le jury pouvait facilement s'être trompé... il pardonnait tout, de même qu'il demandait à être pardonné ; il désirait obtenir son pardon de tous ceux dont il avait donné les noms pendant qu'il était soumis à la torture. (Il avait, en effet, consenti à donner les noms de personnes chez qui il avait reçu l'hospitalité, sur l'assurance formelle qu'il ne leur serait fait aucun mal. Alors un maître d'école nommé Hearne se leva, et d'une voix forte lut une nouvelle proclamation publiée pour couvrir l'injustice de la sentence et déclarer au nom de la reine que les condamnés allaient être exécutés non pas pour cause de religion, mais pour cause de trahison. Cette pratique inusitée ne servit qu'à exciter des doutes parmi les spectateurs.


Pendant ce temps-là Campion priait avec ferveur. Les membres du Conseil, voyant le mauvais effet de la proclamation et désireux de changer le caractère de l'exécution, le pressèrent de déclarer son opinion relativement à la bulle de Pie V et à l'excommunication de la reine. Campion garda le silence. On lui demanda alors s'il renonçait au pape. Il répondit qu'il était catholique. Alors un des conseillers lui répliqua : « Votre catholicisme implique toute espèce de trahison. » Enfin quand il s'apprêtait à consommer son sacrifice, un ministre l'interrompit dans ses prières en le pressant de dire avec lui : « Christ, ayez pitié de moi ! a. ou quelque prière semblable. Campion le regarda avec douceur et lui dit humblement : « Vous et moi, nous ne sommes pas de la même religion ; je n'exclus personne de mes prières, mais je désire que ceux-là seuls qui partagent ma foi prient avec moi et récitent un même credo pendant mon agonie. »


Comme il continuait ses prières, quelqu'un lui cria de prier en anglais. Il répondit spirituellement qu'il allait prier Dieu dans une langue que tous les deux entendaient bien. On l'interrompit de nouveau pour lui dire de demander pardon à la reine de prier à son intention. « En quoi l'ai-je offensée ? répondit-il avec douceur. Je suis innocent de toute faute à son égard ; ce sont mes dernières paroles ; vous pouvez y ajouter foi. J'ai déjà prié pour elle et je continue à le faire. » Pendant qu'il parlait ainsi, on écarta la charrette, et il resta pendu au gibet. Au bout de quelques instants le bourreau s'apprêtait à couper la corde, mais on lui ordonna d'attendre que le martyr fût bien mort. — Lorsque le corps eut été couché par terre, on le dépouilla de ses vêtements et la boucherie commença. Près du billot sur lequel on découpait Campion se trouvait un jeune homme protestant nommé Henry Walpole, qui était venu en simple spectateur. Lorsque le bourreau jetait des membres du martyr dans le chaudron d'eau bouillante, il fut, éclaboussé par quelques gouttes du liquide ensanglanté, et dès ce moment, comme il le raconta plus tard à un jésuite, le Père Ignace Basselier, il sentit qu'il devait se faire catholique. En effet il se convertit, entra dans la Compagnie, et fut lui-même martyrisé en Angleterre.


Pendant que l'on mettait ainsi Campion en pièces, les catholiques qui se trouvaient tout près s'ingéniaient à dérober quelque chose qui pût servir de reliques, mais on avait pris les plus grandes précautions pour l'empêcher. Un,jeune homme, ayant trempé son mouchoir dans une mare de sang, fut arrêté et passa en jugement. Dans le tumulte qui s'ensuivit quelqu'un réussit à couper un doigt de Campion et à l'emporter ; on s'en aperçut bientôt, mais on ne put retrouver le voleur. — Un catholique offrit vingt livres pour une simple phalange de doigt ; un autre, de fortes sommes pour les habits : le bourreau refusa, bien qu'à regret, tellement il avait peur. Lorsqu'il en eut fini avec Campion, le bourreau, dont les mains et les bras nus étaient couverts de sang, saisit la victime suivante en lui disant : « Allons, Sherwin, c'est votre tour de recevoir votre salaire. » Sans s'émouvoir, le martyr baisa avec respect le sang sur les mains du bourreau, et monta sur la charrette où il resta quelque temps en prières, les yeux fermés et les mains levées vers le ciel. Puis il demanda si on attendait de lui un discours. Beaucoup de spectateurs, parmi lesquels il s'en trouvait des plus honorables, répondirent : « Oui » Alors d'une voix forte et assurée il commença par rendre grâces à chacune des trois Personnes de la sainte Trinité pour les miséricordes et les bénédictions dont il avait été l'objet. Il allait rendre compte de sa foi quand Sir Francis Knowles le pressa de confesser sa trahison. Il répondit : « Je suis innocent d'untel crime, » A de nouvelles instances il répliqua : « Lorsque mon âme est en jeu, ce n'est pas le moment de mentir. Dans quelques instants je subirai le supplice infâme réservé aux traîtres. Cependant je ne doute nullement que j'obtiendrai le bonheur du ciel grâce à Jésus-Christ, dans la mort, dans la passion et dans le sang de qui je mets toute ma confiance. »


A ces mots les ministres présents lui dirent qu'il était protestant. Mais Sherwin, sans faire attention à eux, continua ses prières, reconnaissant l'imperfection, la misère, les mauvaises inclinations de sa propre nature, et se proclamant innocent de toute trahison. Sir Francis Knowles. l'ayant interrompu de nouveau, il lui dit : « Bien ! bien ! vous et moi nous aurons à reprendre ces débats devant un autre juge. On reconnaîtra alors mon innocence. » Sir Francis ajouta : « Nous savons que vous n'avez pas ourdi de complots personnellement, car vous n'êtes pas un homme d'armes ; mais vous êtes un traître par voie de conséquence. » Sherwin répliqua " alors avec assurance : « S'il suffit d'être catholique, parfait catholique, pour être un traître, alors j'en suis un. » Comme on l'empêchait de faire un plus long discours, il se contenta d'ajouter : « Je pardonne à tous ceux qui par des erreurs de fait ou des présomptions générales ont causé ma mort. » Il voulait continuer à prier, mais on lui demanda son opinion sur la bulle. Il ne fit aucune réponse. Invité à prier pour la reine, il dit qu'il le faisait. « Pour quelle reine ? » reprit Lord Charles Howard. Assurément, répondit Sherwin avec un sourire, c'est pour la reine Elisabeth ! Je prie Dieu de faire d'elle sa servante en ce monde, et la cohéritière de Jésus-Christ dans l'autre monde. » Quelqu'un fit alors observer que c'était désirer la faire papiste. « A Dieu ne plaise qu'il en soit autrement ! » répondit le martyr. Puis après quelques instants de recueillement, il mit sa tête dans le noeud coulant de la corde, en répétant l'oraison jaculatoire : «Jésus, Jésus Jésus, soyez pour moi un Jésus ! » La multitude se mit alors à crier « Bon Monsieur Sherwin, puisse le Seigneur recevoir votre âme ! » et elle continua de crier ainsi alors que la charrette avait déjà été retirée et que le martyr avait rendu depuis quelque temps le dernier soupir.

Après que son corps eut été dépecé comme celui de Campion, ce fut le tour de Bryant. Il parla peu, se bornant à faire une courte profession de foi, et à protester qu'il était innocent de toute offense envers la reine non seulement en actions, mais encore en pensées. — Mais avec son visage innocent et angélique — c'était, en effet, un beau jeune homme de vingt-huit ans au plus, — il émut grandement ses auditeurs, surtout en exprimant sa joie immense d'avoir été choisi par Dieu comme digne de mourir pour la foi catholique en compagnie du Père Lampion qu'il vénérait de tout son coeur. Et, en effet, ce fut son intimité avec les Pères et son refus, au milieu des supplices les plus raffinés, de rien révéler à leur sujet qui furent la cause unique de sa mort.


Le 4 décembre 1581, c'est-à-dire presque au lendemain même du martyre des trois confesseurs de la foi, Pedro Serrano, secrétaire de l'ambassadeur d'Espagne à la cour d'Elisabeth, envoyait à Dona Anna de Mendoza, soeur de son maître, une relation du procès et de l'exécution de Campion et de ses deux compagnons. Cette relation, conservée au British Museum, ne renferme aucun détail que nous n'ayons donné, mais elle se termine par un post-strip tum très intéressant, écrit de la main même de l'ambassadeur, qui, grâce à un déguisement, avait vu les martyrs passer devant lui, et avait admiré leur constance : « Je ne puis, écrit-il à sa soeur, laisser partir cette relation sans vous demander de la faire copier et de l'envoyer en mon nom aux Pères jésuites pour qu'ils la répandent dans toutes leurs maisons. Tous les catholiques ici présents, et moi en particulier, nous pouvons certifier que, vu la manière dont il a souffert, Campion est un des plus grands martyrs qui aient illustré l'Église et que l'ordre des jésuites peut bien le vénérer comme tel... » Ces paroles de Don Bernardino se sont trouvées glorieusement vérifiées par le décret de béatification promulgué par le pape Léon Xlll.

 



18/02/2009
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