Le Serviteur de Dieu Francisco Da Cruz
Le Serviteur de Dieu Francisco Da Cruz
le Saint Ami des petit bergers de Fatima
1859-1948
Lucie avait 6 ans. Comme elle savait son catéchisme à la perfection, grâce aux répétitions de sa mère Maria-Rosa, on espérait au foyer des dos Santos que l'enfant serait admise sans attendre à faire sa première communion. On l'envoya donc suivre les dernières leçons de catéchisme. Monsieur le Curé eut vite fait d'apprécier les connaissances de Lucie. Vint le jour de l'examen. Quand les autres enfants, beaucoup plus âgés, hésitaient ou ne savaient que répondre, le prêtre se tournait vers la fillette et la réponse fusait. Lucie sortit radieuse de l'église, convaincue qu'elle serait en tête sur la liste des communiants. Hélas ! Lorsque Monsieur le Curé proclama les noms, la pauvrette n'entendit pas le sien. « Tu es vraiment trop jeune, ma petite, lui dit-il. Il faudra attendre tes sept ans. » Lucie éclate en sanglots. Entre alors à l'église un saint prêtre que tout le Portugal vénère. Il vient à Fàtima précisément pour y prêcher la Première Communion. Il s'émeut à la vue des larmes de Lucie et demande au Curé de prendre l'enfant à la Sacristie pour l'interroger à son tour. « Monsieur le Curé, dit-il ensuite, admettez cette enfant. Elle comprend ce qu'elle va faire autant et mieux que beaucoup de ceux-ci. J'en prends la responsabilité. » « Très bien », répond le Curé... Et se tournant vers Lucie : « cours vite dire à ta maman que tu es admise ». Vint la confession. « Je veux me confesser au saint Missionnaire », dit-elle. Ce fut vite fait. La liste des peccadilles n'était pas longue et l'exhortation du Père Cruz ne dura guère plus de temps. Sur le chemin du retour, Maria-Rosa, l'excellente maman, voulut savoir ce que le confesseur avait dit à sa fille. Mais l'enfant savait se taire. La mère se heurta à un mutisme complet. Beaucoup plus tard, Lucie, devenue religieuse, consignera par écrit ce qui s'était passé. Après l'accusation de ses fautes, elle écouta attentivement : « Mon enfant, lui dit son confesseur, votre âme est le temple de l'Esprit-Saint. Gardez-la toujours bien pure, afin que le Seigneur puisse continuer à agir en elle. » Lucie imagina, à sa manière enfantine, cette habitation de Dieu dans son cœur, et se sentit pénétrée de respect pour cette divine présence. « Que dois-je donc faire ? » demanda-t-elle. « Allez vous agenouiller aux pieds de la Très Sainte Vierge et demandez-lui avec une grande confiance qu'elle se charge de votre cœur, qu'elle le prépare Elle-même à recevoir dignement son divin Fils, et qu'elle le garde pour Lui seul. » II y avait dans l'église plusieurs statues de la Vierge. Lucie alla s'agenouiller devant celle de Notre-Dame du Rosaire, à l'autel latéral que ses sœurs avaient l'habitude d'orner, puis, avec toute la ferveur dont elle était capable, elle supplia Marie de garder son cœur pour Dieu seul. Les yeux fixés sur la statue, elle répéta sa demande à plusieurs reprises. Il lui sembla tout à coup que la Vierge lui souriait et que dans un geste de la plus exquise bonté Elle lui répondait que oui !. Alors la joie inonda son âme, au point qu'elle pouvait à peine articuler une parole.
Au matin du grand jour, Lucie, conduite par sa sœur aînée, vint demander pardon à ses parents et reçut leur bénédiction. La maman, un peu émue, mais toujours avisée, fit ses dernières recommandations, énumérant les grâces que la fillette devait solliciter lorsque Jésus serait présent dans son cœur : « Surtout, ma petite, demande à Notre-Seigneur qu'il fasse de toi une sainte. » « Ces paroles, rapporte Lucie, se gravèrent dans mon âme de manière indélébile, en sorte que ce furent les premières que je dis à Jésus après l'avoir reçu. » Parvenue à l'église, l'enfant court à la statue de Notre-Dame et renouvelle sa demande, récompensée comme la veille par un beau sourire. Au moment de la communion, lorsque l'hostie eut été déposée sur ses lèvres, Lucie se sentit pénétrée d'une paix profonde, imprégnée d'une atmosphère surnaturelle, si bien que la présence de Dieu lui devint aussi sensible que si elle l'avait vu ou entendu. Elle lui adressa alors sa prière : « Seigneur, faites de moi une sainte. Gardez mon cœur toujours pur, gardez-le pour vous seul ! » A ce moment, il sembla à l'enfant que Notre-Seigneur lui disait au fond du cœur ces paroles distinctes : « La grâce qui t'est faite aujourd'hui demeurera toujours vive dans ton âme, produisant des fruits de vie éternelle. »
Qui donc était ce Père da Cruz, que tout le Portugal vénérait ?
Un prêtre, auréolé de son vivant d'un tel renom de sainteté, que son historien affirme : « Si les béatifications se faisaient encore comme jadis par la voix du peuple, le Père Cruz serait déjà honoré dans la plupart des églises du Portugal. »
Da Cruz, un miracle de la grâce...
Jeune étudiant à Coïmbre, il ne se confessait et ne communiait qu'une fois l'an. C'est pourtant lui que Dieu se choisit pour en faire un chaste entre les chastes, le promoteur de la confession et de la communion fréquentes, l'apôtre des prisons et des hôpitaux, un prêtre totalement désintéressé et livré aux âmes. Par-dessus tout l'homme de la prière, l'apôtre du Rosaire aussi, qu'il récite sans cesse, que sans cesse il propage dans ses prédications.
Beau jeune homme, avenant et distingué.
Le Saint Curé d'Ars, à bout de forces, s'alitait pour ne plus se relever : 29 juillet 1859. Ce même jour, au Portugal, à Alcochete, bourg situé près de Lisbonne, naissait Francisco da Cruz. Comme on craignait pour la vie de l'enfant, il fut ondoyé à la maison par le desservant de la paroisse. C'est seulement le 25 février 1860 qu'il fut baptisé à l'église. Il avait pour parents Manuel da Cruz et Catarina Oliveira da Cruz, gens de condition modeste, commerçants en bois, estimés de tous. Francisco fut le cinquième d'une famille de six enfants, deux filles et quatre garçons. A 9 ans, Francisco fut envoyé à Lisbonne, pour ses études, dans des établissements, dira-t-il plus tard, où il ne reçut aucune formation religieuse. Néanmoins, dès son enfance, notre collégien pensa à la carrière sacerdotale. Il ne devait guère s'en cacher puisque, déjà, on l'appelait : « Padre Francisco ». A peine âgé de 16 ans, il se fait inscrire à Coïmbre parmi les étudiants en Théologie. Là, Francisco trouva tout naturel, non pas d'entrer au Séminaire, mais de vivre « en république », comme on disait alors dans le milieu étudiant. On s'organisait par groupes indépendants, dans des maisons particulières. Le nouveau venu, il faut le reconnaître, choisit fort prudemment ses compagnons, qui tous devinrent prêtres. A moins de 21 ans, Francisco était licencié en théologie.
On a conservé la photographie du jeune licencié. Elle nous montre un jeune homme élancé, d'aspect énergique, aux traits remarquablement fins et distingués. C'est en le considérant qu'on réalise l'émoi de la population d'Alcochete, lorsqu'elle vit le père du jeune homme n'opposer aucune résistance au désir de ce beau garçon de se destiner au sacerdoce. D'autant que Coïmbre avait la réputation d'une Cité estudiantine fort licencieuse. « Surtout, n'envoyez pas votre fils à Coïmbre. Je connais le milieu, il s'y perdrait », disait un prêtre de Lisbonne au père de Francisco. Plus tard, à l'occasion de ses voyages, il arrivera souvent au Père Cruz, au moment où le train traversant le Mondego permet un coup d'œil rapide sur la pittoresque cité, de dire à ses compagnons de voyage : « Pour moi je dois beaucoup à la ville de Coïmbre où d'autres se perdent ». Mais pour garder Francisco et l'orienter vers la sainteté, Dieu utilisera l'amitié d'un étudiant éminemment surnaturel et la Congrégation de la Sainte Vierge qui se recrutait parmi les étudiants. « C'est là, répétera souvent le Père Cruz, que s'est opérée ma formation religieuse. » La Congrégation de la Très Sainte Vierge que dirigeaient les Pères Jésuites, lui tint lieu de Séminaire. Avant sa réception, il fit d'abord une confession générale : Noël 1879. Cette confession générale s'avéra décisive. Elle fut accompagnée d'un ferme propos si intense, soutenu d'une telle grâce, que jamais plus par la suite il n'y eut une seule rechute dans le péché mortel. Congréganiste, Francisco devint fidèle à la communion fréquente et à la confession hebdomadaire, alors que, durant les premières années de ses études théologiques, il ne s'approchait qu'une fois l'an des Sacrements. Son entrée dans la Congrégation Mariale effectua une coupure dans sa vie ; elle fit de lui, à la lettre, une « créature nouvelle ».
Francisco, il est vrai, était doué d'une nature exceptionnelle ; quand il avait aperçu nettement le bien, il s'y portait de suite et de toute son âme. Da Cruz fut une réussite de la Congrégation Mariale de Coïmbre. Elle le forma, le modela pour toujours selon ses statuts qui « portent à l'action et au zèle comme à la piété ». Francisco sera, selon la belle expression de Pie XII, comme « les mains visibles de la Vierge » (allocution aux Congrégations mariales, 21 janvier 1945, n°389). Toute sa vie il s'activera, avec un zèle inlassable et une exquise charité, à ramener les brebis égarées, à accueillir les humbles et les affligés, à visiter les détenus des prisons et les malades des hôpitaux ; il sera conquérant par sa chasteté rayonnante, par sa manière de prêcher la pureté et l'humilité, par sa constance à défendre les lois et l'autorité de la Sainte Église ; il le sera par l'intensité de sa vie intérieure, attirant à lui, de tout le Portugal, les prêtres désireux de perfection. Il apparaîtra comme l'un de ces ardents apôtres de la Vierge annoncés par saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Et quand Notre-Dame, quatre ans avant de se montrer à Fàtima, voudra préparer à sa mission la petite Lucie, sa future confidente, elle arrangera tout pour que le bon Père Cruz vienne, comme par hasard, prêcher la retraite de Première Communion, entendre sa confession et donner à l'enfant une direction spirituelle toute simple et merveilleusement adaptée.
Francisco da Cruz fut ordonné prêtre le 3 juin 1882. D'abord professeur de philosophie, dès 1880, au Séminaire de Santarem, avant et après son sacerdoce ; puis Directeur d'orphelinat à Braga en 1886 (jusqu'en 1894) où, chaque matin, il faisait une courte allocution aux enfants sur le saint du jour et confessait à la chapelle tous ceux qui le désiraient. En 1895, il reçoit la charge de directeur spirituel au Petit Séminaire de Lisbonne ; puis en 1896, visiteur de la Grande Prison Centrale Limoeiro de Lisbonne. De 1905 à sa mort en 1948, c'est le don total dans la vie de missionnaire, avec un succès qui tient parfois du miracle, et une foule d'épisodes pittoresques dignes de la Légende Dorée.
Vers 1925, le cardinal Mendes Belo, devait le choisir comme confesseur ; puis il manifesta son intention de le nommer chanoine titulaire de sa cathédrale. Voici la réponse ; on croirait lire saint Ignace : « J'ai été ému jusqu'au fond de l'âme par le geste de Votre Eminence envers mon obscure personne, touché et attendri par la manifestation de charité du très respectable Chapitre, et tiens tout d'abord à remercier Votre Eminence pour un honneur si peu mérité... Qu'Elle veuille bien néanmoins me permettre quelques observations, non pour me soustraire à l'obéissance et aux devoirs qui m'incombent... mais pour soulager ma conscience. Depuis bien des années, je me sens attiré, peut-être par vocation spéciale de Dieu notre Seigneur, à aider spirituellement les détenus des prisons, les malades des hôpitaux, les pauvres, les abandonnés, les pécheurs et les affligés que Nôtre-Seigneur dirige vers moi ou met sur mon chemin. J'éprouve aussi beaucoup de consolation à aider MM. les Curés dans les exercices de piété et les travaux du saint ministère... Ce que j'ai été, par la grâce de Dieu, j'aimerais continuer à l'être, car il me semble que c'est là ce qui rend le plus de gloire à Dieu notre Seigneur. Je n'entends nullement me récuser pour ce qui est des charges qui incombent à un chanoine de la cathédrale, car je sais parfaitement que toutes les institutions de notre Mère la Sainte Église sont bonnes, que toutes sont saintes, que toutes visent uniquement l'honneur de Dieu et le bien du prochain. Personnellement, j'ai beaucoup de goût à m'acquitter de l'Office au chœur, puisque c'est faire sur la terre ce que les Anges font dans le ciel : chanter les louanges de Dieu avec les paroles de Dieu. Je me remets d'ailleurs entre les mains de Votre Eminence, pour faire ce qu'Elle m'ordonnera, etc... »
Un saint parmi les voleurs
C'est en toute pureté d'intention que le Père Cruz allait visiter les détenus si bien qu'un jour, raconte le Docteur Carneiro, j'eus l'heureuse idée de l'interroger. « Voyons, Père Cruz, nous sommes ici entre amis. Dites-nous bien tout. Vos petits saints, les habitués de Limoeiro, de Cintra et autres prisons, dont vous nous faites un tel éloge, n'auraient-ils pas, une fois ou l'autre, utilisé... comment dire ?... leur « art professionnel », pour mettre la main dans vos poches ? » « Si... je l'avoue. J'ai été volé une fois... Mais attendez la fin. J'avais sur moi un portefeuille avec toute une liasse de billets neufs de la Banque du Portugal, destinés aux détenus et à d'autres besogneux. Quand j'eus fini de leur parler, je cherchais en vain mon portefeuille... Disparu ! Alors, au lieu de me fâcher, je dis tout bonnement : "Mes braves amis, faites-moi un plaisir ; veuillez vous aligner tous contre ce mur, le dos tourné de mon côté et les yeux fermés. Ça y est ?... Bon. Maintenant, je place un banc au milieu de la salle ; moi-même je vais aller dans un coin et je fermerai les yeux comme vous. Je compterai très lentement jusqu'à trois ; que celui qui a « trouvé » mon portefeuille ait la bonté de le déposer sur le banc...". Tout se passa comme je l'avais prévu. Quand on se retourna, le portefeuille « retrouvé » était là, sur le banc, et aucun des détenus ne sut qui l'avait restitué ». Et le Père conclut en disant à ces pauvres gens : « Maintenant, voyez, vous ne m'avez pas fait le moindre tort, puisque tout ce que j'avais je vous l'ai distribué ». Le Père Cruz excusait toujours tout le monde. Savoureuse leçon de présence d'esprit, d'ingéniosité, d'application à épargner la réputation de tous, même des voleurs les plus ingrats. Dieu n'a pas l'habitude de choisir ses saints parmi les sots !.
Dans une petite ville de province où il était venu aider le Curé, il s'adressa un jour à l'administrateur local pour une singulière requête, celle de pouvoir conduire à l'église tous les détenus de la prison, afin qu'ils pussent y faire la sainte communion. « Mais c'est absolument impossible, s'exclama le fonctionnaire épouvanté !. Père, vous n'y songez pas ! Il y a là des gens de la pire espèce, condamnés aux peines les plus fortes. Et si l'un d'entre eux en profite pour s'enfuir, qui sera responsable ? ». Le Père se contenta de sourire et dit tranquillement, comme s'il s'était agi de la chose la plus naturelle du monde : « Votre responsabilité n'est nullement engagée, pour la bonne raison qu'aucun d'eux ne s'enfuira, je m'en porte garant. » Il était difficile de résister au Père Cruz. A l'heure voulue, tous les prisonniers se mirent en route à travers les rues, escortés cette fois, non par une escouade de policiers, mais par un pauvre prêtre, calme et souriant. Inutile d'ajouter qu'au retour pas un ne manquait à l'appel.
Une autre fois, à Lisbonne, le Père, voulant prendre un tramway, fait signe au conducteur qui approchait de l'arrêt ; mais notre homme, tout heureux de jouer un bon tour à ce sale curé, passe en vitesse, l'air goguenard. Pareille grossièreté déplut à un charretier, sans doute ancien pensionnaire du Limoeiro, qui de loin avait observé la scène ; celui-ci tourna sa carriole, la plaça en travers des rails, puis, en dépit des appels rageurs du conducteur, cria de toutes ses forces : « Senhor Padre Cruz, donnez-vous la peine de monter ! le tram vous attend... » À propos de la Révolution de 1910, il fut difficile de faire avouer au Père Cruz jusqu'à quel point il avait été molesté. Un incident certain se passa en pleine nuit dans le quartier populeux de l'Alfama, sur les pentes de la Citadelle, alors que le Père allait visiter un malade à domicile. Aucune lumière dans les ruelles. Tout à coup des cris éclatent : « A mort le Curé ! » On s'attroupe. Quelques énergumènes visiblement ivres, serrent le prêtre de près. Aucun, cependant, ne s'enhardit à le toucher, tant son calme et sa douceur en imposent. En réalité, le Père s'attend au pire et intérieurement se recommande à Dieu. « Eh ! quoi, s'écrie soudain l'un des plus excités, que faisons-nous là ? Sommes-nous ici pour l'adorer ? » La réaction de haine est immédiate. Mais la Providence veille. Débouche soudain d'une ruelle obscure, une patrouille de marins qui assure la police de nuit. Ils s'approchent carabine au poing : « Halte-là !... » On s'écarte. « Bon D..., s'écrie l'un d'eux, mais c'est le Père Cruz ! » « Le Père Cruz ! » Ce seul mot suffit à dégriser les plus excités. « A l'instant, conte le héros de l'histoire, ils me demandent pardon. Quelques-uns même se mettent à pleurer. Que voulez-vous ! C'étaient tous d'anciens clients, mes brebis du Limoeiro ! » A la mort de leur bienfaiteur, les prisonniers du Limoeiro se cotiseront pour lui offrir une couronne de fleurs et lui faire dire une messe à laquelle ils assisteront.
Le Père qui sait deviner...
Du 13 mai au 13 octobre 1917 eurent lieu les Apparitions de Notre-Dame de Fàtima. Devant ces manifestations, la prudence du clergé portugais fut extrême. Or, un jour, on apprit que le saint Père Cruz allait se rendre à la Cova da Iria. Occasion magnifique pour intimider les Voyants. Leurs censeurs ne s'en privèrent point. « Cette fois, c'est fini ! leur disait-on, vous ne pourrez plus mentir. 11 va venir un prêtre, un saint, qui lit dans les cœurs. » « Oh ! quel bonheur ! s'écria Jacinta. Quand est-ce qu'il viendra ? Puisqu'il lit dans les cœurs il verra que nous disons la vérité. » Voici comment le Père Joaquim da Silva Mourào, compagnon du Père Cruz, raconte ce voyage à Fàtima. « En 1917, vers la fin de juin ou de juillet, le Père vint me trouver. "Voudriez-vous m'accompagner demain à Fàtima où je désire « confesser » les trois enfants qui disent avoir vu la Sainte Vierge ?" » Il possédait alors une mule et aussi une ânesse qu'il enfourcha comme de coutume. Nous arrivâmes à la Cova da Iria et nous nous assîmes sur une pierre près d'un figuier. Peu après arrivèrent les trois enfants qui se tinrent debout devant nous. Le Père Cruz les accueillit d'une manière si affable que Jacinta lui dit avec sa candeur coutumière : « Vous êtes un aimable petit vieux, vous ! » Chère petite Jacinta ! elle était loin de se douter que le Procès Informatif de cet « aimable petit vieux », en vue de la Béatification, s'ouvrirait le 10 mars 1951 et que le sien, comme celui de Francisco son frère, commencerait un an plus tard, en avril 1952 ! En face de tant d'innocence et de simplicité, comment soupçonner un instant ces enfants de mensonge ou de supercherie ? Et combien, alors, le Père Cruz en entendant Lucie, dut-il se féliciter d'avoir admis à la première communion, dès l'âge de six ans, cette privilégiée de Notre-Dame. De son côté, comment Lucie aurait-elle pu ne pas se rappeler que c'était de la main du Père Cruz que, pour la première fois, en 1913, elle avait reçu le Corps du Seigneur, avant de Le recevoir de la main de l'Ange, en 1916, à la « Loca », avec Jacinta et Francisco !
On le sait, les Voyants de Fàtima avaient été préparés aux apparitions de Notre-Dame par les visites d'un Ange. Or, l'Ange s'était montré à eux tenant en ses mains un calice surmonté d'une hostie. De la blanche hostie découlaient dans le calice, des gouttes de sang. Laissant le calice qui resta mystérieusement suspendu en l'air, l'Ange s'était agenouillé à côté des enfants et leur avait fait répéter, par trois fois, cette prière : « Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément et je vous offre les très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles du monde, en réparation des outrages par lesquels Il est Lui-même offensé. Par les mérites infinis de son Cœur Sacré et par ceux du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs. » Puis l'Ange s'était relevé, avait pris l'hostie et communié Lucie. Ensuite, il avait partagé le contenu du calice entre Jacinta et Francisco, disant en même temps à chacun des trois : « Recevez le Corps et le Sang de Jésus-Christ, horriblement outragé par les hommes ingrats ! Réparez leurs péchés et consolez votre Dieu. » Enfin, s'étant prosterné de nouveau, l'Ange, après avoir répété trois autres fois la prière : « Très Sainte Trinité... » avait disparu. On le conçoit, en cette première visite à Fàtima, le bon Père da Cruz ne souffla mot de la « confession ». Et au lieu de torturer les enfants par une foule d'interrogations minutieuses ou insidieuses, il s'attacha à développer dans ces âmes débordantes de bonne volonté et déjà habituées à souffrir, les germes de sainteté que l'Esprit de Dieu y avait déposés. Il récita le chapelet avec les enfants, puis, monté à califourchon sur son ânesse, si petite que ses pieds frôlaient le sol, il se fit conduire par les pastoureaux au lieu des Apparitions. « Chemin faisant, rapporte Lucie, il nous conseilla de demeurer bons, de fuir les mauvaises compagnies, et nous rassura, nous disant de ne pas craindre : que ce n'était pas le démon, mais bien Notre-Dame qui nous apparaissait. Il nous enseigna, de même, quelques oraisons jaculatoires. » Deux, en particulier, ravirent Jacinta : « O mon Jésus, je vous aime ! » « Doux Cœur de Marie, soyez mon salut ! » Désormais, dans les champs, lorsqu'elle gardera ses brebis, l'enfant les redira sans cesse. Elle les modulera, les chantera sur des airs improvisés par elle. On comprend aisément cette ferveur pour ces oraisons jaculatoires enseignées par le Père Cruz, car quelques jours auparavant, le 13 juin (seconde apparition), Notre-Dame avait dit aux petits Voyants : « Jésus veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » Ce Cœur Immaculé, les enfants l'avaient vu entouré d'épines qui s'y enfonçaient de toutes parts. Symbole du Cœur douloureux de Marie, cruellement affligé par le débordement des péchés du monde, et sollicitant pénitence et réparation. Du Père Cruz, Jacinta, en particulier, gardera un souvenir inoubliable et l'appellera : « le Père qui sait deviner ». Quant au Père, lui, il aimera raconter, presque nonagénaire, comment l'angélique enfant, avec une parfaite ingénuité, l'avait déjà traité de « bon petit vieux » trente ans plus tôt.
Le Père Cruz revint de la Cova da Iria gagné intérieurement à la cause de Fàtima. Mais il était trop prudent, trop respectueux de l'Autorité ecclésiastique pour ne pas garder une sage réserve. Les événements de Fàtima ne devaient recevoir l'approbation officielle qu'en 1930 et 1931. Néanmoins, au témoignage de Monseigneur Freitas Barros, dans le recueil de ses « Souvenirs » publié en 1954, cette visite du Père Cruz à Fàtima eut un immense retentissement et donna un élan nouveau au mouvement favorable aux Apparitions. Qu'un prêtre aussi vertueux, aussi digne, aussi connu, ait manifesté ostensiblement sa conviction intime, fut en quelque sorte une « consécration officieuse » de ces manifestations. Le Père Cruz, en effet, s'était fait conduire à la Cova da Iria, et là, devant une assistance nombreuse, avait récité le chapelet à haute voix avec les trois Voyants ; il avait même rappelé à ceux qui l'entouraient comment Notre-Dame avait protégé leur patrie au cours des huit siècles de son existence. « Je me souviens, écrit encore Monseigneur Freitas, qu'en mai 1921, le Père Cruz prêcha à Fàtima sur les recommandations faites par Notre-Dame à la Cova, mais sans faire la moindre allusion aux Apparitions ni aux Voyants. Je sais également que, tant que Fàtima demeura sous la juridiction du patriarcat de Lisbonne, le Père tint le Cardinal au courant de tous les incidents qui survenaient à Fàtima, et lui manifestait sa conviction personnelle favorable aux Voyants et à l'authenticité des Apparitions de Notre-Dame. Cependant, les catholiques demeuraient très divisés. En février 1918, au Palais Patriarcal, un prêtre venait de raconter à des confrères le fameux prodige du soleil, lorsqu'il fut pris à partie et critiqué par un journaliste catholique de renom. Survint le Père Cruz. Notre journaliste lui baisa la main, puis, d'un ton où perçait l'ironie et la suffisance : « Père, est-ce que vous avez vu, vous aussi, le soleil « danser » à Fàtima, le 13 octobre dernier ? ». Quelque peu anxieux, tous gardèrent le silence. Le Père esquissa un sourire discret : « Monsieur, lui dit-il, je n'ai pas vu le soleil « danser » à Fàtima, pour la bonne raison que je n'y étais pas. Mais il y a une chose certaine : Jésus-Christ, dans son Évangile, affirme qu'il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à un pécheur de se convertir. Or, croyez-moi, j'ai séché des larmes, beaucoup de larmes qui « dansaient » — puisque vous tenez à cette expression — qui dansaient dans les yeux d'une foule de pécheurs touchés de repentir par le prodige de Fàtima. Or, il y a moins de difficulté, selon moi, à croire que le soleil ait dansé, qu'à admettre qu'une pareille multitude se soit convertie sans y avoir été poussée par une cause qui dépasse la nature ». Sur ces mots, le Père monta aux appartements du Cardinal, avec lequel il s'entretint longuement. Le soir même, le Patriarche confiait : « Je suis en train d'acquérir la certitude, que Notre-Dame, une fois de plus, veut sauver le Portugal. ». « N'avez-vous jamais douté des Apparitions de Fàtima ? » demandera-t-on au Père Cruz longtemps plus tard. « Dès que les autorités légitimes se furent prononcées, ma certitude fut complète et j'ai couru à la Cova comme pèlerin et comme pénitent. J'aime beaucoup y aller. On y prie si bien ! Et puis, il y a tant d'âmes, qui y vont chargées d'angoisse et de secrets. Leur prendre la main, les aider à se relever, les remplir de Dieu — je vous le demande — y a-t-il consolation plus douce pour un cœur de prêtre ? » Ayant entendu les doléances de pèlerins de Fàtima, qui n'avaient pas pu y communier faute de confesseur, le Père Cruz invita, par la voix de la presse, dans un vibrant appel, tous les prêtres visitant Fàtima, à ne jamais repartir sans y avoir exercé leur ministère, adjurant chacun d'eux d'entendre au moins quinze confessions en l'honneur des quinze mystères du Rosaire.
L'Union apostolique
Le Père Cruz fut, durant de longues années, directeur de l' « Union apostolique du clergé », oeuvre que le pape Léon XIII avait approuvée et louée dès 1880 et dont saint Pie X s'était constitué lui-même le protecteur. En 1915, le Père Cruz rencontra près de Lisbonne Mgr Henri Reig, alors directeur de l'Union apostolique de Madrid et depuis cardinal-archevêque de Tolède. Ce dernier, l'exhorta chaleureusement à fonder un centre au Portugal. On l'appellerait « Union apostolique des prêtres du Sacré-Cœur de Jésus ». L'œuvre fut louée et approuvée par le cardinal Mendes Belo, patriarche de Lisbonne, formant le vœu que le plus grand nombre possible de ses prêtres en fissent partie. Le Père Cruz fut évidemment choisi comme directeur. « Quand il traçait le programme d'une vie sacerdotale apostolique toute donnée aux âmes, écrit Mgr Freitas Barros, alors il était incomparable. Il regardait bien en face son petit auditoire, puis se revêtant d'un certain air d'autorité : "Travaillons, mes très chers ! Travaillons sans cesse ! Voyez comment Satan ne se repose ni jour ni nuit. Notre devoir d'état à nous autres, c'est celui-ci : Confesser, tant qu'il y a des pénitents. Prêcher, dès qu'il y a des auditeurs. Prier, à n'en pouvoir plus." »
Le Père Cruz exhortait sans cesse les autres à prier, mais lui-même comment priait-il ? Ceux qui ont vécu et travaillé avec lui sont unanimes dans leur témoignage : En vérité la vie du Serviteur de Dieu fut une prière continuelle ; l'esprit tout absorbé en Dieu, il priait soit vocalement soit mentalement ; il priait de jour et de nuit, au cours des voyages, toujours en commun quand c'était possible. Il priait même en prenant ses repas, entre les services. Quand un supérieur demanda au Père Cruz si cela ne lui coûtait pas de consacrer chaque jour une heure entière à la méditation : « J'en fais toujours plus d'une heure, répliqua-t-il, mais j'emploie la grande partie du temps en affections et en bons propos. Je ne peux pas discourir, ma pauvre tête s'y refuse. Pour les deux examens quotidiens d'un quart d'heure, c'est même chose ; le Père Provincial m'a dit : "Faites un acte de contrition". » Ces confidences nous sont rapportées par le Père Leite, qui ajoute : « Le fruit que le Serviteur de Dieu tirait d'oraisons jaculatoires extrêmement simples et l'ardeur avec laquelle il les proférait, la ferveur extraordinaire d'une vie alimentée par un très petit nombre d'idées spirituelles, la facilité surprenante avec laquelle il dirigeait vers Dieu ses conversations, quels que fussent ses interlocuteurs, tout semble porter à croire que le Père avait reçu du ciel des grâces spéciales d'oraison. »
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 752 autres membres