Bienheureux Charles 1er d'Autriche 03
Le Bienheureux Charles d'Autriche
1887-1922
Fête le 1er avril
Un Empereur se meurt
Extraits des documents laissés par le professeur Hans Karl Zessner-Spitzenberg
Préambule
Il y a plus de quatre-vingt ans, le monde apprit soudain la mort du dernier Empereur d'Autriche et Roi de Hongrie. Contraint à l'exil sur l'île de Madère, il termina son existence terrestre loin de sa patrie. Cet événement suscita partout une profonde émotion. Pourtant peu de gens, même dans son cher pays natal, sont au courant des conditions et circonstances dans lesquelles s'éteignit ce grand homme, ce grand Autrichien. Notre document est destiné à en informer tout un chacun, particulièrement au sein des peuples que le monarque immortalisé appela jadis « ses peuples ». Profondément catholique, l'Empereur Charles connut, au cours de sa vie, de grandes joies mais aussi les souffrances les plus amères qu'il surmonta avec le courage de sa foi. Mais c'est dans sa mort chrétienne exemplaire qu'il fut le plus grand. Ce fut la mort « d'un juste, précieux aux yeux de Notre Seigneur » La procédure de béatification est chapeautée par la « Ligue des prières Empereur Charles pour la paix des peuples ». Les réservations auprès de cette communauté des prières et toutes questions relatives à ce sujet sont à adresser au directoire de la ligue des prières à l'attention du président directeur général : Min.Rat.Johannes Parsch, Diefenbachgasse 45-47/3/1/7, A-1150 Vienne.
Madère
Le petit bateau fluvial descendait le courant, vers la mer. Le Roi et la Reine logeaient dans la minuscule cabine du capitaine. Il faisait froid. Le trajet était monotone et l'on s'arrêtait la nuit. Près de Moldava, il y eut un arrêt plus long : une sorte de cadeau au monarque prisonnier, en ce 4 novembre, son jour de fête. Les pilotes 'croates' refusèrent de conduire le couple royal vers l'exil, malgré les offres de sommes très importantes. Il fallut trouver un Serbe. Le lendemain, on mit pied à terre à Orsova, et le trajet se poursuivit en voiture. A nouveau, la population s'était massée des deux côtés de la route. Les fermiers criaient « Küss die Hand » et à certains endroits, les gens s'agenouillaient, et beaucoup pleuraient. Ce fut ainsi sur tout le trajet, et lorsque les souverains montèrent dans le train, ils virent avec stupéfaction que l'on empêchait le peuple à coups de crosses de fusils de les approcher. Dans la dernière gare avant Bucarest, le ministre des affaires étrangères roumain voulut rendre ses devoirs, mais il fut congédié par les Anglais. A Galatz il y eut de nombreux curieux. Le Comte et la Comtesse Hunyadi, les seules personnes autorisées à les accompagner, se joignirent à Leurs Majestés. Entre-temps, l'Impératrice Zita avait commencé à raccommoder les quelques pièces de lingerie déjà bien abîmées. De Galatz à Sulina, on emprunta un petit bateau à vapeur, sur lequel un ancien cuisinier de la Cour s'occupait de la cuisine. Il préparait des spécialités du pays natal et s'efforçait ainsi, de manière touchante, de réconforter les augustes passagers. Leurs Majestés demandèrent à plusieurs reprises de pouvoir assister à la sainte messe, mais en vain ; également à Galatz : il leur était interdit d'entrer dans une église. Vers 10 heures enfin, apparut un Révérend capucin, muni du Saint-Sacrement et qui put donner sa bénédiction. Les exilés seront privés de messe jusqu'à Gibraltar. A Sulina, où était amarré le croiseur anglais « Cardiff » Leurs Majestés durent embarquer sans tarder. On leur attribua la cabine de l'amiral. Absent à leur arrivée, le capitaine s'avéra, au retour de la chasse aux bécasses, officier chevaleresque, plein de considération. Afin de ne pas devoir traiter le monarque comme un prisonnier, il le pria de lui établir une déclaration écrite sur l'honneur, ce que fit l'Empereur Charles en toute simplicité. Bien plus tard, encore en possession de ce document, le capitaine s'en montrait toujours fort honoré. Pendant toute la durée du trajet, on remarqua combien ce rôle désagréable de gardien de prisonnier était pénible à ce loyal officier.
Le 8 novembre vers 8h 30 du matin, le « Cardiff » arriva à Constantinople. L'Empereur et l'Impératrice purent reconnaître sur la rive l'endroit, où ils eurent l'occasion de prendre le thé en l'an 1918, comme hôtes de l'empire ottoman. Le navire s'arrêta devant la Hagia Sophia. Une multitude d'oiseaux marins fendirent le ciel. Un arc-en-ciel se forma au-dessus de cette magnifique ville féerique. Le capitaine fit allusion timidement aux assertions du gouvernement hongrois selon lesquelles le Roi avait manqué à sa parole par son retour dans sa patrie. Il sembla rassuré lorsque le monarque tenta de minimiser cette rumeur, la balayant d'un revers de main. Il avoua également qu'il détestait le rôle qu'il devait tenir. Il venait de télégraphier à Londres afin de savoir où conduire Leurs Majestés. Aucune réponse ne lui étant parvenue, il avait tenté d'obtenir de plus amples informations auprès de l'amiral, mais celui-ci semblait de pas en savoir davantage. Vers 2 heures, le Comte Hunyadi se rendit à terre, afin d'acheter un costume civil pour l'empereur. Le costume s'avéra malheureusement trop juste mais il put encore l'échanger à temps. L'Impératrice demanda de pouvoir écrire une courte lettre en français à l'intention de ses enfants, ce qui lui fut refusé dans un premier temps, mais finalement l'amiral en personne s'engagea à poster la lettre lui-même. En soirée, un télégramme du colonel Strutt annonça que les enfants allaient bien, mais que le sort des petits archiducs était encore incertain.
Le 9 novembre, le « Cardiff » reçut l'ordre d'appareiller pour Gibraltar, et à 0 heure 30, l'ancre fut levée. C'était une nuit magnifique avec un beau clair de lune et les étoiles brillaient merveilleusement au-dessus de l'eau. La mer de Marmara était lisse comme un miroir. Dans les Dardanelles, le brouillard se répandit et les épaves des navires coulés aux alentours durant la guerre mondiale constituaient un réel danger. Il était défendu au capitaine d'accoster et c'est ainsi qu'il traversa les restes des champs de mines à toute vapeur. Le 10 novembre vers 2 heures, une tempête commença à se lever dans la mer Egée et continua de faire rage durant la journée du 11 novembre. Le capitaine se renseigna à Malte sur la destination du voyage. Probablement Madère, fut la réponse. « I hope it for you », rajouta le capitaine et avoua, hésitant, qu'il fut question de l'île d'Asunción, dont le terrible climat, à la longue, ne convient à aucun Européen. L'Impératrice regarda l'empereur avec stupéfaction. L'Empereur Charles était devenu pâle et des gouttes de sueur apparurent sur son front. « Mais nous ne pourrions jamais revoir les enfants ! » furent les premières paroles qu'il put exprimer. Après une pause, il essuya la sueur, sourit et dit d'une voix changée « que je suis pusillanime. Ils ne peuvent nous envoyer qu'à l'endroit choisi par Dieu.» Le 12 novembre, le temps s'améliora. La Sicile apparut vers 2 heures, ensuite on longea la côte africaine. A nouveau, un télégramme parvenu de Strutt assura que les enfants allaient bien. Le capitaine organisa un tir aux clays et pour la première fois depuis longtemps, l'Empereur prit un fusil en main. Le 14 novembre, on passa Alger. La nuit fut de nouveau tempétueuse. Le lendemain, on aperçut la côte sud de l'Espagne et le 16 novembre vers 7 heures du matin, le « Cardiff » arriva à Gibraltar. Aucune information fiable n'était encore parvenue sur la destination finale. Le soir arriva l'ordre d'appareiller immédiatement pour Madère malgré la tempête qui faisait toujours rage, et suite à laquelle les bâtiments de guerre espagnols, dont l'ordre était de rejoindre Tanger, ne prirent pas la mer. Le capitaine prit la responsabilité de retarder la sortie, et l'initiative de faire dire la sainte messe sur le pont le lendemain matin, messe durant laquelle le couple impérial put communier. « I know they are keen about it » dit-il. Peu de temps après, le bateau anglais s'engagea sur l'océan atlantique avec ses prisonniers à bord.
Le 19 novembre, le jour de la Sainte Elisabeth, on aperçut l'île de l'exil. Tendu, le couple impérial regardait défiler la côte. On contourna une presqu'île, puis, devant un arrièreplan de montagnes ondulantes, la ville et le port de Funchal apparurent. L'Empereur contempla attentivement cette vue prestigieuse, puis son regard se porta vers la droite en hauteur, sur les deux tours tronquées d'une église de montagne. « Comme elle nous rappelle nos églises acceuillantes. C'est certainement une église dédiée à Notre-Dame. Nous y monterons bientôt ! ». C'était Nossa Senhora do Monte, l'église dans laquelle il fut inhumé quelques mois plus tard. Le 19 novembre était un samedi. Un de ces nombreux samedis fatidiques dans la vie de l'Empereur : il avait été confirmé un samedi, il avait atteint la majorité un samedi, il s'était marié un samedi et avait été couronné Roi un samedi. C'est également un samedi que le Roi revint en Hongrie au début de la première tentative de restauration et c'est aussi un samedi qu'il prit la décision, lourde de conséquences, de refuser de renoncer au trône, après que le deuxième voyage en Hongrie eut échoué. C'est un samedi que l'émigration dans le climat brumeux du Monte devait avoir lieu. Et le 1er avril 1992, date à laquelle Dieu rappela son serviteur, était également un samedi. Lors du débarquement, un prélat autochtone vint saluer le couple impérial avec les mots allemands « Willkommen ». Une foule compatissante s'était rassemblée et les salua amicalement. Leurs Majestés arrivèrent en voiture à la villa Victoria qui leur était attribuée. En tous lieux ils rencontrèrent de la sympathie discrète, respectueuse. A la demande expresse du pape Benedict XV, l'évêque se montra particulièrement chaleureux et laissa au couple impérial l'autel domestique de sa chapelle privée. Bien vite, il leur fut même permis d'héberger le Saint-Sacrement sous leur toit. Après une longue privation, cela fût une précieuse consolation pour l'Empereur et plusieurs fois par jour il répétait « je vais vérifier, si la Lumière éternelle luit encore ». On savait alors qu'il se retirait pour un long moment et on le laissait seul dans la chapelle avec le Roi des Rois. Bien vite, l'Empereur et l'Impératrice commencèrent à visiter la ville et les alentours. Le Comte et la Comtesse Hunyadi, qui les avaient accompagnés dans leur voyage vers l'exil, restèrent longtemps leur seul entourage du payas natal. Mais la sympathie compatissante, que la population leur manifestait au début, se transforma très rapidement en réel enthousiasme. A nouveau, comme ce fut le cas jadis en Suisse, les cœurs d'un peuple étranger fondirent pour les souverains. L'Empereur fit remarquer en souriant « j'aimerais presque dire : ma fidèle ville Funchal depuis toujours ».
Les premières semaines se déroulèrent calmement. Rarement, mais alors non sans une certaine frayeur, l'Impératrice ainsi que son proche entourage perçurent la nature de la force intérieure, qui transformait la personnalité de l'Empereur, la voie céleste empruntée par son âme. L'Impératrice Zita se souvint plus tard : « Il était impossible de suivre sa rapide ascension. Comme il était très renfermé, replié sur soi, on ne pouvait déceler le cheminement intérieur, l'élévation bienheureuse que cachait ce mutisme. » A l'époque, des rumeurs commençaient à circuler prétendant que l'Empereur était gravement malade. Et l'on ne pouvait échapper à l'impression que seul l'espoir de le voir passer bientôt de vie à trépas alimentait ces bruits malveillants. C'est dans le parc de la villa Victoria que l'Impératrice révéla ces 'on-dit' à son époux. Avec étonnement, elle vit le visage de l'Empereur refléter l'angoisse, une sorte de félicité douloureuse. Il dit : « Cela m'émeut profondément, parce que c'est si cruel ». Il leva ensuite les yeux vers Nossa Senhora do Monte, que l'on apercevait de loin, et ajouta avec insistance : « Je ne voudrais pas mourir ici ». Mais aussitôt, il sourit à nouveau et se corrigea : « Le Seigneur fera ce qu'Il voudra. »
Durant toutes ces journées, l'Empereur semblait chercher en lui une réponse claire à une question importante, pour arriver à une conclusion déterminante. Il avait le sentiment, disait-il depuis un long moment déjà, que le Seigneur le priait d'offrir sa vie afin de sauver ses peuples. Décontenancée, l'Impératrice Zita n'osa répondre. L'Empereur se tut et sembla attendre. Ensuite, pendant qu'à nouveau ses yeux cherchaient l'église Notre-Dame sur la colline, il décida très fermement : « Et je le ferai ! » En son for intérieur, l'Impératrice Zita supplia le Seigneur, d'en rester là. Cependant, à partir de ce jour, l'Empereur commença à lui donner des conseils sur ce qu'elle devait faire, au cas où – dans un avenir proche peut-être – il ne serait plus auprès d'elle. Des semaines passèrent, et les soucis quotidiens étaient plus que nombreux. Il y avait les soucis concernant les enfants et la mère de l'Empereur, les soucis concernant le destin des fidèles en Hongrie et des partisans expulsés de Suisse, en outre, la situation financière de plus en plus désespérée dans laquelle l'Empereur se trouvait et à laquelle il ne pouvait plus faire face. Il y avait son isolement du monde entier et le refus systématique opposé à toutes ses requêtes en vue d'obtenir la compagnie d'un monsieur de son ancien entourage. Le Comte et la Comtesse Hunyadi ne pouvaient rester à Madère que momentanément et ils quittèrent l'île, non sans avoir laissé un crédit substantiel au monarque. Ce que le Comte Hunyadi ne pouvait imaginer, c'est que l'Empereur Charles ne profiterait jamais de ce crédit.
Le personnel de service, la cuisinière, la femme de chambre et le serviteur accompagné de son épouse, ne put embarquer pour Funchal que durant la période de Noël. Le Comte de Revertera et le baron Hye essayèrent en vain d'obtenir un visa. Aucune personne, qui aurait pu conseiller le souverain inexpérimenté dans le domaine des finances, n'était sur place et de surcroît, toute aide financière lui était refusée, sans doute sciemment. Cela fut indirectement la cause de sa fin tragique. La nécessité de réduire les frais, sans vraiment savoir par quel bout commencer, entraîna l'Empereur de l'onéreuse villa Victoria - une dépendance de l'hôtel Reids-Palace - vers l'atmosphère délétère du Monte. Soudain, lorsqu'il fut question de la proche venue des enfants, arriva une nouvelle inquiétante : l'Archiduc Robert devait subir l'ablation de l'appendice. L'Impératrice s'efforça d'obtenir l'autorisation de se rendre en Suisse. Elle était en effet soi-disant « libre » et ne partageait l'exil de l'Empereur Charles que « volontairement ». Un jeu très douloureux d'acceptation et de refus commença. L'impératrice accepta les conditions ridicules des mesures de surveillance et put enfin entamer son voyage début janvier, toutefois sans être accompagnée. L'Empereur Charles resta sur l'île. Le Comte Almeida, un Portugais, qui servit jadis dans l'armée austro-hongroise, fut sa seule compagnie durant ces semaines.
La mère ne se vit accorder que quelques petites heures auprès de son enfant malade. L'opération terminée, et alors que le petit archiduc était encore fiévreux, l'Impératrice Zita dut à nouveau quitter la Suisse. Le 2 février, elle arriva à Funchal avec les enfants, hormis l'Archiduc Robert, et accompagnée par l'Archiduchesse Marie Thérèse. L'Empereur Charles se trouvait sur le quai. La joie des enfants fut indescriptible lorsqu'il les rejoignit sur le navire et les embrassa avec enthousiasme. Les larmes lui coulaient le long des joues lorsqu'il descendit du navire avec le petit Archiduc Rudolf dans les bras. Les personnes accompagnant les enfants furent surprises de voir le souverain si fatigué, avec la chevelure grisonnante. Mais ils recherchèrent en vain sur son visage des traits d'amertume et n'entendirent aucune parole blessante. Dans sa solitude, et en raison de sa situation financière difficile, l'Empereur avait pris la décision d'emménager immédiatement dans une quinta do Monte proposée par un patricien de la place, bien que l'on eut conseillé sagement de n'emménager qu'en été. A la mi-février, le déménagement s'effectua vers cette maison qui n'était destinée et aménagée que pour des séjours estivaux. Entourée de belles régions boisées, elle offrait une superbe vue sur le port et la mer, mais malheureusement à son altitude et à cette saison, d'épaisses nappes de brouillard très humides, envahissaient la montagne. Etant donné qu'il n'existait quasiment pas de chauffage approprié et que cette villa n'était construite que pour y passer les vacances d'été, l'eau suintait des murs. Les pièces étaient très petites. Comme les réserves d'argent liquide s'amenuisaient de jour en jour, l'Empereur persista dans sa décision. Les enfants étaient arrivés avec de nombreux bagages, comprenant des objets d'utilité domestique et d'ameublement. Tout cela devait être transporté sur le Monte, et l'Empereur aida au transfert, au chargement et au déchargement. Entre-temps, il se consacrait à ses enfants et s'occupait de la plus jeune, la petite Archiduchesse Lotti, qui fréquentait encore l'école maternelle. Malgré le calvaire moral qu'il endurait, à la pensée de la misère de ses peuples, malgré les soucis et son mal du pays, l'Empereur resta toujours enjoué et équilibré. « Nous allons bien, sans l'avoir mérité» se plaisait-il à répéter.
Après le déménagement, la famille se réunit dans la salle à manger de la villa pour une première prière commune, et ensuite, toutes les pièces furent bénies par le Révérend Zsambóki, le jeune ecclésiastique de la maison, lequel était arrivé avec les enfants et les éducateurs. Durant les jours qui suivirent, l'Empereur emmena souvent ses deux aînés, le Prince héritier Otto et l'Archiduchesse Adélaïde, avec lui en promenades. Un jour, ils rencontrèrent un cortège funèbre. Derrière celui-ci, marchait un petit garçon pleurant et tenant par la main sa maman tout de noir vêtue. Otto et Adélaïde furent bouleversés. « C'est certainement son père qui vient de mourir. Pauvre enfant ! » - « Oui, pauvre enfant ! » répéta l'Empereur. Une ombre passa sur son visage. Le 2 mars, l'Archiduc Robert, à présent tout à fait rétabli de son opération, et accompagné de la Comtesse Korff-Schmising-Kerssenbrock, put enfin retrouver les bras de ses parents. Encore une fois, pour une très courte période, la famille entière était réunie autour du père – en des circonstances naturelles, qui peuvent être citées ici le plus précisément possible, grâce à la lettre écrite à cette époque par une femme de chambre, lettre que nous reproduisons le plus fidèlement possible : « Nous avons déménagé de Funchal à la montagne, et il n'y avait presque pas de meubles ici en haut, et nous avons dû presque tout emprunter à l'hôtel Victoria. Nous n'avions pas de transport non plus, avec le linge, la vaisselle et les verres et nous avons dû aussi pour cette raison en emprunter à l'hôtel. Ces prochains jours, la plus grande partie des lits, armoires, tout le linge, la vaisselle, les verres, les seaux et les cruches, tout l'équipement du ménage et de toilette devront redescendre à l'hôtel. J'ai donc tout naturellement beaucoup à faire. Ce serait vraiment bien en bas mais Leurs pauvres Majestés n'ont plus d'argent et ne pouvaient plus payer l'hôtel, et alors un banquier, qui est copropriétaire de tous les hôtels de l'île de Madère, a proposé une villa à titre gracieux à Leurs Majestés, ce qu'ils ont accepté naturellement en remerciant étant donné leur situation pécuniaire. Ce n'est qu'en mai-juin, que le temps est agréable sur le Monte, en bas ils ont du soleil chaque jour ; même s'il pleut, cela ne dure jamais longtemps. Ici en haut, nous n'avons eu jusqu'à présent que trois journées ensoleillées, sinon toujours de la pluie, du brouillard et de l'humidité. Il fait naturellement plus chaud que chez nous dans les montagnes. Ici en haut, nous n'avons pas de lumière électrique, et de l'eau seulement au premier étage et dans la cuisine. La villa serait bien belle, mais nous avons peu de place même si seulement le strict nécessaire en personnel est sur place. Pour chauffer nous n'avons que du bois vert, qui fume sans cesse. On ne se lave ici qu'à l'eau froide et au savon. Grâce au ciel, nous avons notre lessiveuse, qui est installée à l'air libre. Les gens ne lavent qu'à l'eau froide ici, le linge n'est pas bouilli comme chez nous, tout doit être blanchi au soleil qui est torride -lorsqu'il brille. Malheureusement, nous n'avons que peu de soleil, et c'est avec envie que nous regardons vers Funchal où le soleil brille en permanence. La maison est si humide que cela sent la pourriture dans toute la maison et que l'on voit le souffle de chaque personne. Comme transport, il n'y a que des voitures et des bœufs, et l'on ne peut se payer ni l'un ni l'autre ; il y a en outre un chemin de fer à crémaillère mais qui ne circule pas tous les jours. Nous ne pouvons pas descendre à pied non plus, car il nous faudrait presque toute la journée pour revenir. Le pauvre Empereur, qui ne prend que trois repas par jour, ne peut pas recevoir de la viande le soir, seulement des légumes et des entremets sucrés, c'est ce que nous regrettons le plus. Pour nous cela n'a pas d'importance, cela ne me manque pas, mais ils n'ont même pas assez à manger. Si l'on connaissait seulement une haute personnalité qui pourrait avoir une influence auprès de l'Entente pour que Leurs Majestés puissent louer une villa convenable. L'on doit attribuer une rente convenable à Leurs Majestés afin qu'ils puissent quand même avoir une vie convenable, du moins l'essentiel ; il y a un manque de tout. L'instituteur des enfants, qui est médecin, habite une cabane de jardin à moitié en ruine avec une seule pièce qui devrait être réparée sommairement. Dans une deuxième maisonnette délabrée avec une seule pièce que l'on a divisée par une paroi en bois, vivent les deux serviteurs et leurs épouses qui servent également dans la maison en tant que bonnes. Ce qui est encore plus ennuyeux, c'est le fait que Sa Majesté doit accoucher au mois de mai, et ni une sage-femme ni un médecin ne sera présent. Il n'y aura qu'une nurse, mais elle n'a pas d'expérience. Donc, il n'y aura même pas une vraie sage-femme. Je suis totalement désespérée à ce sujet. J'écris à l'insu de Sa Majesté, car je ne peux admettre que l'on laisse deux êtres innocents ici dans une maison totalement insalubre aussi longtemps. On doit protester ! Leurs Majestés ne bougeront pas et se laisseraient enfermer sans sourciller dans un trou à rat seulement avec de l'eau et du pain, si on leur demandait. Dans la chapelle de la maison, les champignons se font denses sur les murs. On ne pourrait plus supporter de vivre dans aucune pièce de la maison si le feu ouvert ne brûlait constamment. Nous essayons naturellement ensemble d'enrayer le mal ; parfois nous sommes près à renoncer, mais lorsque nous voyons, avec quelle patience Leurs Majestés supportent tout cela, nous continuons à nouveau. Sa Majesté a depuis des semaines un gros catarrhe accompagné de toux. L'archiduc Charles Louis est également alité avec un refroidissement. Il y a beaucoup de vaches ici, mais toutes tuberculeuses, le lait doit être bien bouilli… » L'échange de courrier avec la patrie était presque inexistant à cette époque, et les communications postales irrégulières. L'Empereur avait le sentiment d'être abandonné et oublié de tous. Mais les heures de l'abandon n'ont pas réussi à influencer sa grande force d'âme : « Je remercie le Seigneur pour tout ce qu'Il envoie »
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