Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Bienheureux Alain de Solminihac 2

Bienheureux Alain de Solminihac

Réformateur de l'Abbaye de Chancelade

Evêque de Cahors

1593-1659

Fête le 31 décembre

 

 

Le Seigneur voulut, dans le XVIIe siècle, consoler l'Église de France des maux sans nombre que dans le siècle précédent lui avait causés l'hérésie; il suscita une foule de pieux personnages qui par la perfection de leurs vertus donnèrent un nouvel éclat à cette belle portion de l'Église catholique, et contribuèrent ainsi puissamment à l'affermissement dans notre patrie de l'antique et véritable religion. La France, à cette époque mémorable, produisit en abondance de grands évêques, des prêtres pleins de zèle, de fervents religieux et de saints laïques. Parmi les plus illustres pontifes qui parurent alors, il faut compter Alain de Solminihac, évêque de Cahors. Sa réputation de sainteté s'est conservée jusqu'à, nos jours, sa mémoire est en bénédiction dans le pays qu'il habita, et le souvenir de ses vertus y inspire pour lui une vénération profonde. Le respect pour les ordres du Saint Siège a pu seul empêcher les peuples de cette contrée de lui rendre les honneurs publics que l'Eglise décerne quelquefois après leur mort aux plus parfaits de ses enfants.

 

Ce grand serviteur de Dieu vint au monde au château de Belet, près de Périgueux, le 25 novembre 1593. Il appartenait a une famille noble, des plus anciennes et des plus distinguées de la province. Jean de Solminihac, son père, seigneur de Belet, était un gentilhomme plein d'honneur et de vertu; Marguerite de Marquessac, sa mère, se faisoit remarquer par sa piété, sa charité envers les pauvres, et le soin qu'elle prenait de bien régler sa maison. C'est sous les yeux de parents aussi respectables qu'Alain passa toute sa jeunesse et reçut son éducation. A l'abri, dans la maison paternelle, des nombreux dangers que courent les jeunes gens au milieu du monde, il conserva une innocence de mœurs qui fut une digne préparation à la réception des grâces que le Seigneur devait répandre sur lui avec tant d'abondance. Dès sa plus tendre enfance on lui inspira la crainte de Dieu, l'amour de la vertu, et l'attachement aux principes du christianisme. Docile aux leçons qui lui étaient données, il en gardait avec soin le souvenir et en faisait la règle de sa conduite. On remarquait en lui de la vivacité d'esprit et beaucoup de grâces naturelles. Tel fut Alain jusqu'à l'âge de vingt-deux ans. Ses parents le destinaient au mariage, lui songeait a s'engager dans l'ordre militaire des chevaliers de Malte. Ne s'étant point livré a l'étude, et n'ayant aucune connaissance de la langue latine, il ne pensait nullement a embrasser l'état ecclésiastique ou religieux, lorsque Arnaud de Solminihac, frère de son père, et abbé de Chancelade témoigna le désir de lui résigner son abbaye. Alain, regardant cette disposition comme ménagée par la Providence, n'apporta point d'opposition aux desseins de son oncle. Le brevet de sa nomination fut obtenu du Roi, ses bulles de la cour de Rome, et bientôt après il prit possession de l'abbaye.

 

Le souverain pontife avait exigé que le nouvel abbé de Chancelade fit profession de la règle de saint Augustin, que suivaient les chanoines réguliers auxquels cette maison appartenait. Alain, se soumettant de bon cœur a cette disposition, prit l'habit religieux et commença son noviciat; il ne se contenta pas de porter les vêtements de son nouvel état, il voulut en avoir l'esprit, et dès lors il conçut le projet de réformer l'abbaye qu'il était appelé a gouverner. Afin de se rendre capable de soutenir sa dignité par sa science, il se livra avec ardeur a l'étude; sans se rebuter de la sécheresse des connaissances élémentaires auxquelles il lui fallut d'abord s'appliquer. Ses progrès furent rapides, et cependant ce n'était pas sa seule occupation; il s'efforçait en même temps d'acquérir l'habitude de l'oraison mentale, et donnait chaque jour une heure a ce saint exercice. L'année de son noviciat étant achevée, il prononça ses vœux solennels, et se consacra au Seigneur avec tant de générosité, qu'il avoua ensuite que jamais dans le reste de sa vie il n'avait éprouvé le moindre regret de ce sacrifice.

 

Désormais entièrement séparé du monde, Alain ne songea plus qu'à se rendre saint et savant dans sa profession. Étant venu à Paris étudier en philosophie au collège d'Harcourt, il donna des preuves nombreuses de la vivacité de son esprit et de la solidité de son jugement; il entra ensuite en Sorbonne, où il eut pour professeurs de théologie le pieux André Duval, ce fidèle ami de saint Vincent de Paul, et le célèbre Gamache. Son assiduité au travail était si grande, qu'il ne perdait pas un moment, et ne s'accordait que des récréations instructives. Il joignait a l'étude la pratique de le piété, et sous la direction d'un saint jésuite, nommé le père Gaudier, il suivit les exercices spirituels de saint Ignace, dont il retira de grand fruits. L'un de ses principaux soins fut surtout de s'appliquer a bien connaître l'esprit et les devoirs de l'institut des chanoines réguliers; mais ne se bornant pas à en avoir une connaissance stérile, il régla sa conduite sur ses obligations. Son genre de vie a Paris fut celui d'un véritable religieux. Il porta si loin dès lors l'amour de la mortification, qu'il s'accoutuma a ne plus manger que du gros pain et des légumes, a ne faire qu'un repas par jour et ne coucher que sur une paillasse. Après avoir ainsi passé quatre années dans la capitale, il retourna à son abbaye au mois de septembre 1622, et ayant, le 6 janvier 1623, reçu la bénédiction d'abbé de l'évêque de Périgueux, il jeta les fondements de la réforme qui a subsisté jusqu'à la révolution, et qui rendait Chancelade une des maisons religieuses les plus respectables de France.

 

L'état de cette maison était alors tout-à-fait déplorable. Les hérétiques du XVIe siècle, dont la fureur se déchaînait surtout contre les monastères, avaient mis le feu aux bâtiments de l'abbaye, et en avoient détruit l'église: de manière que ce lieu n'était presque plus qu'un monceau de ruines, au milieu desquelles vivaient quelques religieux dont la conduite était bien loin d'être régulière. Alain, plein de confiance en Dieu, commence, avec les plus faibles ressources, la reconstruction des bâtiments, son activité et sa persévérance le font venir heureusement a bout de cette entreprise; mais il lui fut moins facile de rétablir la discipline: tous les religieux, à l'exception d'un seul, refusèrent de se soumettre a la réforme. Leur abbé, les ayant placés ailleurs, il reçut de nouveaux sujets, les forma par un bon noviciat, remit la règle en vigueur, et restaura ainsi son abbaye, qui dans peu de temps devint le chef-lieu d'une congrégation florissante.

 

Ce ne fut pas sans de grands soins qu'il parvint a cet heureux résultat: il ne se contenta pas pour l'obtenir d'employer l'autorité dont il était revêtu; croyant, avec raison, que son exemple serait pour réussir le moyen le plus efficace, il voulait être le modèle de ses religieux. Rien de plus édifiant que le règlement particulier qu'il se prescrivit. Il allait exactement à matines à minuit, s'efforçait d'apporter la plus grande attention à la récitation de l'office divin, s'imposait des pénitences chaque jour, vaquait à l'oraison, s'examinait avec soin, et s'appliquait à s'abandonner en tout à la volonté de Dieu. Son humilité, son esprit de pauvreté et d'obéissance étaient remarquables; son union avec Jésus-Christ était si étroite, qu'il en était sans cesse occupé. Il s'engagea par vœu a rechercher la plus grande gloire de Dieu dans toutes les affaires qui seraient de quelque importance, et l'on conservait a Chancelade la formule qu'il avait écrite à cet effet.

 

Les maisons religieuses les plus régulières deviennent toujours les plus florissantes. Aussi vit-on, bientôt arriver auprès du saint abbé un grand nombre de jeunes gens qui, désirant se consacrer au Seigneur, ne crurent pas pouvoir mieux faire que de se placer sous la conduite d'un, guide si habile dans les voies de la vie spirituelle. Alain ne trompa point leurs espérances; il travaillait avec une tendre sollicitude a les rendre dignes par leur conduite de la sainteté de leur vocation. Il leur faisait connaître la fin de l'institut des chanoines réguliers, leur donnait des moyens d'acquérir les vertus, leur enseignait la manière de bien s'acquitter de la prière vocale, qui était une de leurs principales obligations, voulant à cet effet être lui-même leur maître de plain-chant. Il leur inspirait aussi une grande estime de leur saint état, et du bonheur qu'ils avoient d'y être appelés. On a recueilli quelques-unes des maximes qu'il répétait a ses religieux; elles sont un monument de sa solide piété et de sa profonde sagesse. Ainsi, formés par un maître si expérimenté, plusieurs des religieux de Chancelade parvinrent a une éminente sainteté, et moururent de la mort des justes. L'historien de Monsieur de Solminihac, qui cite leurs noms, parle surtout du frère Guy Audubert: c'était un jeune homme du diocèse de Limoges, qui prit l'habit a l'âge de vingt ans, et qui termina sa carrière avant la fin de son noviciat. Sa vie fut un modèle de pureté, d'innocence et de toutes sortes de vertus. Dès les premiers mois de son séjour dans l'abbaye il se fit remarquer par sa parfaite régularité. Elevé bientôt a une oraison très sublime, il était intimement uni à Dieu et souhaitait vivement participer aux souffrances du Sauveur. Son désir fut accompli; il éprouva dans tout le corps des douleurs aiguës qui le réduisirent a l'extrémité. Dans cet état, il montrait une estime de la croix qui fit l'édification de tous ceux qui le visitaient. Pendant son agonie, la vue d'un crucifix lui inspira les sentiments les plus tendres. « Cachons-nous dans ce cœur », répétait-il fréquemment, témoignant ainsi sa dévotion envers le sacré Cœur de Jésus; dévotion qui alors était encore peu répandue dans l'Église. Il finit ses jours en 1656, en laissant dans l'esprit de ses frères la plus haute idée de sa vertu.

 

Ce n'était pas seulement des principes de la vie spirituelle que le pieux abbé instruisait ses religieux, il voulut aussi leur enseigner la théologie. Formé dans cette science a la célèbre école de la Sorbonne, rien ne lui était plus facile que de la professer; il se livra donc a ce soin avec ardeur, et dans la crainte que l'étude ne nuisît à la piété de ses disciples, il avait l'attention de joindre a la sécheresse des principes quelques-unes de ces paroles onctueuses qui sont si familières aux saints, et qui touchaient le cœur en même temps que l'esprit était éclairé. Lui-même redoubla de ferveur a cette époque; il se levait a quatre heures du matin, faisait deux heures d'oraison par jour, étudiait avec assiduité, et mettait à profit tous ses moments. L'on ne peut douter que des précautions si sages n'aient été suivies des plus heureux succès. Il s'appliqua surtout a former des sujets qui pussent devenir de bons supérieurs, et pour cela il donnait des avis particuliers, bien propres a guider sûrement ceux qui sont chargés de gouverner les autres; mais sa conduite seule pouvait servir de modèle. Exact observateur de la règle, il se trouvait a tous les exercices, était habillé et nourri comme les autres, enfin n'était distingué de ses religieux que par l'autorité dont il était revêtu. Une véritable nécessité pouvait seule l'engager a user de dispense, et un jour, après avoir fait quatorze lieues, il ne voulut pas s'exempter d'assister la nuit suivante a l'office de matines.

 

Le bien qu'Alain avait opéré dans son abbaye avait besoin d'être affermi; il fallait établir la réforme sur des bases solides, et pourvoir a sa conservation. Pour y parvenir, il dressa des constitutions renfermées eu dix chapitres, et il les tira des diverses règles des ordres approuvés par l'Église, choisissant dans chacune d'elles ce qui pouvait convenir a l'institut des chanoines réguliers. Il a fallu que ces constitutions fussent bien sages, puisqu'elles ont contribué a maintenir jusqu'à la révolution la régularité dans l'abbaye de Chancelade, qui était encore a cette époque très nombreuse en sujets, et très édifiante. Ensuite le zélé réformateur vint a Paris, pour prier Louis XIII, qui régnait alors, de renoncer a son droit de nomination a l'abbaye, et de rendre la dignité d'abbé élective, il représenta an Roi les heureux succès qu'il avait obtenus à Chancelade, et la nécessité de les assurer. Mais eu sollicitant ainsi le monarque en faveur de son entreprise, Alain n'oubliait pas d'implorer ardemment le secours du ciel dans cette affaire importante. Le 7 janvier i63o, jour où cette affaire devait être décidée au grand conseil, il célébra la messe dans l'église de Notre-Dame. Au moment où il faisait son action de grâces, il apprit que le Roi lui avoir accordé presque entièrement l'objet de sa demande, en consentant qu'a l'avenir la communauté élût trois sujets entre lesquels sa Majesté ferait son choix. Cet arrangement, qui le satisfit, fut pour lui un nouveau motif de bénir et de remercier la divine Providence.

 

Alain songeait a retourner a son abbaye, lorsque M. de Cospéan, alors évêque de Nantes et supérieur de la nouvelle congrégation des Bénédictines du Calvaire, le pria de faire la visite des monastères de cette congrégation établis a Paris et dans quelques provinces de France. Il se prêta par charité a cette bonne œuvre, et se rendit successivement dans les diverses maisons qu'il devait visiter. Partout il laissa la bonne odeur de ses vertus, et ses instructions recueillies avec soin servirent a encourager les religieuses dans le chemin de la perfection. Elles conservèrent longtemps le souvenir du saint abbé de Chancelade, comme on le voit par une attestation d'une supérieure du Calvaire du Marais, à Paris, en date du 22 novembre 1660.

 

A cette occupation en succéda une autre encore plus importante, celle de visiter et réformer les monastères d'hommes dans une partie de la France. Le pieux cardinal de La Rochefoucault avait, a la demande de Louis XIII, reçu du pape Grégoire XV, pour toutes les abbayes du royaume, cette commission difficile. 1l subdélégua a son tour Monsieur de Solminihac, pour les maisons situées dans le Périgord, le Limousin, la Saintonge et le bas Poitou. Celui-ci s'acquitta de ce devoir avec la diligence et l'exactitude que l'on avait droit d'attendre d'un homme aussi solidement affermi qu'il l'était dans l'esprit religieux. Sa réputation, qui s'étendait, fit désirer des sujets de Chancelade dans plusieurs abbayes et prieurés; M. Olier alors abbé de Pebrac, en demandait pour sa maison: la réforme prit ainsi des accroissements. Plus tard, on voulut l'unir a la congrégation de Sainte Geneviève; mais Alain s'opposa a l'exécution de ce projet, et l'union ne fut point effectuée.

 

La vertu du pieux abbé était assez éclatante pour fixer tous les yeux sur lui; aussi le siège épiscopal de Lavaur étant venu a vaquer, Louis XIII résolut de l'y nommer, et le cardinal de Richelieu, de la part du Roi, lui en donna la nouvelle. Ce fardeau, qu'il croyait au-dessus de ses forces, l'effraya tellement, qu'il se décida à refuser et a faire agréer ses excuses; il crut avoir réussi, et déjà il en témoignait sa joie; il se trompait: le Roi admirant le soin que Monsieur de Solminihac prenait d'éviter l'épiscopat non-seulement ne reçut pas son refus, mais jugeant que l'évêché de Lavaur était trop petit pour un si digne prélat, il le nomma a celui de Cahors, l'un des plus grands du royaume, et alors vacant par la mort de Pierre Habert. La volonté du monarque était si précise, qu'Alain ne pouvait plus espérer d'opposer avec succès de la résistance; il songeait a fuir en Italie, et a s'y cacher dans quelque solitude. L'attachement qu'il avait pour ses frères, l'assurance qu'on lui donna qu'il pourrait encore leur être utile, l'empêchèrent d'exécuter son projet: il se résigna donc a l'épiscopat, et passa a en étudier les devoirs, les trois mois qui s'écoulèrent avant l'arrivée de ses bulles; il appelait ce temps son noviciat. Ses bulles ayant été expédiées, après quelques difficultés, a cause de l'abbaye de Chancelade, qu'il retenait, il fut sacré a Paris dans l'église de Sainte Geneviève du Mont, le 27 septembre 1637. A peine eut-il été revêtu du caractère épiscopal, que, pressé du désir de se rendre au milieu de son troupeau, il quitta Paris, visita les maisons de sa congrégation alla ensuite a Chancelade pour consoler ses frères que son départ affligeait vivement, enfin arriva dans son diocèse, le 3 février 1638. Il était alors âgé de quarante-quatre ans.

 

Son premier soin fut de se tracer un règlement de vie et il le fit aussi sévère que s'il avait été en religion. Son lever, fixé a quatre heures, devait être suivi d'une heure d'oraison. La célébration journalière de la messe, des moments déterminés pour l'office divin, l'étude et les affaires, la prière du soir en commun avec sa maison: voila les principaux points sur lesquels il insista. Il n'oublia pas les dispositions intérieures qui devaient accompagner ses actions. Il s'imposa également l'obligation de renouveler chaque jour ses vœux de religieux, et de lire sa règle tous les huit jours. Après s'être ainsi occupé de ce qui regardait sa personne, il donna son attention au bon ordre de sa maison. Elle était composée de huit chanoines réguliers, dont trois résidaient habituellement près de lui en qualité de vicaires généraux, les cinq autres étant presque continuellement employés a travailler dans les campagnes au salut des âmes, de deux prêtres séculiers qui étaient ses aumôniers, et de quelques domestiques. Il établit pour ceux-ci un règlement qu'il fit observer d'une manière si exacte, que la première infraction suffisait pour qu'il renvoyât celui qui le violait. Ainsi il congédia son cocher, qui était très adroit, parce que cet homme avait dit quelques paroles déshonnêtes; un autre de ses gens, parce qu'il avait sans sa permission couché un soir hors du palais épiscopal. II eut cependant peu de ces preuves de sévérité a donner, car les serviteurs du saint évêque, guidés par ses sages dispositions, ses conseils et ses exemples, vivaient dans la piété, s'occupaient sérieusement de leur sanctification, et faisaient l'édification de ceux qui fréquentaient le palais épiscopal.

 

L'on ne peut douter que le soin de Monsieur de Solminihac a bien régler son temps, et le bon ordre qu'il établit dans sa maison, n'aient puissamment contribué a rendre son épiscopat si fructueux pour lui-même et si avantageux pour son diocèse. Ce diocèse, composé de plus de sept cents paroisses, devint promptement l'objet de toute sa sollicitude, et il en demandait une grande, par l'état déplorable dans lequel il se trouvait. Les Protestants, dans leur impiété, avaient ruiné une partie des églises; les prêtres étaient peu instruits, et encore moins réguliers; leur manière de vivre, leurs vêtements ne les rendaient que trop semblables aux laïques; ils n'annonçaient jamais la parole de Dieu, aussi les peuples étaient-ils d'une ignorance grossière sur les vérités de la foi et leurs devoirs de religion. Pour remédier a tant de maux, le zélé pasteur commença par dresser des statuts, qu'il publia dans son synode peu de mois après son arrivée. Il voulut que tous les ecclésiastiques en eussent un exemplaire. Ce moyen réussit. Plusieurs prêtres, éclairés sur leurs obligations, s'appliquèrent a les remplir avec exactitude. Ces statuts furent trouvés fort beaux; on les jugea très miles, et ils furent réimprimés a Paris. Quelques contradicteurs cependant élevèrent la voix et voulurent les faire passer pour des nouveautés; mais Monsieur de Solminihac, dans l'édition qui fut faite par son ordre a Toulouse, plaça diverses citations eu marge et prouva par ce moyen qu'ils ne contenaient pas un mot qui ne se trouvât pas dans les conciles, surtout dans celui de Trente, dans les constitutions des papes ou dans les actes de l'Église de Milan, publiés par Saint Charles Borromée.

 

A ce travail succéda pour le saint prélat une entreprise non moins importante, l'établissement d'un séminaire. Cahors n'en possédait point encore, et le besoin s'en faisait vivement sentir. Il choisit une maison particulière, qu'il ouvrit aux ordinands, et lui-même en fut pendant quelque temps le supérieur; y allant fréquemment et s'occupant en détail a le bien régler. Mais comme ses grandes occupations ne lui permettaient pas de continuer a lui donner des soins personnels, il appela, en 1643, les prêtres de la mission de Saint-Lazare, gouvernés alors par saint Vincent de Paul, dont il était l'ami, il acheta un enclos dans la partie la plus agréable de la ville, fit construire les bâtiments nécessaires, et fonda ainsi son séminaire, qui est un des plus beaux du royaume. Les règlements qu'il dressa pour l'admission des sujets seront une preuve immortelle de l'ardent désir qu'a voit ce pieux évêque de donner de dignes ministres a l'Eglise; il examinait avec une attention scrupuleuse la vocation des jeunes gens, et si elle n'était pas solide, il les éloignait du sanctuaire, sans être arrêté par aucune considération humaine. Ceux qui étaient admis partageaient leurs instants entre l'étude et les exercices spirituels; exercices qui, grâces à Dieu, sont maintenant en usage dans tous les séminaires; mais dont celui de Cahors, un des premiers établis en France, donnait alors le modèle. La perfection des clercs intéressait si vivement Monsieur de Solminihac, qu'il ne négligeait aucun moyen d'y faire parvenir les ecclésiastiques de son diocèse. C'est dans ce dessein qu'il exigea, en 1653, de tous les étudiants qui se trouvaient alors au séminaire, la promesse par écrit qu'ils feraient tous les jours de leur vie une heure d'oraison mentale, excepté le cas d'une excuse légitime. En même temps, il protesta qu'il ne recevrait a l'avenir aux saints ordres que ceux qui s'engageraient envers lui par une semblable promesse.

 

Après avoir pris les mesures les plus efficaces pour préparer à son peuple des pasteurs réguliers et fervents, le zélé prélat porta les yeux sur les besoins présents de son troupeau. L'on a déjà vu que ces besoins étaient immenses et qu'ils demandaient un prompt secours. Celui qui lui parut le plus propre a ramener les âmes égarées et a les faire marcher dans les voies du salut, fut d'entreprendre des missions. Six religieux de Chancellde parcouraient par son ordre les paroisses du diocèse de Cahors, et préparaient les fidèles à recevoir dignement la visite de leur premier pasteur. Il avait obtenu de Rome des indulgences que gagnaient ceux qui assistaient aux instructions des missionnaires. L'on ne peut dire tous les fruits de bénédiction que produisirent ces saints exercices. Les peuples s'y portaient en foule et montraient une si grande avidité d'entendre là parole de Dieu, que les laboureurs abandonnaient leurs travaux et passaient souvent dans les églises toute la journée sans manger. Des confessions générales, des conversions éclatantes, la réforme des mœurs, tels étaient les heureux résultats de la mission dans chaque paroisse. Ces hommes apostoliques parcoururent ainsi tout le diocèse, gagnant partout l'affection des habitants des cantons qu'ils évangélisaient. Ils terminèrent leurs travaux par la ville de Cahors, où le saint évêque voulut se placer à leur tête et être leur collaborateur. Les exercices de la mission ayant lieu dans quatre églises en même temps, il semblait se multiplier pour exciter par sa présence ses ouailles a profiter des biens spirituels qu'il leur procurait. Les fatigués furent si grandes pendant un mois, qu'il en fut ensuite indisposé, et qu'il eut la douleur de voir succomber le chef des missionnaires. Il ne se rebuta pas néanmoins, et après avoir donné a ces pieux ouvriers quinze jours de repos au château de Merquez, qui était sa maison de campagne, il leur fit recommencer leurs courses apostoliques, a l'occasion d'un jubilé que le pape Alexandre VII publia en 1656. Cette fois-ci il voulut lui-même les accompagner, et visiter avec eux les différentes parties de son diocèse. Cette mission, qui dura vingt-deux mois sans interruption, fut très pénible pour M. de Solminihac; mais elle lui offrit de grandes consolations, par le bien immense qu'il opéra. Ce fut alors qu'il détruisit l'usage des duels très fréquents dans cette contrée, et qu'il proscrivit les usures. Ce fut aussi a cette époque qu'ayant eu connaissance d'un synode assemblé par les Protestants a Caussade, petite ville du diocèse de Cahors, il s'y rendit avec ses missionnaires, appela les ministres de la prétendue réforme a une conférence qu'ils n'osèrent pas accepter, et finit par convertir plusieurs hérétiques , qui firent entre ses mains l'abjuration de leurs erreurs. Cette longue suite de missions se termina enfin par celle de Saint-Circ, qui eut lieu pendant l'Avent de l'année 1558. Le curé de .cette paroisse, engageant alors son évêque a prendre enfin quelque repos, reçut de l'infatigable prélat cette belle réponse: « Le repos est pour le peuple de Dieu »; faisant allusion au passage de saint Paul, dans lequel le grand apôtre parle du bonheur des saints dans le ciel.

 

Monsieur de Solminihac ne semblait compter que sur ce repos éternel. Le désir qu'il avait de remplir tous les devoirs de sa charge ne lui permettait pas de rester un moment oisif; aussi la mission de Saint-Circ était a peine terminée, qu'il dressa l'ordre d'une nouvelle visite. Il avait commencé d'en faire dès la première année de sou épiscopat; cette obligation lui paraissait si importante, qu'il s'en acquitta constamment avec assiduité, pendant tout le temps qu'il gouverna l'Église de Cahors. Des affaires sérieuses qui intéressaient son Église, ou des incommodités pouvaient seules l'arrêter quelquefois. Hors ces circonstances, il se trouvait toujours au milieu de quelque portion de son troupeau. Pendant que durait sa visite il se levait a trois heures du matin, célébrait la messe et faisait une heure d'oraison. Il partait ensuite pour se rendre au lieu où il devait passer le jour. Sa ponctualité à arriver au moment qu'il avait indiqué, son courage a pénétrer dans les lieux les moins accessibles et où l'on n'avait jamais vu d'évêque, sa patience a supporter les fatigues et les injures de l'air, la vie mortifiée qu'il menait au milieu de ces pénibles travaux, ne mangeant que des herbes, étaient un sujet d'admiration pour ceux qui accompagnaient le saint prélat. Il entreprit sa première visite à pied; mais il fut obligé de renoncer a cette manière de voyager , parce qu'elle lui prenait plus de temps et qu'elle l'incommodait; il allait a cheval, et, dans les dernières années de sa vie, en litière. L'approche des fêtes solennelles le ramenait à Cahors, pour officier pontificalement dans sa cathédrale. Les synodes le faisaient également y revenir; car il en tint plusieurs pendant son épiscopat. C'était pendant leur tenue qu'il publiait ces sages ordonnances qui rétablirent dans son diocèse la discipline ecclésiastique. Il divisa son territoire en trente districts, et mita la tête de chacun d'eux un curé zélé avec le titre de vicaire forain. Ces vicaires étaient ses hommes de confiance et les surveillants des paroisses qu'ils avoient dans leur district. Il exigeait d'eux une grande régularité, soit pour leur conduite particulière, soit pour le soin de leur troupeau, et il voulait qu'ils fussent, s'il était possible, encore plus exacts que les autres à porter toujours la soutane. Une de leurs principales fonctions était de présider chaque mois les conférences; Monsieur de Solminihac en introduisit l'usage parmi son clergé, et ce fut un moyen puissant qu'il employa pour instruire les prêtres ainsi que pour les sanctifier.

 

C'était parmi les ecclésiastiques les plus pieux et les plus éclairés .que le saint évêque choisissait les bénéficiers. Jamais la faveur, les protections ni les sollicitations ne purent dans ce cas rien obtenir de lui. Un chanoine de sa cathédrale, ayant à nommer a un bénéfice, lui proposa par politesse de lui laisser le choix du sujet. Monsieur de Solminihac adressa pour toute réponse a ce chanoine un billet dans lequel se trouvait écrit ce seul mot: « Digniori » (« au plus digne »). Voulant ainsi, faire entendre que c'était la règle qu'il observait et qu'il fallait suivre dans cette circonstance. Il ne voulait pas qu'on dit: l'on a donné cette paroisse a tel curé; mais bien: l'on a donné tel curé a cette paroisse; assurant avec raison, qu'il fallait faire beaucoup plus attention à la nécessité des églises qu'a l'avantage temporel des pasteurs. Lui-même se regardait comme entièrement dévoué au diocèse de Cahors, et comme obligé a lui consacrer ses soins, son temps, ses travaux et ses revenus. Il usait des biens de son évêché comme un fidèle économe, qui cherche en tout les intérêts de son maître. Zélé pour la conservation des droits de son siège et des possessions de son église, il les défendit avec persévérance contre les usurpations, et soutint même a cet effet plusieurs procès; il ne défendait ces biens par aucun intérêt personnel; car entièrement détaché de tout, et menant une vie pauvre, il se contentait de peu; mais il employait en bonnes œuvres tout l'excédant de sa dépense. Ainsi le prieuré de Notre Dame de la Réforme de Chancelade a Cahors, l'hôpital de Notre Dame, la maison des orphelines de Saint-Joseph, celle des orphelins dans la même ville, durent leur fondation a ses libéralités. On a vu ailleurs ce qu'il avait fait pour son séminaire. Plusieurs églises de son diocèse éprouvèrent aussi les effets de sa générosité, et l'on a remarqué qu'il a occupé en même temps tous les sculpteurs de plusieurs villes a exécuter de beaux tabernacles, qu'il distribuait ensuite aux paroisses qui n'en avaient pas de décents.

 

Après avoir donné pendant vingt-deux ans l'exemple de toutes les vertus épiscopales, Monsieur de Soiminihac, consumé par les austérités et les travaux, tomba dans un état de faiblesse qui lui fit connaître que sa fin était prochaine; il n'interrompit pas néanmoins le cours de ses visites; mais il ne pouvait plus parler en chaire, et il lui fallait s'asseoir cinq ou six fois en célébrant la messe. Au mois d'octobre 1659, il fut obligé de revenir a son château de Merquez, où ses forces diminuèrent de plus en plus, sans qu'il perdit rien de sa gaîté. Cependant il put encore offrir le saint sacrifice dans sa chapelle jusqu'au 8 décembre de la même année. Depuis ce moment il n'osa plus monter a l'autel, par la crainte de quelque accident; il communiait chaque jour dans sa chapelle, où il se rendait malgré ses infirmités, éprouvant de la répugnance a faire célébrer dans sa chambre: il fut néanmoins obligé plus tard de le permettre, pour ne pas se priver du bonheur de recevoir son Dieu. Le 30 décembre, on le vit fort abattu; on fut obligé de lui retirer son bréviaire, qu'il avait exactement récité jusqu'alors, et de lui ôter ses habits, qu'il gardait toujours au lit depuis son entrée en religion. Bientôt l'accablement augmenta et devint si considérable que le lendemain de grand matin il voulut se confesser et communier en viatique. S'étant acquitté de ce devoir, il fit encore une confession générale de toute sa vie, déclara ses dernières volontés, répéta avec ferveur ce verset du psaume 88: « Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur », et reçut ensuite avec une grande piété le sacrement d'extrême-onction. Il se regardait comme une hostie, et conservant toute sa connaissance, il répondait, lorsqu'on lui parlait: « J'achève mon sacrifice ». II annonça que ce sacrifice serait consommé a midi. En effet, on lui lisait à cette heure la passion de Jésus-Christ selon, saint Jean, et l'on en était rendu à ces paroles: « Et ayant baissé la tête, il rendit l'esprit »; le vénérable prélat rendit lui-même paisiblement son âme a son Créateur, le 31 décembre 1659. Ainsi mourut, a l'âge de soixante-six ans, ce saint évêque de Cahors, modèle parfait des religieux et des pasteurs; digne d'une éternelle mémoire, par toutes ses vertus, mais surtout par son humilité profonde, ses grandes austérités, sa fermeté, vraiment épiscopale, son tendre amour pour l'Église, son zèle aident du salut des âmes, son entier détachement des objets créés et son esprit intérieur. La France doit professer pour lui les mêmes sentiments de respect et d'estime qu'elle a montrés pour les saints pontifes qui l'ont illustrée dans les premiers siècles, pour les Irénée, les Hilaire, les Martin et les Rémi. L'esprit de ces grands hommes anima Monsieur de Solminihac; comme eux, il ne chercha que la gloire de celui dont il était le digne ministre; comme eux, il ne travailla qu'à étendre de plus en plus le royaume de Jésus Christ.

 

Son corps, exposé pendant vingt jours, fut visité par une foule immense de peuple, et devint dès lors l'objet de la vénération publique. Il fut, suivant ses dernières volontés, inhumé dans la chapelle du prieuré de Notre Dame a Cahors, et transféré ensuite dans l'église de la même maison, lorsque cette église fut achevée. Les religieux, pleins de respect pour leur saint fondateur, enfermèrent ses précieux restes dans un cercueil de plomb, recouvert de larges pierres élevées au-dessus du pavé de leur église; ils y placèrent une épitaphe fort honorable a sa mémoire. En 1791, les maisons religieuses ayant été supprimées, ce tombeau fut ouvert; on trouva le corps tout entier, et sa figure semblable a celle du portrait que le peintre en avait fait au moment de sa mort. Ce monument fut transporté dans l'église cathédrale et placé dans la chapelle de tous les Saints, où il se voit encore, entre la chaire et le chœur, a main droite. On garde dans les archives de la même église les papiers relatifs au procès de sa canonisation, l'autographe de sa vie, par le Père Chastenet; plusieurs de ses lettres, dont quelques-unes a saint Vincent de Paul; sa soutane, son camail, deux mitres, ses gants, le drap de son lit de mort, et son cœur enfermé dans une boîte d'argent.

 

La confiance dans les mérites du saint pontife se manifesta dès l'instant de sa mort; on lui attribua plusieurs miracles, et depuis ce temps le concours des fidèles a son tombeau continue toujours. De toutes les parties du diocèse de Cahors et des pays environnants on a recours a son intercession; on fait célébrer un grand nombre de messes pour en obtenir quelque grâce particulière, et dans le pays on ne le désigne que sous le nom du bienheureux Alain. L'on fait bénir beaucoup de cordons , que les malades portent en son honneur, et bien des personnes pourraient, au moment même où nous écrivons, attester qu'elles en ont éprouvé les heureux effets. Il y a peu de saints personnages dans l'Église pour la canonisation desquels on ait fait tant d'instances que pour celle de Monsieur de Solminihac. Le clergé de France, dans ses assemblées, l'a demandée a Rome sept fois, depuis 1670 jusqu'en 1785. En 1775, il se chargea de tous les frais que devait coûter ce procès. Les informations préliminaires étaient faites a cette époque, et si la révolution n'y avait pas mis obstacle, il est à croire que cette cause serait maintenant ou terminée, ou bien avancée. Il serait digne de la piété des prélats qui remplissent aujourd'hui les sièges de l'Eglise de France, de solliciter a leur tour en faveur d'une cause dont le succès donnerait un nouveau lustre à cette antique Église. Nous nous estimerions heureux d'avoir attiré leur attention sur cette affaire intéressante et de contribuer ainsi a augmenter la gloire d'un des plus saints évêques qui aient parus dans ces derniers siècles.

 

Tiré de sa Vie, par le P. Léonard Chastenet, prieur de Notre-Dame de Cahors, et témoin oculaire des actions du saint prélat, Saint-Brieuc, 1817.

 

Texte extrait de « Vie des Saints et des Bienheureux » par Alban Buttler, Tournai, Librairie Casterman, 1825

 

 

Alain de Solminihac a été béatifié en 1981 par le Vénérable Jean Paul II.



26/12/2010
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