Spiritualité Chrétienne

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Vie de Sainte Rita de Cascia 3e partie

 Vie de Sainte Rita de Cascia, 3e partie

 

Chapitre XIV: La Profession Religieuse et la vie mystique

La vie chrétienne, suivant l'esprit de l'apôtre saint Paul, est une naissance suivie d'une ascension, récompensée par la gloire. Notre-Seigneur avait dit à Nicodème : "Si l'on ne renaît dans l'eau et dans le Saint-Esprit, on ne peut entrer dans le règne de Dieu". Il voulait parler du baptême par lequel l'homme, après être né à la vie présente, renaît à la grâce et se place dans la voie de la vie éternelle. Étant chrétien, il doit suivre les exemples de Nôtre-Seigneur, imitant ses vertus, et, dans cette imitation, il va croissant de vertu en vertu, multipliant les bonnes œuvres et s'élevant ainsi vers le ciel. Si chaque chrétien doit agir ainsi, à plus forte raison celui qui embrasse la vie religieuse, prenant la résolution d'observer non seulement les Commandements de la Loi, mais encore les conseils que Nôtre-Seigneur donne à ceux qui veulent le suivre de plus près dans la vie parfaite. Nous rappelons ces choses avant de raconter une vision que Rita eut à peine avait-elle fait la profession solennelle par laquelle elle se consacra irrévocablement à Dieu et fut inscrite au nombre des religieuses Augustines. Quelle fut alors sa félicité ! Il est impossible de l'exprimer dans un langage humain. Il faudrait connaître pleinement le très haut degré de perfection qu'elle avait déjà atteint en ce temps-là et qu'elle était son union intime avec Dieu. Ce qu'il y a de certain, c'est que la nuit qui suivit sa profession, pendant qu'elle était dans une douce contemplation, remerciant le Seigneur de la grâce reçue, elle vit une échelle qui de la terre montait jusqu'au ciel et à l'extrémité de laquelle était assis Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Illuminée par la lumière divine, elle entendit que Jésus l'invitait à la gravir généreusement. Et comme l'on n'arrive à la gloire qu'à travers l'humiliation et le presque anéantissement total de soi-même, elle, qui dès ses plus tendres années avait profondément aimé Jésus Crucifié et avait désiré souffrir, il est certain que de ce moment-là elle le désira encore plus. Un autre jour, pendant qu'elle assistait à la sainte messe, en écoutant la lecture de l'évangile, les paroles de Nôtre-Seigneur : "Je suis la voie, la vérité, la vie", la pénétrèrent si profondément qu'elle en ressentit comme un embrasement d'amour de Dieu. Ainsi le Seigneur favorisait sa fidèle servante et lui faisait gravir l'échelle mystique dont elle avait eu la vision. L'humble Sœur cherchait à cacher les faveurs du ciel, mais tout d'abord les Sœurs, et ensuite la population de Cascia, apprirent sa sainteté et le pouvoir qu'elle avait sur le cœur de Dieu. Les grilles des monastères ne peuvent pas être fermées au point de ne laisser pénétrer les nouvelles du monde au détriment, quelquefois, du recueillement et de la piété. Le parloir où parents et amis viennent visiter les religieuses ne plaisait certainement pas à sainte Thérèse de Jésus, la grande réformatrice du Carmel. Mais le cas n'est pas rare où, de ce lieu, partent de saints exemples, de salutaires exhortations et de lumineux conseils. C'est du parloir que la grande sainte Thérèse réussit à ramener à Dieu un prêtre égaré, et nous savons que, tout particulièrement au XVIIe siècle, on vit accourir aux parloirs de la Visitation des princes et hommes d'État, des princesses et des reines, des prêtres et des évêques qui venaient se recommander aux prières des pieuses religieuses et demander leurs conseils dans les difficultés les plus grandes de la vie. Rita, si aimante de la pauvreté jusqu'à choisir pour elle les vêtements les plus déchirés et les plus rapiécés, si sobre dans la nourriture qu'elle ne s'alimentait que pour soutenir ses forces et accomplir son devoir; Rita, si obéissante qu'on aurait pu la croire insensible ou sotte, et si aimante de la pénitence jusqu'à ne désirer que de souffrir avec le Christ et pour le Christ; Rita, tellement unie à Dieu qu'elle en était toute illuminée des perfections divines que seules peuvent connaître les âmes consumées par l'amour de Dieu, fit bientôt l'admiration, non seulement de ses Sœurs, mais de la cité entière. La suave odeur du Christ se propageait à l'immense avantage de la communauté, faisant refleurir l'esprit religieux, et ses prières obtenaient des miracles de conversions et des guérisons merveilleuses. La lampe avait voulu se cacher sous le boisseau, mais Dieu ne tarda pas à la faire resplendir de la lumière de la sainteté.


Chapitre XV: Le Jubilé de Nicolas V


Le 29 février 1447, après avoir cherché par différents moyens de donner la paix à l'Église et de ramener dans son sein les schismatiques orientaux, en particulier les Grecs, le pape Eugène IV rendait son âme à Dieu, assisté de saint Antonin, archevêque de Florence. Le cardinal Thomas Parentucelli de Sarzana lui succéda sur le trône pontifical sous le nom de Nicolas V. Homme de fort génie et de grand cœur, il se mit sans retard à réparer les ruines que les partis avaient accumulées à Rome, spécialement pendant le séjour des Pontifes en Avignon. Les illustres architectes Léon-Baptiste Alberti, et le Bramante apportèrent leur oeuvre lumineuse et l'on appela à Rome le Beato Angelico, l'inégalable peintre des Madones et des Anges qu'il voyait sans doute dans la contemplation, avant de les reproduire sur la toile. Mais les ruines morales étaient beaucoup plus profondes que les ruines matérielles et plus difficiles à réparer, et le pontife songea à ouvrir l'indéfectible trésor des indulgences, promulguant le jubilé de l'Année Sainte 1450. La nouvelle apporta une joie immense et un sentiment de soulagement et d'espérance dans tous les cœurs Qu'il nous soit permis de reporter ici, d'après Nediani, une page de Gregorovius dans son "Histoire de Rome", qui écrit à ce sujet : « Comme la paix régnait en Italie en l'an de grâce 1450, Nicolas, plus heureux que presque tous ses prédécesseurs, put célébrer l'année jubilaire et signifier au monde que la papauté, dont on avait combattu l'autorité avec tant de véhémence, continuait à être le centre de la république chrétienne et que le pape en était le Chef universel. L'affluence des pèlerins fut si grande qu'un témoin oculaire les compare à un essaim d'étourneaux et à un grouillement de fourmis. Un jour, la cohue fut si grande sur le pont Saint-Ange que deux cents personnes périrent, certaines écrasées et d'autres précipitées dans le Tibre. C'est pourquoi, afin d'empêcher que de telles catastrophes se renouvellent, le pape fit abattre des maisons et ouvrir une place devant l'église de Saint-Celse. Rome fut envahie par une nuée immense de prêtres, de moines, de religieux, vêtus de toute manière, aux vêtements les plus divers, aux tuniques variées et disparates, aux frocs les plus pittoresques, et l'ensemble excita à une grande piété et à la pénitence. Les religieuses spécialement, car il n'existait pas encore la clôture rigide du Concile de Trente, se firent un devoir de se rendre à Rome pour gagner les saintes indulgences, donnant ainsi un spectacle merveilleux de piété, fier et émouvant. Une foule aussi dense représentait certainement une somme énorme de sacrifices et démontrait combien le monde sentait le besoin d'être pardonné et de vivre en paix. Pour arriver à la ville sainte, la plus grande partie des pèlerins devait affronter de mauvaises routes et escalader une infinité de montagnes et de cols. La route appelée la Voie Romaine, celle que prenaient les pèlerins du Nord, passait par Ferrare, Ravenne, Rimini, puis tournait vers Foligno, Spoleto, Rieti. Celui qui la parcourt aujourd'hui, commodément installé dans un wagon de chemin de fer, jouit énormément de cette fuite de collines verdoyantes, de ces villes, de ces châteaux, de ces bourgs perchés sur les hauteurs, voyant tour à tour les eaux de la Nera, de l'Aniene et du Tibre, que l'on traverse souvent sur des ponts hardis. Mais, en l'année 1450, la majeure partie des pèlerins faisait le long voyage à pied, grimpant avec beaucoup de peine par les sentiers de chèvre, cherchant le gué des fleuves et aux prises avec les intempéries des saisons. Il fallait une grande foi et une grande piété pour affronter de telles fatigues, et certains y laissaient leur vie. Comme on peut se l'imaginer, la nouvelle du jubilé mit en émoi les religieuses Augustines de Cascia, et plusieurs d'entre elles manifestèrent un vif désir de se rendre à Rome. C'était une splendide occasion pour gagner les indulgences, et peut-être, pourquoi ne pas le dire, de voir Rome, le pape, les majestueuses basiliques, les catacombes et les lieux sanctifiés par le sang des martyrs. Rome, le désir non seulement des poètes, des archéologues, des historiens, mais encore celui des artistes et des saints, musée immense qui nous parle de trois civilisations qui se succédèrent laissant des vestiges ineffaçables. Rita ne fut certainement pas la dernière à demander la permission de se rendre à la ville éternelle. Non pas qu'elle désirât poser ses regards sur les ruines de la Rome païenne, elle était accoutumée à contempler le ciel et à voir les choses avec les yeux de la foi, mais c'était pour se purifier de plus en plus, pour avoir la bénédiction pontificale et tout spécialement pour vénérer les insignes reliques de la Passion du Christ. Il y avait cependant une grosse difficulté. La pauvre Sœur était réduite, comme Job, à vivre retirée pour ne pas empester la maison et pour ne pas causer de dégoût avec la plaie de son front, plaie fétide et repoussante. C'était certainement un miracle de pouvoir vivre ainsi, mais de ces miracles que personne ne désire contempler. Et quand, avec humilité, elle demanda à la supérieure la permission, ou, comme l'on dit en style monacal, l'obédience de se rendre à Rome, il lui fut répondu que, avec une telle plaie au front, il n'était pas possible de la laisser aller. La sainte ne se découragea pas, mais avec cette foi qui transporte les montagnes et avec cette filiale confiance qui ne doute de rien, elle demanda à Jésus cette grâce, humainement impossible, de faire disparaître la plaie jusqu'à son retour de Rome, tout en en conservant la douleur. La plaie disparut, et Rita partit avec plusieurs autres de ses Sœurs


Chapitre XVI: Voyage et documents spirituels


Les pieuses pèlerines, appuyées sur leur bâton fidèle, s'acheminèrent vers Ruscio pour arriver à Rome par la voie, alors plus fréquentée, qui descend vers Rieti, traversant le fleuve Carno puis la vallée de la Nera, et puis, toujours ondulée et à cause de cela incommode, continue vers Rome. Nous pouvons facilement nous imaginer la vie de ces pauvres Sœurs pendant ce voyage. Marcher jusqu'à ce qu'elles tombent de fatigue, passer leur temps en prières ou en conversations pieuses, loger la nuit dans quelque village, accueillies par charité par quelques bonnes personnes. Le désir d'arriver dans la ville éternelle soutenait leurs forces et les incitait à marcher. Mais, par-dessus tout, l'exemple de Sœur Rita, la plus âgée (elle avait alors soixante ans), les encourageait, car elle était la plus prompte à la fatigue et au sacrifice. La supérieure avait donné quelque argent à chaque religieuse, en vue de leurs besoins éventuels. Mais Sœur Rita ne pouvait sentir cet argent sur elle; il lui paraissait d'un poids insupportable, il lui semblait qu'elle avait quelque chose de profane, d'inconvenant, elle qui avait fait vœu de pauvreté. Et un jour où une des Sœurs manifestait la crainte que l'argent qu'elles avaient ne suffît pas à leurs besoins, pendant qu'elles traversaient un torrent sur une poutre placée au travers, Rita jeta son argent dédaigneusement dans l'eau. Les autres religieuses furent stupéfaites de cet acte apparemment insensé, mais Rita sut les apaiser se référant à l'Evangile et se remettant entre les mains de la divine Providence. Évidemment ce n'était pas la prudence humaine, mais l'Esprit de Nôtre-Seigneur qui la guidait. Rita joignait l'exhortation à l'exemple : Pensez, mes Sœurs, si le monde nous voyait pourvues d'argent, quelle conception il aurait de nous ? Mais si nous savons dédaigner les richesses et nous montrer vraiment filles de la pauvreté, il nous tiendra en grande estime. Etre pauvre, ne pas avoir trop soin de son corps et même le traiter sans égards, sert beaucoup à comprimer la sensualité. Et elle n'était pas de celles qui prêchent bien et agissent mal : elle se montrait modèle parfait de toutes les vertus. Bien qu'illettrée, elle avait été chargée par la supérieure de la direction du petit groupe et, ajoute l'auteur Cavallucci, elle leur parlait de l'amour de la clôture, de la solitude, du recueillement spirituel; elle les exhortait à être prudentes dans leur parler, modestes dans leurs regards, à ne pas engager de conversations soit avec l'un, soit avec l'autre pour ne pas s'exposer au péril de graves péchés et de faire perdre ainsi l'estime du monastère. Quant à elle, elle pratiquait bien ce qu'elle enseignait, car son ardent esprit de mortification le démontre. N'oublions pas la douleur continuelle de l'épine qui lui avait transpercé l'os du front. La méditation continuelle du Crucifix avait si profondément pénétré le cœur de Rita qu'elle avait une inextinguible soif de souffrances. Et elle supportait ces souffrances, non seulement pour se rendre semblable au divin Sauveur, mais pour le même motif pour lequel il avait souffert, c'est-à-dire la réparation des outrages que reçoit continuellement la divine Majesté, et pour la conversion des hérétiques, des schismatiques, des infidèles et des pécheurs. Ayant profondément pénétré le merveilleux dogme de la Communion des saints, elle savait que ses prières et ses mortifications servaient à la conversion des vivants et au soulagement des défunts. En considérant le nombre des égarés et des âmes du purgatoire, il lui semblait toujours faire peu et que ses souffrances n'étaient qu'une goutte d'eau sur un immense brasier. C'est à cette lumière seulement que nous comprenons l'inextinguible soif d'expiation de la généreuse femme.

Chapitre XVII: A Rome


De quelque côté que l'on arrive aujourd'hui dans la Ville éternelle, l'œil, habitué aux ondulations des collines qui l'entourent ou de la campagne romaine qui aujourd'hui perd rapidement son séculaire aspect de désolation, reste frappé par l'énorme coupole que le génie de Michel-Ange jeta sur la basilique de Saint-Pierre. Elle domine comme une reine la cité qui fut et est la reine du monde, et c'est comme un immense baldaquin qui recouvre les restes mortels de l'humble pêcheur de Galilée à qui le Christ confia le gouvernement spirituel des âmes. Mais quand Rita et ses compagnes arrivèrent à Rome par la voie Flaminia et qu'elles entrèrent par la Porte du Peuple, celte coupole n'existait pas encore, bien que fût né déjà celui qui devait la concevoir et la construire avec une hardiesse romaine. La majestueuse basilique à cinq nefs, consacrée le 18 novembre 326 par le pape Sylvestre, bien que décrépie et branlante, était encore debout. Nos dévotes pèlerines s'y dirigèrent donc pour commencer les visites jubilaires de la tombe de saint Pierre. Mêlées à la foule énorme, on pense avec quels sentiments elles se prosternèrent sur cette pierre qui leur rappelait les paroles indéfectibles du Christ : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Durant le Jubilé, on expose à Saint-Pierre deux reliques insignes de la Passion du Sauveur : c'est la lance avec laquelle Longin ouvrit le cœur de Jésus, et l'Image que Jésus lui-même laissa sur le voile que lui présenta une sainte femme pendant qu'il gravissait le Calvaire. Cette femme eut, d'après la tradition, le nom de Véronique. Tandis que Véronique est justement cette image et signifie Vraie Image. Il est probable que Dante, le plus grand des poètes italiens, participa au Jubilé donné par le pape Boniface VIII en l'année 1300 et, dans le chant 31 du Paradis, il écrit au sujet de la Véronique : Quale è colui che forse di Croazia Viene a veder la Veronica nostra Che per l'antica fama non si sazia, Ma dice nel pensier, fin che si mostra « Signor mio Gesù Cristo, Dio verace Or fu si fatta la sembianza vostra ? » c'est-à-dire : Comme cet homme qui, venu peut-être de la Croatie Pour voir notre Véronique, ne se lasse Pas de l'admirer, à cause de son antique Réputation, et dit en lui-même, Tant qu'on laisse l'image sous ses yeux « O mon Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu, Voilà donc votre véritable visage » Et maintenant, qui pourra imaginer les sentiments de Rita en contemplant cette figure, ce visage si douloureux, gonflé par les soufflets et par les plaies et tout arrosé de sang ? Ceci n'est pas un fait improbable, et nous pouvons supposer que dans les monastères on lisait alors, plus que de nos jours, la Sainte Ecriture, et que Rita se rappela la prophétie d'Isaïe : Il (le Christ) n'a ni beauté ni splendeur, et nous l'avons vu, et il n'était pas beau à voir, méprisé et l'infime des hommes, homme des douleurs et qui connaît la souffrance, et son visage était presque caché, et il était vilipendé. Il a pris sur lui nos langueurs et il a porté nos douleurs. Il a souffert pour toutes nos iniquités et a été brisé pour toutes nos impiétés, par ses meurtrissures nous avons été guéris (Is., LIII, 2-5). La vue de la lance qui ouvrit le côté du Sauveur, si largement que l'on pouvait passer la main, ne dut pas faire une moindre impression chez Rita. On se rappelle les paroles de saint Thomas, l'apôtre incrédule : « Si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai pas », et la réponse de Jésus : « Mets là ton doigt et regarde mes mains, approche aussi ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus infidèle, mais croyant. » Cette lance faisait revivre dans l'imagination de Rita la douloureuse Passion du Christ et lui révélait les trésors d'amour infini du Coeur de Jésus. Non moins précieuses sont les autres reliques de la Passion de Jésus-Christ conservées dans la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem : trois morceaux assez grands de la vraie croix, un des clous de la crucifixion, deux épines de la couronne douloureuse qui transperça la tête divine; la tablette que Pilate fit clouer portant l'inscription en caractères hébraïques, grecs et latins : « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. » Et puis « la Scala Santa » du Prétoire de Pilate, par laquelle passa Jésus perdant son sang après la flagellation, et que l'on ne monte qu'à genoux. Celui qui écrit la monta plusieurs fois, ému jusqu'aux larmes, attendant que se meuvent les personnes qui étaient devant, poussé par celles qui étaient derrière, parce que, spécialement à l'occasion des jubilés, la foule se renouvelle incessamment. Et ce grand crucifix que l'on voit au haut du long escalier nous semble dire : Celui qui veut venir après moi, qu'il prenne sa croix sur son épaule et qu'il me suive. Rome, principalement au temps de sainte Rita, où tant de merveilles de l'antique cité étaient dispersées et où la Renaissance n'était pas encore venue lui donner de nouvelles magnificences, n'était qu'un ample monastère, avec ses basiliques vétustes, ses souvenirs antiques et récents des saints qui l'avaient illustrée, ses catacombes et les insignes reliques des martyrs à Saint-Laurent, au camp Vérano, à Sainte-Prassede, à Sainte-Agnès, à Saint-Sébastien et en tant d'autres lieux, où les dévots se rendent encore maintenant en pèlerinage. Et enfin quels souvenirs au Colisée, où il semble qu'à la prière des pieux pèlerins bouillonne le sang des chrétiens qui y ont été martyrisés. Nous écrivons ces choses, non pas avec la prétention, qui serait folie, de décrire les merveilles de la Rome chrétienne, mais pour donner au lecteur une idée de l'intensité de vie spirituelle vécue en ces jours bénis par Rita et ses compagnes. A tout cela l'on ajoute la vue du Souverain Pontife et ses pieuses exhortations, et la rencontre dans la cité universelle de tant d'âmes saintes qui, bien que ne se connaissant pas, s'édifiaient réciproquement. Sainte Françoise Romaine était morte peu d'années avant, mais il y avait saint Diego de Cadice, sainte Catherine de Bologne, saint Jean de Capistrano et saint Jean della Marca, que Rita connaissait depuis qu'elle en avait été si profondément émue par son sermon sur la Passion du Christ. L'humble religieuse de Cascia, entrant dans la basilique de Saint-Pierre, se sera prosternée pour baiser le seuil de la Porte Sainte qui s'ouvre seulement pendant les années jubilaires. Qui se serait imaginé que cette pauvre femme, vieillie, émaciée, pauvrement vêtue, perdue au milieu de la foule, aurait été un jour, dans cette même basilique renouvelée, élevée à l'honneur des autels ? Pendant l'année jubilaire, le Souverain Pontife Nicolas fit solennellement la canonisation de saint Bernardin de Sienne. Nos pèlerines n'auront certainement pas manqué cette cérémonie qui attire toujours une grande affluence de peuple. Quatre cents ans après, la même cérémonie et avec une non moins grande pompe, était célébrée pour l'humble Sœur qui portait sur son front le sceau du Christ.

Chapitre XVIII: Vers la consommation de la victime

Ayant accompli les visites pour la grande indulgence et visité les lieux sacrés de Rome, les pieuses pèlerines se décidèrent au retour, avec ce regret qu'on éprouve lorsqu'on est arraché à la vision d'un spectacle qui nous a ravi dans les sens et dans l'esprit. Les choses vues, les choses entendues les avaient enflammées d'un saint enthousiasme, et elles ne pouvaient laisser la Cité sainte sans regrets, sans se retourner de temps en temps en arrière tant qu'elles l'eurent en vue. Elles échangeaient leurs impressions personnelles et, dans les maisons où elles recevaient la nuit l'hospitalité, elles parlaient des grandes choses de Rome. Et à leur arrivée au monastère, pendant les premiers jours, de quelle autre chose auraient-elles bien pu parler ? Nous pensons que Rita, pareillement émue par les impressions rapportées de Rome, désirait ardemment la solitude pour se maintenir dans le recueillement intérieur, en intime union avec Dieu, qui ne tarda pas à l'exaucer, permettant que la plaie de son front se rouvrit à nouveau. La patiente, nouvelle Job, fut donc à nouveau reléguée dans une chambre éloignée où une religieuse lui portait le nécessaire, la laissant ensuite seule avec Dieu. Rita, aimant éperdument la douleur, était ravie de ses souffrances, pensant que ces tourments soufferts avec Jésus et pour Jésus contribuaient, en vertu de la communion des saints, à conduire à Dieu des quantités d'âmes. Quelquefois, écrit l'auteur Cavallucci, elle resta même quinze jours de suite sans compagnie, absorbée dans les pensées du ciel. Mais bientôt la renommée de sa sainteté commença à se répandre à Cascia, aux alentours et même dans les pays lointains, et les gens accoururent pour se recommander à ses prières, pour demander des grâces, et ce fut alors que l'on vit combien Dieu aimait sa fidèle servante. Une femme de Cascia recourut à elle, lui recommandant de prier pour une de ses filles gravement infirme. Rentrée à la maison, elle la trouva parfaitement guérie. Il lui fut recommandée une femme possédée du démon. Rita pria et le démon fut obligé de quitter cette femme. La nouvelle de ces grâces fit accourir au couvent de sainte Rita une foule de gens ayant besoin de conseils, de prières, de soutien, et personne ne la quittait sans être profondément édifié et aidé. Jésus avait dit : Lorsque je serai relevé de terre, j'attirerai tout à moi. Il permet, lorsqu'une âme se rend semblable à lui dans le sacrifice héroïque, que la foule courre à elle par une puissante et mystérieuse force d'attraction. On y voit les abords du ciel, un intermédiaire puissant entre l'homme et Dieu, un reflet de Dieu. Comme Jésus _ splendor patris _ est une image visible de Dieu invisible, ainsi les saints sont une image des vertus du Christ, un miroir qui reflète la lumière divine. L'âge, les douleurs, les jeûnes et les pénitences ne tardèrent pas à consumer les forces de la pieuse femme, qui fut obligée de rester couchée sur son pauvre et dur grabat. Son estomac était dans un tel état, et ne pouvait tolérer que si peu de nourriture, que la Sœur qui l'assistait était persuadée que, seule, la communion eucharistique la soutenait. Il n'est pas rare de trouver un cas semblable dans la vie des saints. L'amour de la croix, l'union avec Dieu par le moyen de la grâce et de l'oraison purifient les âmes comme l'or dans le creuset. Et, comme celui qui ne vit que par la chair finit par matérialiser, si cela fut possible, l'esprit, qui ne sait plus penser et vouloir que pour la jouissance des sens, les âmes de Dieu finissent par spiritualiser, en un certain sens, le corps, qui est réduit à un fil tenu qui empêche l'esprit de voler à Dieu. Soixante-dix ans avant que Rita soit réduite à l'extrême faiblesse, soutenue presque exclusivement par la sainte communion, mourait à Sienne sainte Catherine. Après un acte héroïque de charité envers une femme atteinte par un horrible cancer, elle ne vécut plus que de la sainte communion. Son estomac ne pouvait plus soutenir aucun aliment matériel. Un tel état, aussi nouveau, parut incroyable. Ses parents et parfois ses amis disaient que c'était là une tentation et un tour de l'esprit malin. Son confesseur était de la même opinion, et un jour il lui ordonna de manger quelque chose. Elle obéit, mais se trouva si malade qu'elle manqua en mourir. Le fait se répète aujourd'hui chez Thérèse Neumann, la stigmatisée de Konnersreuth, en Allemagne, qui, depuis longtemps, vit de la seule Eucharistie ; et bien que très souvent elle perde beaucoup de sang par les plaies qui s'ouvrent lorsqu'elle médite, en extase, la Passion de Nôtre-Seigneur, elle revient, cependant, en quelques heures, à son poids normal, si bien que sa vie est un continuel miracle, contrôlé par les médecins et par des personnes d'une indiscutable compétence et autorité. La vraie maladie de Rita commença vers la fin de 1453 et dura jusqu'à sa mort, survenue quatre ans après. Ce fut pour la sainte des années de langueurs et de douleurs ineffables, mais qui finirent d'élever son âme et de la rendre semblable à celle d'Adam innocent, plus encore, à celle de Nôtre-Seigneur. Les historiens nous ont transmis un gentil épisode que nous ne voulons pas omettre, parce qu'il est merveilleux de simplicité et de confiance. Au cœur de l'hiver, pendant que toute la campagne semblait morte et ensevelie sous une épaisse couche de neige, une parente de Rita vint la voir de Roccaporena pour la saluer et s'entretenir avec elle. Avant de la quitter elle lui demanda si elle ne désirait pas quelque chose. Oui, répondit l'infirme, je voudrais que tu me portes cette magnifique rose qui est dans mon ancien jardin. A ces paroles la visiteuse pâlit, pensant que Rita divaguait; mais pour ne pas la contrister elle promit. Et, refaisant le rude sentier qui va à Roccaporena, elle pensait : Rita n'en a plus pour longtemps : elle a perdu l'esprit ! Sommes-nous au temps des roses ?... Mais quelle ne fut pas sa stupeur lorsque, entrant dans le jardin de Rita, sur le petit buisson au feuillage contracté par la gelée, elle vit resplendir une rose magnifique. Elle la cueillit, refit le voyage de Cascia et porta le don à la mourante qui s'en réjouit et rendit grâces à Dieu pour avoir été aussi bon avec elle. Sentant croître sa filiale confiance, elle dit à sa parente : Puisque tu as été si aimable de me porter la rose, je voudrais que tu me portes maintenant ces deux figues fraîches qui sont sur le figuier de mon jardin... La femme, cette fois-ci, ne douta pas et elle trouva dans le jardin de Rita les deux figues mûres à point, et elle les lui porta dès que cela lui fut possible. Est-ce que ce fut un caprice de Rita ? Certainement non. Mais il est beau de voir comment Dieu agit avec les âmes qui lui sont plus chères quand il les voit arriver à la simplicité de l'enfance. Il nous plaît ici de rapprocher cet épisode de celui de saint François d'Assise, lequel, lorsqu'il allait à Rome, habitait chez la pieuse dame Jacopa di Settesoli, qui lui préparait une tarte, sachant qu'il aimait cette friandise. Alors que saint François était à ses derniers moments, dans une cabane, près de la Portioncule, arriva de Rome Frère Jacopa, ainsi l'appelait le saint, portant une tunique neuve qu'elle avait préparée pour lui, de l'encens et des cierges pour sa sépulture. Elle trouva François encore vivant et voulut lui confectionner la tarte préférée. Le saint ne pouvait plus prendre aucun aliment; il voulut cependant goûter un tout petit morceau de cette tarte. Nous verrons plus tard quelques autres circonstances caractéristiques qui rapprochent les deux saints marqués par le Christ du signe des prédestinés : les alouettes et les abeilles. Les alouettes qui réjouirent les derniers instants de saint François, les abeilles qui parurent à la mort de sainte Rita. Il est certain que l'homme innocent était le roi de la création, et tous les animaux le respectaient et le servaient. Quand l'homme se révolta contre Dieu, les créatures inférieures se rebellèrent contre l'homme. Mais si une âme, dominant les instincts du corps, arrive à un tel degré de sainteté qu'elle est parfaitement unie à Dieu, de même les animaux et les choses inférieures lui obéissent comme ils obéiraient à Dieu lui-même. Et c'est pour cela, pour ne parler que de Rita, que les démons, la maladie obéirent à sa volonté, la rose s'épanouit et les figues mûrirent en une saison rude et impossible. Mais Rita est la sainte des impossibles. On aurait pu lui appliquer les paroles de saint Paul : Je puis tout en Celui qui est ma force.


Chapitre XIX: Bienheureux Trépas de Sainte Rita

L'âme de celui qui vit attaché aux choses de ce monde voit avec terreur approcher la mort qui l'arrachera à ses plus chères affections et le mettra en présence du Juge éternel. On ne laisse pas sans douleur ce que l'on tient avec amour. Même les âmes privilégiées tremblent à la pensée du Tribunal de Dieu. Fais-toi courage, se disait à lui-même saint Hilarion, pourquoi crains-tu, ô mon âme ? Voilà soixante-dix ans que tu sers le bon Dieu et tu as peur ! L'âme de Rita n'éprouva pas ces terreurs. Les forces du corps s'en allaient avec l'âge, la maladie, les douleurs cruelles, mais l'âme était absorbée doucement en Dieu. Dieu avait été son premier, son plus fort amour, même son amour unique, parce que les créatures, elle les avait aimées en lui et pour lui, pour son amour. Elle avait souffert tant de douleurs; à lui elle avait sacrifié toute sa vie, et maintenant le moment approchait d'aller à lui, de s'abîmer dans l'océan de sa lumière et de son amour. Et Dieu voulut lui donner un avant-goût de la gloire céleste. Un des derniers jours de sa vie, voici qu'une brillante lumière illumina sa pauvre cellule et Jésus lui apparut, accompagné de sa sainte Mère : Tous deux souriaient doucement. Rita, ravie en extase, dit : Quand donc, ô Jésus, pourrai-je vous posséder pour toujours ? Quand pourrai-je venir en votre présence ? Bientôt, lui répondit Jésus, mats pas encore. Et quand ? répliqua Rita. Dans trois jours tu seras avec moi au Ciel. Pendant que les soixante-dix années de sa vie et ses si longues peines paraissaient à Rita un simple moment, combien ces trois jours durent lui sembler éternels ! Se trouver sur le seuil du paradis et ne pouvoir entrer, se sentir brûler de la soif de posséder Dieu et devoir attendre ! C'était une douce peine, mais néanmoins une peine. Elle pouvait répéter avec le psalmiste : Comme le cerf altéré désire la fontaine, ainsi mon âme te désire, ô mon Dieu ! Elle voulut recevoir le saint Viatique et l'Extrême-Onction pour être forte et combattre la lutte décisive avec le démon. Elle serrait sur sa poitrine le Crucifix qu'elle avait tant aimé pendant sa vie, lui adressait d'affectueuses invocations et, si elle parlait, elle ne savait parler que de lui, car la langue dit ce qu'éprouvé le cœur Nous voyons souvent le Crucifix entre les mains d'un moribond qui ne l'a jamais aimé ni invoqué. Que peut bien dire Jésus à cette âme ? Nous le voyons aussi dans les mains de celui qui est mort sans avoir reçu les sacrements, ou après les avoir reçus à toute extrémité, quand il ne pouvait plus comprendre l'importance de l'acte qu'il faisait, ni adresser à Dieu un acte de foi, de contrition. C'est une chose qui peut, à la rigueur, illusionner les vivants, mais qui ne sert certainement pas aux défunts. Le mois de mai était avancé, les roses resplendissaient de toutes leurs couleurs, les collines étaient dans toute la splendeur de leur vert manteau, mais Rita alors ne demanda pas une rose, parce qu'elle était sur le point de détacher le dernier fil qui l'attachait à la terre. Et le 22 mai 1457 sa belle âme quittait ce monde et prenait son essor vers le ciel. Dans le procès de béatification on lit que plusieurs personnes la virent monter dans la gloire. « Laqueus contritus est et nos libérati sumus : Le lacet s'est brisé et l'esprit prisonnier a acquis la liberté. » A peine la sainte eut exhalé le dernier soupir que Dieu voulut, par des prodiges répétés, manifester au monde à quel haut degré de perfection elle était arrivée. La cloche qui, par la main des anges, avait annoncé son départ de ce monde dut, sans aucun doute, remplir d'étonnement les religieuses et les femmes attachées au service du monastère, qui, laissant toute autre besogne, accoururent à la pauvre cellule où, jusqu'à maintenant, elles n'entraient que rarement et seulement pour porter à la patiente les choses nécessaires et pour l'assister dans sa dernière maladie. Elles pensaient en frissonnant à l'odeur fétide de la plaie, mais quel ne fut pas leur étonnement quand elles s'aperçurent, en approchant, qu'un parfum de paradis émanait de la dépouille de leur Sœur ! Elles virent la plaie cicatrisée, et le visage de Rita était beau et souriant. Une d'elles, Sœur Catherine Mancini, qui avait un bras paralysé, voulut l'embrasser, et elle y réussit parfaitement, parce que la sainte l'avait guérie. Revenues de leur étonnement, les bonnes religieuses revêtirent le corps de la défunte de l'habit de leur Ordre et la transportèrent dans la chapelle intérieure du monastère. Mais le peuple de Cascia se pressait à la porte, il voulait voir, une fois encore, sa chère bienfaitrice, la sainte pour laquelle il avait tant de vénération et que, par un instinct divin, il estimait digne de la gloire des autels. Il fut donc nécessaire de la transporter dans un oratoire public.

 

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22/12/2008
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