Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Saint Thomas More 3 (3e partie)

Saint Thomas More 3, troisième partie 


Quatrième lettre


Une autre lettre de sir Thomas More à sa fille mistress Margaret, écrite avec un charbon.


Ma bien chère fille, grâce à Dieu je suis en bonne santé et mon esprit est en repos, et des biens de ce monde je n'en désire pas plus que je n'en ai. Je supplie Dieu de vous rendre tous joyeux dans l'espoir du ciel. Quant aux choses concernant l'éternité dont je voulais vous parler à tous, que Notre-Seigneur vous les mette dans l'esprit, comme j'espère qu'il le fait et mieux que moi, par son saint Esprit. Qu'il vous bénisse et vous préserve tous. Ecrit avec un charbon par votre tendre et affectueux père qui dans ses pauvres prières n'oublie personne, ni vos bébés, ni vos nourrices, ni vos bons maris, ni les malignes épouses de vos bons maris, ni la maligne épouse de votre père, ni nos autres bons amis. Adieu bien cordialement déjà, car je suis au bout de mon papier.


THOMAS MORE, chevalier.


Cinquième lettre


Une 3e lettre de sir Thomas More à sa fille mistress Margaret Roper, pour répondre à une de ses lettres dans laquelle elle le persuade de prêter le serment de succession.


Que Notre-Seigneur vous bénisse. Ma bien chère fille, si je ne fusse pas parvenu depuis bien longtemps déjà à un état ferme et résolu, je l'es-père, dans la grande miséricorde de Dieu, votre lamentable lettre m'aurait assez déconcerté, à coup sûr, bien plus que toutes les autres choses, et j'en ai entendu à diverses reprises de bien terribles contre moi. Mais en vérité elles ne me touchèrent de moitié aussi près et ne me furent pas plus pénibles que de vous voir, ma fille bien-aimée, chercher d'une manière si véhémente et si pitoyable à me faire accepter la chose sur laquelle, de pure nécessité, par respect pour mon âme, je vous ai déjà si souvent donné une réponse claire. Quant aux points de votre lettre, je n'y puis pas répondre. Car je ne doute pas que vous ne vous souveniez très bien qu'à plusieurs reprises je vous ai dit que je ne dirais à personne les raisons qui dirigent ma conscience (je ne pourrais répondre aux points de votre lettre sans les divulguer). Et par conséquent, ma fille, je ne puis dans cette affaire, comme vous vous efforcez de nouveau à me faire accepter vos vues, que désirer et vous prier à la fois d'abandonner cette peine et de vous contenter de mes réponses précédentes. C'est une douleur mortelle pour moi et bien plus que mortelle d'entendre ma propre sentence de mort (car quant à la crainte de la mort, j'en rends grâces à Dieu, la crainte de l'enfer, l'espoir du ciel et la passion du Christ l'adoucissent chaque jour de plus en plus) que de voir mon bon fils votre époux, vous ma chère fille, ma bonne femme et mes autres bons enfants et amis innocents, tenus en grand déplaisir et par suite en danger de grands maux. Je ne puis rien pour les conjurer, que confier tout à Dieu. Nam in manu Dei (dit l'Écriture) cor regis est, et sicut divisiones aquarum quocumque voluerit impellit illud. Je l'implore très humblement pour que sa grande bonté incline le coeur de Sa Majesté à vous témoigner à tous une faveur affectueuse et à ne pas me traiter mieux que ne le méritent, comme Dieu et moi le savons, mon coeur fidèle et mes prières quotidiennes pour elle, car vraiment si Sa Majesté pouvait voir dans mon coeur mon vrai esprit tel que Dieu le connaît, cela, j'en suis sûr, calmerait bientôt son grand déplaisir. Mais comme, dans ce monde,de quelque. manière que je le montre, on pourra toujours persuader à Sa Majesté de croire le contraire, je ne puis pas aller plus loin que de tout remettre entre les mains de celui pour lequel, dans la crainte de lui déplaire, pour le salut de mon âme, poussé par ma conscience, sans adresser des blâmes ou des reproches à qui que ce soit, je souffre et supporte cette affliction, je le supplie de m'en faire sortir lorsqu'il le voudra pour me faire entrer dans la joie éternelle du ciel, et en attendant de me donner la grâce ainsi qu'à vous de recourir pieusement et très humblement au souvenir de la douloureuse agonie que notre sauveur souffrit au mont avant sa passion. Si nous le faisons diligemment, je crois vraiment que nous y retrouverons grand encouragement et consolation. Et ainsi, ma chère fille,que le bienheureux esprit du Christ, dans sa tendre miséricorde, vous gouverne et vous guide tous à son plaisir et pour votre bonheur et bien-être et du corps et de l'âme.

Votre tendre et affectueux père,


THOMAS MORE, chevalier.


Sixième lettre


A cette dernière lettre mistress Margaret Roper, écrivit la réponse suivante et l'envoya à sir Thomas More, son père.


Mon bien cher père, c'est une grande consolation pour moi, puisque je ne puis pas vous parler de la manière dont je le voudrais, de me plaire du moins pendant le temps si triste de votre absence par les moyens qui sont à ma disposition, en vous écrivant aussi souvent qu'il sera expédient et en relisant sans cesse votre lettre si féconde et si charmante, messagère fidèle de votre esprit si vertueux et si pieux qui est délivré de tout amour corrompu des choses de ce monde et qui est étroitement uni à l'amour de Dieu et au désir du ciel, comme il convient à un adorateur et fidèle serviteur de Dieu. Dieu, je n'en doute pas, mon bon père, étend sur vous sa sainte main et vous gardera intact (comme il l'a fait jusqu'ici) corps et âme (ut sit mens sana in corpore sono), et surtout maintenant que vous avez repoussé toutes les consolations terrestres pour vous mettre volontairement, joyeusement et entièrement, par amour pour lui, sous sa sainte protection. Père, quelle a été, pensez-vous, notre consolation depuis votre départ ? Assurément c'est l'expérience que nous avons eue de votre vie passée et de votre conversation pieuse, de vos bons conseils, de votre exemple vertueux et la certitude non seulement que tout cela continuera, mais que tout cela augmentera, par la grande bonté de Notre-Seigneur, à la grande tranquillité et joie de votre coeur. Votre coeur est libre de la lie de ce monde et orné du noble manteau des vertus célestes : c'est un palais agréable pour l'esprit de Dieu d'y reposer. Que Dieu vous défende (je ne doute pas, cher père,que dans sa bonté il ne le fasse) de tout trouble et de l'esprit et du corps et accorde, à moi votre enfant très affectueuse et obéissante et à nous tous vos enfants et vos amis, d'imiter ce que nous louons en vous et pour notre unique consolation de nous soutenir et de nous unir par la pensée avec vous, pour que nous puissions à la mort nous rencontrer, mon bien cher père, dans la joie du ciel pour lequel Notre-Seigneur si miséricordieux nous a rachetés par son précieux sang. Votre enfant très affectueuse et obéissante qui prie pour vous chaque jour, qui désire par-dessus tout au monde être à la place de John Haywood pour vous rendre service. Nous vivons dans l'espoir de vous avoir de nouveau bientôt; je prie Dieu de tout mon coeur que cela puisse arriver si c'est sa sainte volonté.


Septième lettre


Lettre écrite et envoyée par sir Thomas More à sa fille mistress Margaret Roper ; écrite le 2 ou le 3 mai de l'an du Seigneur 1535 et de l'an 27 du régne du roi Henri VIII.


Que Dieu vous bénisse. Ma bien chère fille, je ne doute pas que la venue du conseil du roi ici en ce moment, où les pères de la Chaterhouse et master Raynolds of Sion (que Notre-Seigneur soit leur consolation) viennent d'être condamnés à mort pour haute trahison (les cas et les raisons me sont inconnus), ne vous mette dans des troubles et des craintes d'esprit à mon sujet, comme je suis prisonnier au même lieu, surtout parce que très probablement vous avez appris que j'ai été amené moi aussi devant le conseil. J'ai cru nécessaire de vous dire la vérité afin que vous ne conceviez ni plus d'espoir que l'affaire n'en comporte de peur qu'un nouveau changement n'aggrave votre tristesse, ni d'autre part plus de chagrin que l'affaire n'en doit entraîner. Vous verrez brièvement que vendredi, dernier jour d'avril dans l'après midi, master lieutenant vint chez moi m'annoncer que master secretary désirait me parler. Là-dessus je changeai de robe et sortis avec master lieutenant dans la galerie pour me rendre chez master secretary : chemin faisant, je rencontrai beaucoup de personnes, dont les unes m'étaient connues, les autres inconnues. Enfin j'arrivai à la chambre où se tenait le secrétaire avec master attorney, master solicitor, master Bedell et master Doctor Tregouwell. Ils m'invitèrent à m'asseoir avec eux, mais je ne voulus nullement le faire. Alors master secretary me dit qu'il ne doutait pas que je n'eusse appris par ceux de mes amis qui étaient venus me voir ici, les nouveaux statuts dressés pendant la dernière session du Parlement. A cela je répondis : « Oui certainement. Mais comme étant prisonnier je n'ai eu de relations avec personne, j'ai cru qu'il n'y avait pas grand besoin pour moi de leur consacrer beaucoup de temps, et par conséquent j'ai rendu le livre peu de temps après et je n'ai jamais remarqué ni cherché à fixer dans ma mémoire les effets des statuts. » Il me demanda alors si je n'avais pas lu le premier statut qui nommait le roi. chef suprême de l'Église. A cela je répondis : « Oui ». Alors Sa Seigneurie me déclara que, puisque c'était maintenant ordonné par un acte de Parlement que Sa Majesté et ses héritiers sont et ont toujours été et devraient toujours, être sur la terre le chef suprême de l'Église d'Angleterre sous le Christ, le plaisir du roi était que ceux de son conseil assemblés là me demandassent mon opinion et mes sentiments là-dessus. A cela je répondis qu'en bonne foi j'avais bien espéré que jamais Sa Majesté n'aurait, commandé qu'on me posât une telle question, considérant que depuis le commencement j'avais à plusieurs reprises déclaré mes opinions à Sa Majesté bien sincèrement, et depuis cette époque, dis-je, je les ai exposées également à Votre Seigneurie, master secretary, et par paroles et par écrit. Et maintenant en bonne foi j'ai déchargé mon esprit de toutes ces affaires et. je ne disputerai plus ni sur les titres du roi ni sur ceux du pape ; mais je suis et continuerai d'être le fidèle sujet du roi: je prie chaque jour pour lui et pour tous les siens, pour vous, tous qui faites partie de son honorable conseil et pour tout. le royaume ; je n'ai pas l'intention de me mêler de ses affaires autrement qu'en cela. A cela master secretary répondit qu'il pensait que cette réponse ne satisferait ni ne contenterait Sa Majesté, mais qu'elle exigerait une réponse plus nette. Et Sa Seigneurie ajouta que Sa Majesté était non pas un prince rigoureux, mais miséricordieux et compatissant, et quoiqu'à certaines époques il eût rencontré de l'obstination chez certains de ses sujets, cependant si plus tard il les trouvait plus pliants et soumis il se montrerait miséricordieux ; et il me dit que Sa Majesté serait heureuse de me voir prendre telle voie satisfaisante qui me permettrait de retourner dans le monde de nouveau parmi les autres hommes comme auparavant. A cela, d'après mon sentiment intérieur, je répondis comme une vérité absolue que je ne me mêlerais plus aux choses du monde, même si le monde m'était donné, et pour le reste de l'affaire je répondis comme auparavant, montrant que j'étais bien déterminé à ne plus étudier ni me mêler d'aucune affaire de ce monde, mais que toute mon attention serait appliquée à la passion du Christ et à mon propre passage de ce monde. Sur cela, on me dit de sortir pendant quelques instants, et après on me fit rentrer. Alors master secretary me dit que quoique prisonnier condamné à une détention perpétuelle, je n'étais pas cependant pour cela délié de mon voeu d'obéissance et de fidélité envers Sa Majesté, et là-dessus il me demanda si je pensais que Sa Majesté ne pouvait pas exiger de moi les choses contenues dans les statuts et sous les mêmes peines qu'aux autres hommes. A cela je répondis que je ne dirais pas le contraire. Alors il me dit que de même que Sa Majesté serait indulgente envers ceux qu'elle trouverait pliants, de même Sa Majesté laisserait la loi suivre son cours à l'égard de ceux qu'elle trouverait obstinés. Et Sa Seigneurie ajouta que ma conduite dans cette affaire était probablement la raison pour laquelle d'autres étaient si obstinés. A cela je répondis que je ne donnais occasion à personne de soutenir soit une opinion, soit l'autre, et que je n'ai jamais donné conseil à personne dans cette affaire, soit d'un côté, soit de l'autre. Et pour conclusion je dis que je ne pouvais m'avancer plus loin, quelque mal qu'il en pût sortir. « Je suis, dis-je, un vrai et fidèle sujet du roi : je prie pour Sa Majesté chaque jour et pour tout le royaume. Je ne fais de mal à personne, je ne dis de mal de personne, et je ne pense de mal de personne, mais je souhaite du bien à tous. Et si ce n'est pas assez pour garder un homme en vie, en bonne foi je ne désire plus vivre. Je suis déjà près de la mort : à différentes reprises depuis que je suis venu ici, j'ai été dans le cas de penser que je ne verrais pas l'heure s'achever. Et je remercie Dieu que je ne l'aie jamais regretté, mais j'étais plus triste lorsque la crise était passée. Par conséquent, mon. pauvre corps est au plaisir du roi. Plût à Dieu que ma mort pût lui faire du bien ! » Après cela master Secretary dit : « Eh bien, vous n'avez rien à redire contre ce statut. Avez-vous quelque chose à redire contre les autres ? » A cela je répondis : « Sir, quelle que soit la chose qui me paraîtrait mauvaise dans l'un quelconque des statuts ou même dans le premier, je ne déclarerai pas la faute que j'ai trouvée ni n'en parlerai. » Finalement Sa Seigneurie répondit très doucement (courtoisement) qu'on ne prendrait aucun avantage de ce que j'avais dit ici ; je ne me souviens pas bien s'il n'a pas dit aussi qu'on n'en pouvait prendre. Mais il me dit qu'on en ferait un rapport à Sa Majesté et qu'elle ferait connaître son bon plaisir.


Là-dessus on me remit au master lieutenant que l'on fit entrer, et ainsi il me reconduisit dans ma chambre. Et me voici toujours dans le même cas qu'auparavant, ni meilleur, ni pire. Le futur est entre les mains de Dieu. Je l'implore de mettre dans le coeur de Sa Majesté la décision qui sera celle de sa souveraine volonté, et dans le mien de faire uniquement attention au bien de mon âme sans faire grande attention à mon corps, et quant à vous et à tous les vôtres, à ma femme et tous mes enfants et à tous nos autres amis, de vous donner une excellente santé tant du corps que de l'âme, et je vous demande ainsi qu'à tous de prier pour moi et de ne pas vous inquiéter quoi qu'il m'arrive. Car j'espère fermement dans la bonté de Dieu, quelque mauvais que cela puisse paraître aux yeux du monde, que dans l'autre monde ce sera vraiment pour le mieux. Votre père affectueux,


THOMAS MORE, chevalier.


Huitième lettre


Une autre lettre écrite et envoyée par sir Thomas More à sa fille mistress Roper ; écrite en l'an de Notre-Seigneur 1535, dans la 270 année du règne de Henri VIII.


Que Notre-Seigneur vous bénisse avec tous les vôtres. Comme il est très probable, ma très chère fille, que vous avez déjà appris ou apprendrez bientôt que le conseil était ici aujourd'hui, et que j'ai été devant lui,. j'ai cru nécessaire de vous envoyer un mot pour vous dire où en est l'affaire, et vraiment, pour être bref, je vois peu de différence entre cette fois et l'autre. Car autant que je puis m'en apercevoir, leur but est de me forcer à me prononcer formellement ou pour un côté ou pour l'autre. Étaient présents mylord de Cantorbery, mylord le chancelier, mylord de Suffolk, mylord de Wiltshire et master secretary. Lorsque je fus arrivé, master secretary répéta comment il avait rapporté à Sa Majesté ce que le conseil de Sa Majesté m'avait dit et ce que j'avais répondu à ma dernière comparution devant eux. Sa Seigneurie rapporta tout en bonne foi très bien comme je l'ai reconnu et confessé, et je l'en ai remercié par conséquent de tout mon coeur. Là-dessus il ajouta que Sa Majesté n'était pas du tout contente ni satisfaite de ma réponse, mais pensait que par ma contenance j'avais été l'occasion de beaucoup de ressentiment et de mal dans le royaume, que j'étais obstiné et mal intentionné envers elle, et que mon devoir comme sujet (et il les avait envoyés pour me commander sous mon voeu de fidélité) était de répondre clairement et définitivement si je croyais le statut légitime ou non. Il dit que j'avais ou bien à reconnaître et confesser que c'était légitime que Sa Majesté fût le chef suprême de l'Église d'Angleterre, ou bien de dire clairement ma malignité. A cela je répondis que n'ayant pas de malignité je ne pouvais pas en dire. Et quant à l'affaire, je ne pouvais donner d'autre réponse que celle que j'avais faite auparavant, réponse que Sa Seigneurie venait de répéter. J'étais très affligé que Sa Majesté eût une telle opinion de moi. Cependant si quelqu'un avait dit beaucoup de choses injustes contre moi auxquelles pour le moment Sa Majesté aurait ajouté foi, je serais très fâché qu'elle eût cette opinion de moi pendant l'espace d'un jour : cependant si j'étais sûr qu'un autre viendrait le lendemain qui ferait connaître à Sa Majesté la vérité de mon innocence, je me consolerais entre temps par cette considération. De même maintenant c'est une grande affliction pour moi que Sa Majesté ait une telle opinion de moi pour le moment; cependant je n'y puis remédier d'aucune façon, sinon me consoler avec la considération que je sais très bien que le temps viendra où Dieu déclarera la vérité à Sa Majesté devant elle et tout le monde. Et comme cela pourrait ne paraître qu'un faible sujet de consolation parce qu'il pourrait m'arriver quelque mal ici-bas auparavant, je remercie Dieu de ce que mon cas dans cette affaire était tel à cause de la pureté de ma conscience que,; quoique je puisse avoir à souffrir, il ne m'arrivera aucun mal, car un homme dans un tel cas peut perdre sa tête sans qu'il lui arrive aucun mal. Car j'étais très sûr de n'avoir aucune affection corrompue, mais que depuis le commencement j'avais agi sincèrement, en considérant Dieu d'abord et le roi ensuite, suivant la leçon que Sa Majesté m'avait apprise tout au commencement, lorsque je suis entré à son service, leçon la plus vertueuse que prince eût jamais apprise à son serviteur ; et c'est ma grande peine de savoir que Sa Majesté a maintenant une telle opinion de moi. Mais je n'ai aucun moyen, comme je l'ai dit, d'y remédier : je ne puis que me consoler en attendant, dans l'espoir de ce jour heureux où la vérité de mes intentions envers-elle sera bien connue.


Et dans cette affaire je ne pouvais pas aller plus loin ni faire une autre réponse. A cela le lord chancelier et master secretary tous deux me dirent que Sa Majesté par ses lois pourrait m'obliger à faire une réponse claire, soit dans un sens, soit dans l'autre : à quoi je répondis que je ne disputerais pas l'autorité du roi ni ce que Sa Majesté pourrait faire dans un tel cas. Mais je dis que vraiment, sauf correction, cela me paraissait bien dur. Car dans le cas où ma conscience serait contraire au statut, (je ne déclare pas ce que ma conscience me permet), alors même si je ne faisais et ne disais rien contre le statut il serait bien dur de me forcer à donner soit une réponse définitive conforme au statut, mais contraire à ma conscience et pour la perte de mon âme, soit une réponse définitive contre le statut, mais pour la perte de mon corps. A cela master secretary dit que j'avais avant ce moment, pendant que j'étais chancelier, examiné: des hérétiques et des voleurs et d'autres malfaiteurs, et me prodigua pour cela des louanges au-dessus de mes mérites. Et il dit qu'alors comme il le pensait, moi ou au moins les évêques examinaient les hérétiques pour savoir s'ils croyaient que le pape était le chef suprême de l'Église, et que nous les forcions à donner là-dessus une réponse définitive. Et pourquoi alors le roi, puisque c'est une loi ici que Sa Majesté est chef suprême de l'Eglise, ne forcerait-il pas les hommes à donner une réponse définitive à la loi, comme on le faisait alors lorsqu'il s'agissait du pape ? Je répondis en disant que je protestais que je n'avais pas l'intention de défendre ma cause ni d'être contentieux. Mais je dis qu'il y avait une différence entre les deux cas ; car, à cette époque, ici aussi bien qu'ailleurs à travers la chrétienté, le pouvoir du pape était accepté comme incontestable, ce qui ne ressemble pas à une chose acceptée dans ce seul royaume, alors que le contraire est considéré comme la vérité dans les autres pays. Alors master secretary répondit que tous ceux qui niaient la suprématie du pape étaient brûlés, de même tous ceux qui nient la suprématie du roi sont décapités, et par conséquent il y a autant de raisons pour les forcer à donner une réponse définitive dans ce cas qu'il y en avait dans l'autre. A cela je répondis qu'une loi qui oblige la chrétienté l'emporte, en matière de foi, sur la loi d'un royaume particulier, quelque contradiction que celle-ci soulève contre la loi générale. Et master secretary et mylord chancelier, tous deux, répondirent longuement à cela, trop longuement pour que je le rapporte. Et pour conclure ils m'offrirent un serment par lequel je serais obligé de répondre la vérité sur les choses qui pourraient m'être demandées de la part du roi, concernant sa propre personne. A cela je répondis que j'étais fermement résolu de ne plus prêter aucun serment sur la Bible tant que je vivrais. Alors ils me dirent que j'étais très obstiné si je refusais de le faire, car tout le monde le fait dans la « Chambre Etoilée » et partout ailleurs. Je dis que c'était vrai, mais que je n'avais pas si peu de prévoyance pour ne pas bien conjecturer une partie de ce qui entrerait dans mes interrogatoires, et qu'il était aussi bien de les refuser tout de suite que plus tard. A cela mylord chancelier répondit qu'il pensait que j'avais bien deviné, car je les verrais. Et on me les montra : il n'y avait que deux questions : la première si j'avais vu le statut, l'autre si je croyais que le statut était légitime ou non : là-dessus je refusai le serment et dis en outre de ma propre bouche que j'avais répondu affirmativement à la première question et qu'à la seconde je ne ferais pas de réponse. Ce fut la fin de notre entretien, et sur ces paroles je fus renvoyé. Dans l'avant-dernier entretien on avait dit que l'on s'étonnait de ce que je m'obstinais tant dans ma conscience, quand tout au plus je n'étais pas sûr. A cela je répondis que j'étais très sûr que ma conscience, renseignée comme elle l'était par la grande diligence que j'y avais apportée depuis si longtemps, était assurée de mon salut. Je ne me mêle pas de la conscience de ceux qui pensent autrement. Chacun suo damno stat aut cadit. Je ne suis le juge de personne. On me dit aussi que si j'aimais autant être dans l'autre monde que dans celui-ci, comme je l'avais dit, pourquoi alors ne parlais-je pas même ouvertement contre le statut? Il paraissait bien que je ne voulais pas mourir, quoi que je pusse dire. A cela je répondis comme c'est la vérité, que je n'ai pas été un homme d'une si sainte vie pour pouvoir oser m'offrir à la mort, de peur que Dieu, pour punir ma présomption, ne permette que je tombe, et par conséquent que je ne me mets pas en avant, mais je me retire. Cependant si Dieu m'y attire de lui-même, alors j'espère dans sa grande miséricorde pour qu'il ne manque pas de me donner grâce et force. Pour conclure, master secretary dit qu'il m'aimait beaucoup moins ce jour-là que la dernière fois, car alors, dit-il, il avait grande pitié de moi et maintenant il pensait que j'étais mal intentionné. Mais Dieu et moi savons tous deux que je suis bien intentionné et je le prie d'en agir avec moi : je vous prie, vous et mes autres bons amis, d'avoir bon courage quoi qu'il m'arrive : ne vous inquiétez pas, mais priez pour moi comme je le fais et continuerai de le faire pour vous et pour eux tous. Votre père qui vous aime tendrement.


THOMAS MORE, chevalier.


Neuvième lettre


Sir Thomas More fut décapité à Tower Hill, à Londres, le mardi 6 juillet de l'an de Notre-Seigneur 1535 et dans la vingt-septième année du règne de Henri VIII. Et la veille, lundi 5 juillet, il écrivit avec un charbon une lettre à sa fille, mistress Roper, et la lui envoya (ce fut la dernière chose qu'il écrivit). La voici :


Que Notre-Seigneur vous bénisse, ma bonne fille, et votre bon mari et votre petit garçon et tous les vôtres, tous mes enfants, tous mes filleuls et filleules et tous nos amis. Recommandez-moi quand vous le pourrez à ma bonne fille Cecily, que je supplie Notre-Seigneur de réconforter. Je lui envoie ma bénédiction à elle et à tous ses enfants et lui demande de prier pour moi. Je lui envoie un mouchoir. Que Dieu réconforte mon bon fils son mari. Ma bonne fille Dance a l'image sur parchemin que vous m'avez donnée de la part de lady Coniers : son nom est sur le revers. Dites-lui que je la prie ardemment que vous puissiez la lui renvoyer comme un souvenir de moi pour qu'elle prie pour moi. J'aime spécialement Dorothy Coly. Je vous prie d'être bonne envers elle. Je me demande si c'est d'elle que vous m'avez écrit ; même si ce ne l'est pas, je vous prie cependant d'être aussi bonne que vous pourrez envers l'autre dans son affliction et aussi envers ma bonne fille Joan Allyn. Donnez-lui, je vous prie, quelque bonne réponse, car elle m'a imploré ici aujourd'hui pour demander que vous fussiez bonne envers elle. Je vous encombre de commissions, ma chère Marguerite, mais je serais peiné que mon attente durât plus longtemps que demain, car c'est demain la fête de saint Thomas et l'octave de saint Pierre, et c'est pourquoi je désire ardemment aller à Dieu : le jour serait bien choisi. Jamais je n'ai plus aimé votre façon de faire envers moi que la dernière fois que vous m'avez embrassé, car il me plaît que l'amour filial et la tendresse oublient de faire attention aux usages mondains. Adieu, ma chère enfant, priez pour moi et je prierai pour vous et tous vos amis, pour que nous nous rencontrions joyeusement au ciel. Je vous remercie beaucoup pour vos peines. J'envoie maintenant à ma bonne fille Clement sa pierre talismanique et je lui envoie, ainsi qu'à mon filleul et à tous les siens, la bénédiction de Dieu et la mienne. Je vous prie de me recommander, lorsque vous en aurez l'occasion, à mon bon fils John More. J'aimais bien sa manière naturelle. Que Notre-Seigneur le bénisse ainsi que sa bonne épouse ma fille bien-aimée, envers laquelle je le prie d'être bon, car il a de grandes raisons de l'être, et si mes terres lui parviennent, qu'il respecte mes volontés concernant sa soeur Dance. Et que Notre-Seigneur bénisse Thomas et Austen et tous les enfants qu'ils auront.

 



17/02/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 747 autres membres