Spiritualité Chrétienne

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Vie de Sainte Anne 2/2

 

 

 

Vie de Sainte Anne, suite

 

VIII- Nativité de la Sainte Vierge, merveilles qui l'accompagnent

 

Le jour où la mère du Sauveur devait naêtre étant proche, Joachim alla dans les montagnes de la Judée, chercher Elisabeth, femme de Zacharie, et Ismérie, sœur de notre Sainte. Rodolphe le Chartreux nous apprend que, les chemins étant très difficiles et très mauvais, ces trois saints personnages restèrent en route plus longtemps qu'ils ne l'avaient cru, et craignirent dès lors d'arriver trop tard pour assister à la naissance de l'enfant que la bienheureuse Anne portait dans son sein; naissance qui ne devait pas être moins miraculeuse et moins extraordinaire que sa miraculeuse et extraordinaire Conception.Aussi quelle ne fat pas leur surprise, quelle ne fut pas leur joie, lorsque, approchant de la maison de Joachim, ils virent arriver à leur rencontre notre chère Sainte elle-même ! Elle leur apprit qu'elle n'attendait que leur venue pour mettre au monde l'enfant de bénédiction que Dieu avait accordée à ses prières et à ses larmes. En effet, à peine étaient-ils entrés dans sa chambre, qui leur sembla remplie de parfums par suite de la bonne odeur qui s'y répandit soudainement, que Sainte Anne fut environnée d'une clarté resplendissante, au sein de laquelle se tenait une enfant d'une beauté ineffable. C'était Marie qui entrait ainsi sur la terre, et qu'on ne pouvait regarder sans être ébloui.

 

C'est le huitième jour de septembre, l'an 4037 ou 4038 de la création du- monde, huit siècles après la fondation de Rome, la vingt-septième année du règne de César-Auguste et la quatorzième du règne d'Hérode, la troisième année de la cent quatre-vingt-dixième olympiade, que notre Sainte, sans éprouver aucune douleur, sans ressentir aucune souffrance, donna à l'univers celle qui devait lui donner la joie et le pardon. Une multitude d'anges qui venaient assister à là naissance de leur Reine firent alors retentir les airs de leurs cris d'allégresse; ils chantèrent un cantique d'actions de grâces au Seigneur, et ils invitèrent toutes les créatures à unir leurs voix à leurs voix, pour célébrer les grandeurs de Celle qui devait écraser la tête du serpent infernal.

 

Tous les assistants tombèrent à genoux et s'empressèrent d'obéir à l'invitation des envoyés célestes. Quelques instants après la naissance de Marie on vit une aigle, d'une grosseur et d'une beauté merveilleuses, voltiger au-dessus de la maison où venait de se passer ce mémorable événement. Elle tenait à son bec et entre ses serres des rameaux et des brins de mousse, qu'elle déposa, pour faire son nid, sur le toit même de la chambre .où la sainte Vierge était née. Plusieurs auteurs rapportent que ce nid subsista entier jusqu'après la résurrection de Jésus-Christ, quelques efforts qui fussent faits pour le détruire ou l'arracher. Une licorne d'une grandeur prodigieuse, qui ravageait depuis longtemps toute la Judée et qui avait été plusieurs fois poursuivie sans avoir jamais été atteinte, vint se placer devant la maison de Joachim aussitôt après la nativité de Marie. On eut beau la chasser à coups de fronde et d'arbalètes, elle revint toujours, jusqu'à ce qu'enfin un habitant de Nazareth l'eût abattue d'un coup de lance et en eût fait présent au grand prêtre.

 

On comptait aux environs de Jérusalem et dans la Judée un grand nombre d'hommes possédés du démon. Quand naquit la sainte Vierge, on les entendit pousser d'horribles clameurs et on les vit se tordre dans les angoisses d'un tourment épouvantable. Les prêtres leur ayant demandé la cause de cette recrudescence de tortures, Satan répondit par leur bouche: « Une Vierge, une Vierge est née ! Les cieux sont dans l'allégresse ! Ils fêtent la venue de leur Reine et Maîtresse... la toute-puissance lui sera donnée pour briser notre puissance... la terre ne nous appartient plus... notre règne est fini ». Ainsi que l'Archange Gabriel l'avait ordonné à Sainte Anne et à Saint Joachim, on donna à l'enfant le Nom de Marie; et ce fut à cette occasion que notre Sainte, la prenant entre ses bras, prononça ces paroles mémorables : « Seigneur dont la sagesse est infinie, Créateur de tout ce qui a l'être, je Vous offre humblement le fruit de mes entrailles, que j'ai reçu de Votre bonté infinie et dont je Vous remercie du plus profond de mon cœur. De la mère et de la fille faites selon Votre très Sainte Volonté, et du haut de Votre Trône regardez notre petitesse. Je félicite les Saints Pères des limbes et tout le genre humain du témoignage infaillible que vous leur donnez de leur Rédemption prochaine. Mais comment me comporterai-je envers celle que vous me donnez pour enfant, moi qui ne suis pas même digne d'être sa servante ? Comment oserai-je toucher la véritable arche du testament ? Donnez-moi, Seigneur, les lumières qui me sont nécessaires pour connaître Votre Volonté Sainte et pour l'exécuter suivant Votre bon plaisir ». Le Seigneur exauça cette prière aussi humble que fervente, comme nous le verrons dans les chapitres qui suivent.

 

IX- Présentation de la Sainte Vierge au Temple

 

Les parents ne doivent pas seulement donner la vie du corps à leurs enfants ; ils doivent leur donner la vie de l'âme : ils doivent pourvoir aux besoins de celle-ci comme de celui-là, et ils auront un terrible compte à rendre à Dieu, ceux qui auront négligé de jeter dans les jeunes intelligences la semence des éternelles vérités et le germe des célestes vertus. Notre Sainte connaissait trop les devoirs qui lui incombaient pour en négliger aucun. Regardant Marie comme le temple futur de la Divinité et le séjour le plus agréable et le plus pur qu'elle pût avoir sur la terre, elle entoura des soins les plus délicats ce vase d'élection. Elle chercha surtout à lui inspirer les sentiments de la plus profonde humilité, en vue des sublimes destinées auxquelles elle était appelée. Bien loin de suivre l'exemple de ces femmes du siècle qui, méconnaissant les véritables joies comme les véritables devoirs de la maternité, cherchent à tout prix à s'épargner les fatigues de l'allaitement et ne craignent pas de jeter leurs enfants entre des mains étrangères, Anne ne voulut pas confier à d'autres son enfant bien-aimée ; elle l'allaita elle-même et l'entoura de tous ces soins délicats, de toute cette tendresse qu'une mère seule sait trouver et imaginer.

 

Les trois années qu'Anne passa avec Marie furent pour elle trois années de délices et de consolation. La sainte enfant récompensait sa mère par mille caresses qui allaient droit à son cœur; elle obéissait au moindre de ses ordres, elle prévenait le moindre de ses désirs, et était un modèle de toutes les vertus. Aussi, quand vint le jour où, pour accomplir le vœu qu'elle avait fait au Seigneur, de lui consacrer Marie dans le Temple, elle eut besoin de toute son énergie et de toute sa résignation. Quel ne dut pas être, en effet, son courage pour se séparer d'un enfant qu'elle aimait avec tant de tendresse et qui faisait toute sa joie ! Quel dut être son amour envers Dieu pour qu'elle n'hésitât pas à se priver ainsi volontairement de l'objet le plus digne d'être aimé que l'on pût trouver sur la terre ! Si elle consentit à cette séparation, ce ne dut pas être sans un rude combat, sans un profond déchirement !... Pour comprendre la grandeur du sacrifice que notre Sainte faisait au Seigneur, il ne faut que se mettre à sa place et songer à ce que Marie était pour elle : c'était le fruit de ses entrailles ; c'était son unique enfant ; elle avait passé quarante années à soupirer après sa venue ; elle ne pouvait pas se lasser de la voir, pas se lasser de l'entendre, parce que de cette bouche enfantine sortaient des paroles de la vie éternelle, parce que l'enfant montrait déjà dans le présent tout ce qu'elle serait dans l'avenir. Aussi saint Ambroise dit-il que sainte Anne mourut à elle-même au moment de cette séparation. Il ajoute que ce fut une femme vraiment forte, vraiment généreuse; et, en cette occasion, il là compare à une prêtresse armée d'un poignard qu'elle plonge dans son sein, déchirant ainsi ses propres entrailles, sacrifiant le plus pur objet de son amour, et faisant de son inclination la plus sacrée une victime de propitiation.

 

Sainte Anne doit nous servir d'exemple. Que sa fidélité à accomplir le vœu qu'elle avait fait au Seigneur nous apprenne à remplir avec soin tous nos engagements; que sa charité nous enseigne à aimer de tout notre cœur Dieu et les choses de Dieu ; que son courage et sa force lors de sa séparation avec Marie nous fassent rougir de nos attaches aux biens, aux affections terrestres, et nous portent à tout sacrifier, à tout fouler aux pieds pour obéir à Dieu. Il y a entre Nazareth et Jérusalem une distance de trente lieues. Pendant les trois jours que dura le voyage de Marie, accompagnée de sa mère, de son père et d'un grand nombre de ses proches, les Anges firent retentir les airs de leurs hymnes et de leurs chants.

 

Quand on fut arrivé au bas des degrés qui conduisaient au Temple, Anne voulut prendre Marie entre ses bras pour la porter jusqu'au grand prêtre, qui l'attendait à la porte du sanctuaire ; mais la sainte enfant, pour montrer avec quelle ardeur elle allait se consacrer au service de son Dieu, gravit les degrés elle-même avec une vigueur et une facilité surprenantes. On eût dit que les anges, pour faire honneur à celle qui devait être leur Reine, la transportaient sur leurs ailes. Sainte Anne étant arrivée auprès du grand prêtre, lui dit: « Ministre du Seigneur, recevez, s'il vous plaît, cette enfant que je lui présente par vos mains, et permettez que par cette offrande je remplisse le vœu dont je lui suis redevable. Si cette troupe honorable qui m'assiste, si ce grand nombre de parents et d'amis qui m'environnent, si ces flambeaux allumés qu'ils portent dans leurs mains, vous surprennent, pardonnez au sentiment profond de reconnaissance dont mon cœur est rempli : je ne puis trop publier les merveilles que Dieu a opérées en moi ».

 

Puis, s'adressant à Marie: « Pour vous, ma fille, lui dit-elle, qui êtes une enfant de bénédiction et de miracle; vous qui êtes un effet de ma confiance, un fruit de mes larmes, une production de mes vœux, reconnaissez que vous êtes un écoulement des grâces abondantes de mon Dieu, qui s'est montré envers moi plein de la plus grande miséricorde. C'est à Lui que je dois ma gloire et ma maternité, comme vous lui êtes redevable des merveilles de votre conception et de votre naissance. Mon cœur vous a longtemps désirée; mes vœux vous ont enfin obtenue. C'est pour accomplir ces vœux que je vous consacre à Dieu dans son temple ». Anne s'approcha alors du grand prêtre, et, toute baignée de larmes, lui présenta Marie, qui se jeta elle-même à ses pieds comme pour le prier de la recevoir au nombre des vierges. Cette mère affligée l'offrit à Dieu, et, surmontant les tendresses de la nature, elle en fit un saint et douloureux sacrifice, à l'exemple du grand patriarche Abraham. Le grand prêtre reçut Marie avec un grand respect, lui donna mille louanges, et l'admit au rang des vierges qui servaient Dieu nuit et jour dans le Temple.

 

X- Mort de Saint Joachim, mariage de la Sainte Vierge

 

Anne et Joachim avaient passé de longues années dans les douceurs d'une sainte union dont la paix n'avait jamais été troublée et dont la naissance de Marie avait doublé le bonheur. Mais, l'heure de Joachim étant venue, il appela notre Sainte auprès de son lit de mort pour lui faire ses derniers adieux. « Ma chère Anne, lui dit-il, je rends grâces à Dieu de nous avoir donné pour fille celle de qui doit naître le Libérateur promis. Je vais annoncer à nos pères qui sont aux limbes que le moment de leur délivrance ne tardera pas à arriver. Dites à Marie de prier pour moi... » Il lui recommanda ensuite de le faire ensevelir auprès de son père Berphonter, et, illuminé par l'esprit de Dieu, il lui prédit que dans quelques années elle aurait le bonheur de voir de ses yeux le Fils du Très-Haut sorti des chastes entrailles clé leur fille bien-aimée. Quelques minutes après, il rendait sa belle âme au Seigneur. Joachim était âgé de quatre-vingts ans.

 

Nous renonçons à peindre la douleur de Sainte Anne. Plus son affection était profonde, plus vifs furent ses regrets. Elle le pleura autant que sa résignation à la volonté du Ciel pouvait lé lui permettre ; et elle ne se consola que dans l'espérance d'être bientôt réunie à son époux dans le sein d'Abraham. Elle l'ensevelit, ainsi qu'il l'en avait prié, auprès de son père, et alla à Jérusalem pleurer avec Marie, qui entrait alors dans sa onzième année. C'était une loi dans le Temple de renvoyer à leurs parents toutes les vierges qui y étaient consacrées, lorsqu'elles avaient atteint l'âge de quatorze ans. Marie subit la loi commune; quand elle eut atteint sa quatorzième année, le grand prêtre lui dit qu'il était temps de retourner vers sa mère pour qu'on lui choisît un époux. Marie répondit qu'elle ne pouvait pas sortir du Temple parce qu'elle avait fait vœu de virginité. Le grand prêtre fut surpris de cette réponse étrange dans la bouche d'une vierge issue de la famille de David, et susceptible dès lors, d'après les saintes Ecritures, de mettre au monde le Rédempteur des hommes. Il fit venir Anne dont il connaissait la grande austérité et la profonde vertu, et lui répéta la réponse de Marie. Notre Sainte lui dit qu'il n'y avait qu'à avoir recours à Dieu, qui ne manquerait pas en cette occasion de faire connaître sa volonté.

 

Le grand prêtre suivit ce conseil. il fit assembler tous les prêtres du Temple pour consulter l'oracle divin. Après avoir demandé à sainte Anne de joindre ses prières aux leurs, ils restèrent trois jours en oraison, mortifiant leur corps, et jeûnant au pain et à l'eau. Tout à coup on entendit dans le Saint des saints une voix qui dit : « Il sortira de la racine de Jessé un rameau qui produira une fleur, sur laquelle reposera le Saint-Esprit, comme Isaïe l'a prédit ». Le grand prêtre, après avoir humblement remercié le Seigneur, manda à tous les jeunes hommes de la race de David de se réunir dans le Temple et d'y apporter chacun un rameau. Aussitôt que ses ordres eurent été exécutés, le grand prêtre fit mettre les rameaux sur l'autel et commença les prières accoutumées.

 

Mais, après une assez longue attente, aucun rameau n'ayant produit de fleurs, Sainte Anne fit remarquer qu'il manquait un membre de la famille royale, nommé Joseph, qui depuis douze ans menait une vie fort retirée et ne se plaisait que dans la contemplation des choses célestes. Le grand prêtre ordonna qu'on le fît venir. A peine fut-il entré dans le Temple, que le rameau qu'il portait dans sa main produisit une fleur d'une beauté surprenante, au milieu de laquelle le Saint-Esprit descendit sous la forme d'une colombe. Marie était présente lors de ce miracle. Elle comprit qu'un homme d'une si haute vertu et pour lequel le ciel opérait un si grand prodige devait avoir fait vœu de chasteté. Elle ne fit donc aucune difficulté de l'accepter pour époux. Quant à Joseph, qui connaissait le vœu de Marie, il eut une joie inexprimable de ce que la divine Providence lui donnait une épouse qui voulait être chaste comme lui. Nous n'avons pas besoin de dire combien Anne fut heureuse de cette union/ enfin sa chère fille allait lui être rendue ; elle allait pouvoir passer le reste de ses jours en sa sainte compagnie ! Le grand prêtre voulut lui-même faire la célébration du mariage, après laquelle les deux époux, et Sainte Anne retournèrent à Nazareth.

 

XI- Anne apprend, par l'Archange Gabriel, que Marie à conçu le Fils de Dieu, douleur qu'elle ressent par suite du voyage du voyage à Bethléem

 

Trois jours après l'arrivée de Marie à Nazareth eut lieu le sacré mystère de l'Incarnation. L'archange Gabriel, après l'Annonciation, vint lui-même l'apprendre à notre Sainte. Exprimer sa joie serait une chose impossible. Elle se prosterna la face contre terre pour rendre grâce au Seigneur. « O mon Dieu, s'écria-t-elle, que ne puis-je annoncer à toute la terre le bonheur que Vous lui envoyez aujourd'hui ! Que ne puis-je, en mon particulier, Vous remercier dignement de l'infinie bonté que Vous avez eue pour moi et pour Marie ! Que le Ciel et la terre s'unissent à moi pour chanter Vos louanges et célébrer Vos miséricordes !... » Quelque temps après l'Incarnation du Verbe, Marie, selon l'Evangile, alla dans les montagnes de la Judée rendre visite à Elisabeth, sa cousine, qui devait bientôt enfanter le Précurseur. Elle n'en revint que trois mois après. Joseph, que Dieu voulait éprouver, ne connaissait pas encore le rôle ineffable auquel il était appelé. Aussi, lorsqu'il s'aperçut que Marie avait conçu, il sentit son esprit se troubler, et il eut un moment la pensée de la quitter secrètement pour ne point la perdre aux yeux du peuple. Mais, la même nuit, un ange lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains point ; l'épouse que Dieu t'a donnée est toujours Vierge Immaculée. Ce qui est né en elle est l'oeuvre du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils, et tu lui donneras le Nom de Jésus; c'est lui qui délivrera son peuple de ses péchés ». Joseph se réveilla la joie au cœur, admirant les merveilles que Dieu allait opérer sur sa chaste épouse.

 

Notre Sainte, voyant approcher le jour où Marie devait donner naissance à son fils Jésus, prépara pour elle un lit d'une grande richesse, et peint de diverses couleurs. Elle fit aussi l'acquisition d'un berceau magnifique en bois de cèdre, et couvert d'un riche drap d'or dont lui avait fait présent l'aveugle qui avait été guéri lors de sa naissance. Quand tout fut préparé, elle se rendit à Jérusalem pour offrir au Seigneur un sacrifice d'actions de grâces. C'est pendant ce voyage que fut publié l'édit de l'empereur Auguste pour le dénombrement des habitants de toute la terre. Chacun devait aller se faire inscrire dans la ville où le chef de sa famille avait pris naissance.

 

Joseph, qui était de la famille de David et qui par conséquent devait aller faire enregistrer son nom dans la ville de Bethléem, où était né le Saint Roi, ne crut pas devoir laisser Marie seule dans leur maison de Nazareth. Poussé par la main divine, qui voulait que toutes les prophéties concernant la naissance du Sauveur fussent accomplies, il résolut de l'emmener avec lui. Dans ce but, il fit monter la Sainte Vierge sur une ânesse qu'il possédait, et, dans ce modeste équipage, ils se rendirent à Bethléem, ainsi qu'il est dit dans l'Evangile. On comprend quel fut le chagrin que ressentit sainte Anne quand, à son retour, elle trouva la maison vide. Elle ne pourrait donc pas, comme elle l'avait toujours espéré, recevoir dans ses bras le Rédempteur des nations à sa naissance, elle ne pourrait donc pas, après Marie et Joseph, être la première à le voir, à l'embrasser, à l'adorer...

 

Après avoir pleuré amèrement, elle se décida, malgré son grand âge, malgré la rigueur de la saison, à partir pour Bethléem. Dieu, qui voulait l'éprouver de toutes les manières, permit qu'elle se trompât de chemin et qu'elle ne s'en aperçût que longtemps après. Elle s'égara, et, ne pouvant retrouver sa route, elle se coucha sur la terre nue qu'elle arrosa de ses larmes. C'était précisément la nuit sacrée, la nuit solennelle, où le Verbe naissait. Tout à coup les ténèbres s'illuminèrent; les cieux s'ouvrirent, et une troupe d'anges, entonnant le cantique sacré, firent entendre ces paroles que dix-huit siècles ont répétées avec amour : « Gloire à Dieu dans le ciel et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». Deux anges se détachèrent aussitôt de la troupe céleste; ils vinrent consoler Anne, et, sans pourtant lui apprendre la naissance de Jésus, ils la transportèrent miraculeusement dans sa maison de Nazareth.

 

XII- Anne rencontre les Mages qui lui apprennent la Naissance du Sauveur à Bethléem, ce qui se passe dans l'étable, retour à Nazareth

 

Anne, pendant les huit jours qu'elle passa dans sa maison, demeura en proie à l'affliction la plus vive. Enfin, ne pouvant plus supporter la douleur que lui causait l'absence de Marie, et impatiente de savoir ce qui lui était arrivé, elle se remit une seconde fois en route pour Bethléem. Elle fut plus heureuse que lors de son premier voyage. Après plusieurs jours d'une marche pénible et fatigante, elle arriva dans la ville de David. Elle l'avait déjà parcourue dans tous les sens sans avoir rien appris au sujet de Marie et de Joseph, lorsqu'elle fît la rencontre des trois Mages, qui, guidés par une étoile miraculeuse, étaient venus du fond de l'Orient pour adorer le Sauveur. Elle leur demanda, les larmes aux yeux et avec un empressement qui décelait sa désolation profonde, si dans leurs pérégrinations ils avaient rencontré sa chère fille et son époux. Au portrait qu'elle leur en traça, les Mages reconnurent la sainte Vierge ainsi que saint Joseph ; et, touchés de compassion, ils descendirent de leurs dromadaires. Ils racontèrent à notre Sainte de quelle manière merveilleuse ils étaient partis de trois contrées différentes pour venir rendre leurs hommages au Roi de Gloire ; comment ils avaient, suivant une magnifique étoile qui leur servait de conductrice, traversé la Judée tout entière; comment enfin, dans une pauvre étable d'une petite ville, ils avaient trouvé Jésus couché dans une humble crèche et l'avaient adoré en lui présentant de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

 

Puis, de loin, ils lui montrèrent l'étable où était la Sainte Famille, et ils poursuivirent leur route. Plus avait été profonde l'affliction d'Anne depuis le départ de Nazareth, plus extraordinaire fut la joie dont son cœur fut inondé quand elle arriva dans l'étable où résidait son Dieu. Aussitôt qu'ils l'aperçurent, la sainte Vierge et saint Joseph s'empressèrent de la conduire à la crèche où reposait le Sauveur. Anne se prosterna la face contre terre et l'adora. « Vous voilà donc enfin, ô mon Dieu, vous après qui je soupirais si ardemment et depuis si longtemps! Mais, au.lieu du riche berceau que je vous avais préparé, je vous vois couché dans une crèche! Au lieu d'un palais pour habitation, vous avez une étable !... » Puis, s'adressant à la sainte Vierge : « Est-ce donc là, ma chère fille, la couche que je vous avais destinée ! Hélas ! faut-il que l'Homme-Dieu, le Réparateur du genre humain, soit né dans une étable ! »

 

Et, le visage baigné de larmes, elle prit le Sauveur entre ses bras et le couvrit de baisers. Elle demeura dans l'étable jusqu'au jour de la Purification, dans l'admiration des choses qui s'y faisaient. Lorsque le temps d'accomplir les prescriptions de la loi fut venu, c'est-à-dire quarante jours après la Nativité, la Sainte Vierge, Saint Joseph et Sainte Anne se rendirent au Temple de Jérusalem pour y présenter Jésus; ils y firent les présents ordinaires et reprirent le chemin de Nazareth. Anne, voulut prendre les devants afin de préparer tout ce qui était nécessaire à la réception de la Sainte Famille. Elle ne se sentait pas de joie de voir bientôt le Fils de Dieu échanger la crèche de Bethléem contre le riche berceau qu'elle lui avait destiné depuis longtemps déjà. Mais le Seigneur, qui se plaît à éprouver les justes sur la terre pour les récompenser plus magnifiquement dans les cieux, trompa encore l'attente de notre sainte, et disposa les choses d'une toute autre manière qu'elle les rêvait.

 

XIII- La fuite en Egypte, Anne cherche la Sainte Famille pendant une année entière, elle va à Bethléem, sa retraite dans le désert

 

Or, pendant que sainte Anne préparait sa maison avec le plus de soin possible pour la rendre plus digne de l'Hôte auguste qu'elle devait recevoir, l'Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte, et demeure là jusqu'à ce que je te parle, car il arrivera qu'Hérode cherchera l'enfant pour le faire mourir ». Joseph, se levant aussitôt, prit l'enfant et sa mère durant la nuit, et se retira en Egypte. Anne, ne voyant pas arriver la sainte Famille, crut qu'un accident lui était arrivé dans le chemin. Dans son anxiété, elle reprit immédiatement la route de Jérusalem, et elle y parvint sans avoir rien appris au sujet de ceux qu'elle cherchait. Elle s'informa par toute la ville de ce qu'ils pouvaient être devenus ; mais personne ne savait rien. Elle alla de Jérusalem à Béthanie, de Béthanie à Bethléem, de Bethléem à Jéricho, cherchant toujours, interrogeant partout.

 

Elle persista une année entière dans cette recherche douloureuse et incessante, marchant par des chemins écartés, supportant le poids du jour et de la chaleur, souffrant la faim et la soif, et versant de continuelles larmes. Bien ne pouvait la consoler; les cris des enfants de Bethléem qu'on avait égorgés résonnaient toujours à ses oreilles; elle croyait y reconnaître la voix de son Jésus ; et, comme lui plus tard, elle disait en gémissant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ? » Enfin, après avoir parcouru la Judée tout entière, elle retourna à Nazareth pour s'y disposer à mourir. En effet, elle croyait, vu son âge avancé, que son heure dernière ne tarderait pas à arriver ; elle était tellement abattue par l'affliction, par la souffrance et par l'âge, qu'elle pensait n'avoir plus guère de temps à vivre. Elle se trompait cependant. Dieu, qui lui avait donné pour Fille la Mère de son Fils, voulait qu'avant de participer à leur gloire elle participât à leurs épreuves et à leurs traverses.

 

Dans la pensée de sa mort prochaine, Anne prit la résolution de se retirer dans le désert ; mais, comme elle désespérait de revoir jamais la Sainte Famille, elle voulut préalablement visiter l'étable où Jésus était né et poser une dernière fois ses lèvres sur la place où il avait reposé dans la crèche. Elle se mit donc en marche pour Bethléem. Quand elle arriva à l'étable, elle était brisée, exténuée, se traînant à peine; et à peine s'était-elle prosternée devant la Sainte Crèche, qu'elle tomba dans un profond évanouissement sur la paille même où s'était reposée Marie, pendant les quarante jours qui suivirent la naissance de l'Enfant-Dieu. Pendant cet évanouissement, le Seigneur voulut lui montrer par avance tout ce que devait souffrir Jésus-Christ durant sa passion douloureuse. Elle aperçut d'abord le Sauveur dans le Jardin des Olives, couvert d'une sueur de sang et priant son Père de détourner de lui le calice d'amertume que les Juifs allaient lui verser. Elle vit l'infâme Judas poser ses lèvres impures, ses lèvres de traître, sur le Fils de l'Homme, et le livrer par un baiser. Elle vit Jésus, enchaîné comme un vil scélérat, traîné par les rues de Jérusalem, insulté par Caïphe, souffleté par les soldats, conspué, méprisé, allant de Pilate à Hérode et d'Hérode à Pilate. Elle put compter les coups de verges qui devaient faire voler en lambeaux la chair sacrée de l'Homme-Dieu ; elle put le suivre, couronné d'épines, couvert d'un lambeau de pourpre et portant, comme un autre Isaac, le bois de son sacrifice jusque sur le Calvaire. Elle assista en esprit au crucifiement ; elle entendit les coups de marteau qui enfonçaient les clous dans ses mains et dans ses pieds sacro-saints ; elle le vit expirer entre deux larrons, après avoir été abreuvé de fiel et de vinaigre et après avoir pardonné à ses bourreaux.

 

Nous renonçons à peindre le déchirement, l'angoisse, le désespoir de notre Sainte pendant cette horrible vision. Ce n'étaient pas seulement les souffrances de son Jésus qui la faisaient souffrir ; elle souffrait aussi de la souffrance de Marie. Toutes les injures, tous les outrages, tous les coups, toutes les blessures que l'on prodiguait au Christ et qui perçaient le cœur de Marie, transperçaient celui de Sainte Anne ; si bien que, les douleurs de Jésus et de Marie étant en même temps ressenties par elle, on peut dire qu'en ce moment elle souffrit une double passion. Quand cette cruelle vision se fut évanouie et qu'Anne sortit de cette léthargie profonde qui avait été pour elle comme une longue agonie, elle se prosterna la face contre terre, et s'écria, les yeux fixés sur la crèche du Sauveur: « O doux enfant, puisque Vous devez être attaché sur la Croix et verser tout Votre Sang pour le Salut du genre humain, il n'est pas juste que je souffre seulement en esprit pour l'amour de Vous; il faut de plus que mon corps soit châtié. Je veux finir mes jours dans le jeûne, l'abstinence et la prière ».

 

Se levant aussitôt, elle se rendit dans le désert, elle le parcourut dans tous les sens pendant plusieurs années, cherchant la retraite la plus écartée, la plus affreuse, pour s'y livrer en toute liberté aux plus rudes exercices de la pénitence. Enfin, ayant trouvé une grande fosse pierreuse, taillée en forme de grotte, elle s'y enferma jusqu'à l'âge de soixante-dix-huit ans. La terre nue lui servait de lit, une grosse pierre d'oreiller ; elle ne se nourrissait que de racines grossières et ne buvait que de l'eau, qu'elle s'était condamnée à aller puiser à une fontaine située à deux lieues de sa retraite ; elle était toujours dans la contemplation des choses du ciel, toujours en prières, acceptant avec patience et humilité toutes les souffrances et toutes les tentations.

 

XIV- Dans le désert Sainte Anne est tentée plusieurs fois par le Démon

 

Satan ne cessa presque jamais de tenter et de tourmenter notre Sainte. Tantôt il lui inspirait de l'horreur pour le genre de vie qu'elle avait embrassé ; tantôt il lui proposait de nouvelles austérités comme nécessaires, disait-il, à sa perfection. Mais Anne, par le secours de la grâce céleste, sut déjouer toujours les artifices du malin esprit, et ne se conduisit que d'après les inspirations du ciel.

 

Un jour que, pressée par une soif ardente, elle était venue chercher de l'eau à la fontaine dont nous avons parlé plus haut, elle en trouva l'ouverture obstruée par une grosse pierre qu'y avait apportée Satan. La prière était le refuge ordinaire de notre Sainte dans ses tribulations. Elle pria donc le Seigneur de lui venir en aide dans cette occurrence. Par un miracle providentiel, la pierre devint poreuse, et il en sortit une eau aussi pure que le cristal. Furieux de sa déconvenue, Satan jeta dans cette eau une pierre qui lui donna une amertume telle, que Sainte Anne, en ayant bu quelques gorgées, tomba évanouie sur le sol. Un Ange descendit du Ciel, lui rendit l'usage de ses sens, lui apporta une eau claire et pure, et étancha sa soif. Rentrée dans sa grotte, Anne se sentit tellement accablée par suite de la fatigue et de la chaleur réunies, qu'elle se coucha à terre et s'endormit profondément. Satan, irrité de la faveur qu'elle venait de recevoir, la transporta au milieu de Jérusalem et la posa sur le faîte d'un des édifices les plus élevés de la ville. Quand Anne s'éveilla, elle ne fut pas peu surprise d'entendre les clameurs de la foule, qui, d'en bas, la regardait et cherchait vainement de quelle manière elle pourrait sortir de la position difficile dans laquelle elle se trouvait. Anne eut recours à son refuge habituel; elle se mit en prières, et sur-le-champ un ange, à la vue de tout le peuple émerveillé, la transporta dans sa chère grotte.

 

Une autre fois, se prenant à penser à Jésus et à Marie qu'elle avait perdus, notre Sainte s'abandonnait à sa douleur. Satan, sous la forme d'un ange de lumière, lui apparut et lui dit qu'il était envoyé du Ciel pour la consoler ; il lui commanda donc de se lever et de le suivre pour aller au-devant de la Sainte Famille qui venait la visiter. Sainte Anne, transportée de joie, se mit en route à la suite de l'ange de ténèbres. Ils arrivèrent au pied d'un roc escarpé. Là, Satan lui dit que, si elle aimait véritablement le Seigneur et si c'était pour son amour qu'elle châtiait son corps, il fallait gravir le rocher qui était devant eux. Et il prit les devants. Anne le suivit. Elle n'eut pas fait vingt pas, qu'elle rencontra des pierres aiguës comme des clous et tranchantes comme des rasoirs, qui mirent ses pieds en sang. Elle avança cependant; mais le supplice devint si horrible, son sang coulait avec tant d'abondance, qu'elle tomba mourante à moitié du chemin. Satan la saisit, la traîna jusqu'au sommet du roc, et froissa tellement son corps contre le tranchant et le piquant des pierres, qu'il ne formait plus qu'une plaie. Anne, avec sa patience ordinaire, souffrit tous ces tourments sans dire un seul mot. Elle élevait incessamment son cœur à Dieu, le remerciant de l'associer ainsi aux tortures que Jésus devait souffrir durant la Passion. Satan, frémissant d'une rage impuissante à la vue de ce courage et de cette résignation extraordinaires, s'enfuit dans le fond des enfers; et les anges du Seigneur, descendant des cieux, s'approchèrent de notre Sainte, cicatrisèrent ses plaies, la consolèrent et la reportèrent dans sa chère solitude.

 

XV- Sainte Anne est visitée dans le désert par Jésus et par Marie, sa bienheureuse mort

 

Jésus, qui, comme Dieu, n'ignorait pas le lieu où Anne s'était retirée, n'avait pas jusque-là voulu en informer Marie, qui était fort inquiète au sujet de sa mère. Mais, à l'approche de l'heure dernière de notre Sainte, il dit à Marie : « Allons, Ma chère Mère, allons rendre visite à celle qui Vous a portée pendant neuf mois dans son sein, et qui, par la vie tout angélique qu'elle a menée si longtemps, par les épreuves nombreuses que Mon Père lui a envoyées et qu'elle a supportées avec une si grande force d'âme, mérite tout notre amour et toutes nos louanges. Allons adoucir les approches de son passage à une vie meilleure ». Et aussitôt ils furent miraculeusement transportes dans le désert qu'Anne sanctifiait par les rigueurs de sa pénitence.

 

Notre sainte ne les eut pas plutôt aperçus, qu'entonnant le psaume « In te, Domine, speravi », « En Vous, Seigneur, mon espérance », elle se prosterna aux pieds du Sauveur, les baisant avec une ardeur et une joie ineffables. Jésus la pria de se relever, et, lui ayant annoncé que le terme de son pèlerinage terrestre approchait, il la conduisit lui-même à Jérusalem. Là, se sentant envahie par une grande faiblesse, Anne appela Marie auprès d'elle et lui dit : « Ma chère fille, Vous savez quel est mon amour pour Vous et les larmes que j'ai versées à votre occasion; ne m'oubliez jamais dans vos prières, je Vous en conjure ». Montrant ensuite Jésus à tous ses proches qui environnaient son lit de mort : « Voilà le Fils de Dieu, dit-elle, celui qui des Cieux est descendu sur la terre pour sauver le genre humain. Servez-le fidèlement; suivez sa doctrine et gardez ses commandements. Il est la clef du Paradis et la porte du Ciel. Ne l'abandonnez pas aux jours cruels de sa Passion ». Alors Jésus, s'approchant d'elle, lui dit: »Vous serez à jamais bénie, Anne ! Tous ceux qui m'invoqueront en votre nom peuvent être certains d'être exaucés toujours ».

 

Anne, posant sa tête sur le sein du Sauveur, lui parla amoureusement pendant quelques instants; puis, ayant récité avec une grande ferveur le psaume « Quemadmodum cervus desiderat ad fontes aquarum », « Comme le cerf altéré soupire avec ardeur après une source d'eaux vives, ainsi mon âme s'élance vers toi, Seigneur, source de vie », elle expira doucement entre les bras de Jésus et de Marie... Elle était âgée de soixante-dix-huit ans !... Quelle douce mort ! Et comme furent amplement récompensées en ce moment toutes les épreuves, toutes les afflictions, toutes les misères de sa longue vie!

 

 

Texte extrait du livre "Vie de Sainte Anne", de l'Abbé Gros, Librairie Victor Sarlit, Paris, 1862



14/08/2012
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