Spiritualité Chrétienne

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Sanctifier sa faiblesse avec Thérèse de Lisieux

 Sanctifier sa faiblesse avec Thérèse de Lisieux

A la veille de la fête de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1er octobre), et tandis que ses parents, Louis et Zélie Martin, devraient être bientôt béatifiés, Bernard Dubois explique comment la "petite voie" du plus jeune Docteur de l'Eglise s'enracine dans ses fragilités et ses blessures.

Luc Adrian

Qu'est-ce qui vous touche le plus chez sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ?

Elle est la plus faible ! Thérèse est réellement une "toute petite âme". Elle porte en elle une fragilité psychique qui, loin d'être un obstacle, va devenir son moyen privilégié de sanctification.

D'où vient sa fragilité ?

Elle a des parents remarquables, une famille admirable, mais cela ne l'empêche pas d'être blessée en profondeur. Et sa blessure majeure, c'est l'abandon. Elle a souffert d'un manque grave d'affection maternelle.

Sa maman, Zélie Martin, est pourtant en passe d'être béatifiée !

Les limites de Zélie n'enlèvent rien à sa sainteté. La sainteté, c'est laisser Dieu combler nos manques. Il n'y a pas lieu de culpabiliser en reconnaissant les limites de notre nature blessée. Tous les parents humains, malgré leur bonne volonté, blessent leurs enfants, car ils sont marqués par le péché et imparfaits.

Thérèse, cependant, est attendue dans la joie ?

Dans la joie et l'amour, certes, mais aussi dans l'angoisse d'une mère épuisée qui a déjà perdu quatre enfants en bas âge - deux garçons et deux filles, dont une qui s'appelait Thérèse ! - parce qu'elle n'a pu les allaiter. Thérèse naît dans un contexte familial de souffrance et de morbidité qui la marque : en onze ans, on compte sept deuils dans la famille Martin !

L'angoisse d'une mère, lorsqu'elle est constante, rejaillit sur le fœtus. Thérèse a été "stressée" dans le sein maternel. On trouve ici sans doute l'origine des deux facettes de son caractère : un extrême amour de la vie, et un fond d'angoisse qui sécrétera plus tard la culpabilité de ne pas être aimable, et qui lui fera rechercher l'amour.

A peine née, elle tombe malade...

Quinze jours après sa naissance, Thérèse présente tous les symptômes qui ont précédé la mort de ses frères et sœurs. Ses troubles digestifs provoquent des douleurs abdominales horribles. Le 11 mars 1873, elle est à l'agonie, en train de mourir de faim. Sa maman l'aime de tout son cœur, mais ne parvient plus à la maintenir en vie.

Ce fait est avéré en psychologie : la blessure est d'autant plus agressante que le lien affectif est fort. C'est pourquoi la blessure maternelle est toujours la première et la plus importante.

Thérèse gardera toute sa vie cette blessure d'abandon, véritable abîme affectif en raison de l'aspect répétitif de l'agression et du caractère prolongé de la blessure. Elle est meurtrie d'une manière très précoce dans son désir de vivre.

Qu'est-ce qui va la sauver ?

Saint Joseph, icône humaine du visage du Père et patron de la bonne mort. Il intervient grâce à la prière suppliante de Zélie. Son rôle dépasse certainement ici celui de la simple guérison corporelle.

A côté de saint Joseph, veille aussi la Vierge Marie, à qui Thérèse est consacrée. Ainsi la Sainte Famille se manifeste-t-elle dans la vie de Thérèse avant même que celle-ci fasse l'expérience structurante de l'amour. Devenue plus grande, Thérèse prendra volontairement sainte Marie pour mère et accueillera la paternité de saint Joseph, à travers celle de son père, parce qu'elle découvrira que la Sainte Famille est le lieu privilégié de la guérison et de la sanctification.

Une invitation pour chacun de nous ?

Une invitation, en effet, à prendre Marie dans notre cœur afin qu'elle comble toutes nos carences affectives maternelles, et à accueillir saint Joseph comme protecteur et père adoptif, surtout quand la présence paternelle a fait défaut.

Des chocs continuent ensuite d'ébranler la petite fille...

Oui. Le troisième choc, c'est le départ chez la nourrice Rose Taillé et la souffrance d'une séparation de douze mois et demi, alors que Thérèse n'est âgée que de 2 mois. Et lorsque Rose vient en visite à Alençon, et confie Thérèse à Zélie pour aller à la messe, la petite crie et se débat tellement que la nourrice doit la reprendre. Thérèse rejette sa mère ! Et de nouveau, la blessure se rouvre, lorsqu'elle doit quitter la nourrice pour revenir à la maison...

Sainteté n'égale donc pas guérison des blessures ?

Non. La grâce ouvre la blessure, la purifie, mais elle ne l'efface pas ; elle en fait un chemin de sanctification. C'est aussi pourquoi Thérèse est une sainte si moderne, une maîtresse de vie pour notre époque angoissée, où la blessure d'abandon n'a jamais été aussi fréquente à cause de l'éclatement de la famille, de la dislocation des couples, et des conditions de vie très insécures pour les plus petits.

Avec une soif d'amour qui part dans tous les sens ?

Thérèse manifeste un besoin lancinant d'être aimée, c'est l'un des secrets de la "petite voie". Une anecdote me paraît très significative : elle monte l'escalier toute seule, et à chaque marche crie : "Maman". Il faut que Zélie lui réponde : "Oui, ma petite fille" à chaque appel pour qu'elle progresse, sinon, elle s'arrête.

A la place de "Maman", mettez "Abba, Père", et vous avez la voie d'enfance. "Abba ! - Oui, ma petite fille." Alors il lui est donné de franchir chaque marche l'une après l'autre. Nous sommes là au sein de la voie de confiance et d'amour, vécue au cœur de ce qu'on pourrait appeler la liturgie affective familiale. Il fallait une initiation pleinement humaine pour ouvrir un tel chemin spirituel. Tant il est vrai que l'expérience parentale est le support sensible de la rencontre avec Dieu.

En même temps, quelle inquiétude derrière cette attente !

Oui, Thérèse expérimente la brisure entre l'angoisse d'abandon d'une part, la confiance en la présence d'autre part. Chaque fois qu'elle sera confrontée à cette souffrance de la séparation et à l'angoisse d'abandon qui la sous-tend, elle réagira volontairement par la confiance. Mais il fallait qu'elle fasse dans sa chair l'expérience de l'extrême faiblesse due à l'abandon pour vivre ensuite l'initiation à l'amour dans la confiance.

La confiance de l'amour inconditionnel ?

L'une des clés de la voie d'enfance consiste à se laisser aimer, même et surtout dans nos blessures passées, à accueillir l'amour malgré un profond ressenti d'esseulement, malgré la résurgence de nos angoisses ou d'un mal-être intérieur, malgré notre sentiment d'être rejeté ou mal-aimé, malgré la honte que nous avons de nous-mêmes ou notre sentiment d'incapacité.

Cela ne va pas sans combat ?

Non, et nous aurions tort de sousestimer le combat que Thérèse a livré pour parvenir à une telle découverte. Elle a cru à l'amour de sa maman, puis à la tendresse de Dieu pour elle, alors même qu'elle était tenaillée par l'angoisse du doute et l'inquiétude de l'absence. Elle a choisi de faire confiance à l'amour jusqu'au paroxysme de l'épreuve - elle citait volontiers cette parole de Job : "Quand Dieu même me tuerait, je continuerais à croire en Lui" !

C'est pourquoi elle peut écrire : "Aimer, c'est se livrer à toutes sortes d'angoisses". Thérèse sera tourmentée par les scrupules et l'angoisse jusqu'à sa mort. Son combat spirituel - passer de l'angoisse à la confiance - s'enracine dans ses blessures psychologiques : l'angoisse d'être damnée, séparée de l'Amour de Dieu, se génère dans l'angoisse vitale d'être séparée de l'amour maternel.

C'est là que Thérèse est maîtresse spirituelle : elle montre que le chemin de sainteté se trace dans le champ vif des blessures. Ce qu'elle a vécu là est presque plus fort que ce qu'elle a eu le temps de dire.

Puis elle perd sa maman à 4 ans !

La mort de Zélie rouvre brutalement la plaie initiale, incomplètement cicatrisée. On ne la lui annonce que le lendemain matin, à son réveil, et son Papa ne lui demande pas son avis pour l'emmener embrasser le cadavre. C'est pour elle un choc terrible. Les émotions sont si violentes qu'elle ne peut les évacuer. Elle dira plus tard : "Je ne me souviens pas d'avoir beaucoup pleuré". Son caractère s'en trouve changé : elle devient hypersensible.

Puis, entre l'âge de 8 et 10 ans, Thérèse va traverser quatre drames successifs : deux nouvelles séparations avec son entrée en demi-pensionnat, et le départ de Pauline pour le Carmel - souffrance réactivée chaque jeudi par la visite au parloir ; le refus de sa première communion par Mgr Hugonin ; enfin, son "étrange maladie" en mai 1883.

Quelle est cette "étrange maladie" ?

Les symptômes présentés par Thérèse sont ceux d'un état dépressif majeur de l'enfant - maladie que nous connaissons depuis 15-20 ans environ -, associé à une angoisse d'abandon et à des hallucinations. La dépression est comme une soupape qui permet à l'incommunicable de se manifester. Pour Thérèse, comme pour toute personne traversant une dépression, c'est la découverte de l'incapacité absolue malgré sa force de volonté.

C'est dans cet abîme que le "ravissant sourire de la Vierge Marie" vient la toucher et la guérir. "Alors toutes mes peines s'évanouirent", dit-elle. Thérèse affirme que sa vie commence à ce moment précis où elle choisit de prendre Marie pour mère. Elle est descendue au fond de la blessure maternelle, là où elle n'a pas pu être aimée, et c'est là qu'elle se découvre, par la grâce de Dieu, cachée dans le sein de Marie. Abandonnée maternellement, elle s'abandonne à Marie.

A la Croix, le Christ nous donne sa mère comme "LA Mère", celle qui ne se referme jamais sur elle, qui ne limite jamais son don, qui ne retient rien, jamais - l'un des défauts des mamans. Toute notre expérience de l'accompagnement confirme ce fait : les personnes blessées dans leur relation à leur mère sont appelées à vivre une présence particulière de Marie, qui devient affectivement extrêmement guérissante. Plus l'abandon est profond, plus Marie désire nous rendre la vie en son sein, en nous consolant, en nous souriant...

En fait, Thérèse n'a pas été guérie de cette blessure d'abandon ?

Non. Thérèse nous montre qu'on ne guérit pas toujours des blessures les plus profondes, en particulier de celles qui ont été reçues avant l'âge de 3 ans. Ces dernières appartiennent au mystère de l'innocence persécutée, elles peuvent devenir le lieu d'une corédemption. Ainsi, la souffrance de l'exil habitera le cœur de Thérèse toute sa vie durant, et elle apprendra pro-gressivement à lui donner un sens fécond, source de paix et de joie.

Si Thérèse avait complètement guéri de toutes ses blessures, elle n'aurait plus ressenti douloureusement la séparation. Or nous savons au contraire que ce sentiment, habituellement source de tristesse et d'amertume, demeurera jusqu'à sa naissance au Ciel, mais il sera totalement purifié.

"La question chrétienne n'est pas d'être guéri, mais d'être sauvé", remarque le psychanalyste Jacques Arènes. Etes-vous d'accord ?

Oui. Thérèse est "guérie" au niveau spirituel : elle est ouverte à l'amour et à la grâce - alors que la blessure referme. Elle est sauvée ! Mais elle n'est pas guérie au niveau psychologique : elle garde des symptômes d'ordre psychologique qui traduiront des fragilités, jusqu'à sa mort.

Peut-on dire "heureuse blessure..." ?

Si l'on peut guérir progressivement des réactions aux blessures - agressivité, tristesse, découragement, culpabilité, etc. -, on ne guérit pas forcément de la souffrance de séparation et de l'angoisse d'abandon. Mais elles peuvent devenir le lieu d'élection où nous expérimentons la puissance de Dieu dans la mort. Constituer un terreau où grandissent la confiance filiale et l'attitude d'abandon, et où germent les fruits de l'Esprit Saint : patience, douceur, miséricorde, compassion, bienveillance, paix et joie...

La fragilité de Thérèse la rend spécialement proche de ceux qui éprouvent une grande fragilité.

La dépression est caractérisée par l'impossibilité de vouloir ("Je voudrais bien, mais je ne peux pas") et l'annihilation de tout désir ("Je voudrais vouloir, mais je ne veux plus rien"). C'est l'expérience la plus douloureuse de la faiblesse. Thérèse montre aux petits qu'une voie de sainteté leur est ouverte dans cette faiblesse même. Toute sa pédagogie est basée sur l'impuissance : "Je veux, mais je ne peux pas".

Alors, vous allez tester la profondeur de votre désir dans les petites choses : c'est la fameuse épingle qu'elle ramasse par amour pour sauver un missionnaire. Je ne peux rien, mais dans ce rien, je peux toujours une toute petite chose, et je peux le vivre avec amour. Je suis dépressif mais je peux sourire. Je peux balbutier : "Je t'aime". Je peux faire un tout petit pas, et le faire avec amour... Ainsi y a-t-il des ascensions spirituelles magnifiques dans des dépressions profondes.

Une ascension au cœur de la chute ?

La dépression ne crée pas le vide, elle le révèle. Excepté certaines pathologies spécifiques, la dépression survient sur une blessure d'abandon. Dans 90 % des cas, la dépression réactionnelle est le dévoilement, la mise à la lumière d'un abîme intérieur que la personne ne soupçonnait pas. Cet abîme - que nous portons chacun en nous, même s'il est plus ou moins profond - est un manque affectif dont nous avons souffert dans notre première enfance. Ce manque a creusé une blessure : l'expérience du manque d'amour.

Cette chute est souvent liée à un comportement de type perfectionniste : le dépressif craque parce qu'il a employé toutes ses forces à combler ce manque en essayant d'être reconnu, aimé, apprécié, respecté... Puis, un jour, il n'y arrive plus - souvent au milieu de la vie. Des événements se conjuguent, la charge est trop lourde, le masque écrasant... Le plancher s'effondre. La personne vit alors le dévoilement de cet abîme par l'expérience de l'impuissance.

Une impuissance féconde ?

Elle est d'abord douloureuse, et ressentie d'autant plus péniblement que le dépressif a vécu dans la productivité, l'action, l'émissivité. Or, il a la soudaine impression de perdre le sens de sa vie, d'être inutile... Son échelle de valeurs bascule. Il ne peut plus rien "faire".

Là encore, Thérèse rejoint la personne dépressive en insistant sur l'importance de savoir recevoir. Elle nous enseigne que, dans l'amour comme dans la prière, la première disposition du cœur consiste à se laisser aimer, à accueillir la tendresse de Dieu. Elle nous dit aussi que notre identité la plus profonde n'est pas dans la productivité de notre "faire", mais dans la qualité avec laquelle on essaie d'être et de tisser des relations aimantes.

Thérèse, très tôt, n'a pu faire ce qu'elle voulait, comme elle voulait ; aussi a-t-elle dû apprendre à accueillir cette partie faible en elle. Cela l'a menée très loin, et très haut !

Blessure d'abandon et angoisse de séparation

"L'angoisse de séparation est un trouble anxieux qui s'observe principalement dans l'enfance quand il y a eu séparation traumatisante, mais dont les effets peuvent se poursuivre jusque dans l'âge adulte. L'enfant qui se construit sur une relation d'amour vit la séparation comme un abandon, une perte d'amour. Cette blessure provoque une angoisse. Celle-ci, comparable à une angoisse de mort, est d'autant plus forte qu'elle intervient tôt dans la vie de l'enfant ou qu'elle dure longtemps."

Extrait de Maman, ne me quitte pas, livre de référence sur le sujet, écrit par Bernadette Lemoine (Saint-Paul).

 Livre à lire: Guérir en famille

Rédigé à partir d'enseignements et d'une longue expérience de l'accompagnement, le livre de Bernard Dubois, Guérir en famille, est un précieux guide pratique et spirituel de la vie familiale par les repères qu'il offre sur l'identité du père, de la mère, de l'enfant ; et par les indications sur l'éducation et la gestion de la relation au sein de la famille.La Sainte Famille est ici proposée comme lieu de guérison des blessures familiales. "Le Christ nous offre ses parents, saint Joseph et la Vierge Marie, pour être nos modèles et suppléer à tous les manques d'amour paternel et maternel de l'enfance", écrit l'auteur dans ces pages très riches, que nous ne pouvons que recommander vivement à nos lecteurs.

Guérir en famille, par Bernard Dubois, éd. des Béatitudes, 268 p., 14 E. Disponible à la Boutique Edifa (tél. : 02 32 29 19 09), code Q1C022

S'appuyer sur la faiblesse

"Nous nous arrêtons bien souvent à de faux obstacles, à des obstacles qui sont des moyens. Nous nous arrêtons à notre faiblesse, à notre pauvreté, à notre misère, à notre manque d'intelligence, à notre manque de sainteté... telle que nous la concevons. Eh non ! Tout cela est moyen pour purifier notre Foi. La misère qui nous enveloppe, les plaies que nous portons, la faiblesse dont nous sommes pétris, l'absence de vertu, le manque d'intelligence pénétrante, je dis que tout cela est moyen. La Foi doit se dresser en quelque sorte sur toute cette pauvreté. Si cette pauvreté n'existait pas, il faudrait la créer pour pouvoir s'appuyer sur elle et pénétrer en Dieu." Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus.



14/04/2008
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