Saintes Perpétue et Félicité
Saintes Perpétues et Félicité
Martyres à Carthage
+ en 203
Fête le 6 mars
Le Martyre des saintes Félicité et Perpétue et de leur compagnon à Carthage , en l'an de Jésus-Christ 202 ou 203, Sévère régnant comme empereur, et saint Zéphirin étant évêque à Rome.
Le récit de ce martyre nous est connu par un texte grec et un texte latin : la Passion de Perpétue et Félicité. Les érudits qui ne sont intéressés que par les formes extérieures se sont longtemps disputés pour savoir si le texte grec prédatait le latin ou l'inverse. Peu nous importe : Le récit a connu une diffusion rapide : il est cité par Tertullien. Par la suite saint Augustin, évêque d'Hippone, y fit plusieurs fois référence. Cette "Passion" est en plusieurs parties. La première nous est parvenue sans nom d'auteur, comme bien souvent à cette époque bénie pour la vie de l'Église. Elle encadre les pages écrites par Perpétue et Saturus durant leur captivité avant l'exécution. Le rédacteur anonyme ajoute le récit du déroulement des jeux, qui se concluent par la mort des martyrs et une réflexion finale. Les partie écrites par Perpétue et Saturus sont essentiellement consacrées aux visions qu'ils eurent durant leur captivité. Entre toutes leurs discussions stériles, les érudits se sont tout de même mis d'accord sur une chose : Cette Passion, ces récits de Perpétue et de Saturus, ce sont des récits originaux, ce qui en fait la valeur historique. Le récit de Perpétue est de plus un des rares textes écrits par une femme durant l'empire romain en Occident.
Le septième jour de mars, on arrêta à Carthage, par l'ordre de l'empereur Sévère, quelques jeunes catéchumènes, Révocat et Félicité, tous deux de condition servile; Saturnin et Secondue, et Vivia Perpétue, d'une importante famille dans la ville, mariée à un homme de grande condition. Perpétue avait son père et sa mère, 2 frères, l'un desquels était aussi catéchumène, et un enfant à la mamelle, qu'elle nourrissait de son propre lait. Elle écrivit elle-même l'histoire de son martyre, telle que nous allons le donner: "Nous étions encore avec nos persécuteurs, lorsque mon père vint faire de nouveaux efforts pour m'ébranler et pour me faire changer de résolution : "Mon père," lui dis-je, "voyez-vous ce vase de terre que voilà?" - "Oui," me dit-il, "je le vois." - "Peut-on," continuai-je, "lui donner un autre nom que celui qu'il a?" - "Non," me répondit-il. - "De même" lui répliquai-je "je ne puis être autre que ce que je suis, c'est à dire Chrétienne." À ce mot, mon père se jeta sur moi pour m'arracher les yeux, mais il se contenta seulement de me maltraiter, et se retira, confus de n'avoir pu vaincre ma résolution avec tous les artifices du démon dont il s'était servi pour me séduire. Je rendis grâce à Dieu de ce que je fus quelques jours sans revoir mon père, et son absence me laissa goûter un peu de repos. Ce fut durant ce petit intervalle que nous fûmes baptisés; le Saint-Esprit, au sortir de l'eau, m'inspira de ne demander autre chose que la patience dans les tourments.
"Peu de temps après, on nous conduisit en prison; l'horreur et l'obscurité du lieu me saisirent d'abord, car je ne savais ce que c'était que ces sortes de lieux. Oh que ce jour-là me sembla long! Quelle horrible chaleur! On y étouffait tant on y était entassés, outre qu'il nous fallait à tous moment supporter l'insolence des soldats qui nous gardaient. Enfin, ce qui me causait une peine extrême, c'est que je n'avais pas mon enfant. Mais Tertius et Pompone, 2 charitables diacres, obtinrent, à force d'argent, que l'on nous mit dans un lieu où nous fussions plus au large, et où, en effet, nous commençâmes un peu à respirer. Chacun songeait à ce qui le regardait. Pour moi, je me mis à donner à téter à mon enfant, qu'on m'avait apporté et qui était déjà tout languissant, pour avoir été longtemps sans prendre la mamelle. Toute mon inquiétude était pour lui. Je ne laissais pas toutefois de consoler ma mère et mon frère, mais surtout je les conjurais d'avoir soin de mon enfant. Il est vrai que j'étais sensiblement touchée de les voir eux-mêmes si fort affligés pour l'amour de moi. Je ressentis, ces peines-là durant plusieurs jours; mais, ayant obtenu qu'on me laisserait mon enfant, je commençai bientôt à ne plus les ressentir; je me trouvai toute consolée, et la prison me devint un séjour agréable; j'aimais autant y demeurer qu'ailleurs.
Un jour mon frère me dit: "Ma soeur, je suis persuadé que tu as beaucoup de pouvoir auprès de Dieu; demande-lui donc, je t'en prie, qu'Il te fasse connaître dans une vision, ou de quelque autre manière, si tu dois souffrir la mort ou si tu seras renvoyée." Moi, qui savais bien que j'avais quelquefois l'honneur de m'entretenir familièrement avec Dieu, et que je recevais de Lui chaque jour mille marques de Sa bonté, je répondis, pleine de confiance, à mon frère: "Demain, tu sauras ce qui en sera." Je demandai donc à mon Dieu qu'Il m'envoyât une vision, et voici celle que j'eus :
"J'aperçus une échelle toute d'or, d'une prodigieuse hauteur, qui touchait de la terre au ciel, mais si étroite, qu'en n'y pouvait monter qu'un à un. Les deux côtés de l'échelle étaient tout bordés d'épées tranchantes, d'épieux, de javelots, de faux, de poignards, de larges fers de lances; en sorte que, celui qui y serait monté négligemment et sans avoir toujours la vue tournée vers le haut, ne pouvait éviter d'être déchiré par tous ces instruments, et d'y laisser une grande partie de sa chair. Au pied de l'échelle, il y avait un effroyable dragon, qui paraissait toujours prêt à se lancer sur ceux qui se présentaient pour monter. Asture, toutefois, l'entreprit; il monta le premier. (Il s'était venu rendre prisonnier de son bon gré, voulant courir notre même fortune, car il n'était pas avec nous quand nous fûmes arrêtés). Étant heureusement arrivé au haut de l'échelle, il se tourna vers moi et me dit : "Perpétue, je t'attends; mais prends garde que le dragon ne te morde." Je lui répondis: "Je ne le crains pas, et je vais monter au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ." Alors le dragon, comme craignant lui-même, détourna doucement la tête; et, comme je levai le pied poux monter, il me servit de premier échelon. Étant parvenue en haut de l'échelle, je me trouvai dans un jardin spacieux, au milieu duquel je vis un Homme de bonne mine, vêtu en berger, les cheveux blancs comme la neige. Il y avait là un troupeau de brebis, dont Il tirait le lait, et Il était environné d'une multitude innombrable de personnes habillées de blanc. Il m'aperçut, et, m'appelant par mon nom, Il me dit: "Ma fille, sois la bienvenue." Et Il me donna du lait qu'Il tirait; ce lait était fort épais et comme une espèce de caillé. Je le reçus en joignant les mains et je le mangeai : tous ceux qui étaient là présents répondirent AMEN. Je me réveillai à ce bruit, et je trouvai, en effet, que j'avais dans la bouche je ne sais quoi de fort doux que je mangeais (1). Dès que je vis mon frère, je lui racontai mon songe, et nous en conclûmes tous que nous devions bientôt endurer le martyre. Nous commençâmes donc à nous détacher entièrement des choses de la terre et à tourner toutes nos pensées vers l'éternité.
"Au bout de quelques jours, le bruit ayant couru que nous allions être interrogés, je vis arriver mon père; la douleur était peinte sur son visage; un chagrin mortel le consumait. Il vint à moi : - "Ma fille," me dit-il, "aie pitié de la vieillesse de ton père, si du moins je mérite d'être appelé ton père. S'il te reste encore quelque souvenir des soins si tendres et si particuliers que j'ai pris de ton éducation; s'il est vrai que l'extrême amour que j'ai eu pour toi m'a fait te préférer à tous tes frères, ne sois pas cause que je devienne l'opprobre de toute une ville. Que la vue de tes frères te touche; jette les yeux sur ta mère, sur la mère de ton mari, sur ton enfant, qui ne pourra vivre si tu meurs; rabats quelque chose de ce courage fier; rends-toi un peu plus traitable, et ne nous expose pas tous à une honte inévitable. Qui de nous osera paraître si tu finis tes jours par la main d'un bourreau ? Sauve-toi pour ne pas nous perdre tous." En disant cela, il me baisait les mains; puis, se jetant à mes pieds tout en larmes, il m'appelait madame. J'avoue que j'étais pénétrée d'une vive douleur, lorsque je considérais que mon père serait le seul qui ne tirerait aucun avantage de ma mort. Je tachai donc de le consoler le mieux que je pus. - "Mon père" lui dis-je, "ne t'afflige pas tant, il n'arrivera de tout ceci que ce qui plaira à Dieu, nous ne dépendons pas de nous-mêmes, mais de Sa volonté." Mon père se retira avec tristesse et dans un abattement inconcevable.
Un jour comme nous dînions, on vint tout d'un coup nous enlever pour subir l'interrogatoire. Le bruit s'en étant répandu aussitôt par toute la ville, la salle de l'audience fut en un instant remplie de peuple. On nous fit monter sur une espèce de théâtre où le juge avait son tribunal. Tous ceux qui répondirent avant moi confessèrent hautement Jésus-Christ. Quand ce fut à mon tour, et comme je me préparais à répondre, voila mon père qui parait à l'instant, faisant porter mon enfant par un domestique. Il s'éloigna un peu du pied du tribunal, et, mettant en usage les conjurations les plus pressantes: "Seras-tu," me disait-il, "insensible aux malheurs qui menacent cette innocente créature à qui tu as donné la vie?" Alors le président, nommé Hilarion, qui avait succédé au proconsul Minuce Timinien, mort depuis peu de temps, se joignant à mon père: "Quoi !" me dit-il, "les cheveux blancs d'un père que vous allez rendre malheureux, et l'innocence de cet enfant, qui va devenir orphelin par votre mort, ne sont pas capables de vous toucher? Sacrifiez seulement pour la santé des empereurs." Je répondis: - "Je ne sacrifierai pas."
Hilarion reprit : -. " Vous êtes donc chrétienne?" - "Oui, je le suis" répondis-je. Cependant mon père, qui, espérant toujours de me gagner, était resté là, reçut un coup de baguette d'un huissier, à qui Hilarion avait ordonné de faire retirer mon père. Le coup me fut sensible. Je soupirai de voir mon père traité si indignement à mon occasion, et je plaignis sa malheureuse vieillesse. En même temps, le juge prononça la sentence, par laquelle nous étions tous condamnés aux bêtes. Après en avoir entendu la lecture, nous descendîmes du tribunal, et nous reprîmes gaiement le chemin de la prison. Dès que j'y fus rentrée, j'envoyai le diacre Pompone demander mon enfant à mon père, qui ne voulut pas me le rendre, et Dieu permit que l'enfant ne demanda plus à téter et que je ne fus pas incommodée de mon lait. Ainsi, je me trouvai l'esprit entièrement libre et sans aucune inquiétude.
Comme nous étions tous un certain jour en oraison, je prononçai par hasard le nom de Dinocrate. J'admirai comme une chose extraordinaire, que, n'ayant point pensé à lui depuis sa mort, je m'en souvinsse alors d'une manière si singulière. Je versai quelques larmes pour le triste accident qui nous l'avait ravi, et je connus que je serais exaucée si je priais pour lui. Je commençai donc à offrir des prières et à gémir beaucoup en la présence de Dieu. La nuit suivante, il me sembla voir sortir Dinocrate d'un lieu obscur; il était tout couvert de sueur; ses lèvres sèches et brûlées, et sa bouche entrouverte marquaient qu'il endurait une soif extrême. Son visage était pâle, couvert de crasse, et on y voyait encore la plaie qu'il y avait lorsqu'il mourut : c'était un horrible cancer à la joue. Ce Dinocrate était mon frère, mort à l'âge de sept ans. C'était donc pour ce pauvre enfant que j'avais prié avec tant d'ardeur. Au reste, il me semblait qu'il y avait un fort grand espace entre lui et moi; en sorte qu'il m'était impossible d'aller à lui. Là était un réservoir plein d'eau, mais dont le bord, plus haut que Dinocrate, ne lui permettait pas de puiser de quoi étancher sa soif. Il faisait divers efforts pour l'atteindre, mais c'était toujours en vain. Je me réveillai dans l'agitation et l'inquiétude que me causait la peine où je voyais mon frère; mais j'eus une ferme espérance que mes prières ne lui seraient pas inutiles pour la faire cesser; je ne cessais donc pas de prier jour et nuit pour ce cher frère, mêlant à mes prières mes soupirs et mes larmes. On nous transféra alors dans la prison du camp, car nous étions destinés pour servir aux spectacles qui devaient se donner dans le camp le jour de la naissance de Géta.
Nous fûmes tous mis à la chaîne, jusqu'au jour que nous devions être exposés aux bêtes. Ce fut, durant ce petit intervalle que le Ciel me favorisa encore de cette vision : ce lieu obscur, d'où j'avais vu sortir Dinocrate, me parut fort éclairé, et Dinocrate lui-même propre, bien vêtu, le visage frais, où l'on n'apercevait plus qu'une légère cicatrice à l'endroit où avait été cette plaie mortelle. Je vis aussi que les bords du réservoir étaient baissés et ne venaient plus qu'à la ceinture de l'enfant qui tirait de l'eau avec une extrême facilité; il y en avait même là un flacon tout plein, dont il buvait sans que l'eau du flacon diminua. Après qu'il eut bu, il courut jouer comme font les enfants, et je me réveillai dans le moment. Alors je compris qu'il avait été délivré des peines qu'il endurait.
Quelques jours s'étant écoulés, celui qui commandait les gardes de la prison, s'apercevant que Dieu nous favorisait de plusieurs dons, conçut une si grande estime pour nous, qu'il laissait entrer librement les frères qui venaient nous voir, soit pour nous consoler, soit pour recevoir eux-mêmes de la consolation. Mais, peu de jours avant les spectacles, je vis entrer mon père dans le lieu où nous étions, dans un accablement qu'on ne peut exprimer. Il s'arrachait la barbe, il se jetait contre terre, et y demeurait couché sur le visage, poussant de grands cri, et donnant mille malédictions au jour qui l'avait vu naître. Il regrettait d'avoir trop vécu; il appelait sa vieillesse infortunée; en un mot, il disait des choses si tristes, et se servait de termes si touchants, qu'il tirait des larmes et faisait fendre le coeur de compassion à tous ceux qui l'écoutaient. Je mourais de douleur en le voyant dans ce pitoyable état.
Enfin, la veille des spectacles j'eus une dernière vision. Il me sembla que le diacre Pompone était venu à la porte de notre prison, qu'il y frappait à grands coups, et que j'y étais accourue pour la lui ouvrir. Il était vêtu d'une robe blanche d'une étoffe fort riche, et qui était bordée d'une infinité de petites grenades d'or. Il me dit: - " Perpétue, nous t'attendons, ne veux-tu pas venir? " En même temps il me présenta la main, et nous nous mîmes tous deux à marcher par un chemin raboteux et étroit; enfin, après avoir fait plusieurs tours et détours, nous arrivâmes à l'amphithéâtre presque hors d'haleine. Pompone me conduisit jusqu'au milieu de la place, et il me dit - " Ne crains rien, je suis à toi dans un moment, et je reviens combattre avec toi." Il part en disant cela et me laisse.
Comme je savais que je devais être exposée aux bêtes, je ne comprenais pas pourquoi on différait tant à les lâcher contre moi. Alors il parut un Égyptien extrêmement laid, qui s'avança vers moi avec plusieurs autres aussi difformes que lui, et il me présenta le combat; mais, en même temps, des jeunes hommes parfaitement bien faits se déclarèrent pour moi. On m'ôta mes habits, et je sentis que j'avais changé de sexe, et que j'étais devenue un athlète fort et vigoureux. Ces jeunes gens, qui s'étaient rangés de mon côté, me frottèrent d'huile, comme on a coutume d'en frotter ceux qui entrent au combat de la lutte. Mais, comme nous étions sur le point d'en venir aux mains, un homme d'une mine haute et d'un port majestueux s'approcha de nous, il avait une robe de pourpre trainante et formant plusieurs plis; elle était rattachée avec une agrafe de diamant, il tenait une baguette semblable à celle que tiennent les intendants des jeux, et il portait un rameau vert d'où pendaient des pommes d'or. Ayant fait faire silence, il dit: - " Si l'Égyptien remporte la victoire sur la femme, il lui sera permis de la tuer; mais si la femme demeure victorieuse de l'Égyptien, elle aura ce rameau et ces pommes d'or." Ayant ainsi parlé, il alla prendre sa place. Nous nous joignîmes, l'Égyptien et moi, et nous commençâmes un rude combat; il faisait tous ses efforts pour me saisir le pied, afin de me renverser; ce que j'évitais soigneusement, en lui en portant plusieurs coups dans Le visage. Je me sentis même comme élevée en l'air, d'où je frappais mon ennemi avec avantage. Enfin, voyant que la combat tirait trop en longueur, je joignis mes deux mains ensemble, en sorte que les doigts étaient entrelacés les uns dans les autres; et, les laissant tomber d'aplomb sur la tête de l'Égyptien, je le renversai sur le sable, lui mettant en même temps le pied sur la tête comme pour la lui écraser. Le peuple se mit à battre des mains, et mes généreux défenseurs joignirent la douceur de leurs chants aux applaudissements du peuple. Pour moi, je m'avançai vers l'intendant des jeux, vers cet homme admirable qui avait été le témoin de ma victoire, pour lui en demander le prix, et je reçus le rameau aux pommes d'or. En me le donnant, il me baisa, et me dit: - " Ma fille, la paix soit toujours avec toi!" Je sortis de l'amphithéâtre par la porte qui regarde celle qu'on nomme Sanavivaria. Là mon songe finit, et je me réveillai, pensant en moi-même que j'aurais à combattre, non les bêtes de l'amphithéâtre, mais les démons. Ce qui me consola, c'est que la vision qui me prédisait le combat, m'assurait en même temps de la victoire. J'ai écrit ce qui m'était arrivé jusqu'au jour des spectacles; si quelqu'un veut continuer le récit de ce qui s'est passé depuis, il peut le faire."
Satur eut aussi une vision, qu'il écrivit lui-même en ces termes: "Il y avait déjà quelque temps que nous étions prisonniers, lorsque tout à coup 4 Anges nous enlevèrent de la prison. Ils nous portaient sans nous toucher. Nous allions vers l'Orient. Au reste, nous ne montions pas tout droit et perpendiculairement, mais comme si nous eussions suivi la pente douce et presque insensible d'une agréable colline. Lorsque nous fûmes un peu éloignés de la terre, nous nous trouvâmes environnés d'une grande lumière. Je dis alors à Perpétue, qui était près de moi : - "Ma soeur, voici ce que le Seigneur nous avait promis, nous commençons à voir cette promesse accomplie." Après avoir fait encore quelque chemin, nous nous trouvâmes dans un jardin rempli de toutes sortes de fleurs: on y voyait des rosiers hauts comme des cyprès, dont les roses blanches et rouges, agitées par un doux zéphyr, tombaient incessamment par gros flocons, et formaient comme une neige odoriférante et de diverses couleurs. Quatre Anges, plus brillants encore que ceux qui nous avaient apportés dans ce jardin, vinrent nous aborder et nous firent mille civilités. Ils disaient à nos conducteurs avec un certain geste d'admiration : - "Les voilà donc arrivés!" Alors les 4 premiers Anges prirent congé de nous, et nous commençâmes à nous promener à pied dans ces vastes et délicieux parterres. Nous y rencontrâmes Jocond, Saturnin et Artaxe, qui, tous 3, avaient été brûlés vifs pour la Foi, et Quintus, qui était mort en prison pour la même cause. Et comme nous nous informions où étaient les autres martyrs de notre connaissance, les Anges prirent la parole, et dirent : - "Entrons, et venez saluer le Maître de ce beau jardin." On nous fit donc entrer dans le plus superbe appartement qu'on pût voir: les tapisseries qui en couvraient les murailles semblaient être faites avec des rayons de lumière, et les murailles mêmes brillaient comme si elles eussent été bâties de diamants. Nous trouvâmes dans le vestibule 4 Anges qui nous firent prendre à chacun une robe blanche. La chambre où nous fûmes introduits était incomparablement plus riche et plus éclatante que toutes celles que nous avions traversées. Des voix, les plus charmantes du monde, y faisaient entendre cette seule parole : "Saint, Saint, Saint", qu'elles répétaient sans cesse, toujours avec de nouveaux agréments. Vers le milieu de la chambre nous vîmes un Homme d'une grande beauté, si toutefois ce n'était qu'un homme; il avait de longs cheveux de la couleur d'un cygne, qui lui tombaient sur les épaules à grosses boucles. Nous ne pûmes voir ses pieds; il avait à sa droite et à sa gauche 24 vieillards, assis sur des sièges d'or, et derrière lui plusieurs personnes debout. Les 4 Anges nous firent approcher du trône; et, nous soulevant doucement, ils nous facilitèrent l'accès auprès de la personne de cet admirable jeune Homme qui nous fit l'honneur de nous embrasser. Les vieillards nous dirent d'abord de rester; ce que nous fîmes. Ensuite ils nous dirent que nous pouvions aller où bon nous semblerait, et nous divertir à mille sortes de jeux qui se pratiquent dans cette agréable demeure. Alors, me tournant vers Perpétue, je lui dis : - "Eh bien! ma soeur, vous voilà contents." - "Oui," me répondit-elle, "grâce au Seigneur. Tu savais," continua-t-elle, "que j'étais naturellement gaie et d'une humeur assez enjouée lorsque j'étais au monde; mais c'est tout autre chose maintenant, et je me sens un fond de joie que je ne puis t'exprimer." Comme nous sortions, nous trouvâmes l'évêque Optat et Aspace, prêtre et théologal de notre église, mais fort tristes et éloignés l'un de l'autre de quelques pas. Dès qu'ils nous aperçurent, ils vinrent se jeter à nos pieds, en nous disant : - "De grâce, mettez-nous d'accord." Nous leur répondîmes tout étonnés: - "Eh! n'êtes-vous pas, vous notre évêque, et vous un prêtre du Seigneur? Comment donc pourrions-nous vous souffrir ainsi à nos pieds? C'est à nous de nous prosterner aux vôtres." Et en même temps nous nous y jetâmes, et nous les embrassâmes tous deux avec beaucoup du respect et de tendresse. Perpétue se mit ensuite à s'entretenir avec eux, et nous les menâmes dans le jardin où nous nous arrêtâmes sous un rosier; mais il vint des Anges qui dirent à Optat et à Aspace - "Laissez-les se réjouir en liberté; ils n'ont que faire de vos divisions; si vous avez quelque différend ensemble, vous pouvez les vider seuls. Vous, évêque, corrigez vos diocésains, ce sont des contestations continuelles entre eux, et l'on dirait qu'ils sortent toujours du cirque, tant ils paraissent animés les uns contre les autres." Les Anges, leur ayant parlé assez rudement, firent mine de vouloir encore fermer sur eux la porte du jardin. Pour nous, nous passions doucement le temps dans cet heureux séjour, ne vivant que de parfums: ce qui est une nourriture exquise. Voilà quel fut mon songe."
En ce temps-Là Dieu appela à Lui Secondule, lorsqu'il était encore en prison. Ce fut une faveur du Ciel qui voulut bien lui faire grâce du combat des bêtes. Si son âme fut peu sensible à cette grâce, son corps du moins en profita. Mais parlons maintenant de Félicité : Elle était enceinte de 8 mois, et, le jour des spectacles approchant, elle était inconsolable, prévoyant que sa grossesse ferait différer son martyre et qu'ensuite on la ferait mourir avec des scélérats. C'était là ce qu'elle appréhendait le plus, et que son sang pur et innocent ne fût confondu avec le sang impur et criminel de quelque assassin. Mais elle n'était pas la seule qui s'affligeât de ce retard, les autres martyrs n'en étaient pas moins affligés qu'elle. Ils ne pouvaient se résoudre à laisser exposée aux dangers de la vie présente une si aimable et si digne compagne de leurs peines. Ils se joignirent donc pour obtenir de la bonté de Dieu, que Félicité pût se délivrer avant le jour du combat. Ils furent exaucés; car à peine avaient-ils fini leur prière, qu'elle commença à ressentir les douleurs de l'enfantement. Et parce que, n'étant que dans son huitième mois, l'accouchement était beaucoup plus difficile, elle souffrait beaucoup, et la violence du mal lui faisait jeter des cris du temps en temps. Sur quoi un guichetier lui dit : "Si tu te plains à présent, que sera-ce quand tu seras déchirée par les bêtes? Il eût donc bien mieux valu sacrifier aux dieux." A quoi cette généreuse femme fit cette belle réponse : "Maintenant c'est moi qui souffre; mais alors un autre sera avec moi qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour lui."
Au reste, puisque c'est la volonté du Saint-Esprit qu'on laisse à la postérité un monument éternel de la gloire que Perpétue et ses compagnons acquirent en combattant contre les bêtes; quelque indigne d'ailleurs que je sois d'un rôle si élevé, et quoique je sois persuadé que je manque de ce qui est nécessaire pour m'en acquitter comme il faut, je ne manquerai pas de l'entreprendre, pour obéir aux derniers ordres de la très sainte martyre Perpétue, ou plutôt pour exécuter ceux de la Foi même, qui semble exiger de moi ce récit, que je vais commencer par une action généreuse et pleine de fermeté, par laquelle Perpétue signala sa constance et son courage dans l'occasion qui suit: le tribun, qui avait les saints Martyrs en sa garde, les traitait avec une extrême rigueur, parce que des gens, ou mal intentionnés, ou sottement crédules, lui faisaient appréhender qu'on ne les tirât de prison par le moyen de la magie, dont les Chrétiens, en ce temps-là, étaient communément soupçonnés. Perpétue lui dit hardiment: "Osez-vous bien traiter avec cette dureté des personnes de considération, qui appartiennent à César et qui doivent honorer par leurs combats le jour de sa naissance? Pourquoi empêchez-vous qu'ils jouissent de ce peu de soulagement qui leur est accordé jusqu'à ce jour?" Le tribun, à ce reproche, rougit et demeura confus; et, voulant faire oublier à ses prisonniers le mauvais traitement qu'ils avaient reçu de lui, il donna de nouveaux ordres, portant qu'ils seraient traités plus humainement; que les frères auraient la liberté de les visiter, et qu'il serait permis à toutes sortes de personnes de leur porter des rafraîchissements. Le geôlier Pudens, qui venait de se faire Chrétien, leur rendait sous main tous les bons offices qu'il pouvait.
Or, le soir qui précède immédiatement le jour des spectacles, la coutume est de faire à ceux qui sont condamnés aux bêtes un souper qu'on nomme le "festin à volonté" ["Coena libera" - ce repas était donné dans un lieu public, en présence de la foule]; nos saints Martyrs changèrent, autant qu'il leur fut possible, ce dernier souper en un repas de charité. La salle où ils mangeaient était pleine de peuple. Les Martyrs lui adressaient la parole de temps en temps. Tantôt ils lui parlaient avec une force merveilleuse, le menaçant de la colère de Dieu; tantôt ils lui déclaraient que Dieu lui redemanderait le sang innocent qu'il allait bientôt répandre; quelquefois ils lui reprochaient d'un ton ironique sa curiosité brutale. "Le jour de demain ne vous suffira-t-il pas," disait Salur à ce peuple inhumain, "pour nous contempler à votre aise et pour assouvir la haine que vous nous portez? Vous faites semblant d'être touchés de notre destinée, et demain vous battrez des mains à notre mort, vous applaudirez à nos meurtriers. Regardez bien nos visages, afin que vous nous reconnaissiez à ce jour terrible, où tous les hommes seront jugés." Ces paroles, prononcées avec toute l'assurance et toute la fermeté que donne l'innocence, jetèrent la frayeur et l'étonnement dans l'âme de la plupart; les uns se retirèrent saisis d'une crainte vague, que le premier objet dissipa, mais plusieurs restèrent pour se faire instruire, et crurent en Jésus-Christ.
Enfin, le jour qui devait éclairer le triomphe de nos généreux athlètes parut. On les fit sortir de la prison pour les conduire à l'amphithéâtre La joie était peinte sur leurs visages, elle brillait dans leurs yeux, elle paraissait dans leurs gestes, elle éclatait dans leurs paroles. Perpétue marchait la dernière; la tranquillité de son âme se faisait voir sur son visage et dans sa démarche. Elle tenait les yeux baissés, de peur que leur grand brillant ne fit, contre sa volonté, ces effets surprenants qu'on sait que de beaux yeux sont capables de faire. Pour Félicité, elle ne pouvait exprimer la joie qu'elle ressentait de ce que son heureux accouchement lui permettait de combattre aussi bien que les autres, pensant en elle-même qu'elle allait se purifier dans son sang des souillures de ses couches. Lorsqu'ils furent arrivés à la porte de l'amphithéâtre, on voulut leur faire prendre des habits consacrés par les païens à leurs cérémonies sacrilèges: aux hommes la robe des prêtres de Saturne, et aux femmes celle que portent les prêtresses de Cérès. Mais ces généreux soldats du vrai Dieu, toujours fermes et inébranlables dans la fidélité qu'ils Lui avaient jurée, dirent: "Nous sommes venus ici de notre bon gré, sur la parole qu'on nous a donnée de ne pas nous forcer à rien faire contre ce que nous devons à notre Dieu." Cette fois-là l'injustice reconnut le bon droit et le conserva. Le tribun consentit qu'ils parussent dans l'amphithéâtre avec leurs habits ordinaires. Perpétue chantait, pensant à l'Égyptien, dont la défaite lui avait été prédite. Révocat, Satornin et Satur menaçaient la peuple du geste et de la voix. Lorsqu'ils furent vis-à-vis du balcon d'Hilarion, ils lui crièrent: "Vous nous jugez en ce monde, mais Dieu vous jugera dans l'autre." Le peuple, irrité de cette généreuse hardiesse, et désirant faire sa cour au proconsul, demanda qu'on les fit passer par les fouets [= tous les bourreaux, ayant chacun un fouet à la main, se rangeaient sur deux lignes; et à mesure que les Martyrs passaient dans le milieu, ils leur décochaient chacun un coup de fouet]. Et nos Saints se réjouirent d'être traités comme l'avait été Jésus-Christ, leur Dieu et leur maître.
Mais Celui qui a dit: "Demandez et vous recevrez l'effet de vos demandes," accorda à nos Martyrs ce qu'ils Lui avaient demandé; car, s'entretenant un jour de diverses sortes de supplices que l'on faisait endurer aux Chrétiens, les uns souhaitaient de mourir d'un genre de mort, et les autres d'un autre. Saturnin témoigna qu'il désirait de tout son coeur avoir à combattre contre toutes les bêtes de l'amphithéâtre, et il obtint en partie ce qu'il désirait; car lui et Révocat, après avoir été longtemps aux prises avec un léopard, furent encore vivement attaqués par un ours furieux, qui les harcela jusqu'auprès du théâtre où il les laissa tout déchirés. Salur ne craignait rien tant que d'être exposé à un ours; et il aurait souhaité qu'un léopard lui eût ôté la vie du premier coup de dent. Cependant, voilà qu'on lache sur lui un sanglier; mais, dans le moment même, la bête, se retournant contre le piqueur qui la conduisait, lui ouvrit le ventre avec ses défenses; puis, revenant à Satur, elle se contenta de le traîner quelques pas sur le sable. On le mena ensuite assez près d'un grand ours; mais on ne put jamais l'obliger à sortir de sa loge. Ainsi Satur entra au combat et en sortit sans avoir reçu aucune blessure.
D'ailleurs, le démon, outré de dépit de voir que le sexe le plus faible se disposait à remporter sur lui une victoire signalée, avait fait en sorte que, contre la coutume, on destinât un taureau sauvage et furieux pour combattre contre Perpétue et Félicité. On leur ôta donc leurs habits et on les enferma toutes nues dans un rets. Mais le peuple, à ce spectacle, fut touché d'horreur et de pitié tout ensemble, considérant d'une part une jeune personne délicate et de naissance, et de l'autre une femme nouvellement accouchée et dont les mamelles étaient toutes dégoulinantes de lait. On les amena donc à la barrière et on leur permit de reprendre leurs habits. Perpétue s'avance aussitôt, le bovidé la prend, l'enlève et la laissa retomber sur les reins. La jeune martyre, revenue à elle et s'apercevant que sa robe était déchirée le long de sa cuisse, la rejoignit promptement, moins occupée des douleurs qu'elle ressentait que de sa pudeur qui pouvait être blessée. S'étant relevée en même temps, elle renoua ses cheveux qui s'étaient détachés (car il n'était pas de la bienséance que les martyrs en un jour de victoire eussent le visage couvert, comme les personnes affligées se le couvrent en un jour de deuil). Ayant alors aperçu Félicité, que cette bête furieuse avait fort maltraitée, étendue sur le sable, elle courut à elle, et, lui donnant la main, elle l'aida à se relever. Elles se présentèrent encore pour soutenir une nouvelle attaque; mais le peuple, se lassant d'être cruel, ne voulut plus qu'on les exposât. Elles se tournèrent vers la porte Sanavivaria, où Perpétue fut reconnue d'un catéchumène, nommé Rustique, qui avait toujours eu un grand attachement pour elle. Cette admirable femme, s'étant comme réveillée d'un profond sommeil, ou plutôt sortant d'une longue extase, demanda quand on les livrerait à ce taureau furieux. Et lorsqu'on lui raconta ce qui lui était arrivé, elle n'en voulut rien croire, jusqu'à ce qu'enfin, venant à reconnaître ce catéchumène, et à jeter les yeux sur ses habits déchirés en plusieurs endroits et sur quelques meurtrissures qu'on lui fit remarquer, elle commença à y ajouter foi. Alors, faisant approcher son frère et ce catéchumène, elle leur dit : - "Persévérez dans la foi, aimez-vous les uns les autres, et ne soyez point scandalisés de mes souffrances."
D'autre part, Satur, qui s'était retiré sous un des portiques de l'amphithéâtre, disait à Pudens: "Ne te l'avais-je pas prédit, que les bêtes ne me feraient pas de mal? Ainsi, mes souhaits sont accomplis, à la réserve d'un : c'est que tu croie de tout votre coeur en Celui en qui je crois. Voilà que je retourne dans l'amphithéâtre pour y recevoir la mort; un léopard, d'un premier coup de dent, doit me la donner" - En effet, sur la fin des spectacles, un léopard s'étant jeté sur lui, d'un coup de dent qu'il lui donna, lui fit une si profonde blessure, que son sang sortait à grands flots; en sorte que le peuple s'écria: - "Le voilà baptisé pour la seconde fois." Alors, tournant ses derniers regards sur Pudens - "Adieu, cher ami," lui dit-il, "souviens-toi de ma Foi et imite-la; que ma mort ne te trouble pas, mais au contraire qu'elle t'encourage à souffrir." Ensuite, tirant de son doigt une bague, il la trempa dans son sang; et la donnant à Pudens:
- " Reçois-la," lui dit-il, "comme un gage de notre amitié, porte-la pour l'amour de moi, et que le sang dont elle est munie te fasse ressouvenir de celui que je répands aujourd'hui pour Jésus-Christ." Après quoi il fut transporté au lieu où l'on achevait ceux qui n'étaient pas morts de leurs blessures. Et, comme le peuple demandait que les autres martyrs, qui n'étaient que blessés fussent amenés au milieu de la place pour y être égorgés, ils se levèrent tous d'eux-mêmes; et, s'étant embrassés pour sceller leur martyre par le saint baiser de paix, ils se traînèrent où le peuple les demandait; ils y reçurent la mort sans faire le moindre mouvement, sans laisser échapper la moindre plainte, pas même un soupir. Satur, suivant la vision qu'avait eue Perpétue, qui l'avait vu arriver le premier au haut de cette échelle mystérieuse, fut aussi le premier qui expira. Perpétue le suivit. Elle était malheureusement tombée entre les mains d'un gladiateur maladroit, dont la main tremblante et peu assurée la faisait languir en ne lui portant que de légères blessures. Elle fut donc contrainte de conduire elle-même à sa gorge l'épée de cet apprenti, lui marquant l'endroit où il devait la plonger, ce qu'il fit. Peut-être qu'une femme si merveilleuse ne pouvait mourir autrement, et que le démon, qui la craignait, n'aurait jamais osé attenter à sa vie, si elle-même n'y eût consenti.
Reliques et postérité
Ce jour consacra à jamais le 7 mars pour l'Afrique et pour tout le monde Chrétien. Les bienheureux corps de ces courageux athlètes furent sans doute rachetés par les fidèles, comme c'était généralement le cas (cfr Actes du martyre de saint Cyprien de Carthage, etc). Leur sépulture subsista longtemps à Carthage dans une majestueuse basilique, Basilica Maiorum, probablement dédiée sous le nom de sainte Perpétue. Puis les invasions barbares venues, tout tomba dans l'oubli, la décrépitude, et des religions humaines vinrent remplacer le culte au Dieu vivant. Que les deux saintes martyres Perpétue et Félicité, avec leurs compagnons, aient été vénérées dans l'Église dès les premiers temps, et pas seulement mentionnées dans l'une ou l'autre homélie locale, c'est ce que montre leur "mémoire" dans le Canon de la Liturgie en Occident, tant au cours du premier millénaire que depuis sa restauration canonique.
On ne sait pas exactement en quelle année le corps de sainte Perpétue fut apporté en France, en l'abbaye de Saint-Pierre de Vierzon, dans le Berri; l'abbaye ayant été fondée vers 843, l'Afrique du nord était retombée depuis plusieurs siècles dans les ténèbres, et les Carolingiens n'eurent pas d'échanges autres qu'armés avec cette partie du monde. D'où mystère sur l'origine. Le corps de sainte Perpétue a été brûlé par les révolutionnaires français en 1793. Il ne rester seulement qu'une partie de son crâne à l'église catholique-romaine de Vierzon.
Saint Augustin d'Hippone, Evêque dans la région du martyre des 2 saintes et de leurs compagnons, composa 3 homélies pour cette fête, les homélies 280 à 282. Voici la 281
Sainte Perpétue et Sainte Félicité, Martyres, II leur victoire merveilleuse.
1. Ce qui brille, ce qui l'emporte éminemment dans cette société de martyrs, c'est la vertu, c'est le nom de Perpétue et de Félicité, ces saintes servantes de Dieu; car la couronne est plus glorieuse, quand le sexe est plus faible, et l'âme se montre assurément plus virile dans le corps d'une femme, lorsque celle-ci ne succombe pas sous le poids de sa fragilité. Combien elles avaient raison de se tenir intimement unies à l'Époux unique à qui l'unique Église se présente comme une Vierge chaste! Avec quelle raison elles Lui demeuraient unies, puisqu'en Lui elles puisaient la force de résister au démon, puisqu'ainsi, on voyait des femmes renverser l'ennemi qui par la femme avait abattu l'homme. En elles se montra invincible Celui qui S'est rendu faible pour elles. Pour les moissonner Il les remplit de Sa force, Lui qui pour les semer S'est anéanti Lui-même. C'est Lui qui les a élevées a tant de gloire et d'honneur, quand pour elles Il a voulu entendre des outrages et des blasphèmes. C'est Lui enfin qui a donné à ces femmes de mourir victimes de leur courage et de leur fidélité, après que pour elles Il a daigné dans Sa miséricorde prendre une femme pour Mère.
2. Une âme pieuse aime à contempler comment la bienheureuse Perpétue, ainsi qu'elle assure l'avoir vu dans une de ses révélations, se trouva changée en homme pour lutter contre le démon. C'est que dans cette lutte elle aussi travaillait à devenir un homme parfait, à atteindre la mesure de l'âge et de la plénitude du Christ. Aussi, pour n'oublier aucun moyen de la surprendre, dès que l'antique et opiniâtre ennemi qui avait trompé l'homme par la femme, se sentit aux prises avec cette femme d'un mâle courage, il essaya de la vaincre en recourant à un homme. Il ne s'adressa pas à son mari, dans la crainte que déjà citoyenne des Cieux par l'élévation de ses pensées, elle ne soupçonnât en lui des désirs charnels qui la feraient rougir et dont elle triompherait aisément; c'est sur les lèvres de son père qu'il mit des paroles de séduction; il espérait qu'incapable de mollir sous les impressions de la volupté, le tueur religieux de la fille serait vaincu par la force même de sa piété. Mais la sainte répondit à son père avec une telle sagesse que, sans violer le précepte qui commande d'honorer les parents, elle ne se laissa point prendre aux ruses profondes où se cachait l'ennemi. Vaincu ainsi de tous côtés, l'ennemi fit frapper d'une verge le père de Perpétue; il voulait que si elle avait méprisé ses paroles elle souffrît au moins de ses douleurs. La fille gémit de l'injure faite à son vieux père; pour n'avoir pas cédé à ses propositions, elle n'avait rien perdu de son affection pour lui. Car ce qu'elle haïssait en lui, était l'aveuglement et non la nature, l'infidélité et non l'auteur de ses jours. Elle mérita donc plus de gloire en repoussant les remontrances insensées de ce père bien-aimé, qu'elle ne put voir frapper sans jeter un cri de douleur. Ainsi ce témoignage de sensibilité n'ôta rien à l'énergie de son courage, et il ajouta à son martyre un nouveau titre de louanges. Car "tout concours au bien de ceux qui aiment Dieu."
3. Pour Félicité, elle était enceinte dans sa prison. Ses gémissements, quand elle accoucha, montraient bien qu'elle était femme; mais si elle ne fut pas exempte du châtiment infligé à Eve, elle fut secourue par la grâce accordée à Marie. Femme, elle souffrait ce qu'elle devait endurer; mais elle était soutenue par le Fils de la Vierge. Un mois avant d'être à terme, elle donna donc le jour à un enfant. Si la Providence voulut ainsi que le temps de ses couches fût devancé, c'était pour ne pas retarder le jour ni la gloire de son martyre. Oui, la Providence voulut que son enfant vînt au monde avant l'époque ordinaire, afin que Félicité fût rendue, comme il était juste, à ses illustres compagnons; sans elle, effectivement, ne semble-t-il pas que ces martyrs auraient manqué, non-seulement d'une compagne de plus, mais encore de la récompense qui leur était due? Les noms réunis de ces deux femmes désignent en effet le bonheur assuré à tous ces saints. Pourquoi ont-ils tout bravé, sinon pour jouir d'une Félicité Perpétuelle ? Il est donc bien vrai que les noms de celles-ci expriment la destinée à laquelle tous sont appelés. Aussi quoique ces martyrs fussent nombreux, ces deux noms exprimaient seuls l'éternité, le bonheur de tous. Amen.
La Basilique Majeure
Elle se situe à quelques dizaines de mètres de la route de Sidi Bou Said à La Malga, avant de rejoindre le cimetière militaire américain. L’église, qui est à peine distincte aujourd’hui, a pu avoir été construite au début du 4ème ap.J.-C. Son nom vient du fait que cette région a dû être celle des premiers cimetières Chrétiens, les Areae Maiorum, c’est à dire des ancêtres ou des premiers martyrs. A l’époque de saint Augustin, elle s'occupait donc du "culte des anciens." Augustin s'est rendu souvent parmi les anciens qui assistaient à la Liturgie, afin de les réconforter et les assister, même matériellement, comme il le faisait habituellement à Hippone. A l’époque, les personnes âgées sans ressources vivaient pratiquement toutes dans la misère. Lors de sa redécouverte grâce à l'archéologie, cette basilique a fourni un nombre considérable d’inscriptions funéraires. L’édifice était imposant, mesurait 70,50m (sans l’abside) sur 45 m, couvrant plus de 3200 m2 . Le quadratum populi comportait une nef centrale et six bas côtés. Cette basilique est dédiée aux martyrs de la première évangélisation de Carthage (Ste Félicité, Ste Perpétue, etc.). On y a retrouvé la pierre tombale de Sainte Félicité et de Sainte Perpétue vers 1874. L'amphithéâtre où ces saints sont morts se trouve à quelque kilomètres de l'actuelle ville de Tunis. En 1881, on a découvert une pièce en face de l'entrée moderne de l'arène. Certains pensent que c'est la pièce où les victimes attendaient avant d'entrer dans l'arène.
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