Saint Thomas d'Aquin
Saint Thomas d'Aquin
Le Docteur de L'Église Angélique
1225-1274
Fête le 28 janvier
Chapitre 1
Préambule à l'histoire du bienheureux Thomas d'Aquin, de l'Ordre des frères Prêcheurs et d'abord de la nécessité de l'institution de cet Ordre et de sa mission
Dieu, qui dit à la Lumière de resplendir dans les ténèbres, voyant en ces temps modernes qui sont comme le crépuscule du monde, la lumière de Sa connaissance s'obscurcir entre Ses mains, illumine, dans Sa miséricorde, son Eglise d'un nouveau rayon. Il instruit à neuf ses fidèles par autant de docteurs que les astres dont il éclaire si magnifiquement l'Univers. En effet lorsque la sagesse de Dieu, le Verbe du Père, se manifeste dans la chair, afin d'illuminer tout homme dans l'esprit, Elle se met à luire dès que commence la première évangélisation des apôtres. Tels les tailleurs des pierres de toute l'Eglise, ils posent les premiers fondements de la foi, venus comme de la bouche du Seigneur. Les docteurs de l'Eglise, ainsi que des boucliers d'or étincelants de la seule justice, renouvellent l'expansion du Verbe de Dieu, et resplendissent comme les monts divins des spéculations les plus élevées. Devant les exigences des erreurs nombreuses et sur les conseils de la vérité inspirée par la foi, ils vont de l'intelligence voilée des deux Testaments à leur connaissance ouverte. Les livres qu'ils écrivent sous la motion de l'Esprit sont autant de tours dressées pour combattre les stratagèmes des hérétiques. Imitant la prévoyance de Joseph, ils tirent des moissons de l'Ancien et du Nouveau Testament, le grain de la parole de Dieu et l'engrangent dans leurs livres comme en des greniers. Mais ceux-ci ne sont pas suffisamment adaptés aux fidèles pour que les semeurs sortent aisément le germe divin de ces resserres et le répandent dans le champ du Seigneur. Aussi Dieu prévoit-il de diffuser une troisième fois Sa parole par l'entremise de l'Ordre des frères Prêcheurs. Celui-ci, divine providence, apparaît chez son bienheureux père Dominique qui le fonde lui-même en Espagne, à l'occident du monde, où la lumière solaire se couche. Il est donné aux frères, sous la conduite de l'Esprit, d'extraire, des rayons fermés de l'Ecriture Sacrée, le miel de l'éloquence divine si utile aux fidèles et d'ouvrir la coque dure des écrits les plus difficiles pour en montrer le fruit de la pleine intelligence. Ils sortent le froment finement tamisé, des réserves des œuvres des docteurs où il est entassé, et le ré engrangent plus utilement en d'autres livres où la clarté de la doctrine pourvoit avec aisance à l'utilité des fidèles. Tel est l'Ordre des astres, fermes dans le vœux d'obéissance à leur profession, qui combattent l'adversaire Sysara et l'armée des hérétiques, qui, appelés, répondent "nous voici" au moindre signe de demande de l'Eglise pour éliminer la perversion hérétique et diffuser la doctrine avec clarté et précision. Parce qu'ils ont reçu la promesse de perdurer jusqu'à la fin des siècles, une prophétie dit d'eux et de leur Père qui les a institués : "mon esprit est sur toi et les paroles que j'ai posées sur ta bouche ne la quitteront pas et ta bouche est ta semence dès aujourd'hui et pour les siècles des siècles", car l’œuvre de prédication, bien qu'elle cesse en cette vie à la fin du monde, traversera le futur dans la proclamation des louanges. C'est justice de comparer cet Ordre aux étoiles du matin comme à celles du soir, car dès le début de cette nouvelle illumination, il apparaît le premier parmi les Ordres mendiants, comme institution et dans la prédication, et il demeurera le dernier à prêcher le témoignage de la foi.
Chapitre 2
L'origine de saint Thomas est prophétique
Parmi les étoiles de l'Ordre des Prêcheurs, une entre toutes doit étinceler d'une doctrine divinement éblouissante. Un docteur, plus brillant que les autres, luit dans l'Eglise comme un astre matutinal, resplendissant à l'aube de cette clarté et scintillant tard le soir jusqu'à la fin des siècles, il illumine le monde de ses livres pour éclairer les fidèles. Nous voulons parler de frère Thomas d'Aquin, des Prêcheurs, né de la noble famille comtale de la maison d'Aquin, en royaume de Sicile. Homme d'une conduite majestueuse, plus remarquable par l'éclat de sa vie et de sa science qu'illustre par la noblesse de sa naissance. Alors que ce docteur au futur admirable n'a pas encore vu le jour - et pour prédire divinement combien cette naissance répandrait une lumière éclatante sur le monde - sa mère, à peine enceinte, reçoit la révélation de ce que serait véritablement le fruit de son sein. Dona Théodora, notable par la qualité de ses mœurs comme de sa naissance, demeure au château de "Rocca Seca", aux confins du royaume et de la Campanie, lorsque lui apparaît en esprit un frère nommé Bonus et meilleur encore par sa vie et sa piété. Il a mené, il y a longtemps, une existence érémitique avec plusieurs compagnons en ce mont Rocca. Sa réputation de saint s'est répandue auprès des gens de la région. "Réjouis-toi Dona", lui dit-il, "car tu es enceinte et tu mettras au monde un fils que tu appelleras Thomas. Toi et ton mari voudrez faire de lui un moine au monastère du Mont Cassin, où repose le corps du bienheureux Benoît, avec l'espoir d'accomplir votre retour parmi les grands de ce monastère, grâce à la mitre de prélat pour votre fils. Mais Dieu en disposera autrement car Il en fera, dans l'Ordre des Prêcheurs, un frère si éblouissant de science et de sainteté de vie, qu'à son époque, on ne saura trouver son semblable dans le monde entier. À quoi Théodora répond : "je ne suis pas digne de mettre au monde un tel fils. Que Dieu accomplisse sa volonté selon son bon plaisir". Afin que ces paroles soient prophéties, tout se réalise en vérité. Aussitôt en effet, la grossesse de la mère devient visible, l'enfant naît dans la joie et reçoit le nom demandé par les visions. Tout cela pour que les parents n'hésitent pas à réaliser pleinement dans l'enfant, les prévisions de la promesse.
Chapitre 3
Les signes qui accompagnent l'enfance du saint, et d'abord le secours de sa nourrice
Même sa gardienne reçoit des présages divins concernant l'enfant afin d'avoir toujours sa sauvegarde à l'esprit. Et je ne veux pas omettre ce qu'on a écrit de l'intervention divine au début de sa vie. Une tempête effrayante éclate subitement et la foudre frappe une tour du château, où dort une sœur de l'enfant. Elle périt avec les chevaux de l'étable. La mère, plus inquiète de l'enfant que de sa fille, se précipite en tremblant vers le lit où repose la nourrice avec l'enfant. Elle les trouve sains et saufs et rend grâce à Dieu qui commence à accomplir progressivement ce qu'il a promis.
Chapitre 4
Le petit texte de la salutation à la Vierge glorieuse que l'enfant béni découvre et conserve en son poing fermé
Je pense digne de conserver à la mémoire et de rédiger d'une écriture indélébile les actes notoires qui paraissent, par la grâce divine, des présages du futur de l'enfant. Un jour, la mère, accompagnée de son fils dans les bras de sa nourrice, se rend, avec d'autres dames, aux bains de Naples [ville dont elle est originaire]. Tandis que sa gardienne l'assied en un endroit habituel du bassin, l'enfant repère providentiellement un morceau de papier et s'en saisit sans détour. Comme la nourrice va pour le prendre et veut lui ouvrir la main qui tient le papier, l'enfant se met à crier avec force. Compatissante, elle baigne le petit, l'essuie et l'emmaillote tout en lui laissant son poing fermé, et le ramène, main close, à la maison avec sa mère. Celle-ci, voyant cette menotte crispée, ôte de la main de l'enfant, malgré ses cris, le billet qui ne contient que le Je vous salue Marie. Il plaît à la divine providence de manifester par avance dans le garçonnet ce qui adviendra plus tard chez le maître ; et pour faire pressentir combien sera salutaire la doctrine proférée par l'adulte, l'esprit divin conduit l'enfant à découvrir cette feuille contenant le commencement de notre salut. S'enracine alors en l'enfant cette admirable habitude, donnée par Dieu sans être acquise à force de répétitions : chaque fois qu' il se met à pleurer pour une raison ou une autre, il demeure inconsolable tant que la nourrice ne tend pas à l'enfant gémissant une feuille écrite. Il la pose aussitôt sur sa bouche, et laisse ainsi mystiquement entendre quelle rumination aiguë des Ecritures préside aux réflexions qu'il rédige, combien est savoureux l'enseignement de ce docteur et combien de délices restent encore à goûter dans ses écrits. Comme une admirable abeille volant prestement de fleur en fleur, instruite par Dieu, il collecte dans ses livres comme en des rayons, le miel des paroles de la science divine parmi les Ecritures et il les scelle dans sa ruche pour les exprimer à toute l'Eglise, de sa bouche très savante. Comme à Ezéchiel, il lui est demandé, en vertu de son discernement méditatif, d'assimiler en le mastiquant, le Livre présenté de la main de l'ange et de le comprendre grâce à la vélocité de son esprit, comme dans l'Apocalypse de Jean on dit le dévorer. Car dans l'Ancien Testament, il faut distinguer par manducation, le sens d'avec la lettre, tandis que dans le Nouveau, les Sacrements divins de la foi sont si manifestes qu'on les dirait immédiatement portés à la bouche de l'âme, ouverte pour dévorer. Notre docteur, instruit d'une lumière miraculeusement infuse, sait décrypter l'ancien offert à manger et manifester le nouveau donné à dévorer.
Chapitre 5
Les parents offrent le saint à la garde du monastère du Mont Cassin
Le père et la mère poursuivent leur éducation avec la diligence qui convient à de tels parents ainsi qu'à un fils admirable, comme le promit la prophétie et comme la grâce s'empresse de le montrer. Ils offrent enfin de grand cœur l'enfant à Dieu et le confient dès ses cinq ans au monastère du Mont Cassin où, en société choisie, il s'instruit des mœurs saintes le préparant aux illuminations divines. Ainsi en dispose la Providence afin qu'une lumière tant utile à l'Eglise ne soit pas entretenue dans les ténèbres ni qu'une si admirable sainteté ne soit modelée aux mœurs nocives du monde. Tout cela, nous le savons par la narration fidèle de sa mère, qui brille, elle aussi, d'une illustre sainteté et achève par une mort heureuse, une vie digne d'éloges. Soumis à la discipline du maître, le petit enfant accueille avec empressement l'éducation donnée au monastère et, indice certain du futur, en un âge si tendre et si ignorant, alors qu'il ne peut encore apprendre par lui-même, il cherche avec un instinct divin et admirable à découvrir ce qu'il ne connaît pas. Concernant le futur, voici : il s'interroge sur Dieu et le cherche avec une maturité et une perspicacité tellement supérieure à son âge qu'il écrira avoir plus tard la science de ce qu'il aborde très tôt avec grande studiosité. L'enfant s'abstrait fréquemment de la compagnie des autres fils de nobles, eux aussi éduqués en ce lieu afin d'être dignes de leur lignée ; il tient en main une feuille contenant par écrit les premiers rudiments de son apprentissage juvénile. L'enfant n'est pas bavard. Il commence à méditer silencieusement en lui même, sans se perdre en discours décousus et vagues, mais toujours avec le calme léger de son âge, et autant qu'il paraît, dévot en prière. La jeunesse dévoile en lui déjà ce que la maturité manifestera par la suite. Sa mère nous le dit pour la joie ; elle s'émerveille de l'enfant et porte en son cœur l'espoir de remplir la prophétie annoncée par l'esprit divin concernant son fils.
Chapitre 6
Sur les conseils du père abbé, ses parents l'envoient étudier à Naples
L'abbé du monastère repère dans l'assurance et la maturité de l'enfant, les indices d'une perfection future et les prémices évidentes d'une moisson d'Ecriture à venir. Il fait appeler messire Landolf, son père, et lui conseille opportunément d'envoyer son fils étudier à Naples. Il pourra approfondir dans l'étude ce que Dieu commence à lui montrer par tant d'indices. D'un commun accord, ses parents l'envoient à Naples, où il est instruit de la grammaire par maître Martin et des sciences naturelles par maître Pierre d'Irlande. Il s'y montre un étudiant d'une intelligence éclatante de génie et de perspicacité et assimile les leçons des professeurs plus hautement, plus profondément et plus clairement que ses condisciples. Il plait à la divine providence d'entretenir les présages de la future maîtrise du jeune élu. Elle ne cesse de manifester les effusions de grâce à son sujet. Un jour, un frère de l'Ordre des Prêcheurs admire la science étonnante du jeune. Lui apparaît alors en vision la face de Thomas, resplendissante comme les rayons du soleil, qui éclaire très loin à l’entour. Il est par trois fois sujet de ce même phénomène, ce qui augure avec certitude d'événements futurs.
Chapitre 7
L'enfant béni progresse rapidement et rejoint l'Ordre des Prêcheurs
L'admirable jeune homme progresse si rapidement dans les sciences que cela paraît lui venir de Dieu plutôt que des hommes ; maîtres et étudiants sont forcés à l'admiration, et l'éloge de sa réputation vole parmi les écoles. On raconte qu'encore enfant, chargé de l'entretien des lieux où se déroule habituellement une dispute réunissant maîtres et écoliers, il brille au milieu de l'assemblée d'une science inspirée, tel un cierge dressé sur un candélabre, et que tous sont frappés de la sagacité de ses réponses. Ayant grandi en sagesse, en âge et en grâce auprès de Dieu et des hommes, l'adolescent médite déjà de l'esprit d'adulte qui lui a été prophétiquement annoncé à la naissance. Il prend pour faute personnelle d'enterrer au tombeau d'une vie négligente, ce talent d'un génie naturel enrichi du don de grâce de l'Esprit, alors qu'il peut le faire fructifier dans le cadre d'une communauté. Il s'oriente alors vers l'Ordre des frères Prêcheurs, animé d'un ardent désir et conduit en esprit par ce que dit la vision prophétique. Frère Jean de saint Julien, homme de mœurs et de jugement illustres, est fait l'exécuteur divin de cette vocation divine. Il avertit le jeune homme que Dieu le destine à Lui-même. Il le dispose en esprit à entrer dans l'Ordre dominicain, afin d'établir l'adolescent dans la dignité annoncée par la promesse divine. Thomas de Lentino, célèbre pour sa réputation et sa sagesse, alors prieur à Naples et habitué à ce titre à recevoir les impétrants, lui remet l'habit de l'Ordre.
Chapitre 8
La mère de Thomas, à la nouvelle de l'entrée de son fil dans l'Ordre cité par sa prophétie, se rend à Naples pour le confirmer dans son choix
Les nobles de la ville s'étonnent qu’un tel héritier quitte la maison parentale et que d’aussi riches prémices, indices révélateurs d’une future ascension, soient enfouies sous l’habit d’un Ordre mendiant. Mais les frères de l’Ordre louent Dieu de leur avoir accordé un novice aussi noble et admirable, et déjà des signes certains leur font espérer de le voir servir plus tard au sommet de la science. Cependant, lorsque les vassaux de Rocca apprennent la nouvelle, ils la communiquent avec désolation à la mère. Elle, voyant se réaliser en son fils la prophétie dont elle a gardé la promesse en mémoire, se rend aussitôt à Naples avec joie, accompagnée des ses nobles suivantes. Elle entend s’entretenir maternellement avec Thomas pour le confirmer dans un choix voulu de Dieu. Mais les frères ignorent ces bonnes dispositions et croient Théodora troublée par ses sentiments. Soucieux de la garde d’un dépôt si précieux, ils envoient leur novice de Terracene à Ananie et jusqu’au couvent Sainte Sabine de Rome, en compagnie de frères choisis. Pressée par l’affection maternelle et privée de la vue de son fils, le fruit de tant de peines, Théodora se rend jusqu’à Rome et proclame auprès de tous qu’elle tient à le rencontrer pour le conforter dans son choix. Cependant les frères ne l'imaginent pas capable d’une force d’âme dominant son instinct maternel. Ils montent autour du jeune Thomas une garde vigilante dans la peur de le voir capturé, et le font fuir, solidement entouré, vers Paris.
Chapitre 9
Théodora, dans l'angoisse de ne pouvoir rencontrer son fils, le fait enlever par ses autres fils qui accompagnent l'empereur en Toscane et se le fait envoyer
Théodora, émue de ne pouvoir rencontrer son fils et troublée par l'incrédulité des frères devant ses multiples protestations de bonnes dispositions, laisse son affection charnelle l'emporter en son esprit sur la foi en la promesse. Elle envoie un messager spécial auprès de ses fils qui accompagnent l'empereur en plaine d'Aquapendente, en Toscane, et leur mande, avec sa bénédiction maternelle, de se saisir de Thomas, son fils et leur frère, que les Prêcheurs ont revêtu de leur habit et font fuir hors du royaume, et de le lui envoyer sous bonne escorte. Eux, désireux par affection de satisfaire la requête maternelle, exposent cet ordre à l'empereur et obtiennent de lui l'autorisation. Ils envoient des gardes par les rues et les places et découvrent leur frère reposant près d'une fontaine, avec quatre membres de l'Ordre. Ils surgissent alors non comme des frères mais comme des ennemis. Ils ne peuvent cependant lui ôter l'habit auquel le novice s'agrippe avec force. Ils chassent donc les autres frères et font reconduire Thomas chez sa mère, tel qu'il est vêtu pour ne pas lui faire encourir le risque d'une blessure. Celle-ci le voit avec joie mais ne peut l'amener à déposer son habit. Elle le fait garder à Monte San Giovanni puis à Rocca, jusqu'au retour de ses fils. Elle le fait admonester dans l'intervalle par diverses personnes, afin d'éprouver la solidité de la vérité de la promesse prophétique devant la tentation humaine. Les frères, cependant, à qui des mains profanes ont ôté un trésor si précieux, sont autant troublés que de la perte de Joseph. Ils se tournent en larmes vers le Souverain Vicaire du Christ, Innocent IV, alors présent en Toscane, comme vers un autre patriarche Jacob et lui présentent leur différend. Un abus contre l'Ordre a été commis. Par passion, ses frères de sang, tels de féroces bêtes sauvages, ont dévoré Joseph. Le Souverain Pontife, outré qu'un tel excès ait été perpétré quasiment en sa présence dans la région, demande à l'empereur d'infliger une juste punition à titre de réparation. Celui-ci, craignant d'encourir la fureur du Souverain Pontife s'il néglige de compenser l'abus avec justice, fait passer les frères de Thomas pour des allemands. Les frères, craignant alors de mettre en danger la réputation de leur Ordre et de scandaliser leur conscience s'ils poursuivent leur contentieux, se désistent entièrement, d'autant qu'ils apprennent que le jeune Thomas conserve l'habit avec constance, même enfermé dans une cellule.
Chapitre 10
La victoire au combat et sa croissance en prison
Enfermé sous haute surveillance, privé de la lumière du jour et d'autonomie de mouvements, il met sa liberté dans ses liens et sa lumière dans les ténèbres. Opprimé physiquement, il se délie spirituellement. Dieu l'illumine de tant de rayons surnaturels que dans sa prison, il lit intégralement la Bible, apprend les Sentences, commente, à ce qu'on dit, le Traité des Sophismes d'Aristote et instruit ses sœurs dans les Ecritures Saintes. Autant de présages de sa future maîtrise. Déjà son enseignement porte ses fruits chez sa sœur que ses parents avaient envoyée pour l'amadouer. Par ses leçons et ses exemples, il la conduit à l'amour de Dieu et au mépris du monde. Elle prendra l'habit religieux de Saint Benoît. Sa probité et les mérites de sa vie, lui vaudront d'être élue et confirmée abbesse du monastère Saint Marie de Capoue. Afin d'authentifier la grâce de sa vocation par les œuvres, Thomas se donne entièrement à l'oraison, à la lecture et à la contemplation. Aucune persuasion, aucune tentation, aucune menace, aucune crainte ni rien de ce qui entame habituellement le courage d'une personne aguerrie, rien de tout cela ne détourne le jeune homme. Bien au contraire, chaque blessure reçue au combat augmente ses forces. De retour, ses frères aggravent encore leurs agressions. Tentant l'insulte là où la crainte n'a pu le soumettre ni la séduction l'amollir. Ils lacèrent son habit dominicain, dans l'espoir qu'il le dépose par amour propre pour endosser un autre de son choix. Mais lui endure l'injure avec une infinie patience. Comme le Christ aurait lui-même porté cet habit, il s'enroule dans ces lambeaux et se sent non moins revêtu par eux du moment qu'il conserve intègre la dévotion en son âme.
Chapitre 11
Les attaques absolument insupportables qu’il surmonte avec l’aide de Dieu
Ces offensives sont impuissantes à le détourner. Aussi ses frères conçoivent-ils pour le soumettre, une tout autre stratégie, reconnue pour écrouler les donjons, amollir le roc et déraciner un cèdre dans la tempête. Champ de bataille où nous voyons beaucoup combattre, mais bien peu triompher des difficultés. Tandis que Thomas, enfermé seul dans sa chambre, se repose sous bonne garde, on lui envoie une splendide jeune femme, prostituée experte en son art, avec pour mission de l’entraîner à la faute par des regards, des attouchements, des jeux et tout autre stratagème. Lorsque il la voit, lui qui exhale déjà l’amour sponsal pour la sagesse de Dieu, lui le combattant invaincu, il ressent, par permission de la divine Providence en vue d’un triomphe plus glorieux, l’excitation de sa chair qu’il tenait habituellement sous la coupe de la raison. Brandissant alors un charbon ardent tiré de la cheminée, il chasse avec indignation la courtisane de sa chambre. Puis rempli de ferveur spirituelle, il accède à l’angle de la chambre et trace avec la tête du tison, le signe de la sainte Croix sur le mur. Il se prosterne à terre et, dans les larmes, prie Dieu de lui accorder une ceinture de perpétuelle chasteté afin servir sans corruption dans les combats. Ainsi priant et pleurant, il s’endort bientôt et voici que deux anges sont dépêchés pour l’assurer d’être entendu de Dieu dans la victoire d’un combat si difficile. Ils le saisissent de chaque côté aux reins et lui disent : « De la part de Dieu et à ta demande, nous te ceignons d’une ceinture de chasteté qu’aucune violence ne pourra arracher. Ce que la vertu humaine ne peut atteindre par son mérite, cela t’est offert en don par la largesse de Dieu ». Jamais il ne sentira que cette ceinture ait été intimement forcée. On le redira à propos du témoignage très sûr de ses confesseurs au seuil de la mort. Jamais il n’aura le sentiment d’être violé dans sa virginité au cours des dangereux combats qu’il mènera jusqu’à l’heure du trépas. Il éprouve dès lors une aversion pour l’apparence des femmes. Il évite très soigneusement leur commerce, leur conversation et leur fréquentation. On l’admire habituellement pour cela, il le sait et répète souvent que les hommes consacrés aux spéculations divines peuvent rapidement perdre beaucoup de temps à parler en compagnie de femmes, à moins que ces échanges ne soient suscités par la nécessité d’une cause particulièrement utile ou qu’ils roulent sur Dieu et les choses divines. Il ressent physiquement cette étreinte angélique et sursaute avec clameur. Comme on s’inquiète de ses cris, il ne veut rien révéler du don de Dieu, et il le maintiendra ostensiblement caché jusqu’à sa mort. Il se confiera à son compagnon et c’est ce dernier qui le rapporte plusieurs fois en exemple, pour la louange de Dieu et la recommandation des saints. Ô bienheureuse geôle exiguë où flamboie une telle splendeur d’intelligence ! Ô salutaires entraves qui contribuent tant à la libre contemplation des Cieux ! Ô tentation bénéfique, que l’ennemi veut conduire à la chute et qui jaillit, avec l’assistance divine, en triomphe de la force victorieuse dans la lutte ! Ô preuves manifestes et abouties des mérites de sa vie et de sa sainteté ! Aguerri dans sa sensibilité et lutteur indomptable, il ne sait être ni amolli par les délices ni brisé par les affronts ! Ô l’athlète viril et le soldat triomphant ! Il soumet l’antique et servile démon, remporte une victoire insigne en un si difficile combat et se montre digne de la couronne en tous les autres ! Ô bienheureux pèlerin et hôte du siècle, tu conquiers le titre de citoyen du ciel et mérites, par dispense divine, de voir tes concitoyens, toi que la Société des anges ne renie pas alors que tu es ceint de chasteté, toi, digne d’un ange par ta pureté tandis que tu te bats sur Terre pour ta virginité !
Chapitre 12
Le jeune saint est rendu à son Ordre
Comme tout cela est arrivé par disposition divine, comme il ne devait pas être abandonné de ses coreligionnaires dont il a été arraché, comme en une si forte tentation, il a jouit du secours divin, comme une divine prophétie promet qu’il sera un jour rendu à son Ordre, pour toutes ces raisons, le frère Jean de Saint Julien en personne, n’hésite pas à le visiter dans sa prison, tant il entend parler de sa constance dans la lutte et de sa discipline de mœurs. Ce révérend père, animé du même amour avec lequel il l’a reçu dans l’Ordre, entretient en son esprit l’espoir de le voir un jour rendu aux Prêcheurs. En cachette, il lui apporte des tuniques qu’il a revêtues et qu’il lui abandonne afin que le jeune homme s’en orne dans sa chambre et ne souffre pas trop dans son corps, lui qu’une telle vertu conforte mentalement. Enfermé ainsi deux années durant, Thomas montre la constance spirituelle qui sera celle de sa vie future. Sa mère attentionnée comprend qu’elle doit accomplir en son fils la prédiction de l’ermite inspiré de l’Esprit divin. Elle redoute d’affronter moins la persévérance de son enfant que la divine Providence. Avec une prudente dissimulation, elle l’aide à descendre le long d’une corde par la fenêtre du château. Des frères prévenus le reçoivent avec joie et le conduisent à Naples. Ils louent le Seigneur d’avoir récupéré Joseph qui, comme lui, avait l’esprit d’intelligence et comprenait mieux que les sages d’Egypte. Tous le considèrent instruit par la prison comme s’il avait continûment étudié les disciplines scolaires.
Chapitre 13
Le jeune saint, rendu à son Ordre, est envoyé à Cologne pour s’instruire auprès de Maître Albert
Divinement donné à l’Ordre, Thomas lui est pareillement rendu. Grande joie parmi les frères devant la promptitude de la Providence. Ils prennent conscience qu’il ne faut pas retenir un jeune de cette valeur dans sa région natale. Comme ses parents et ses frères ont cessé d’affronter sa constance, il est envoyé par les soins des prêcheurs, au chapitre général de Rome, pour se perfectionner dans le cadre d’un Studium Général. Le maître de l’Ordre, Frère Jean le Teutonique, le prend en paternelle affection dans le Christ et le conduit à Paris, puis à Cologne où prospère sous la conduite de frère Albert, maître en théologie de l’Ordre, un Studium Général de réputation unique en toutes les sciences. Dès son arrivée, Thomas découvre un enseignement d’une telle profondeur et d’une telle originalité, qu’il se réjouit d’avoir enfin trouvé le trésor capable de combler son désir. Pour manifester qu’il est parvenu au terme de sa quête, il se tient étonnamment silencieux, assidu à l’étude et fervent à la prière, mémorisant intérieurement tout ce qu’il transmettra ensuite dans son enseignement. Protégé par son admirable simplicité, il recueille sans bruit les leçons apprises du maître et infusées par miséricorde divine. Ses condisciples se mettent à le surnommer « le bœuf muet », ignorant que celui-ci mugirait bientôt la doctrine. Son mutisme extérieur le rend loquace en pensée, à son plus grand profit et au bénéfice de tous. En se taisant, il n’est handicapé d’aucune parole extérieure et acquiert ainsi plus rapidement les habitus de science. Il progresse à l’insu de tous. Maître Albert entreprend la lecture du « Des noms divins » de Denys et notre disciple l’écoute avec on ne peut plus d’attention. Ignorant quelle puissance intellectuelle se cache en lui, un étudiant compatissant lui propose aimablement de répéter avec lui la leçon. Thomas accepte et le remercie humblement. Or ce tuteur bienveillant se trompe dès le début de la révision et frère Thomas, ayant pour ainsi dire reçu de Dieu l’autorisation de s’exprimer, reprend distinctement la leçon et la parachève en ajoutant beaucoup qui n’avait pas été dit par le maître. Plein d’admiration, l’étudiant lui demande de réviser désormais avec lui afin de progresser mutuellement. Thomas acquiesce sous la promesse de ne le révéler à personne afin de pouvoir demeurer dans sa discrète simplicité. Le condisciple obtempère, mais se reproche ensuite gravement de garder le silence. Il confie à son Supérieur avoir découvert en Thomas un trésor insoupçonné de sagesse. Celui-ci s’introduit alors dans la cachette où ils répétaient. A sa grande satisfaction, il y découvre bien plus que ce qu’il avait entendu de l’étudiant et s’empresse d’indiquer l’élève à maître Albert pour sa satisfaction. Albert dispute un jour d’une question difficile et frère Thomas en rédige une note de cours. Par hasard, un étudiant la trouve devant sa cellule et la montre avec empressement au maître des études qui la lit. Celui ci loue ce détournement bienveillant et se dit en lui-même que d’un silence si persistant et d’un comportement si simple et transparent ne peut manquer de germer quelque chose de grand dans le secret de la Grâce. Il envoie l’étudiant au maître afin que celui-ci lui soumette une question assez difficile, avec réponse pour le lendemain. Sa modestie interdirait à Thomas d’accepter, mais son devoir d’obéissance l’oblige à obtempérer humblement. Il se rend donc en son lieu habituel de prière, se recommande humblement à Dieu en vue de passer ce premier examen scolaire avec le secours divin, et se prépare à l’épreuve du lendemain. Le moment venu, Thomas fait précéder les arguments d’une distinction qui répond entièrement à la question. Le maître lui dit : « Frère Thomas, tu me parais tenir le rôle non d’interlocuteur, mais d’enseignant» et celui-ci répond avec révérence : « maître, je ne vois pas comment aborder autrement ce problème». Albert confirme alors: « ta distinction résout effectivement la question », mais il ajoute quatre nouveaux arguments si difficiles qu’il pense avoir entièrement clos le débat. Pourtant frère Thomas y répond amplement et maître Albert est emporté par un souffle prophétique : « Nous l’appelons ‘bœuf muet’, mais il mugira bientôt si fort que sa doctrine résonnera sur toute la Terre». Cette prophétie est aujourd’hui réalisée : son enseignement est diffusé parmi les fidèles du monde entier et l’Eglise est enseignée par ses paroles. Malgré un tel succès scolaire, le jeune homme, enraciné dans l’humilité de cœur, ne sombre pas dans l’orgueil spirituel. Il ne change rien à la simplicité de ses habitudes et conserve le même mode de vie, avant comme après. Pourtant, le maître lui soumet désormais toutes les difficultés scolastiques et il les résout mieux que quiconque. Par la suite, Albert aborde les questions d’Ethique. Frère Thomas note consciencieusement les leçons du maître et les rédige d’une plume éloquente, profonde et subtile, comme pour orner la source d’un tel docteur, qui l’emporte en savoir sur toute sa génération. C’est bien dans la manière de la divine Providence, de permettre ainsi à Thomas de se manifester et de parler à l’occasion de la lecture du livre des « Noms Divins ». Dieu Lui-même lui offre d’éclairer la doctrine de Ses noms dès cette lecture, et de la parfaire jusqu’à la fin de sa vie. Même à l’article de la mort, il ne se tait pas et continue d’écrire.
Biographie écrite par Guillaume de Tocco en 1323
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