Saint Odon de Cluny
Saint Odon de Cluny
878-942
Fête le 18 novembre
Saint Odon vint au monde, selon une tradition respectable, dans un manoir qu'habitait son père près du château du Loir. Il était d'une noble famille franque dont la piété n'était pas moindre que la noblesse. Son père, nommé Abbon, était fort versé dans l'histoire et savait par coeur les Nouvelles de Justinien; sa conversation était très chrétienne; et s'il naissait quelques démêlés entre ses parents, on le priait d'en être l'arbitre et on suivait ses décisions comme des arrêts; mais, se voyant sans enfants, il pria, un jour de Noël, notre Seigneur, par la vertu de sa naissance temporelle et de la fécondité de sa sainte Mère, de lui donner un fils, et ses voeux furent heureusement accomplis, sa femme ayant, bientôt après, mis le petit Odon au monde; enfin, s'étant un jour approché du berceau de cet enfant, il le prit entre ses bras et l'élévant, il I'offrit à saint Martin, en disant : "Martin, qui es la perle des prélats, reçois, je te prie, cet enfant, et sois son protecteur et son père".
Dès qu'il fut sevré, Abbon le confia aux soins d'un prêtre sage et vertueux, qui lui donna une éducation toute sainte; mais quand il le vit en état de paraître dans le monde, il le retira de cette école de vertu pour le mettre à la cour de Foulques le Bon, comte d'Anjou, où il séjourna quel que temps. De là, il passa au service de Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine. Comme ce lieu est toujours contagieux, Odon s'y relâcha extrêmement de ses premiers exercices, et, ne pensant plus guère qu'au jeu, à la chasse et à faire des armes, il négligea ses prières ordinaires et ses autres pratiques de dévotion. Cependant Dieu ne permit pas qu'il trouvât du goût dans ces vains divertissements; au contraire, plus il s'y enfonçait, plus ils lui semblaient amers, et il n'en sortait qu'avec une tristesse et une mélancolie dont il ne connaissait pas la cause. D'ailleurs il était effrayé par des songes qui lui représentaient les dangers d'une vie lâche et déréglée. Dans ce trouble intérieur où il était, il eut recours à la sainte Vierge; et, une veille de Noël, qu'on allait célébrer l'office de son aimable enfantement, il la supplia d'avoir pitié de lui et de le conduire par les voies droites de la sainteté. Dès le lendemain, s'étant mis à chanter les louanges de Dieu avec les clercs, il fut saisi d'un si violent mal de tête, que, ne pouvant plus se soutenir sur ses pieds, il fut contraint de se tenir aux barreaux pour ne point tomber. Il avait alors seize ans, et ce mal, qui faisait désespérer de sa vie, lui dura pendant trois ans, jusqu'à ce qu'ayant appris de la bouche de son père qu'il l'avait offert à saint Martin, il se consacra à lui volontairement et promit de s'attacher perpétuellement à son service. Alors son mal de tête se dissipa, et il recouvra la même liberté qu'il avait avant quinze ans.
Après une guérison si étonnante, il se retira à Tours, et se consacra au service de Dieu dans l'église de Saint-Martin. Mais Foulques, comte d'Anjou, lui ayant fait bâtir un ermitage à une lieue de la ville, et ayant fondé un canonicat dans la collégiale de Saint-Martin, pour fournir à sa subsistance, il choisit sa demeure en ce lieu, et s'y appliqua entièrement à la prière et à l'étude, pour se rendre plus digne de remplir le ministère sacerdotal; il ne laissait pas néanmoins de visiter toutes les nuits le tombeau de saint Martin, nonobstant mille embûches que le démon lui dressait pour le détourner de cette dévotion. Plusieurs personnes lui rendaient aussi visite dans ce désert : les unes par curiosité, les autres pour profiter de ses instructions : mais nul n'en revenait sans être touché de ses paroles, et ils avouaient tous qu'elles avaient une onction qui remplissait le coeur d'une douceur toute divine. Son austérité était très grande : du pain et des fèves ou quelques légumes fort grossiers et en petite quantité faisaient toute sa nourriture. Il n'avait point d'autre lit qu'une natte étendue sur le plancher. Il ne se priva pas d'abord de la lecture des auteurs profanes, et il prenait même un plaisir singulier à lire Virgile; mais notre Seigneur lui fit bientôt quitter cette vaine occupation pour ne s'adonner qu'à la lecture de l'Écriture sainte et des pères de l'Église, en lui faisant voir en songe un vase antique, d'une beauté admirable, mais rempli d'une multitude de serpents. Le Saint comprit l'avertissement céleste, et ne lut plus de livres païens. Il fit un voyage à Paris (901), où il se rendit auditeur et disciple d'un savant religieux, nommé Rémi, qui expliquait publiquement quelques livres de saint Augustin. À son retour, les chanoines de Saint-Martin, ses confrères, le prièrent instamment de leur faire un abrégé des Morales de saint Grégoire; il le refusa longtemps avec fermeté, ne se croyant pas capable de toucher aux ouvrages d'un si grand docteur. Mais il lui apparut lui-même dans l'église Saint-Martin où il priait, et lui mit une plume entre les mains, pour lui faire connaître que la Volonté de Dieu et la sienne étaient qu'il se rendît aux prières de ces pieux ecclésiastiques : ce qu'il fit avec beaucoup de succès.
L'état qu'il avait embrassé était extrêmement louable; mais notre Seigneur, le destinant à un état encore plus élevé, lui inspira d'entrer dans le monastère de Baume, au diocèse de Besançon. Saint Bernon, qui en était abbé, lui donna l'habit en 909. On l'appliqua à l'instruction des novices et à la conduite des pensionnaires, parce qu'il était homme de lettres et qu'il avait apporté avec lui cent volumes, que le désir de la science lui avait fait préférer à toutes les richesses de la terre. Ce bienheureux professeur s'acquitta de cet emploi avec un zèle et une prudence incomparables, car, en même temps qu'il instruisait ses disciples et qu'il les formait aux lettres humaines, il insinuait dans leur coeur le mépris des choses du monde, l'amour de l'observance régulière et un ardent désir de plaire uniquement à Jésus Christ. Il ne se contentait pas pour cela de l'onction de ses paroles; mais il y employait aussi la force de ses exemples, se rendant, nonobstant ses études, le plus exact observateur de tous les règlements de la communauté.
Il suffira, pour juger de son exactitude, de rapporter l'action suivante, qui, quoique peu considérable en apparence, n'a pas laissé d'être approuvée de Dieu par un grand miracle. C'était une ordonnance de ce monastère, que chacun, au temps de la réfection, recueillît les miettes de pain qu'il avait faites et les mangeât avant la fin de la lecture, n'étant point permis de les laisser perdre ni de les manger après que la lecture était achevée. Il arriva un jour qu'Odon ayant déjà ces miettes dans la main et étant prêt à les porter dans sa bouche, l'abbé fit le signe et commanda au lecteur de cesser. Le serviteur de Dieu fut fort en peine de ce qu'il ferait dé ces miettes, étant également contre l'obéissance de les laisser sur la table et de les manger. Il les garda donc dans sa main, et, après son action de grâces, il se prosterna devant son abbé et reconnut humblement sa faute de cette transgression. L'abbé, ne comprenant pas bien ce qu'il voulait dire, lui fit ouvrir la main; et alors ces miettes se trouvèrent changées en une espèce de perles précieuses qui furent depuis employées en ornements de l'église.
Odon ayant obtenu la permission de faire un voyage en son pays, pour travailler à la sanctification de son père et de sa mère, il les toucha tellement du désir d'une plus grande perfection, que, tout âgés qu'ils étaient, ils renoncèrent au monde et entrèrent dans un monastère, oit ils finirent saintement leurs jours. À son retour, son abbé le présenta à Turpin, évêque de Limoges, pour être ordonné prêtre. Il était si éloigné de désirer un si grand honneur, qu'il fut consacré presque malgré lui (926).
Après la mort de saint Bernon (927), qui gouvernait six monastères, trois furent confiés à la conduite de saint Odon; ce furent les monastères de Cluny (nouvellement fondé, l'an 910, à cinq lieues de Mâcon, sur la Grosne), de Massay (près de Vierzon, aujourd'hui département du Cher), et de Déols du Bourg-Dieu (près de Château-Raoul, aujourd'hui Châteauroux, chef-lieu du département de l'Indre); il s'établit à Cluny, dont beaucoup le nomment fondateur parce qu'il organisa et agrandit cette maison naissante. Sa réputation seule y attira une foule de moines. Il y avait bien déjà à Cluny un oratoire dédié à la vierge Marie; mais il ne suffisait pas. Odon fit construire une nouvelle église, dédiée à saint Pierre, et connue depuis sous le nom de Saint-Pierre le Vieux. Cette congrégation, qui avait commencé avec douze moines, selon le commandement de saint Benoît, et quinze métairies, n'avait plus assez de bâtiments pour se loger : notre saint fit bâtir de nouvelles demeures. La simplicité de ces origines monastiques éclate dans la cérémonie même de la dédicace de l'église nouvelle. Odon y avait invité tous les évêques d'alentour, et d'autres personnages importants. Mais, n'ayant pas de provisions, il était fort inquiet sur` la manière de traiter convenablement ses hôtes, lorsqu'un sanglier vint s'offrir de lui-même aux gens de la maison, et servit à festoyer la compagnie de l'abbé.
Les vertus d'Odon ne se démentirent point dans le cours de son gouvernement monastique. Il donnait tout aux pauvres, sans s'inquiéter du lendemain. Les enfants étaient surtout l'objet de sa prédilection particulière. À cette époque, les écoles s'étaient réfugiées dans les cathédrales et dans les monastères. L'abbé de Cluny veillait avec un soin paternel, une douceur de mère, aux moeurs, aux études, au sommeil de ces chers enfants. Les fils des rois, dans le palais de leurs pères, dit la chronique, n'auraient t pu être élevés avec plus de soins, de tendresse et de pudeur. Odon lui-même dirigeait les études, instruisait les enfants et les moines. La règle de saint Benoît était suivie avec zèle. Les jeûnes, les abstinences, les chants pieux, les offices multipliés, le silence presque absolu, le travail, remplissaient les journées des frères. Les restes du pain et du vin distribués au réfectoire étaient donnés aux pauvres pèlerins. On nourrissait de plus dix-huit pauvres par jour, et la charité y était si abondante, surtout dans le Carême, qu'à l'une de ces époques de l'année on fit des distributions de vivres à plus de sept mille indigents.
Le silence était si religieusement observé dans le monastère, que les pères s'étaient accoutumés à parler par signes, et que deux moines, Archimbald et Adalise, faits prisonniers par les Normands qui ravageaient Poitiers et Tours, gardant la sévérité de la Règle au milieu des coups et des blessures, aimaient mieux se taire, et risquer d'irriter encore le cruel vainqueur par l'opiniâtreté de leur silence. Les rigueurs mêmes de la vie érémitique ne leur étaient pas inconnues; et dans des cellules séparées, disséminées de loin en loin, dans les bois qui entouraient Cluny, vivaient un grand nombre d'anachorètes attirés par le voisinage de la sainteté d'Odon. Ils imitaient, en Occident, les Stylites, et toutes les austérités des solitaires orientaux.
La vigilance d'Odon s'étendait hors de Cluny. Trois fois il visita Rome, où l'appelèrent les papes Léon VII et Etienne VIII. Il réforma dans cette capitale le monastère de Saint-Paul-hors-les-Murs, plus tard celui de Saint-Augustin de Pavie, et plusieurs autres. Il soumit également à la discipline de Cluny les abbayes de Tulle en Limousin, d'Aurillac en Auvergne, de Bourg-Dieu et de Massay en Berri, de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire) dans l'Orléanais, de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, de Saint-Allyre de Clermont, de Saint-Julien de Tours, de Sarlat en Perigord, de Roman-Moûtier dans le pays de Vaud, et d'autres encore.
Il adjoignait à son abbaye, sous son autorité abbatiale, et comme autant de dépendances, les communautés nouvelles qu'il dirigeait et celles dont il parvenait à réformer l'observance. Point d'abbés particuliers, mais des prieurs seulement pour tous ces monastères : l'abbé de Cluny seul les gouvernait : unité de régime, de statuts, de règlements, de discipline. C'était une agrégation de monastères autour d'un seul, qui en devenait ainsi la métropole et la tête. Ce système fut bientôt compris et adopté par d'autres, et notamment par Cîteaux, fondé vers la fin du siècle suivant.
Tout dans ce grand saint avait des proportions étonnantes : son influence, ses bonnes oeuvres, son énergie; à Rome il réconcilia Hugues, roi 'd'Italie, avec Albéric, patrice de Rome, qui se faisaient une guerre cruelle : Hugues donna sa fille en mariage à Albéric.
Entraînée par ce prestige divin, une jeune fiancée, couverte déjà de ses habits de noces, se jette aux pieds de l'abbé de Cluny et se voue au cloître sur l'heure. Dans ses voyages si difficiles, si périlleux à cette époque, il ne pensait qu'à secourir le prochain. Il descendait de son cheval pour faire monter à sa place les indigents et les vieillards. Dans les Alpes Cottiennes, on le vit porter lui-même le sac d'une pauvre femme. Et pourtant, malgré tant de fatigues, lorsqu'à son dernier voyage à Rome il se promenait avec ses jeunes disciples, Odon les lassait tous par la rapidité de sa marche, étonnés qu'ils étaient qu'après tant d'austérités et de travaux, il eût encore, à soixante-sept ans, conservé tant de force et d'agilité.
Pendant qu'il était au couvent de Saint-Paul, à Rome, l'abbé Baudoin le supplia de faire des corrections et des observations au livre des Dialogues de la Vie de saint Martin, composé par Sulpice Sévère. Il acquiesça à sa prière et donna d'abord le volume à corriger à un autre religieux. Tandis qu'il y travaillait, on sonna l'office du soir, et, à l'instant même, pour obéir, à la règle, qui ordonne qu'alors on quitte tout, et même une lettre commencée, pour se rendre au choeur, notre saint ainsi que celui qui corrigeait sous lui, laissèrent le livre ouvert dans le lieu du travail, pour aller où la cloche les appelait. C'était en hiver, et il plut toute la nuit en telle abondance, que l'endroit où était ce livre en fut tout inondé. Cependant il ne fut mouillé qu'autour des marges, et l'on n'y trouva pas une seule lettre endommagée. On voulut lui attribuer cette merveille; mais il en référa toute la gloire au glorieux saint Martin, dont la vie était écrite en ce volume.
La tâche providentielle d'Odon était achevée; il avait mérité le nom de réparateur de la discipline monastique; de Bénévent à l'Océan atlantique, les plus importants monastères de l'Italie et des Gaules se félicitaient d'être soumis à son commandement. Une maladie grave l'avertit que l'heure de la récompense approchait; il pria saint Martin de lui obtenir de Dieu le pouvoir de visiter encore une fois son sépulcre. Sa prière fut exaucée : il guérit, se mit en chemin et après des fatigues presque insupportables à un vieillard infirme, il arriva à Tours pour la fête de ce glorieux prélat. Il la célébra avec une ferveur et un tendresse merveilleuse. Il y dit la Liturgie dans l'état d'une victime prête à être immolée par la Justice divine. Il y parla des mérites et des vertus de cet homme céleste, qui s'est rendu l'admiration de toute l'Église. Au bout de trois jours, il retomba malade selon son attente et son désir. Ce ne fut plus alors qu'une oraison continuelles accompagnée d'un torrent de larmes, qu'une offrande pure et fervente de sa vie à la divine Majesté, et qu'une ardeur inexplicable de quitter la terre pour aller jouir de la Présence de son Dieu. Il reçut la sainte Eucharistie dans cette excellente disposition et après avoir exhorté à l'observance les religieux qui étaient accourus de toutes parts pour le voir et leur avoir donné sa bénédiction, il rendit son âme à Dieu entre les mains de Théotolon, archevêque de Tours, son disciple et son ami.
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