Saint Landry de Maurienne
Saint Landry de Maurienne
Prêtre de Lanslevillard
+ au XIe siècle
Fête le 10 juin
Vie et mort de saint Landry
Après l'expulsion des Sarrasins, le diocèse de Maurienne se trouva dans l'état le plus déplorable. Ceux de ses habitants que le fer des infidèles avait épargnés n'avaient trouvé, en rentrant chez eux, que les ruines de leurs habitations; mais plus tristes étaient les ruines morales qu'avaient apportées avec elles ces populations autrefois si chrétiennes, condamnées à errer, pendant bien des années, dans les forêts et les montagnes, au milieu des angoisses de la persécution et de la faim, presque sans églises, sans prêtres et sans lois. Leur mélange avec les Sarrasins qui étaient restés en Maurienne, n'avait pu qu'élargir l'abîme d'ignorance et de corruption dans lequel elles étaient tombées. Pour remédier à tant de maux, il fallait des pasteurs assez éclairés pour en mesurer toute la profondeur, assez nombreux pour avoir sous la main toutes leurs ouailles et assez zélés pour ne pas se laisser décourager par les obstacles qu'ils rencontreraient à chaque pas. Malheureusement les prêtres étaient en petit nombre; car, dans leur haine pour la religion chrétienne, les Sarrasins, comme nous l'avons vu, les avaient poursuivis avec un acharnement tout particulier. Nos évêques eurent recours aux religieux de la Novalaise et leur confièrent la desserte des paroisses de la Haute Maurienne. Ils se chargèrent d'autant plus volontiers de cette pénible mission, que leur monastère possédait en Maurienne des dîmes et des biens considérables, que lui avait donnés Charlemagne par son diplôme daté du 27 mai 783. Cependant, comme ils achevaient à peine la reconstruction du monastère (987) et qu'ils étaient eux-mêmes très peu nombreux, ils furent obligés de réunir plusieurs paroisses sous la conduite du même pasteur.
Au nombre des religieux qui vinrent consoler et ramener à Dieu nos malheureuses populations était Landry. On ne sait rien ni de ses parents, ni de sa naissance, dont on ne connaît pas même la date. La tradition nous apprend seulement qu'il était né à Bonneval ou à Lanslevillard et que, dégoûté du monde, il s'était retiré à la Novalaise pour se consacrer au Seigneur, dans la prière, le travail et l'observance de la règle de saint Benoît, que ce monastère avait adoptée depuis l'an 726. Ses supérieurs, qui appréciaient son mérite, le chargèrent de desservir, avec l'aide d'un autre religieux, Lanslebourg, Bessans, Bonneval et Lanslevillard, où il fixa sa résidence. C'était un lourd fardeau. Quiconque a parcouru cette extrémité de la Maurienne, surtout Bessans et Bonneval, se fait une idée du zèle que Landry eut à déployer dans une paroisse qui en forme quatre aujourd'hui, échelonnées sur une étendue de plus de cinq lieues. Là l'hiver est de sept à huit mois, le thermomètre descend à vingt degrés; d'énormes amas de neige couvrent l'étroite vallée, et les avalanches, se précipitant du sommet des montagnes, rendent les communications dangereuses et quelquefois impossibles.
Mais quel obstacle peut effrayer la charité du saint prêtre, qui voit dans ses ouailles des âmes rachetées par le sang d'un Dieu et qui sait que le bon pasteur doit toujours être prêt à donner sa vie pour ses brebis? La tradition nous montre saint Landry visitant fréquemment sa paroisse, pour consoler les affligés, terminer les différends, réconcilier les ennemis et recommander à tous, à l'exemple de saint Jean, de s'aimer les uns les autres. La connaissance qu'il avait du caractère de ses paroissiens l'aidait puissamment à trouver le chemin de leur cœur et, la grâce y entrant avec ses douces paroles, il n'y avait point de résistance qu'il ne vainquit. Apprenait-il qu'un d'entre eux était malade, il courait aussitôt lui porter les consolations et les secours de la religion. Ni la distance des lieux, ni la rigueur de la saison, ni le mauvais état des chemins, ne pouvaient l'arrêter; heureux qu'il était de souffrir quelque chose pour l'amour de Celui qui a aimé les hommes jusqu'à la mort et à la mort de la Croix! On ne sait pas combien de temps Landry exerça ce ministère aussi méritoire devant Dieu que fructueux pour les âmes. Si le saint homme goûta les plus douces consolations en voyant le bien que la grâce produisait parmi ce peuple éprouvé par le malheur, il ne dut pas non plus manquer de ces contradictions que Jésus-Christ a annoncées à ses Apôtres et dont les plus saints prêtres ne sont pas exempts. Ils apprennent par là à ne point attribuer à leurs faibles efforts les succès qu'ils obtiennent, mais à Dieu seul, qui fait germer et fructifier, là où il lui plaît, la semence qu'ils jettent.
Pour aller de l'église de Bonneval au hameau de l'Écot, distant de plus d'une heure, il faut côtoyer l'Arc, qui là n'est encore qu'un ruisseau, mais qui, furieux de se voir si resserré, roule, plein d'écume et de bruit, au milieu des blocs de rochers dont son lit est obstrué. On suit pendant quelque temps la rive droite, puis on passe sur la gauche. Peu avant d'arriver à un petit plateau qui domine la rivière, presque en face de l'Écot, on voit, au milieu du chemin, gravée dans le roc, une empreinte qui ressemble à celle d'un talon de soulier garni de clous. Ce fut là, au rapport des traditions du pays, que saint Landry trouva la fin de ses travaux, et cette empreinte est celle qu'il laissa par un miracle, en appuyant le pied pour échapper à la mort. Mais ces traditions ne sont pas unanimes sur la manière dont il mourut. Les uns disent qu'il tomba dans l'Arc, en allant à l'Écot dire la messe ou administrer un malade; les autres prétendent qu'il y fut jeté par les ennemis que lui avait faits son zèle pour la religion. Combet, qui rapporte les deux versions, penche pour la seconde. Voici le récit de cet événement que nous ont fait des vieillards de Bonneval.
Bonneval, dont les premiers habitants furent des bergers venus de la vallée d'Aoste, se composait, au temps de notre saint, de deux hameaux: celui de l'Écot, qui existe encore, et celui de Faudant, dont nous verrons tout à l'heure la destruction. Les habitants du dernier étaient, en grande partie, des Sarrasins qu'avaient attirés les mines découvertes dans les environs. Ils avaient acquis des richesses considérables; mais en même temps le luxe, la fréquentation des infidèles, la privation de prêtres et de secours religieux pendant bien des années, avaient développé parmi les chrétiens de ce hameau le germe de tous les vices et principalement de celui que l'apôtre saint Paul défend de nommer.
Landry courut à la recherche de ces brebis égarées. Mais tous les efforts qu'il fit pour les ramener au bercail furent inutiles: il ne recueillit que de la haine, et enfin quelques-uns des plus endurcis, ne voulant plus supporter la fermeté tout évangélique de ses réprimandes, résolurent de se défaire de lui. Un jour que le saint allait à l'Écot, ils l'attendirent au passage, fondirent sur lui, le traînèrent sur le plateau dont nous avons parlé et le précipitèrent dans la rivière. Ce crime les délivra d'un censeur, toujours importun au pécheur impénitent, parce qu'il réveille dans son âme le cri de la conscience endormie; mais il rendit la vengeance du ciel plus prompte et plus terrible. L'année suivante, un éboulement de la montagne ensevelit Faudant sous ses décombres. Le village n'a jamais été rebâti, et aujourd'hui encore ce n'est qu'un amas de pierres. Dans les champs qui l'environnent, on a trouvé, il y a quelques années, divers objets en argent, tels que cuillers, boutons, éperons, etc. Quoi qu'il en soit de ces traditions, ce qui est indubitable, c'est que saint Landry a été emporté par les flots impétueux de l'Arc. La mort est toujours belle, quand c'est la mort du juste, et plus belle encore, quand elle est soufferte pour Dieu ou pour le prochain. Victime du devoir ou de la haine des impies, Landry mérita de recevoir la récompense que le Sauveur a promise à celui qui perd la vie temporelle pour l'amour de lui.
Histoire des reliques de Saint Landry
La mort, pour les grands hommes du monde, est, en toute vérité, la fin de la vie. Leur cadavre n'inspire que le dégoût et l'horreur, et dans le tombeau où il est enfermé descendent également leurs grandes actions, bonnes ou mauvaises. Un seul instant réduit à néant et le bruit qu'ils ont fait, et la gloire qu'ils ont acquise, et les hommages dont ils étaient entourés. Au-dessus de la pierre qui recouvre leurs cendres, il n'y a plus, au bout de quelques années, que le silence ou la froide critique de l'histoire. Pour les saints, au contraire, la mort est le commencement de la vie, non-seulement de la vie céleste et éternelle qui est la possession de Dieu, mais encore d'une vie nouvelle et véritable sur la terre. Là vivait une pauvre servante, gagnant son pain par l'obéissance, à la sueur de son front; là, un humble prêtre, remplissant les pénibles devoirs de son ministère au sein d'une gorge solitaire. Qui pensait à eux? Qui s'inquiétait de connaître leur nom, leur naissance et les détails obscurs d'une vie uniforme et sans bruit? Mais la mort est venue, et voilà que leur nom est dans toutes les bouches; des paroisses, des provinces entières, accourent auprès de leurs dépouilles; on veut savoir toutes les particularités de leur vie; on s'arrache comme des trésors les moindres objets qui leur ont appartenu; la prose, la poésie et les arts sont appelés à célébrer cette existence si humble, si oubliée, si méprisée quelques jours auparavant, et dont souvent on connaît à peine les principaux traits. D'où viennent ce changement et cette gloire répandue tout à coup sur un tombeau? C'est que la mort met les saints en possession du royaume où Jésus-Christ leur communique une partie de sa suprême puissance sur la terre aussi bien que dans les cieux , et que les faits les plus merveilleux attestent au monde étonné leurs vertus passées et leur gloire présente.
C'est ce qui est arrivé à saint Landry. Autant sa vie mortelle nous est peu connue, autant Dieu a pris soin que la tradition conservât l'histoire de ses glorieuses et saintes reliques. Aucun historien ne parle de lui, et cependant son culte s'est perpétué à travers huit siècles, aussi vivant aujourd'hui que le lendemain de sa mort. Ce culte, Dieu l'a autorisé et en quelque sorte commandé, le jour même du bienheureux trépas du saint, par des prodiges tellement extraordinaires, que nous refuserions d'y croire, si nous étions du nombre de ceux qui prétendent limiter la puissance de Dieu. Nous les rapporterons simplement et exactement, tels que nous les avons entendu raconter à Lanslevillard, à Bessans et à Bonneval, et que nous les lisons dans le Coutumier de M. Combet et dans plusieurs légendes composées en diverses circonstances. Bien que récents, ces écrits sont un écho fidèle des antiques traditions locales.
Le Seigneur avertit lui-même les habitants de Lanslevillard de la mort de leur pasteur bien-aimé. Tout à coup, les cloches sonnent comme aux grandes fêtes. Ces sons inusités mettent la population en émoi. On court au clocher: mais on n'y trouve personne, et cependant les joyeuses volées continuent. Alors l'anxiété est à son comble: tout le peuple va à l'église attendre qu'il plaise à Dieu de faire connaître sa volonté. A peine y est-il assemblé, que la croix des processions, s'élevant à hauteur d'homme, s'avance vers la porte. Le prêtre qui dessert la paroisse avec saint Landry, la suit, revêtu du surplis et de l'étole, et le peuple l'accompagne, désireux de voir la fin d'un événement aussi merveilleux. La procession descend le chemin qui conduit à la rivière. Enfin la croix, que personne n'a portée, s'arrête près d'une caverne creusée sous un rocher que baignent les flots de l'Arc. On entre, et la première chose qu'on aperçoit, c'est le corps de saint Landry, la tête appuyée sur la main droite, appuyée elle - même sur une pierre; de la main gauche il tient une palme. Dieu a veillé sur le corps de son serviteur; car, dans un trajet de plus de quatre lieues, où il aurait dû infailliblement se briser contre les rochers au milieu desquels l'Arc roule presque continuellement, non-seulement il n'a pas été endommagé, mais ses vêtements eux-mêmes n'ont pas été déchirés. Après avoir vénéré le saint corps que le Seigneur confie à la piété filiale des habitants de Lanslevillard, on le met dans un linceul dont quatre personnes prennent les coins, et la procession reprend, au chant des hymnes, le chemin de l'église.
Tous ces faits furent représentés sur deux plaques d'airain que l'on plaça de chaque côté du maître-autel. Elles furent vendues, au 18e siècle, par le conseil communal, qui, avec le prix qu'il en retira, acheta les trois lampes qui sont dans le chœur de l'église. M. Combet assure en avoir maintes fois entendu parler à plusieurs personnes, et, entre autres, au syndic qui avait fait cette vente. Il ajoute que, d'après M. Arthaud, alors vicaire général du diocèse et savant antiquaire, ces plaques devaient remonter à plus de cinq siècles. Le corps de saint Landry fut déposé dans la sacristie, où il resta jusqu'en 1765. Le 23 juillet 1764, Mgr Filippa de Martiniana, revenant d'une mission à laquelle il avait présidé lui-même à Bessans, scella la châsse dans laquelle les saintes reliques venaient d'être transportées, et permit de les exposer publiquement à la vénération des fidèles. M. Esprit Combet, curé de Lanslevillard, avait, malgré de fortes oppositions, fait ouvrir, du côté de l'Évangile, une chapelle pour les recevoir. Elle fut bénite le 19 mars 1765, sous le vocable de saint Joseph. Le 10 juin suivant, la châsse y fut solennellement placée sur l'autel, après avoir été portée en procession au lieu où le corps avait été trouvé et où l'on avait élevé, en l'honneur du saint, un petit oratoire qui existe encore, à côté du chemin qui conduit à Bessans.
Au commencement de l'année 1794, le conseil communal, voyant que les troupes sardes, qui, depuis deux ans, disputaient à l'armée française les défilés de la Maurienne, étaient forcées de repasser le Montcenis, songea à soustraire le saint corps aux profanations des soldats de la république. Il fit transporter la châsse dans une grange d'un lieu reculé, dit à la Roche; mais, comme on ne l'y croyait pas encore en sûreté, on la cacha, quelques jours après, dans la cour de Cosme-Damien Turbil, sous un tas de planches. Dans les premiers jours de mai de la même année, les Français occupèrent Lanslevillard; les habitants furent transférés, quelques-uns à Termignon, le plus grand nombre au fort de Barreau, et toutes les maisons furent livrées au pillage. Des soldats trouvèrent les reliques, brisèrent et brûlèrent la châsse, et jetèrent les ossements au milieu de la cour, sur un tas de fumier (14 mai). A son retour, Turbil reconnut facilement ces os épars, aux trous dont ils étaient percés et aux morceaux de fil d'archal qui y étaient encore attachés et par lesquels le docteur Chappuis, de la Novalaise, les avait joints les uns aux autres en 1764; il les recueillit avec soin et les cacha dans sa maison. Au mois de décembre 1796, M. Combet fut chargé par M. Jean-Baptiste Molin, chanoine de Saint-Jean, vicaire général et official du diocèse pendant la vacance du siège, de dresser un état des reliques profanées pendant la terreur et retrouvées dans tout le diocèse.
Le 3 avril de l'année suivante, il fit examiner par le docteur Balthazard Claraz les ossements que Turbil lui présenta, et ce chirurgien, après un examen minutieux, déclara, sous la foi du serment, que c'étaient bien ceux de saint Landry. Plusieurs autres témoins furent entendus, qui tous affirmèrent, comme M. Claraz, que les ossements qu'ils voyaient étaient sans aucun doute ceux de notre saint. M. Combet les enferma alors dans un coffre auquel il apposa son sceau et celui de la commune, et qu'il Jaissa en dépôt chez Cosme-Damien Turbil, jusqu'à ce que des temps meilleurs permissent de rendre ces saintes reliques à la vénération des fidèles.
Le 13 octobre 1808, Mor Irénée-Ives de Solle, évêque de Chambéry, commit M. Molin, curé de Lanslebourg, pour constater l'identité des reliques de saint Landry. Celui-ci se rendit à Lanslevillard le 31 mai 1809, accompagné des deux docteurs Balthazard et Louis-André Claraz; le coffre fut ouvert et le saint corps trouvé dans le même état où on l'avait laissé en 1797. Le chirurgien Claraz fut chargé de rattacher les os ensemble, en présence de M. Combet ou de M. Joseph-Benoît Turbil, prêtre natif de Lanslevillard. Le 12juin suivant, le saint corps, revêtu des habits sacerdotaux, fut placé dans une châsse en bois doré, et le lendemain on l'exposa dans une chapelle ardente , élevée devant la porte de la cour de Cosme-Damien Turbil, où une foule nombreuse ne cessa de l'entourer des témoignages les plus éclatants de sa dévotion et de sa joie.
Le 15, eut lieu la translation solennelle, au milieu d'un concours immense de fidèles. Vingt-cinq prêtres, revêtus des ornements sacerdotaux, se rendirent à la chapelle ardente, accompagnés de la garde bourgeoise et de la musique. Les reliques furent encensées et la procession se mit en marche vers l'église. Les filles voilées marchaient en tête, chantant des cantiques en l'honneur de saint Landry. Venaient ensuite une multitude de fidèles des deux sexes, que suivaient la confrérie du Saint Sacrement, les musiciens, les chantres et le clergé. Des enfants, vêtus de blanc, jetaient des fleurs devant la châsse portée par des prêtres en tuniques. Le curé et trois prêtres natifs de Lanslevillard, en chapes, tenaient les cordons; quatre miliciens de la garde bourgeoise les accompagnaient, tandis que les autres maintenaient l'ordre dans la procession. Derrière la châsse marchaient M. Molin, assisté d'un diacre et d'un sous-diacre, puis le sous-préfet, M. Bellemin, M. Voisse, lieutenant de la gendarmerie, et six gendarmes, les maires de Lanslevillard, de Lanslebourg, de Bessans, de Bonneval, de Sollières et de Bramans, les autres autorités administratives et judiciaires, etc. Les chemins étaient bordés de feuillage et ornés d'arcs-de-triomphe, de guirlandes de fleurs, de couronnes et d'inscriptions. La procession se rendit d'abord à l'oratoire du Soleillour, dont nous avons parlé, comme pour s'unir à celle que Dieu avait miraculeusement conduite au même lieu huit siècles auparavant. On y avait préparé un élégant reposoir, sur lequel les reliques furent déposées et encensées de nouveau. Puis on rentra dans l'église, où la châsse fut placée sur une table ornée de fleurs. On commença ensuite la messe et, après l'évangile, dom Antoine Marietti, ancien trappiste de Tamié et, depuis la révolution, religieux de la Novalaise et curé du Montcenis, prononça le panégyrique du saint. Le soir, le chant du Te Deum réunit de nouveau le clergé, les autorités et une si grande multitude de fidèles, que l'église put à peine en contenir la moitié. Enfin, la châsse fut replacée sur l'autel de Saint-Joseph, où elle était avant la révolution.
En 1854, on la transporta dans la chapelle de l'Annonciation, qui est du côté de l'épître, l'humidité de celle de Saint-Joseph ayant inspiré des craintes pour la conservation des reliques. Cette châsse a environ cinq pieds et demi de longueur sur trois pieds de largeur; des anges la surmontent, tenant une couronne.
Le corps de saint Landry est presque entier; il n'y manque que quelques os, le bras droit, le crâne et la mâchoire supérieure, dont l'église de Lanslebourg a été enrichie, on ne sait à quelle époque. Mais les sceaux des reliquaires qui les renferment ayant été brisés, ces dernières reliques sont aujourd'hui privées d'authenticité. Il y a encore dans l'église de Lanslevillard un petit reliquaire, en forme de bras, que l'on porte aux processions et dans lequel on a mis, en 1809, de la chair du bras gauche de saint Landry. Une partie de cette relique a été détachée en 1847, pour satisfaire le pieux désir de Mgr Vibert, toujours empressé de donner à son diocèse l'exemple de la dévotion envers les saints qui sont en même temps nos compatriotes et nos protecteurs.
Dévotion à saint Landry
Le monde est une monarchie dont Dieu est le seul maître et le seul roi. Mais ce roi, ainsi que le développe admirablement Saint Thomas, a des ministres dont il se sert pour le gouvernement des hommes et des autres créatures: ce sont les anges. Il a aussi des amis qu'il a reçus dans son intimité et à la participation de sa puissance, ce sont les saints, ses enfants et les frères de son Fils qui sont en même temps, si je puis me servir de cette comparaison, les députés des hommes auprès de leur souverain. Ils lui exposent nos besoins, lui présentent nos prières et y joignent les leurs, plus pures et plus agréables. Dieu leur a donné, pour nous soulager et nous aider, un pouvoir, non d'action, mais de supplication, comme l'appelle un saint père, pouvoir auquel il ne résiste pas et qui les associe, à notre égard, à la royauté de Jésus-Christ, selon la promesse que ce divin Sauveur leur en a faite, en récompense de leur abnégation et de leur amour.
Cette puissance des saints, miséricordieuse à notre égard et suppliante à l'égard de Dieu, s'étend généralement sur toutes nos misères. Cependant, de même que l'Écriture et les Pères nous montrent des anges chargés du gouvernement de chaque classe de créatures et veillant sur les royaumes, sur les provinces et sur chaque homme1 ; de même aussi les peuples chrétiens ont attribué aux saints, qui occupent la place des anges déchus et qui sont devenus semblables aux créatures angéliques, un pouvoir spécial pour obtenir certaines grâces et nous soulager dans certaines souffrances. C'est comme le département particulier que Dieu a confié à ces ministres de sa bonté envers les hommes. Ce pouvoir est ordinairement en rapport ou avec la vertu qu'ils ont pratiquée d'une manière plus éclatante, ou avec quelque grâce privilégiée que Dieu leur a accordée pendant leur vie, ou avec le genre de mort qu'ils ont souffert. C'est ainsi que l'on invoque saint Joseph pour obtenir une bonne mort, saint Roch pour être délivré de la peste, etc., et, dans les paroisses de la Haute Maurienne, que l'on s'adresse à saint Landry pour obtenir la pluie.
Libre à la sagesse du monde de rire de ces dévotions populaires, autorisées par l'Église et justifiées par des faits innombrables. Le peuple chrétien, avec la simplicité de sa foi, comprend mieux le gouvernement du' monde et la bonté de Dieu envers ses élus et ses créatures, que les savants du siècle avec leur science orgueilleuse et matérialiste. Ah! laissez-lui sa confiance à la Providence, aux anges et aux saints. Il sait quelles consolations et quels secours il y trouve. Vos théories fatalistes ne lui donneraient dans ses peines que la désolation et le désespoir.
Rien de si touchant que la confiance que les habitants de la Haute Maurienne ont toujours eue en saint Landry. Les prodiges qui amenèrent la découverte de son corps au 11e siècle étaient un témoignage suffisant de la gloire dont il jouissait dans le sein de Dieu. Aussi la paroisse de Lanslevillard l'honora-t-elle tout aussitôt comme un saint et comme son protecteur naturel. Cette dévotion n'a pas dû tarder à recevoir l'approbation de l'autorité épiscopale, puisque Mgr de Gorrevod, consacrant, le 17 juillet 1532, le maître-autel de l'église, n'hésita pas à y mettre pour relique la dernière phalange du petit doigt de la main gauche de saint Landry. Cette relique fut découverte en 1701, avec le procès verbal de la consécration de l'autel.
La fête de saint Landry se célébrait, avant la révolution, le 10 juin. Son origine devait remonter à plusieurs siècles, car on ne trouve aucun vestige de son institution. On exposait sur le maître-autel le reliquaire, qui contient de la chair du bras de saint Landry; on chantait ensuite le Veni Creator et l'Iste Confessor, et l'on se rendait en procession à la chapelle de Saint-Joseph, située en dessus de l'église. Là, le curé, après avoir chanté l'oraison du saint, bénissait le peuple avec le reliquaire et l'on rentrait à l'église au chant de l'hymne ambroisienne. A l'autel de Saint-Joseph, sur lequel reposait le saint corps, le curé bénissait une seconde fois le peuple avec le reliquaire, et la cérémonie se terminait par la célébration du saint sacrifice et la bénédiction du Saint-Sacrement. Cette fête, interrompue depuis 1793, a été rétablie en 1847 par Mgr Vibert et fixée au 14 juin.
Le deuxième dimanche de chaque mois, la confrérie des agonisants fait une procession à la chapelle de Saint-Joseph et l'on y porte aussi le reliquaire de saint Landry; car la châsse du bienheureux protecteur de Lanslevillard étant restée, jusqu'à ces dernières années, sur l'autel du chaste époux de Marie, il est associé en tout au culte qui lui est rendu. C'est pour cela que la chapelle, qui est le terme des processions, est souvent appelée chapelle de Saint-Landry. Le saint est, pour les habitants de Lanslevillard, un père auquel ils s'adressent avec une confiance toute filiale. Le ciel refuse-t-il à leurs champs la pluie qui les féconde? C'est à lui qu'ils ont recours par une procession dans laquelle on porte son reliquaire. Et si vous voulez savoir comment leur piété est récompensée, demandez-le aux vieillards; ils vous répondront qu'ils ne se souviennent pas que jamais on ait invoqué saint Landry sans avoir été exaucé. On peut bien dire des saints ce que saint Paul dit de Jésus-Christ, qu'ayant passé par toutes nos épreuves, ils ont appris à compatir aux misères qui nous assiègent et à employer, pour les soulager, le crédit que Dieu leur a donné. Leur charité, vivifiée au foyer même de l'amour, ne connaît ni temps ni mesure, et, quoiqu'ils comprennent mieux que nous qu'il n'y a qu'une chose nécessaire, ils n'oublient pas cependant que notre corps a besoin de recevoir sa nourriture en temps opportun.
La dévotion à saint Landry n'est pas limitée à la paroisse de Lanslevillard. Au 18e siècle, le seul sur lequel M. Combet nous fournisse des détails précis, il y a peu de communes de la Maurienne, de Saint-Jean à Bonneval, qui, dans des temps de sécheresse, n'aient eu recours à son intercession, soit en envoyant des députés pour faire faire des prières publiques à Lanslevillard, soit en s'y rendant elles-mêmes en procession. Plusieurs fois on a vu des paroisses de la vallée de Suse traverser le Mont cenis, pour venir vénérer les reliques du saint et se recommander à sa protection. A l'arrivée de ces paroisses ou de leurs députés, les habitants de Lanslevillard se joignaient aux pèlerins et tous ensemble faisaient une procession solennelle à la chapelle de Saint-Joseph. Le curé de la paroisse portait le reliquaire de saint Landry; au retour, il chantait la messe en l'honneur du saint et donnait la bénédiction du Saint-Sacrement.
La révolution n'a pas éteint dans le cœur des habitants de la Maurienne l'antique dévotion de leurs pères. Ce qui le prouve, ce sont les messes que plusieurs paroisses ont fait célébrer, à diverses époques, à l'autel où reposent les reliques de saint Landry. Lanslevillard et Lanslebourg en ont donné, entre autres, un témoignage bien touchant le 10 juillet 1836. Une procession partit des deux églises: le point de réunion fut le pont qui sert de limite aux deux communes. Les saintes reliques , qui avaient été apportées de Lanslevillard, furent exposées à la vénération des populations, confondues dans un même esprit de foi et de confiance, et quand elles se séparèrent, ce fut avec l'intime persuasion que leurs prières, présentées par le saint, avaient été entendues de Celui qui distribue le temps à son gré. En effet, la pluie, qu'elles demandaient et que rien ne présageait encore, ne tarda pas à rendre la vie à leurs champs desséchés.
Texte extrait du livre « Histoire Hagiographique du Diocèse de Maurienne », de l'Abbé Truchet, Chambéry 1867.
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