Saint Gérard de Corbie
Saint Gérard de Corbie
Fondateur de l'Abbaye de la Sauve Majeure
1025-1095
Fête le 5 avril
« Que l'Aquitaine retentisse des louanges de notre Père elle qui jouit de sa présence et éprouve l'effet de ses bienfaits ». (Hymne des Matines de l'Office de Saint Gérard)
Les personnes qui souffrent depuis longtemps des infirmités habituelles, auront une grande consolation en lisant cette vie, puisqu'elles verront en la personne de saint Gérard, un serviteur de Dieu accablé de maladies et incapable, en apparence, de rendre aucun service, ni à l'Église, ni à son Ordre, devenir néanmoins, dans la suite, un grand apôtre dans le pays où Dieu l'appela, un des plus célèbres abbés dans l'Ordre de Saint Benoît et un grand saint dans l'Église. Saint Gérard naquit à Corbie, vers l'an 1025. Ses parents, qui étaient d'une condition au-dessus du vulgaire, surent lui inspirer l'amour de la vertu, aussi bien qu'à ses trois frères, futurs moines de l'abbaye de Saint Vincent de Laon. Offert par ses parents, dès son enfance, à la célèbre abbaye de Corbie, il s'y fit bientôt aimer de tous et put échapper à tous les dangers qui environnent l'adolescence.
Quand Foulques 1er eut remplacé Richard dans le gouvernement de l'abbaye, on vit la jeunesse de Géraud tenir toutes les promesses qu'avait données son enfance, et la maturité des fruits succéder au parfum des fleurs. L'abbé Foulques, qui avait entrepris la double tâche de relever le temporel du monastère et d'y faire refleurir une exacte discipline, sentit le besoin de s'adjoindre un coopérateur intelligent et zélé. Gérard, qui avait fait son noviciat en même temps que lui, et qui, depuis, avait prononcé ses vœux, devint alors cellérier de l'abbaye de Corbie. L'excès des travaux, des jeûnes et des veilles causa à Géraud une névralgie céphalique. Il éprouvait continuellement dans la tête de violentes douleurs, que chaque mouvement et la moindre occupation sérieuse rendaient intolérables. La description que ses biographes nous donnent de cette maladie démontre que le cerveau affaibli se laissait dominer par mille imaginations effrayantes. Le pieux cellérier conservait toutefois assez de présence d'esprit pour dissimuler l'âpreté de ses souffrances, que connaissait seul le religieux qui lui donnait en secret des soins particuliers. Quand on s'aperçut enfin de la gravité de sa position, on l'obligea à recourir aux consultations des médecins. L'un pratiqua une incision à la veine frontale, un second eut recours à divers genres de potions, un troisième employa la cautérisation. Aucun remède n'ayant réussi, le patient s'en remit à la volonté de Dieu.
Pour mériter ses grâces, il redoublait de charité envers les pauvres chaque jour, il en recevait trois, leur lavait les pieds, leur servait à manger après le repas, il se jetait parfois à leurs genoux, et, voyant en eux une image des trois personnes divines, il s'écriait en versant des larmes: « O Trinité sainte, délivrez-moi des maux que je ne puis endurer. Rappelez-vous cette promesse de l'Écriture N'importe quand vous m'invoquerez, je dirai me voici. Ah souvenez-vous de votre miséricorde et n'en différez pas l'accomplissement ». L'abbé Foulques, obligé de se rendre à Rome dans l'intérêt de son abbaye, résolut d'accomplir son projet dans le courant du mois de janvier de l'an 1050. Ayant d'abord proposé à Gérard de faire ce voyage ensemble, il l'en dissuada ensuite, en raison de son déplorable état de santé. Mais le cellérier insista tellement pour accomplir un pèlerinage qui pouvait amener sa guérison, qu'on ne mit plus d'obstacle à son désir. Le trajet, si difficile alors, devint pour Géraud l'occasion d'un redoublement de souffrances car l'exercice du cheval lui rouvrait les plaies de la tête. Le saint religieux, n'ayant pas même la force de soutenir la conversation, se tenait en arrière c'est ainsi qu'il pouvait, sans être vu, donner l'aumône aux mendiants et vaquer plus longuement à l'oraison. Arrivé à l'hôpital Saint Denis, qui servait d'asile aux pèlerins, on pansa ses plaies et l'on put alors constater combien le mal avait empiré. Aussi l'abbé Foulques crut-il devoir conseiller à son compagnon de rester dans l'hospice ou de se faire reconduire à Corbie. « Si j'ai entrepris ce voyage, répondit Gérard, c'est pour arriver au but je n'ai fait qu'obéir à vos ordres aussi supplié-je votre paternité de ne point m'imposer la dure obligation de vous quitter ». Foulques finit par céder à un désir si vivement exprimé, et on arriva bientôt au bas de deux montagnes qu'il fallut franchir a pied, le mont Joux et le mont Bardon qui, plus tard, devaient prendre le nom de Grand et Petit Saint Bernard, en l'honneur de Saint Bernard de Menthon, fondateur de deux hôpitaux, pour les voyageurs, dans ces lieux désolés.
L'humble pèlerin ajoutait encore des mortifications volontaires aux fatigues de la route et aux cruelles souffrances qu'il endurait. Ce fut pieds nus et la tête seulement couverte d'un capuchon qu'il traversa le mont Gaudius Dès son arrivée à Rome, Gérard se rendit près du tombeau des Apôtres. Que de larmes, que de prières pour obtenir la guérison de son infirmité pendant que ses compagnons dormaient, il retournait à la basilique de Saint-Pierre, dont les gardiens s'étaient laissé gagner par ses largesses. Là, il suppliait le Prince des Apôtres, sinon de lui rendre une complète santé, du moins de lui conserver la raison que, dans le paroxysme de ses douleurs, il sentait lui échapper. Huit jours après, Foulques et Gérard suivirent le pape Saint Léon IX qui se rendait dans la Pouille pour pacifier les contrées que ravageaient les Normands, cruels partisans de l'antipape Benoît IX. Nos pèlerins tombèrent entre leurs mains. Gérard qui, selon sa coutume, chevauchait en arrière, fut jeté à bas de sa monture, rudement maltraité et dépouillé de tout l'argent que lui avait confié son abbé. Il lui fallut rejoindre, à pied, ses compagnons arrivés plus vite à l'abbaye du Mont Cassin, grâce aux chevaux que leur avait rendus un soldat compatissant de la bande du comte d'Aquin. Richer, abbé de ce monastère, voyant le cellérier de Corbie implorer la protection de saint Benoît, vint augmenter encore sa désolation en lui disant sans ménagement: « Hélas! mon frère, votre maladie est bien dangereuse un de nos religieux, torturé du même mal, a tant souffert qu'il a fini par en perdre la raison ». La caravane étant arrivée au Mont Gargano, où se trouvait Léon IX, Gérard invoqua saint Michel, qui rendit ces lieux célèbres par son apparition à un évêque de Siponte. Il s'arrosa la tête des gouttes sacrées qui découlent de la roche vénérée; « mais, s'écrie l'un de ses anciens biographes, ni saint Michel sur sa montagne, ni saint Benoît dans son monastère du Mont Cassin, ni saint Pierre dans sa cité, n'opérèrent la guérison que Saint Adélard se réservait d'accomplir à Corbie ».
Ordonné prêtre, en même temps que Foulques, des mains de saint Léon en 1030, Gérard affronta bientôt les périls du retour et revint à Corbie où il reprit sa vie de fervente régularité. On le voyait célébrer fréquemment la sainte messe; parfois cependant, sa faiblesse était si grande qu'il n'aurait pu achever les saints mystères, si Dieu ne l'avait soutenu de sa force. En 1051, saint Gérard fut investi de la charge de sacristain et put bientôt, malgré la persistance de son infirmité, donner de nouvelles preuves d'un zèle que rien ne décourageait. L'église Saint Pierre, incendiée sous l'abbatiat de Richard, ne se relevait que lentement de ses ruines les troupeaux y pénétraient comme sur une place publique les eaux pluviales y séjournaient si abondantes que les canards et les oies y trouvaient des mares pour leurs ébats; un épais fumier tenait lieu de dallage. Malgré la pénurie de la communauté, l'entreprenant sacristain fit activer les travaux; bientôt une nouvelle nef fut entièrement construite, le chœur fut décoré de colonnes et de stalles, la crypte fut déblayée, plusieurs autels furent érigés dans les cloîtres et les lieux réguliers devinrent habitables. C'est alors, le 27 août 1052, qu'eut lieu la consécration de la nouvelle église.
C'était en payant de sa personne que saint Gérard avait pu entraîner les fidèles à relever les pierres dispersées du sanctuaire aussi ses mains, devenues calleuses, portaient-elles les nobles stigmates de ses rudes labeurs. Ses infirmités habituelles n'éprouvaient aucune amélioration. Animé d'une inspiration céleste, il recourut à l'intercession de Saint Adélard, et lui fit vœu, s'il l'exauçait, de glorifier son culte et son nom. Peu à peu le mal diminua. Un jour qu'il venait de chanter la messe de chœur, le saint prêtre se prosterne devant l'autel qu'il avait fait dédier à Saint Adélard, et s'écrie au milieu de ses sanglots: « Saint Adélard ami du Christ, prenez pitié de moi, misérable entre tous, qui ai recours à vous ». Plein de confiance en son puissant protecteur, mais se sentant plus souffrant qu'à l'ordinaire, il va se coucher dans sa cellule. Bientôt il aperçoit, du côté de l'autel qu'il venait de quitter, un globe de feu qui l'inonde de lumière les nerfs semblent se tendre et se rompre dans sa tête endolorie, au milieu d'un bruissement extraordinaire. « O Saint Adélard, s'écrie-t-il dans son angoisse, secourez-moi! » Le malade était guéri. Fidèle à son vœu, Géraud composa des antiennes et des répons pour l'Office de Saint Adélard, rédigea un récit de sa vie, d'après le texte trop délayé de saint Paschase Radbert, et aussi quelques autres écrits peu importants.
Le biographe contemporain de saint Gérard nous rapporte ensuite les deux visions suivantes. Le sacristain de Corbie, pendant son sommeil, se vit transporté au seuil de la chapelle dédiée à Saint Michel, où Notre Seigneur se disposait à dire la messe. Des Archanges, des Anges et des Saints préparaient tout pour la divine liturgie. Quand ils furent tous rangés des deux côtés du chœur, Jésus demanda si tous ceux qui devaient assister à cette messe étaient bien présents: « Nous sommes tous ici, répondit le chœur céleste ». « Non, repartit Jésus-Christ, il y a un frère qui se tient à la porte et qu'il faut faire entrer ». Gérard se rendit à cet appel, prit place dans la sainte assistance et écouta la messe de la Toussaint qui commence par ces mots: « Gaudeamus omnes in Domino Réjouissons-nous dans le Seigneur ». Quand le religieux se fut réveillé, il réfléchit sur cette vision, comprit par là combien il était dans les bonnes grâces du Seigneur et résolut de se consacrer encore plus entièrement à son service. Une autre fois, il se crut transporté dans l'église Saint-Pierre, en face de la croix qui dominait l'arc triomphal entre le chœur et la nef. Les fidèles qui remplissaient l'église avaient les regards fixés sur la sainte image, quand, tout à coup, le Sauveur quitta la croix, descendit vers Géraud qu'il appela de son nom, et lui caressa le visage de la main, en disant: « Mon fils, mets ta force et ta confiance dans la puissance du Seigneur ». Après ces paroles, Jésus alla reprendre sa place sur la croix de l'arc triomphal, et cette nouvelle vision confirma notre Saint dans ses sentiments de ferveur et d'espérance.
Une caravane de pèlerins se disposait à partir de Corbie pour la Terre Sainte. Gérard souhaitait vivement en faire partie mais son abbé l'en détournait, non-seulement parce qu'il appréciait l'utilité de ses services, mais aussi parce qu'il craignait pour lui les périls de la route et les exemples d'autres moines qui s'étaient faits ermites dans le cours de leurs pérégrinations. Cependant Foulques, ne pouvant résister ni à la volonté de Dieu, ni aux sollicitations de plusieurs pieux personnages, finit par permettre à Gérard d'entreprendre ce voyage, mais à la condition expresse qu'il reviendrait à Corbie. Pendant ce pèlerinage, accompli vers l'an 1073, Géraud visita un bon nombre de sanctuaires renommés, et combla le plus cher de ses désirs en priant sur le tombeau du Sauveur.
Raynier, frère de saint Gérard, avait été élevé comme lui au monastère de Corbie. Les moines de Saint Vincent de Laon l'avaient choisi pour abbé en 1059. Ayant eu la douleur de le perdre au commencement de l'an 1074, ils voulurent le remplacer par saint Gérard, revenu tout récemment de son pèlerinage. Celui-ci, après avoir longtemps refusé un honneur dont il comprenait tout le fardeau, céda enfin aux sollicitations qui le pressaient. Mais il ne tarda point à regretter d'avoir acquiescé aux instances de l'évêque de Laon car ce fut en vain qu'il s'efforça de rétablir la régularité dans un monastère où les religieux étaient plus attachés aux biens du siècle qu'aux espérances du ciel. Voyant combien restaient infructueuses ses tentatives pour combattre les désastreuses conséquences de l'avarice, Gérard se rappela l'exemple de Saint Benoît abandonnant les moines de Saint Côme à leur sens réprouvé et, après cinq ans d'inutiles essais, il résolut enfin de quitter Saint Vincent pour aller vivre dans la solitude.
Un reclus, nommé Ebroïn, autrefois engagé dans la carrière militaire, vivait non loin de l'abbaye. Cinq chevaliers vinrent un jour le trouver, lui adressèrent leur confession et, après avoir déclaré qu'ils voulaient renoncer au siècle, ils implorèrent ses bons conseils. Ebroïn leur ménagea, dans sa cellule, une entrevue avec Gérard dont il recevait souvent les confidences et les entretint de leurs désirs mutuels. Tous résolurent de se consacrer en commun à la vie érémitique, et, sans savoir encore vers quelle solitude ils tourneraient leurs pas, ils se donnèrent rendez-vous à l'abbaye de Saint Denis, pour prendre le temps de régler chacun leurs affaires. Les cinq chevaliers dont nous venons de parler, et qui devaient si puissamment concourir à la grande œuvre de Gérard, avaient tous un glorieux passé. C'étaient Herblay, frère d'Yves, châtelain de Noyons, qui avait accompagné Philippe 1er dans les guerres de Flandre et de Bretagne; Guy, vassal de l'évêque de Laon; le châtelain Tiezzon, de la maison de Coucy, lequel avait pris part à la bataille de Cassel Gauthier de Laon, dont la sagesse égalait la bravoure, et Lithier qui visait en toutes choses à la perfection. Après en avoir obtenu la permission de l'évêque de Laon, de qui il tenait ses pouvoirs abbatiaux, Gérard quitta Saint-Vincent avec deux de ses religieux, Martin et Aleran ce dernier était son neveu. Les neuf voyageurs, qui ne paraissent pas avoir eu d'idée bien arrêtée pour le choix de leur solitude, entreprirent divers pèlerinages, après avoir vénéré les reliques du premier Pontife de Paris. C'est ainsi qu'ils visitèrent successivement Sainte Croix d'Orléans et le tombeau de Saint Martin à Tours. Là, ils rencontrèrent d'autres pèlerins qui revenaient de Rome et refusèrent les offres, par eux faites, de terres et de biens pour l'établissement d'un monastère. En arrivant à Poitiers, ils assistèrent à l'entrée de Guillaume VIII, comte de Poitou et duc d'Aquitaine, qui les interrogea sur le but de leur voyage. Édifié des réponses de Saint Gérard, le duc s'empressa de lui offrir les terres qu'il voudrait choisir dans sa province. Raoul, prévôt de la justice de Bordeaux, ayant signalé une forêt nommée Sylva major entre la Garonne et la Dordogne, lieu qui lui paraissait convenir aux desseins des pèlerins, Guillaume les fit conduire dans ces parages incultes où l'on ne pouvait pénétrer qu'en se frayant un chemin à l'aide de la hache.
Sur les ruines du château d'Hauteville se trouvait un oratoire en terre, dédié à la Vierge, et depuis longtemps abandonné. L'existence de ce sanctuaire et l'horreur même de cette solitude fixèrent aussitôt le choix de Gérard qui prit possession de cette retraite le 28 octobre de l'an 1079, jour de la fête des Saints Apôtres Jude et Simon. Plus d'une difficulté entrava cette nouvelle fondation bénédictine, qui devait bientôt devenir le siège d'une si importante congrégation. Écoutons Gérard nous raconter lui-même ses soucis et ses démarches. Une nuit que saint Gérard priait Dieu de lui faire connaître si sa fondation lui était agréable, il se laissa aller au sommeil et aperçut du côté de l'Orient un char traîné par deux bœufs. Soudain les deux bœufs se métamorphosent en un seul cheval enfin, le coursier fait place à Notre Seigneur attaché à une grande croix lumineuse dont le pied touchait la terre et dont le sommet atteignait les cieux. Après avoir adoré cette vision, le Saint se réveilla et comprit que Dieu approuvait le voyage qu'il avait entrepris et le terme qu'il y avait mis. Ce fut à cet endroit que, plus tard, il éleva l'église du monastère.
Les cinq chevaliers picards, qui portaient encore l'habit laïque, avaient fait vœu jadis d'entreprendre le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. Quand, avec la permission de l'Abbé, ils eurent accompli leurs promesses, ils revinrent à la Sauve et prirent alors l'habit de saint Benoît. Le 11 mai 1081, les religieux, au milieu de la forêt qu'ils avaient commencé à défricher, posèrent la première pierre du monastère, et le dédièrent à Notre Dame et aux Apôtres Saint Simon et Saint Jude. « La tradition rapporte que saint Gérard abattit un grand nombre de chênes qui occupaient le lieu où il voulait bâtir, seulement en les touchant avec un morceau de fer plat et épointé. Cette tradition est appuyée par le soin avec lequel on conserva depuis, parmi les reliques, ce fer garni d'un manche d'agate et enchâssé dans de l'argent doré, sous le nom de couteau de saint Gérard ». Les vertus du saint Abbé, son aspect angélique, la pureté de ses mœurs, la ferveur de ses prières, l'éloquence de ses instructions impressionnèrent vivement les populations qui vivaient aux alentours. On les vit se civiliser peu à peu et accourir se confesser a Gérard, qui leur imposait pour pénitence de jeûner le vendredi et de faire maigre le samedi, ce qui prouve qu'à cette époque l'abstinence de ce dernier jour n'était pas encore obligatoire dans le diocèse de Bordeaux.
Un concile s'ouvrit à Bordeaux le 9 octobre 1080, où furent condamnées les doctrines de Bérenger. Le duc d'Aquitaine exposa aux évoques réunis qu'il affranchissait les bénédictins de la Sauve de toute puissance laïque qu'ils auraient droit de comté et de justice que tout voyageur qui serait en la compagnie d'un moine serait défendu contre toute attaque ou injure enfin que le droit d'asile serait attribué, non-seulement à l'Église, mais à l'alleu tout entier. Gérard, voyant assuré l'avenir de son œuvre, placée sous la juridiction exclusive du Saint Siège, voulut alors se démettre de l'abbatiat. Mais Aimé, légat du souverain Pontife, qui assistait au concile, lui enjoignit de rester à son poste. La réputation du saint Abbé lui attira bientôt de nombreux disciples, parmi lesquels on distinguait le chevalier Arnaud, captai de la tour de Castillan en Médoc Raymond Mangot de Madirac qui, à un âge très-avancé, renonça au monde; Raymond Guillaume de Génissac, qui tenait un des premiers rangs dans la noblesse du pays; Achelin, archidiacre de Bordeaux, etc. De nombreux seigneurs des environs confièrent à Gérard l'éducation de leurs enfants mais il y eut d'autres personnages qui, loin de lui accorder leurs sympathies, lui suscitèrent de graves embarras. Plusieurs voisins, qui firent preuve de tracasserie, d'injustice ou de cruauté envers l'abbaye, sentirent la main de Dieu s'appesantir sur eux. Quelques-uns éprouvèrent un véritable repentir, réparèrent leurs torts et finirent leur vie purifiée au sein même de l'abbaye.
Saint Gérard ajouta à la règle de Saint Benoît des constitutions particulières qui ne nous sont point parvenues, mais dont on retrouve l'esprit dans les chartes de la Sauve et des prieurés qui en dépendaient. De plus, il régla sagement l'exercice de la justice sur les habitants qui étaient venus peu à peu se grouper autour du monastère. Le premier officier, qui prenait le titre de prévôt ou seigneur de la ville était l'hôtelier du monastère, secondé par un prévôt laïque. Au nombre des privilèges dont jouissaient les sujets de l'abbaye, nous voyons figurer l'exemption des impôts dus au roi et aux seigneurs, ainsi que l'exonération du service militaire. Parmi les œuvres les plus importantes de saint Gérard, nous devons signaler une association de prières avec un bon nombre d'abbayes des défrichements de forêts des exploitations de carrières des constructions de routes et de fours banaux l'établissement d'un marché hebdomadaire et d'une foire annuelle la fondation d'un couvent de femmes, non loin de la Sauve, et d'une vingtaine de prieurés en France en Espagne et en Angleterre.
Les deux anciens biographes de saint Gérard nous racontent les miracles suivants, accomplis pendant sa vie. Un habitant du diocèse de Limoges avait un enfant dont les pieds étaient tordus et difformes. Il invoqua pour lui le pieux Abbé dont la sainteté était connue dans ces contrées. « O Gérard a, s'écria-t-il, si ce qu'on dit de vous est vrai, délivrez ma famille de cette affliction a Soudain l'enfant fut guéri, et son père le conduisit à la Grande-Sauve pour y témoigner toute l'ardeur de sa reconnaissance. Guillaume Séguin d'Escoussans se rendit un jour à l'abbaye pour réclamer la communication de certaines chartes où il espérait puiser de nouveaux prétextes pour vexer les religieux. Mais, en prenant connaissance d'un document écrit par Saint Gérard, il sentit fondre sa haine et devint dès lors un des bienfaiteurs de la communauté. En 1094, la peste ravageait l'Aquitaine, et les populations affluaient à Limoges pour invoquer Saint Martial. Gérard, qui se dévouait aux soins des pestiférés, assista dans la capitale du Limousin à la translation des reliques du saint évêque. Il en porta une à son prieuré de Sémoy, près d'Orléans. Là, au moment où l'évêque de Clermont consacrait l'autel qui devait s'enrichir de ce précieux dépôt, un chevalier, qui venait d'injurier Saint Martial, fut soudain couvert de lèpre et perdit en même temps la vue et la raison. De vives supplications adressées à Gérard, avec un sincère repentir, délivrèrent le blasphémateur de cette triple affliction. De tous côtés on allait à la Sauve implorer l'intercession du saint Abbé qui, par ses prières, guérissait les fièvres et d'autres maladies, trouvant là occasion d'entreprendre aussi la cure des âmes. Des pèlerins emportaient de la poussière du tombeau que Géraud s'était préparé de son vivant, en saupoudraient de l'eau qu'ils buvaient et se trouvaient soulagés dans leurs maladies. D'autres obtenaient le même résultat en mangeant du pain bénit par le saint Abbé.
Saint Gérard, sentant les approches de la mort, réunit ses moines et leur adressa ses derniers conseils; il leur recommanda surtout de conserver l'esprit d'union et charité, de fuir les discussions intestines et de ne pas laisser introduire ces usages abusifs qui minent sourdement l'esprit de la règle. Après avoir reçu le Viatique, il donna à ses religieux sa bénédiction suivie du baiser de paix, et les congédia pour qu'ils fissent place aux Anges et aux Saints qui devaient conduire son âme au ciel. Saint Géraud mourut le 5 avril de l'an 1095, âgé d'environ soixante-dix ans. On l'inhuma du côté droit de l'église Notre Dame, au milieu d'un immense concours de nobles, de clercs, d'agriculteurs et de femmes, venus des environs et même de Bordeaux.
Culte et reliques de Saint Gérard
Les reliques de Saint Gérard, cachées pendant la Révolution et retrouvées seulement en 1830 par M. Peyrega, curé de Créon, ont subi depuis lors de nombreuses pérégrinations. Après avoir été déposées dans la chapelle de Notre Dame de Bon Secours en 1830, dans l'église primatiale de Saint André en 1854, dans le collège des Jésuites de la Grande-Sauve en 184, elles se trouvent aujourd'hui dans l'église paroissiale de Saint-Pierre, à la Grande-Sauve. Un ossement a été laissé à la chapelle de l'École normale établie dans les ruines restaurées de l'abbaye. On ne connaît que deux reliques de saint Gérard dans le diocèse d'Amiens, l'une chez les Carmélites d'Amiens, l'autre (une dent) à l'église paroissiale de Corbie. Le bras (cubitus) richement enchâssé, que l'on conservait à l'abbaye de Saint-Vincent de Laon, a été soustrait par de pieuses mains aux profanations de 1793. Cette relique, ainsi que plusieurs autres, furent remises au premier curé de Saint Martin de Laon. Leur authenticité a été canoniquement reconnue, sur la demande du curé actuel, M. Baton, qui a restauré sa belle église avec autant de zèle que de goût. Le culte de saint Gérard parait s'être établi, du moins dans une certaine mesure, immédiatement après sa mort. Les miracles accomplis sur son tombeau firent solliciter sa canonisation par l'archevêque de Bordeaux et quelques autres prélats. Le pape Célestin III publia une bulle de canonisation, le 27 avril 1197. La fête fut solennisée le 21 juin, date de l'élévation du Saint. Ce jour fut bien plus généralement adopté que le 5 avril, jour de la mort, parce que cette dernière date coïncide souvent avec la quinzaine de Pâques. Beaucoup de martyrologes placent Saint Gérard au 31 octobre. Au XIIe siècle, cinquante-cinq paroisses, dont vingt-quatre du diocèse de Bordeaux, payaient un cens pour l'entretien du luminaire qui brûlait devant le tombeau de Saint Gérard. Cette coutume, interrompu a au XIIIe siècle, fut rétablie par les statuts que Henri de Genève, archevêque de Bordeaux, publia en 1292. L'adoption de la liturgie romaine a entrainé la suppression de cette fête dans le bréviaire amiénois, où elle n'avait été introduite qu'au XVIIIe siècle. Le culte de Saint Gérard était tombé en désuétude dans le diocèse de Bordeaux. Son nom, absent des Propres de 1728 et de 1828, reparait dans celui de 1854. Le pape Célestin III canonisa notre Saint avec les solennités ordinaires, l'an 1197, et en publia la bulle le 27 avril. Ce fut cent deux ans après sa mort. Peu de temps après cette canonisation, on inséra son nom dans les martyrologes au 13 octobre. Le culte public rendu en ce moment aux saintes reliques de saint Géraud, dans le diocèse de Bordeaux, consiste dans une procession solennelle, qui a lieu tous les ans le jour de la fête du Saint. La magnifique abbaye était restée intacte pendant les jours déplorables de la Révolution. Elle fut détruite par la cupidité des paysans, acquéreurs de ce bâtiment. On voulut faire argent du plomb, du fer, des pierres, et bientôt ses cloîtres, son réfectoire, sa splendide basilique, furent détruits. Il ne reste de cette magnifique abbaye que des ruines, une voûte dans un bas-côté, quelques sculptures de toute beauté, et des pans de murailles, dans lesquels on aperçoit encore des croisées portant le cachet de l'époque où elles ont été construites. M. Godefroy, maire de la Sauve, empêcha l'entière destruction de ce beau monument, en l'achetant pour le compte de la commune. Puis Mgr Donnet, voyant ces magnifiques ruines, en fit l'acquisition et y établit une maison d'éducation, dirigée par des ecclésiastiques. Cette entreprise ne réussit pas, et la maison fut vendue aux Jésuites, qui y ont eu un collège, jusqu'à leur établissement à Bordeaux. Pendant le temps qu'ils ont été à la Sauve, les Jésuites ont doublé, triplé la maison, et l'ont appropriée de manière à pouvoir contenir plus de deux cents élèves. En ce moment, elle est occupée par l'École normale du département. An cimetière de la Sauve, il y a une pierre tumulaire que les archéologues croient avoir couvert te tombeau de Saint Gérard.
Texte extrait des Petits Bollandistes de Monseigneur Guérin, Volume 4, Paris, 1876
De nos jours, l'on peut toujours voir et vénérer les reliques de Saint Gérard en l'église Saint Pierre de la Sauve (quand elle est ouverte, ce qui est moins évident malheureusement), l'abbaye, classée Monument Historique, est devenue un musée, et elle est très visitée.
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