Saint Fort de Bordeaux
Saint Fort de Bordeaux
Fête le 16 mai
A Bordeaux, la mémoire de Saint Fort, Evêque et martyr, se renouvelle tous les ans par des offices publics. Ce saint Martyr, aussi populaire chez les Latins que chez les Grecs, très populaire dans plusieurs paroisses du diocèse de Bordeaux, aurait été décapité avec deux enfants et après plusieurs tourments. Il est presque toujours représenta attaché à un chevalet on tenant un peigne de fer.
L'histoire se tait sur saint Fort et n'a rien qui puisse fixer avec certitude le sens des monuments où l'on croit le voir soit en la Basilique Saint Seurin de Bordeaux, dont la crypte lui est consacrée tout entière, soit dans plusieurs églises du diocèse. Mais ce silence de l'histoire n'est-il pas une preuve de l'éloignement considérable de l'époque à laquelle il appartint? En général, plus les Martyrs se rapprochent du berceau du Christianisme, plus leurs Actes ont étés brefs, rares et difficiles à conserver. C'est leur caractère, que de n'avoir laissé que de leur vie, la gloire de leur martyre. Nous sommes porte à croire que Saint Fort fut institué Evêque de Bordeaux par Saint Martial, au 1er siècle, qu'il fut le premier Evêque de cette ville, et qu'il est le même que Sigebert, dont il est question dans la légende de Saint Martial, de Sainte Véronique, et de Saint Amadour. Sigebert, nom d'origine Germanique, introduit dans une scène qui se passe au 1er siècle, dans une province romaine, offre une difficulté. Mais si l'on admet, et la chose a été prouvée, que la légende de Saint Martial a été rédigée au 6e siècle, on admettra aussi que l'auteur n'a fait que traduire le nom latin de saint Fort par le mot qui mot qui correspond dans la langue des Francs, venus d'Outre Rhin, car Sigesbert signifie « Homme fort par la puissance ». Sigesbert se compose du tudesque « Sieg » (Sige en anglo-saxon), victoire; et de Boerth, célèbre, illustre. Selon d'autres, il se formerait de Sieg ou Sigh, victoire et « werth », ou bien de Sieg, victoire; et de Barda, chantre, vainqueur. Ou enfin, Sigebert signifierait « Barbe victorieuse ». Ces variantes se modifiant par la signification, que renferme tout entière le latin « Fortis » ou le français « Fort ». (Dictionnaire de Trévoux).
Notons encore que le nom de Sigebert était si fréquemment porté au 6e siècle, qu'il est très probable que le chroniqueur aura voulu faire sa cour a quelque seigneur ou Evêque en traduisant Fort par Sigebert; ce en quoi in ne manquerait point en la vérité historique. N'en faisant pas autant tous les jours en traduisant William ou Wilhem par Guillaume, Sant Yago par saint Jacques et Céphas par Pierre? Du reste, il faut reconnaitre que les écrivains du vie et du vue siècle (âge d'or de la légende) poussaient trop loin la manie de la traduction, de l'Interprétation et du commentaire. Ce sont les surcharges qui ont été ajoutées aux écrits de saint Martial, de Saint Denis l'Aéropagite, de Saint Clément, etc., par exemple, qui ont longtemps fait rejeter des ouvrages parfaitement authentiques. A ceux auxquels ne sourirait pas cette étymologie, nous dirons: il vous en reste une autre. Le premier évêque de Bordeaux, quel qu'est été son nom primitif, aura conservé le nom de Fort, c'est à dire « le Martyr premier », le Martyr par excellence de la contrée. Le sens est le même, et nous rapporte à l'époque de ma naissance du Christianisme. Ainsi, dans la crypte de la Cathédrale Notre Dame de Chartres, il y a, près de l'autel de la Vierge, un puits appelé « Puits des Saints Forts ».
La tradition reconnaît les traits de Saint Fort de Bordeaux dans une statue qui occupait autrefois la place d'honneur, sous un dais, au centre de la façade occidentale de Saint Seurin. Le personnage de cette statue porte le pallium et la chasuble; la main droite bénit; la gauche tient la crosse. L'Evêque que représente la statue, est remarquable par son air de jeunesse, et ne peut en tout cas que représenter Saint Fort ou Saint Seurin. La voix publique lui a toujours donné le nom de Saint Fort, son air de jeunesse le lui confirme. Saint Seurin, venu de Cologne, chargé d'années, n'apparait jamais que comme un vieillard. Saint Fort, au contraire, est jeune dans la peinture, jeune dans sculpture; il n'a pas eu le temps de vieillir à une époque ou les bourreaux se pressaient plus que les années. La tradition et l'art s'accordent donc pour lui attribuer cette statue. Quand on voit Saint Fort donner, en 1738, son nom à la Rue Putoye, on peut accuser cette preuve d'un culte populaire d'être bien moderne; mais lorsque l'on voit poser, dès le XIVe siècle, l'entrée principale d'une Basilique, qui porte le nom de Saint Seurin, on ne peut nier qu'il ne fasse nette concurrence avec ce Saint, on dirait même qu'il l'emporte sur lui. A Saint Seurin, appartient l'église supérieure, mais la crypte est demeurée le domaine de Saint Fort. Enfin, le culte de Saint Fort est plus célèbre, plus populaire, plus général que celui de Saint Seurin lui-même.
Il ne suffit pas, pour expliquer cette différence, de recourir à l'hypothèse de l'influence exercée sur le peuple par le nom lui-même. Ce serait déjà une consécration très importante de ce nom. Si l'on considère en effet, qu'on ne sait rien d'historique sur la vie de saint Fort, pas même un fait qui autorise à trouver une raison de sa protection sur les enfants pour lesquels on lut demande la force et l'accroissement, on peut être tenté de croire que cette confiance n'a été inspirée aux populations rurales que par un de ces calembours qui, en bien d'autres occasions, ont fait tirer du nom d'un saint tel patronage qu'aucune tradition ne consacre. Mais ce fait, cette raison historique de sa protection sur les enfants ne se trouve-t-elle pas dans sa qualité de premier évêque et de premier martyr? Le peuple ne professe-t-il pas partout cette même confiance envers ceux qui lui ont apporté la Foi et l'ont signée de leur sang? Saint Eutrope, Saint Fiacre, dont le nom ne se prête pas à une interprétation semblable, ne sont-ils pas invoquées en faveur des enfants dans la Saintonge, le Poitou, la Guyenne, l'Artois, la Brie, l'Auvergne, etc, etc...?
La crypte garde son tombeau, et l'église supérieure sa chasse,. Te tombeau et la châsse de partagent son corps. A ce corps vénérable tient l'authentique sur parchemin da cardinal de Sourtis. Mgr Charles-François d'Aviau du Bois de Sanzai, en 1827 et Mgr Donnet, en 1847, ont oonnrmé la croyance du passé. « C'est de l'inscription que portaient ces reliques, disait Mgr d'Aviau, d'une authentique tradition et du témoignage des anciens et des grands de cette ville que nous les avons reconnues comme vraies reliques de ce saint Martyr ».
On célèbre la fête de saint Fort avec procession, avec Office en musique et panégyrique; sa confrérie ne laisse passer aucune année sans solliciter du Chapitre la même pompe. Autrefois, les maires, clercs, procureurs et prévôts de Bordeaux venaient, selon les statuts, « jurer sur les reliques de saint Fort que bien et loyalement ils se porteraient en leur office et exercice envers lui ». Montesquieu a vu plusieurs fois pratiquer cette cérémonie religieuse sans se permettre la moindre observation sur la réalité du corps de Saint Fort, que quelques-uns ont rejeté en doute. Michel de Montaigne, en sa qualité de maire de Bordeaux, a prêté serment sur le bras de Saint Fort sans protestation aucune. Un grand nombre d'églises sont dédiées a saint Fort dans le Bordelais, le Poitou, la Saintonge et jusque dans le Quercy et l'Anjou. D'autres ont une chapelle ou un autel. Dans quelques-unes, on solennise sa fête; dans beaucoup d'entre elles, le 16 mai est marqué par un concours d'enfants que l'on apporte a la messe et aux Evangiles. La célébrité resplendissante de ce nom et de ce personnage se retrouve jusque dans les foires nombreuses dites de Saint-Fort et qui se tiennent non seulement à Bordeaux, mais dans une foule de lieux éloignes les uns des autres.
Les noms assez peu académiques, mais très-populaires, de kermesse, de ducassie, de benichon, de foie (féria, férie, fête), qui désignent dans diverses provinces la grande fête de chaque village, ne témoignent-ils pas que toutes les grandes joies ont eu leur point do départ au jour où la Messe a été pour la première fois célébrée solennellement en chacun de ces lieux? En sorte que l'Allemagne luthérienne, dans le nom de ses grandes foires commerciales, proclame encore, sans y songer, que, pour les fondateurs de ces rendez-vous, la célébration du Saint Sacrifice catholique était le vrai signal et comme l'ouverture légale d'une fête. Nous ferons remerquer que la plupart des anciennes foires ne sont pas d'institution administrative, mais d'origine ecclésiastique. Les édits de nos rois ne faisaient guère que réglementer des réunions commerciales qui devaient leur origine à la célébration d'une solennité religieuse. L'anniversaire de la dédicace des églises, les fêtes patronales amenaient une grande affluence. Les marchands y étaient attirés par l'espérance d'un débit facile, et les fêtes de l'église Catholique devenaient bientôt les fêtes du commerce. C'est le concours des pèlerins attirés par le culte des reliques qui a donné naissance à la Rémi à Reims, de Saint-Florent a Roye, de Saint Fort à Bordeaux et à Uzeste, de Saint Michel à Marseille, de Saint Jean Baptiste à Saint Jean de Maurienne, etc. Le mot « foire » confirme cette origine. C'est nne transformation, non pas de forum, marché, mais de feria, fête, conservé plus intégralement dam la vieux français « , dans l'espagnol feria et l'italien fiera.
Bibliographie: L'excellent livre de M. l'abbé Cirot de la Ville, professeur à la Faculté de théologie de, Bordeaux, intitulé « Les Origines chrétiennes de Bordeaux ».
Texte extrait des Bollandistes, volume 5
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