Saint Athanase de l'Athos
Saint Athanase de l'Athos
930-1000
Fête le 5 juillet
Préambule
Je vais vous conter la vie d'Athanase le trois fois bienheureux, celui qui fut moine au Mont Athos. Ce récit, je l'ai pris à bonne source, puisque je le tiens à la fois de la bouche de ses disciples et des écrits qu'ils nous ont laissés en héritage, un héritage bien précieux et qui doit nous servir d'exemple pour sanctifier notre vie. Aussi commencerai-je par le commencement, c'est-à-dire par où ce grand saint a fait son entrée dans la vie : par sa première naissance. Comment l'enfant Abraham devint orphelin de bonne heure, et à quel jeu il jouait avec ses camarades. L'illustre cité de Trébizonde le vit naître, Byzance le fit croître spirituellement, Kyminas et l'Athos le rendirent agréable à Dieu. La cité où il vit le jour est admirable entre toutes pour ses richesses et pour ses hommes bons et vertueux. Ses parents naquirent eux-mêmes en cette cité, quoiqu'ils fussent d'origines différentes : ses ancêtres paternels étaient d'Antioche la Grande, et ses ancêtres maternels de l'incomparable ville de Kolchis. Ils étaient nobles, riches et connus de tous, mais l'enfant qu'ils eurent leur donna un nouveau titre de gloire, d'honneur et de félicité. Pourtant son père mourut avant sa naissance, et sa mère, l'ayant mis au monde et nourri de son lait, et lui ayant donné le nom d'Abraham, mourut après quelque temps et alla rejoindre son mari. Ainsi donc Abraham devint orphelin de père et de mère, mais il ne fut pas privé de la sollicitude de Dieu, le Père de orphelins. Une femme noble et riche, vivant dans la virginité et l'état monastique, connue et charitable, servit de mère à l'enfant. Affligée de sa condition d'orphelin et de sa solitude, elle lui montra la tendresse d'une vraie mère, le prit, le nourrit et l'éleva dignement et pieusement. Aussi, en grandissant, ce noble enfant n'eut pas un caractère sauvage et indiscipliné, il ne devint pas gourmand, et ne s'adonna pas aux choses viles et sacrilèges, mais en tout, il montra un jugement prudent, sage et vraiment digne du grand Abraham. Lorsqu'il jouait, son jeu était comme une prophétie : quand ils se rassemblaient pour le jeu, ses compagnons occupaient une grotte des environs et ils ne l'élisaient pas roi ou général, ni n'en faisaient un époux, ainsi qu'il est coutumier aux enfants, mais ils le consacraient chef et législateur de la vie monastique, et ces enfants lui étaient soumis et le considéraient comme leur maître. Dieu le désignait donc d'avance comme le chef et le pasteur de nombreux troupeaux, ce qu'il devint plus tard, attirant à lui dans la suite ces mêmes enfants qui jouaient avec lui.
Comment le jeune Abraham reçut de sa protectrice le goût de la sagesse et de l'étude
Comme la moniale qui nourrissait maternellement Abraham persévérait continuellement dans les jeûnes et les prières, l'enfant la voyant agir de la sorte trouvait ce spectacle inaccoutumé et étrange et, voulant en savoir la cause, il la lui de-manda. Elle lui répondit : "Enfant, nous qui portons cet habit, nous devons passer des veilles dans les jeûnes et les prières, parce que notre ennemi le diable nous entoure chaque jour; comme un lion cherchant à dévorer quelque chrétien". Abraham l'entendant, tressaillit de joie et dès lors il décida d'abandonner tout ce qui était enfantin et de vivre dans la sagesse et la continence. A partir de ce moment, l'enfant reçut la crainte de Dieu, commencement de la sagesse; avec elle il reçut le désir de Dieu, il s'engagea dans les choses divines et s'y fortifia par la grâce de l'Esprit. Ainsi s'adonnant sans tarder à la grammaire pour pou-voir lire les livres saints, il faisait l'étonnement de son maître et de ses condisciples, car il était naturellement bien doué et passionné de savoir.
Du collecteur d'impôts qui l'amena à Constantinople, et de son maître
Lorsqu'il eut dépassé l'âge de l'enfance, cette femme admirable, la mère adoptive d'Abraham, mourut. Du reste, elle avait eu le grand désir que ce jeune homme remarquable se rendît dans la cité impériale pour y apprendre la grammaire. Pour réaliser ce désir, rien ne rebutait l'adolescent, ni l'absence d'une sollicitude humaine, ni la tristesse d'être orphelin, ni aucune autre privation de ce qui est nécessaire au corps; mais il manquait de ressources pour réaliser son dessein. Pourtant Dieu, qui donne les ressources à ceux qui sont dans le dénuement, l'aida à atteindre son but par l'entremise d'un bienfaiteur. Sous le règne de l'immortel empereur Romanos qu'on appelle l'Ancien, pour le distinguer du jeune, un eunuque, col-lecteur d'impôts, fut envoyé à Trébizonde, Voyant l'enfant instruit, très consciencieux et réellement rempli de Dieu, il l'aima beaucoup et le prit comme compagnon de vie. Lorsque ce col-lecteur d'impôts voulut retourner à Constantinople, il emmena avec lui l'enfant à cause de sa vertu, lequel le suivit volontiers, poussé par son désir des lettres. Tous deux étant entrés dans la capitale, le collecteur d'impôts trouva à l'enfant un maître remarquable par ses connaissances. L'enfant, qui était d'une intelligence pénétrante et peinait sans cesse sur ses leçons, ne négligeait pas la vertu et pratiquait une continence rigoureuse et une abstinence sévère. Autant il nourrissait son esprit aux leçons de la philosophie, autant il domptait sa chair. Il s'était appliqué la parole de saint Paul, que tout ce qui est permis ne convient pas. (cf 1 Cor 6,12)
Du général Zéphinézer qui le prit sous son toit
Il y avait alors à Byzance un homme appelé Zéphinézer, revêtu de la dignité de général, qui avait marié son fils à une parente d'Abraham. Celui-ci reconnu, alla dans la maison du général. Sa belle-fille, mue par les liens du sang, l'invita à habiter avec son mari et son beau-père, et elle lui dit : "Cher ami, ne préfères-tu pas ta famille à des étrangers ?" Il acquiesça à cette invitation après de pressantes instances de leur part.
Des terribles pénitences que s'imposait l'adolescent
Mais, ayant déjà embrassé de toute son âme la continence et la vie ascétique, il voulait un genre de vie adapté à ses aspirations, ce que ses parents supportaient avec tristes-se; en effet, ils n'arrivaient pas à le faire manger avec eux. Deux serviteurs étaient placés à son service. Sa nourriture quotidienne lui était apportée par leur intermédiaire : du pain blanc, des pois-sons et des fruits, ou quelque douceur qui puisse être agréée par un ascète. Ses parents pensaient qu'il mangeait ce qu'on lui envoyait, mais il abandonnait tout à ses familiers, et, repoussant le pain blanc, il leur demandait d'acheter un pain d'orge d'un sou qu'il grignotait en deux jours. Que si parfois son corps avait besoin d'être réconforté, il le satisfaisait par des légumes crus et des fruits. Le remède à la soif était pour lui l'eau pure. Il se rassasiait par une abstinence prolongée et souvent il se complaisait avidement dans de longs jeûnes. Il considérait la malpropreté comme une jouissance et pendant l'hiver la nudité lui paraissait chaleur. Ainsi donc il tyrannisait et torturait sa chair. Chaque fois qu'il était accablé par le sommeil, il remplissait un bassin d'eau; il y trempait son visage et le sommeil était bien vite chassé; lorsqu'il faisait cela pendant l'hiver, son visage était couvert de givre. S'il prenait un peu de repos, il dormait non sur un lit mais sur un siège.Ainsi donc, ennemi implacable de son corps, il était bon pour les pauvres, compatissant et charitable, soit qu'il eût quelque chose, soit qu'il n'eût rien; en effet, ce qui lui était donné par ses amis ou ses parents, il le donnait aux indigents. Lorsqu'il n'avait rien, si quelque malheureux qui le rencontrait avait besoin de quelque chose, Abraham , tout enflammé de bonté envers lui, se retirait dans un endroit caché et se dépouillait de ses vêtements en sa faveur, ne gardant, même en hiver, que son habit de dessus pour couvrir son corps. Ce que voyant, les serviteurs en avisaient leur maîtresse, et les parents, pris de pitié, surtout à cause du grand froid, lui donnaient un autre vêtement et le contraignaient de force à s'en vêtir. Soumettant donc royalement sa chair, comme on dit, illuminant son âme et éclairant son esprit des leçons de la sagesse, il était considéré comme un moine avant de recevoir l'habit monastique et, avant d'avoir la charge pastorale, comme un vrai pasteur.
Comme le jeune Abraham devint un maître réputé, et du succès qu'il remporta
La vertu de sa vie, la beauté de son caractère, sa grande bonté; la douceur de sa parole, la richesse de sa sagesse et de sa science l'avaient fait respecter et chérir de tous. Aussi ses condisciples, qui l'aimaient beaucoup et avaient acquis une grande confiance en lui, l'élirent maître, et étant allés auprès de l'empereur, ils le lui demandèrent avec insistance : "L'admirable Abraham, Seigneur, qui a beaucoup de connaissances et de vertu, est digne d'être consacré notre maître". Apprenant sa valeur, l'empereur le créa maître sur-le-champ mais comme il était très lettré et très sage, une foule d'écoliers fréquentaient ses leçons; ils étaient nombreux et il y eut même parmi eux des disciples de son ancien maître. Pourtant Abraham qui ne voulait pas offenser ce dernier, s'efforçait de les repousser et de les détourner. Mais comme ils refusaient d'abandonner son enseignement, il descendit de sa chaire, quitta tous les biens terrestres et vécût pour Dieu dans la solitude. Par là il parut grand aux yeux et tous fut loué et obtint une grande gloire parmi les hommes.
Comment Abraham rencontra le saint moine Michel Maleïnos et le stratège Nicéphore Phocas
Mais Abraham, considérant comme une honte et un péché d'être glorifié, voulut fuir complètement le monde et s'adonner au service de Dieu.Comme le général qui l'avait recueilli avait été chargé du commandement de la mer Egée, et qu'il avait une grande tendresse pour Abraham, il prit son protégé avec lui. Faisant voile d'abord vers Abydos, ils arrivèrent de là à Lemnos. Dieu disposait tout cela et prévoyait une future retraite pour Abraham; en effet, apercevant de loin l'Athos, Abraham eut un intense désir de s'y rendre. Ils s'en retournèrent cependant dans la ville impériale. Or, par une permission de la Providence, il arriva que le très saint Michel Malaïnos venant du monastère de Kyminas s'y trouvait. Abraham, ayant appris que cet homme était très grand par sa vertu, voulut profiter de ses paroles utiles aux âmes et obtenir ses prières. Il s'approcha du vénérable vieillard, et lorsqu'il eut prêté attention à ses discours, il ressentit un plus intense désir de fuir le monde et lui découvrit aussitôt son projet de retraite. Dès que le vieillard l'eut entendu, il reconnut qu'Abraham devait être l'instrument de l'Esprit saint, et il se réjouit dans son coeur de sa science, de sa vertu et de sa bonne volonté. Cela ne se fit pas sans Dieu, et c'était l'oeuvre de sa Providence. Car pendant qu'ils conversaient encore ensemble, survint près du saint homme son neveu et futur empereur, le stratège d'Anatolie, le célèbre Nicéphore. Or, le bon Nicépore, dont le jugement était très profond, voyant le regard du jeune homme, son maintien et toute son attitude, fut pris d'admiration et dit à son oncle : "Quel est cet homme, mon père, d'où et par la grâce de qui est-il venu ici ?" Et ayant appris du vieillard tout ce qui concernait Abraham et son désir de se faire moine, il retient tout cela en sa mémoire.
Comment Abraham revêtit l'habit des moines au Mont Kyminas et changea son nom pour celui d'Athanase.
Mais déjà le divin Michel Maleïnos quittait Byzance et retournait à Kyminas. Abraham d'autre part, brûlant d'être revêtu de l'habit des moines, se rendit près de ce grand vieillard et, s'approchant de lui, il lui demanda de recevoir l'habit monastique. Le vénérable le couvrit aussitôt du divin et saint habit et l'appela Athanase au lieu d'Abraham. Bien que ce ne fût pas l'habitude au Mont Kyminas de revêtir les moines d'habits de crin, ce saint père, prévoyant pour Athanase une vie remplie de luttes, le revêtit de l'armure la plus lourde, l'habit de crin, et l'équipa comme un soldat du Christ. Athanase ayant jugé bon de ne prendre de la nourriture qu'une fois la semaine, le vieillard brisa sa volonté en l'obligeant d'en manger tous les trois jours; et, comme celui-là voulait dormir sur un siège, il lui or-donna de s'étendre par terre sur une natte de jonc. Non seulement Athanase se soumettait, mais il travaillait dans les services de l'église et faisait de la calligraphie, selon l'ordre de son vénérable père. Pendant quatre ans il mena la vie ascétique et il accomplit toute espèce de combats dans une continence constante, des jeûnes nombreux, des veilles, des stations et des métanies pendant toute la nuit, de pénibles travaux nocturnes et des sueurs pendant le jour, cela en toute obéissance et soumission.
Comment Athanase devint ermite
Ayant bien purifié son esprit par ce genre de vie et ayant goûté les divines contemplations, Athanase put être séparé du vénérable Michel et conduit dans la grande voie de l¹hésychiasme, en un endroit distant d'un mille de la Laure. Au moment où il le quitta, le vieillard ordonna à Athanase de ne plus manger une fois tous les trois jours, comme il en avait pris l'habitude, mais seulement tous les deux jours un pain sec avec un peu d'eau et, pendant les trois carêmes, de se nourrir pour cinq jours; de ne plus se coucher par terre sur une natte de jonc, mais de recommencer à le faire sur un siège comme auparavant, et de passer la nuit en prière et en louanges à chaque fête du Seigneur et les dimanches de chaque semaine, depuis le soir jusqu'à la troisième heure. En lui ordonnant ces choses, le vieillard le détourna de nouveau de sa volonté propre et il excitait, par sa générosité, les autres moines eux-mêmes aux luttes ascétiques.
De la visite que lui rendirent Nicéphore et Léon Phocas
Le stratège d'Anatolie, Nicéphore, dont nous avons parlé, était en visite à Kyminas suivant son habitude, et fut reçu par son oncle, Michel Maleïnos. Il parla au vieillard et en causant l'interrogea sur Athanase. Sur ces entrefaites arriva aussi le patrice Léon, général des armées d'Occident et frère de Nicéphore. Le vieillard le voyant donc venir leur dit : "Vous arrivez au bon moment, mes très chers fils, pour que je vous montre quel trésor j'ai en la personne d'Athanase". Et comme ceux-ci désiraient l'aller visiter, ils se rendirent en l'ermitage. Athanase, sortant de sa retraite s'entretint avec eux. Sous le charme de ses paroles, ils furent tellement captivés que s'en retournant, ils dirent au vieillard : "Nous te rendons grâces, père, de ce que tu nous as montré ton trésor". Ils ouvrirent donc leur coeur à Athanase, et ils furent frappés d'admiration pour son enseignement. Nicéphore prenant à l'écart Athanase lui découvrit en secret son désir : "Je voudrais, père, me retirer de l'agitation du monde et j'ai décidé de renoncer à toutes les mondanités et de servir Dieu autant que possible; si toutefois tu me donnes ta parole à partir d'aujourd'hui, je mets en toi tout mon espoir". Athanase répondit : "Confiez-le à Dieu, mon enfant, Lui-même pourvoira".
Pour quelles raisons Athanase s'enfuit de Kyminas
Dans la suite, Michel Maleïnos, le père spirituel d'Athanase, lui envoya tous les sénateurs et les grands qui venaient pour obtenir des prières, afin qu'il les bénît et prît soin de leurs nécessités spirituelles. Mais Athanase, qui avait horreur de la gloire et fuyait cette charge, ayant entendu dire que ce grand vieillard voulait lui confier la direction de son troupeau, songea à abandonner sa retraite et à se diriger vers l'Athos, comme il le souhaitait depuis longtemps. S'estimant indigne d'être pasteur d'âmes, il avait cette charge en horreur à cause du grand nombre de soucis qu'elle comporte; il s'enfuit de là, ne prenant avec lui rien d'autre que deux livres qu'il avait écrits de sa propre main, les quatre évangiles et les Actes des apôtres, avec la coule sacrée de son père, qu'il emportait dans la vie comme un talisman utile à l'âme et dont il ferait son linceul au moment de sa mort.
De la vie parfaite des moines athonites
Arrivé à l'Athos et l'ayant parcouru dans tous les sens, il vit qu'un grand nombre de moines y pratiquaient l'ascèse et il admira leur vie érémitique rude et constante. Ces bons pères n'avaient pas de travaux agricoles, ils n'étaient pas mêlés aux affaires du monde ni préoccupés de soucis matériels; ils n'avaient ni bêtes de somme, ni ânes, ni chiens, mais, construisant des cabanes de chaume, ils y résidaient l'été comme l'hiver, brûlés par le soleil et gelés par le froid. S'il fallait porter une charge, ils le faisaient eux-mêmes; posant des couvertures sur leurs épaules, ils soulevaient le fardeau et le transportaient à l'endroit voulu. Leur nourriture se composait de noix, de châtaignes et d'autres fruits. Que si quelqu'un abordait en bateau en quelque endroit de la montagne avec une intention pieuse, ce qui arrivait souvent, alors ils en recevaient du blé, du millet, ou quelque autre espèce de semence et ils lui donnaient des fruits en échange. Cela ne se pratiquait pas sans crainte, mais avec circonspection, à cause des incursions, autrefois habituelles, des impies Crétois, qui, se met-tant en embuscade dans le creux des rochers, saisissaient ceux qui passaient et tuaient beaucoup de moines de la sainte Montagne.
Comment Athanase se cacha sous le nom de Barnabé
A son arrivée, Athanase apprit que le patrice Léon, frère de Nicéphore, avait été promu général de tout l'Occident, et, craignant d'être reconnu, il prit le nom de Barnabé au lieu d'Athanase. Parvenu au monastère de Zygos, et y trouvant un vieillard très simple et paisible qui vivait solitaire en dehors de ce monastère, il s'approcha de lui. Le vieillard le regardant simple-ment lui demanda : "Qui es-tu, frère, et d'où viens-tu et pour quel motif es-tu entré ici ?" Athanase lui répondit : "J'étais marin, père, et, me trouvant en danger, j'ai promis à Dieu d'abandonner toutes les choses mondaines et de pleurer mes péchés, et pour cela j'ai revêtu ce saint habit. Dieu me conduisant, je suis venu ici vers ta sainte personne, désirant vivre avec toi et être conduit par ta main dans la voie du salut". Le vieillard, croyant sans malice et sans méchanceté à ce pieux stratagème, reçut le soi-disant Barnabé, qui le suivit comme son propre père. Il était soumis en tout à sa volonté, et accomplissait avec lui les préceptes du Seigneur. De plus, comme le vieillard était impuissant au travail en raison de son âge, le jeune homme suppléait à son indigence.
Comment Athanase fit l'ignorant par humilité
Mais lorsqu'à la suite de nombreux efforts et de progrès spirituels, Athanase eut rempli les charges les plus humbles, il désira atteindre le sommet de l'humilité. C'est là, me semble-t-il, la recherche la plus importante. Comprenant que, selon la parole évangélique, celui qui s'humilie comme un enfant sera plus grand dans le royaume des cieux, il s'adonna tout entier à cette vertu. Il avait déjà persévéré quelque temps au service du vieillard, quand il s'approcha de lui en disant : "Enseigne-moi les éléments des lettres, père, afin que j'apprenne à lire le psautier : car dans le monde, sauf le métier de rameur, je n'ai absolument rien appris". Le vieillard prenant une tablette, y grava l'alphabet. Quant à Athanase, après avoir reçu la tablette écrite et fait une métanie, il se comporta comme un débutant. Il feignait de ne pouvoir comprendre certaines lettres, au point que le vieillard finit par s'impatienter et, dans sa colère, le repoussa. Mais l'admirable Athanase lui dit : "Ne refuse pas de poursuivre l'épreuve, père, car je suis ignorant et rustre, mais aie patience, et par tes prières aide-moi". Mais le vieillard demeura inflexible.
Que Nicéphore fit rechercher Athanase
Lorsque l'immortel Nicéphore, qui avait déjà reçu le commandement de toute l'Anatolie, apprit ce qui concernait son père Athanase, sa fuite et son changement de résidence, il tomba dans le découragement, le deuil et la perplexité et voulut le rechercher. Il se souvint cependant de l'Athos car ils s'en étaient entretenus ensemble, et écrivit au gouverneur de Thessalonique : "Rends-toi au plus tôt à l'Athos, lui dit-il, et fais-y enquête minutieuse sur le moine Athanase, mon très vénéré père; fais-moi cette grâce, qui est plus grande pour moi que toute autre". Il ajouta les traits distinctifs d'Athanase, son visage, sa science et sa remarquable vertu. Au reçu de cette lettre, le gouverneur se hâta de rechercher Athanase. Il se rendit donc aussitôt sur la montagne et, saluant le Protos, il l'interrogea à ce propos. Celui-ci de le rassurer en ces termes : "Cet homme, que ton glorieux ami recherche, n'a pas résidé sur la montagne, ou du moins je l'ignore; mais puisqu'échoit l'époque de la synaxe, s'il est ici, il sera certainement à la réunion avec les autres". Ils en restèrent là et le gouverneur s'en retourna, mais le Protos n'oublia point sa demande.
Comment Athanase fut reconnu
La synaxe se tenait trois fois l'an, et tous venaient alors à la laure appelée du nom de Karyès et ils y célébraient les fêtes en communiant aux saints mystères et en mangeant en commun. Le jour de la réunion survint - c'était la fête de la Nativité du Christ - et tous se rassemblèrent de partout. Ils chantaient des hymnes et des psaumes, et, parmi eux, celui qu'on recherchait fut reconnu par le Protos, aux signes qui lui avaient été indiqués. Le moment de la lecture survint. Athanase, sur une indication du Protos, étant chargé de lire, se déroba en disant l'habituel pardon; mais comme il reçut à nouveau l'injonction, avec la pénitence coutumière pour un refus, son ancien de se lever aussitôt et d'écarter, avec un pacifique sourire, celui qui donnait cet ordre en disant : Retire-toi, père, ne vois-tu donc pas la rusticité et l'ignorance du frère ? Il en est encore à épeler le commencement du psautier !" Mais cette âme humble et juste ne viola pas l'obéissance : Athanase se leva et se mit à lire en épelant comme un enfant, laissant tomber la voix à chaque syllabe et coupant les mots. Le voyant lire de la sorte, le Protos se leva de son trône, et le menaçant d'une terrible sanction, il le força à relire comme il était coupable de le faire. Alors, cette langue diserte, emprisonnée auparavant par un souci d'humilité, se délia et montra son art, la beauté de sa sagesse et la grandeur de sa vertu. Et tout le choeur des anciens, le voyant lire avec intelligence, de s'étonner et d'admirer pareille chose, qu'ils n'avaient jamais ni vue ni entendue. Quant au vieillard qui avait été son maître, il demeura stupéfait. Aussitôt ses yeux se remplirent de larmes : "Je rends grâce à ta Providence, Seigneur de ce que, par ce frère très sage, tu m'as montré le chemin de l'humilité".
Comment Athanase se retira près de Karyès et devint calligraphe
Lorsque Athanase fut reconnu, le Protos lui découvrit tout. Il lui révéla qu'il était l'objet de recherches et que le stratège d'Anatolie, le seigneur Nicéphore et son frère avaient beaucoup de soucis et d'inquiétudes à son égard. Athanase le remplit de confusion en disant : "Mais, père, ne dis rien de moi à ceux qui me recherchent , de peur que je ne sois obligé de partir d'ici, ce qui me ferait une grande peine". Or le Protos, comprenant qu'être privé d'un tel homme serait le plus grand dommage qui pût arriver à la Montagne, promit de tenir secrète sa découverte et d'autre part il lui conseilla de se retirer dans une cellule distante de trois stades de Karyès. Ce qu'ayant fait, Athanase s'entretenait sans interruption avec Dieu et demeurait caché, s'adonnant au travail manuel pour se nourrir. Il était connu déjà par sa science et sa belle et rapide écriture : la beauté de sa calligraphie apparaît dans les livres écrits par lui et qui existent encore; en six jours il copiait tout un psautier.
D'une visite de Léon Phocas
Mais étant à un tel point artisan de vertu, Athanase ne put se cacher jusqu'à la fin, pas plus qu'on ne peut cacher la ville située sur la montagne. Le patrice Léon Phocas, dont nous avons dit auparavant qu'il commandait les armées d'Occident, ayant remporté une brillante victoire contre les Scythes nomades, s'en retourna et arriva à l'Athos, d'abord pour rendre grâces à la Mère de Dieu à cause de sa victoire contre les Barbares, et aussi pour s'informer avec précision au sujet d'Athanase. Lorsqu'après son arrivée sur la Montagne, il eut appris ce qui le concernait, il chercha aussitôt à voir l'homme tant désiré; le trouvant et le serrant dans ses bras, il fut rempli d'une grande joie. Quand les moines de la Montagne connurent son respect pour Athanase, ils lui présentèrent une requête au sujet de la reconstruction de l'église de Karyès, devenue trop petite. Athanase ayant transmis cette demande, Léon donna les sommes nécessaires, ordonna de reconstruire l'église depuis ses fondements et de la faire aussi belle que possible, ce qui se fit. Ensuite le saint le renvoya, retourna dans sa retraite et y vécut sa vie coutumière.
Des rudes combats qu'Athanase dut mener au cap Mélana
A partir de là il fut connu de tous; en toutes choses il était consulté et beaucoup accouraient à lui de partout pour leur utilité. Mais lui, amant passionné de la retraite et fuyant de toute façon les occasions de vaine gloire, se retira à l'intérieur de la montagne. Or Dieu, qui lui préparait son héritage, le conduisit sur le promontoire même de l'Athos, appelé Mélana, au milieu d'une grande solitude et très loin des autres habitations d'ascètes. Au milieu de ce promontoire, plantant son ermitage comme une autre école de vertu, il se préparait à des combats plus rudes et à des luttes ascétiques. Mais le diable, voyant les grands et énergiques efforts d'Athanase, se mit en devoir de lui faire la guerre. Se servant des traits de l'ennui, il tenta de lui faire haïr le lieu de sa belle demeure et le harcelait sans répit de pensées de départ. Mais à l'insu du méchant, Dieu instruisait Athanase par l'expérience de ce genre de lutte, pour qu'il pût lui-même venir en aide plus tard à ses enfants qui se confieraient à lui lorqu'ils seraient tentés. Il se dit, à lui-même : "J'endurerai cette guerre pendant une année complète, et, celle-ci révolue, si Dieu me visite et me délivre de cette tentation, il sera absolument manifeste que la Volonté de Dieu est que je sois ici; sinon je m'éloignerai". Et il combattit sans répit. Or le terme fixé d'avance allait être révolu. Le dernier jour de l'année était survenu et la tentation ne l'avait pas abandonné; il songeait à partir le lendemain, à gagner Karyès, à révéler aux frères le combat de ses pensées, à faire devant eux une métanie et à s'en aller. Or ce jour-là même, pendant qu'il faisait la prière de Tierce, une lumière céleste fut répandue sur lui, l'illumina et le transfigura. Rempli d'un bonheur indicible il versa de douces larmes, don qui ne le quitta plus. Et il aima autant cet endroit de Mélana qu'il l'avait haï auparavant.
Athanase se rend en Crète sur l'ordre de Nicéphore Phocas
Le puissant Nicéphore avait été envoyé en Crète pour y commander l'armée dans une expédition très importante. Plus confiant dans les prières des saints que dans la force romaine, il fit venir auprès de lui Athanase, qui lui fut envoyé en compagnie d'un ancien. Ayant remporté la victoire, Nicéphore rappela à Athanase son désir déjà ancien de se fixer auprès de lui à l'Athos. "Je demande à ta piété, lui dit-il, de nous construire des cellules et de jeter les fondements d'une église, afin que moi et toi, avec trois autres frères, nous y menions la vie monastique. Le dimanche nous descendrons ensemble à la Laure, nous communierons aux saints mystères, nous mangerons avec les frères et l'higoumène, et ensuite nous retournerons". En faisant cette demande, Nicéphore lui offrit de l'or pour le paiement des constructions. Mais le père Athanase, désirant la vie pauvre et paisible, n'accepta pas l'or et n'acquiesça pas complètement aux vues de Nicéphore : "Pour toi, mon enfant, dit-il, aie en tout la crainte de Dieu et fais attention à toi-même en marchant au milieu des filets des mondanités; quant à ton destin, si Dieu y est favorable, il te le montrera et le réalisera".
La fondation de la Grande Laure
Car ces paroles, le père peina beaucoup Nicéphore. Après avoir joui encore un peu de temps de leur amitié, ils se séparèrent. Athanase retourna à l'Athos; mais le puissant Nicéphore, prenant très à coeur ce projet de construction et ne se tenant pas en repos, envoya à Athanase un de ses familiers, appelé Méthode, avec six livres d'or pour les premiers bâtiments et il lui enjoignit de commencer les travaux. Alors le très sage Athanase, comptant sur la divine ardeur de Nicéphore qui était grande, et ayant éprouvé que son désir était intense et que sa résolution venait de Dieu, reçut l'or, le considéra comme signe d'un commandement divin et prit sur lui le souci de la bâtisse. C'est en l'année 6469 4 que notre père Athanase commença à construire. Et d'abord dégageant le lieu boisé de cette épaisse forêt et aplanissant son escarpement au prix de beaucoup de peines et de sueurs, il construisit un très vénérable ermitage, comme demeure pour Nicéphore le Grand, et il édifia pour lui une paréglise, dédiée au glorieux Précurseur. Ensuite il éleva, au pied de la montagne, un temple très beau et très solide à la Mère de Dieu; quant à sa cellule, il l'établit à l'endroit où il avait reçu l'illumination et la grâce divine.
Du premier miracle d'Athanase
Mais, de même qu'avant cette grâce, le malin avait engagé contre notre père une guerre très pénible, ainsi avant la construction de cette église, il induisit les constructeurs en une terrible tentation. Les ouvriers étaient donc rassemblés avec leurs aides et ils traçaient le plan de l'église. Mais le diable rendit les mains des constructeurs absolument immobiles, à tel point qu'ils ne pouvaient même pas les porter à la bouche. Ayant récité le Trisagion, le saint délia leurs mains et, mettant la main au soc de la charrue, se mit le premier à creuser. Ensuite il excita ceux qui devaient élever la bâtisse à l'imiter, et on put voir les ouvriers travailler sans accroc. Étonnés du miracle et sur-le-champ remplis d'une grande confiance envers le thaumaturge Athanase, ils tombèrent à ses pieds, le supplièrent de les recevoir et de les tonsurer. Tel est le prodige étonnant que fit le père : avant que la maison ne fût bâtie, ceux qui devaient l'habiter étaient déjà reçus. Lorsque la vertu du père eut été divulguée et quand ce prodige divin fut arrivé aux oreilles de tous, beaucoup accoururent à lui de différentes régions et de différentes villes. Ils aspiraient à habiter avec lui et préféraient à leur repos le travail et la peine pour la construction de l'oeuvre.
Comment Athanase dirigea les travaux de construction
L'église en construction, dont le pain formait une croix, s'acheva heureusement sous le vocable de la toute sainte Souveraine, la Mère de Dieu. Deux petites chapelles à coupoles avaient été construite de chaque côté comme paréglises, dédiées l'une, aux quarante saints martyrs, l'autre à Nicolas le Thaumaturge. Or, le grand habit de la perfection monastique n'avait pas encore été donné au saint, à cause de l'excès de son humilité. C'est alors seulement qu'il reçut l'insigne de cet état parfait, grâce à un moine qui avait le nom et le charisme du prophète Isaïe et qui habitait dans les endroits les plus retirés de la montagne, là où plus tard le père construisit un lieu de prière. Ensuite lui-même tonsura les constructeurs qu'il avait reçus les premiers et devant lesquels il avait accompli son premier prodige. Après cela, il commença la construction des cellules; il les dis-posa autour de l'église, sous forme de quadrilatère, une cellule touchant à l'autre; au milieu se trouvait l'église, comme un oeil regardant de tous les côtés. Puis il construisit le réfectoire, et mit à l'intérieur vingt tables, chacune faite d'une plaque de marbre blanc, et donnant place chacune à douze moines. Ensuite il bâtit une infirmerie et une hôtellerie ainsi qu'un bain pour l'usage des malades. Comme on manquait d'eaux abondantes à l'endroit de la Laure, il fit ingénieusement descendre vers le monastère un cours d'eau venant de différentes sources. Une partie se répandait à l'intérieur, et, distribuée selon les nécessités de chaque service, coulait devant chaque cellule et arrosait abondamment chaque partie de la Laure. Le reste arrivait par des canaux à une tour bien agencée, et mettait en mouvement deux meules sous un seul bief. Cette eau arrosait également les arbres fruitiers, abreuvait les jardins, remplissait les bassins des lavoirs pour les vêtements des frères, et les animaux y étanchaient leur soif. Des autres constructions et églises nécessaires, de la plantation des vignes et des arbres, de la bâtisse des ermitages et des cellules de ceux qui étaient dans les fermes sur la montagne, des dépôts près du port et autres ouvrages de ses mains, il n'est pas nécessaire de faire le récit. C'est la tâche de l'historien et non du biographe. Mais ceci, comment le tairais-je ? Lui-même partageait la fatigue et toutes les peines des constructeurs et des ouvriers. Il était courageux et résistant comme l'acier, tellement que souvent, lorsqu'il avait tiré tout seul le joug d'un chariot en un lieu, trois autres pouvaient à peine en transporter la charge tous ensemble dans un autre. En même temps qu'il travaillait ainsi, il avait près de lui une foule de gens qui venaient de partout, voulant, les uns, obtenir des bénédictions, d'autres, l'interroger au sujet de questions diverses, d'autres enfin demander la solution de quelques difficultés : il résolvait tout, il expliquait tout, il bénissait chacun et il ne renvoyait personne sans le satisfaire.
Quelles règles il établit pour le service de l'église
Lorsque tout cela fut bien à son gré, il commença à établir les règlements et les usages de l'église, pour que tout y soit en ordre, bien organisé, et conforme à une règle utile aux âmes; car c'est ainsi qu'il faut veiller et louer Dieu dans les offices du jour et de la nuit. Il mit à la tête de chaque choeur un frère qu'il appela épistimonarque.6 Il était préposé à la bonne tenue des chantres et au soin des âmes. Il ne permettait à personne de faire des colloques pendant la psalmodie, d'être négligent, ou de ne pas chanter. De même, il devait interdire d'entrer et de sortir à volonté, ce qu'il ne laissait faire qu'avec mesure et en temps voulu, afin que ceux qui étaient au choeur ne subissent aucun en-nui en rendant continuellement leur salut à chacun de ceux qui entraient.
Comment il dirigeait ses moines
Comme ce pasteur très perspicace et ce sage connaisseur des choses divines savait que les démons exécrables s'attaquent de toutes façons aux habitants des monastères et des laures, surtout à l'église, ainsi qu'à ceux qui pratiquent l'hésychasme dans les cellules, il crut devoir porter secours à ceux qui étaient assaillis par la tentation. Il jugea opportun de se rendre chaque jour après la dernière lecture dans une des paréglises, celle des quarante martyrs, afin que les frères y vinssent un à un lui raconter les embûches du tentateur, tant celles qu'ils avaient subies à l'état de veille, pendant la doxologie des Matines que celles qui leur étaient venues durant le sommeil. L'homme de Dieu les armait de la foi de Dieu, de la confiance et de la patience, et en outre les traitait un à un, avec un remède approprié à leurs confidences, comme si chacun, par son ouverture de conscience, lui montrait sa maladie spirituelle : il les renvoyait tout joyeux, réjouis et encouragés dans le combat contre les démons. C'était ainsi pour lui une oeuvre et une règle inviolable, que d'aller chaque jour dans la paréglise des quarante martyrs et d'y consoler et d'encourager pour les combats les frères tentés. De plus ce n'était pas à l'église seule qu'ils avaient l'occasion de se faire connaître; durant tout le jour et même le soir, celui qui le voulait allait libre-ment trouver le père dans sa cellule, triomphait de ses pensées et en retirait un fruit utile. Et maintenant encore tous ces biens sont enseignés, conservés et gardés par les héritiers et les successeurs de sa vertu.
De quelques usages établis par le saint
Tel fut ce qu'il établit pour le bon ordre de la vie ecclésiastique et la merveille qui s'accomplit à ce sujet. Il n'est pas sans convenance d'expliquer brièvement ce qui a rapport aux prescriptions pour la table et à d'autres choses. Je renvoie ceux qui voudraient savoir tout en détail au typikon écrit par le saint. Il établit donc deux surveillants pour le réfectoire, afin qu'on prenne le pain en silence et dans la crainte de Dieu. Les officiers préposés à ce soin servaient en silence et en bon ordre, veillant à ce que les convives ne fassent rien d'irrégulier, ni sur-tout ne donnent à un autre leur verre de vin, de peur de pousser un frère à l'ivresse. Il les chargea aussi d'interroger ceux qui n'étaient pas au repas et, s'ils s'étaient absentés justement, de leur permettre de manger en seconde table. Quant à ceux qui avaient été absents parce qu'ils traînaient dans leur cellule, ils ne devaient pas le leur pardonner, jusqu'à ce que le père eût été averti. de plus si quelqu'un des serviteurs, à table ou dans les autres services, avait brisé quelque objet, soit volontairement soit involontairement, il devait se mettre auprès du lecteur, élever la main bien haut en portant les débris de l'objet et ainsi obtenir le pardon des pères, afin que cette petite humiliation le rendit plus attentif. On ne pouvait tenir des conciliabules dans les cellules les uns des autres, ni rôder, ni aller et venir, ni stationner, ni tenir de vains discours. S'il arrivait à quelqu'un de perdre son écritoire, ou son aiguille, ou son couteau, ou sa serviette, ou quelque autre chose de ce genre, il allait à l'église voir à la porte du temple si l'objet perdu ne se trouvait pas suspendu à la simandre d'airain. Et personne ne pouvait rien avoir en propre, ni entretenir en soi l'usage du mien et du tien.
Comment Athanase, apprenant l'avènement de Nicéphore Phocas, s'enfuit de la Grande Laure
Il arriva qu'un jour on vint lui dire que le célèbre et illustre Nicéphore avait été proclamé empereur. Un autre se serait grandement réjoui de l'événement en y trouvant une occasion de bonne fortune, mais lui en fut fort affligé. C'était pour lui, Nicéphore, en effet, qu'il avait entrepris la construction du monastère, lorsque celui-ci lui avait promis de se détacher des choses mondaines et de vivre avec lui la vie hésychaste. Mais quand il apprit cette nouvelle fâcheuse, il décida en lui-même de ne plus demeurer en cet endroit de la montagne, et de s'enfuir. Se préparant donc, il feignit le prétexte d'une visite à l'empereur pour l'utilité du monastère.8 Prenant avec lui le plus grand nombre des frères, il passa avec eux à Abydos;9 une fois là, il renvoya la plupart au monastère et il n'en garda que trois avec lui. "Il nous suffit, dit-il, de ceux-ci, pour aller jusqu'à la capitale". A l'un d'eux, il confia une lettre et l'y envoya en lui cachant le contenu de la missive. Ce qu'il écrivait à l'empereur lui rappelait la violation des engagements qu'il avait pris devant Dieu, lui reprochait son funeste changement, le menaçait des peines éternelles et enfin : "Moi, disait-il, je m'en vais, et mon troupeau, ou, pour mieux dire, celui du Christ, je le confie à Dieu et à toi", ajoutant qu'il y avait auprès des frères un moine digne de louanges du nom d'Euthyme, distingué par sa vie et sa parole, et qu'il dé-signait pour assumer l'autorité sur les moines. Et le moine fit voile vers la capitale. Le père renvoya au monastère l'autre moine appelé Théodote pour visiter les frères et voir si réellement l'empereur prenait soin du monastère. Théodote apprit la fuite du père et le contenu de sa lettre à l'empereur. Athanase, accompagné du seul Antoine, voulut faire voile pour Chypre. En montant sur un navire, il fit la traversée.
Du séjour à Chypre
Abordant à Chypre, ils se dirigèrent sans se faire connaître vers le monastère appelé Monastère des prêtres. S'étant approchés du supérieur de ce monastère et ayant fait une métanie, ils lui demandèrent de leur procurer la nourriture nécessaire et de recevoir en échange le travail de leurs mains. "Un désir nous a pris, dirent-ils, d'aller vénérer le tombeau du Christ et à cause de la crainte des pirates, nous avons peur de faire route jusque-là". Ils jugèrent bon d'agir ainsi; et l'higoumène les reçut avec joie et leur assigna dans les montagnes voisines une habitation pour aussi longtemps qu'ils le voudraient. Ils s'y établirent. D'autre part, le moine envoyé à la capitale avait consigné la lettre à l'empereur. Mais entre-temps, l'empereur faisait faire des recherches partout pour retrouver Athanase fugitif, et l'enquête arriva jusqu'à Chypre. Et le père dit à son compagnon Antoine : "Nous ne pourrons pas continuer à nous cacher, si sur-le-champ nous ne partons d'ici".
Athanase, ne pouvant plus cacher son identité, reprit le chemin de l'Athos
A ces mots, ils se hâtèrent vers la mer; trouvant providentiellement un canot rapide, ils s'y embarquèrent et, grâce à un vent favorable, ils arrivèrent sur la rive opposée. Ils se mirent à examiner quel chemin ils allaient prendre; la route conduisant aux lieux saints était impratiquable à cause des pirates; d'autre part, ils étaient empêchés de prendre celle qui menait aux régions romaines en raison des recherches impériales qui le con-cernaient : ils ne savaient donc quel chemin suivre. La nuit les ayant surpris et le père suppliant Dieu par sa prière de lui inspirer ce qu'il devait faire, il eut une vision qui le détermina à retourner dans son monastère de l'Athos, et qui lui prophétisa la prospérité et l'embellissement de celui-ci. Sur-le-champ, ils commencèrent leur voyage. Comme ils avaient marché plusieurs jours et étaient très las à cause de la fatigue de la route, une douleur continuelle survint au pied d'Antoine et l'accablait tellement qu'il était près de rendre l'âme. Le père, le voyant si mal, se mit en prière. Puis prenant des herbes qui poussaient tout près de là, il les broya et les mit autour du pied souffrant, et le guérit. Mais ils s'étaient à peine remis en route qu'une nouvelle maladie, la dysenterie, saisit Antoine. Une très forte fièvre survint, le plongea dans le délire et l'accabla tellement qu'il le prenait pour mort. Athanase montra sa tendresse et le rendit à la vie.
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