Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Le Vénérable Alfano Vaser

Le Vénérable Alfano Vaser

« J'ai soif de vérité, de vie, de lumière, de bien, d'amour. Et tu es la source, l'océan de tout bien… Avec toi je veux être éternellement et avec ta Maman Immaculée. »

1873-1943


But


Parmi nos modèles de sainteté mariste le plus modeste et le moins connu est certainement le Fr. Alfano. Il n'a pas le prestige du Père Champagnat, le fondateur, ni celui du Fr. François, premier Supérieur général. Il n'a pas la dimension du Fr. Basilio, Supérieur général : homme qui a vécu dans notre monde, après la césure historique de Vatican II et qui a sillonné le monde mariste. Alfano n'a pas non plus la gloire du martyre. Sa vie s'est déroulée dans des maisons de formation dès 1903: Maître des novices à 34 ans en 1907, il le reste 15 ans, puis Directeur des scolastiques pendant 16 ans. Situation modeste, qui devrait être propice à un religieux dont l'idéal était l'effacement dans une famille religieuse dont l'humilité est une des caractéristiques.


Il n'est pourtant pas rare d'entendre dire : « Frère Alfano est certainement un saint, mais d'un autre temps, d'un style de sainteté suranné, basé sur le respect minutieux de la Règle, sur l'ascèse et qui priait avec des expressions qui, pour nous, ont perdu leur attrait. » Et c'est vrai. C'est bien un aspect de la sainteté du Frère Alfano, mais c'est loin d'être le plus important. Il y a chez lui une humanité toute remplie de la bonté de Dieu. Il faudrait rouvrir le livre Pane di casa nostra pour s'en convaincre : très souvent affleure une humanité faite de grande attention aux autres, de cet amour qui est l'essence de la sainteté. La lecture de ses lettres et bien des témoignages nous mettent en contact avec un Frère qui était sensible, intelligent, attentif aux autres, avec des éclats d'humour, d'une gratitude naturelle et abondante, d'un sens de la responsabilité très poussé, son cœur se montre peuplé de personnes et de problèmes surtout quand il se tournait vers le Seigneur et la Vierge Marie. Fr. Alfano est un homme totalement imprégné de Dieu, pour lui source de paix et de sagesse, la passion de sa vie. On est souvent tenté de copier ses lettres tellement elles sont révélatrices d'un saint. A travers elles émerge l'Autre Alfano, un mystique très humain, très proche, très attentif et fidèle aux amitiés ; la bonté de Dieu, qu'il préfère souvent nommer 'la bénignité de Dieu' rayonne de son cœur, éclaire et réchauffe les autres.


Les lettres


Nous disposons de 263 lettres originales du Fr. Alfano, de deux circulaires aux Frères, de son testament, de notes, des réflexions et des relations sur les novices. La grande majorité de ce matériel se situe dans les dix dernières années de sa vie : 1933-1943 : la lettre la plus ancienne date de 1899 et les dernières de fin 1942. Le Frère Alfano ne laissait jamais une lettre sans réponse, même si parfois il reconnaît être « tortue » dans les réponses. Parmi les lettres, celles envoyées à la famille sont au nombre de 101. Le groupe le plus compact est formé par celles écrites à son frère Sandro, 86. Son frère Pietro meurt assez rapidement en 1926. Nous avons récupéré 12 lettres qui lui avaient été écrites. Une lettre est destinée à sa mère ; sa sœur Catherine en a reçu plusieurs, mais nous n'en avons qu'une. 151 lettres s'adressent à des Frères divers : anciens novices partis pour l'Argentine, et surtout ses deux neveux, les Frères Antonio Giuseppe : 26 lettres et Carlo Borromeo : 34 lettres. Le Frère Emery, Procureur général et son grand ami, en a reçu au moins 20; le Fr. Avit, Secrétaire général, 5 ; le Supérieur général, le Fr. Stratonique, une. Trois lettres sont adressées à l'institutrice de Hône, village natal du Frère Alfano, qui aide à découvrir des vocations maristes. Il y a aussi de riches réflexions que le Fr. Alfano a écrites pour le Chapitre général de 1920 et beaucoup de notes, ainsi que 8 relations annuelles au Frère Supérieur général sur le noviciat et qui révèlent un maître dont le regard pénètre les caractères et les cœurs. Ce qu'il écrit sur les jeunes est plein de finesse psychologique et de bon sens. La plupart des lettres ont quatre pages d'une écriture très lisible bien que serrée. Elles permettent un contact édifiant et agréable puisqu'on a constamment à faire avec un esprit très fin, dans le quotidien de la vie et du cœur. Nous rencontrons un homme qui tout de suite s'est mis sur le chemin

de la sainteté et y est resté fidèle.


Première partie: Alfano au fil des lettres


1. Le style


Ses lettres présentent une écriture régulière, claire, retenue, précise où dominent les formes rondes et les traits courts. Elle dénote une sensibilité enveloppée de mesure et de modestie en même temps qu'une paisible clarté de l'esprit. Pratiquement jamais de fautes ni de gribouillis sur des centainesde lettres écrites à la main. L'écriture du Frère Alfano a beaucoup évolué. Dans les premières lettres, de 1899, elle est fine, pointue, avec des lettres effilées et longues, signe d'une sensibilité pas encore contrôlée. Il va évoluer avec le temps vers des lettres plus rondes, plus courtes, plus paisibles et régulières. La lecture de ces lettres laisse l'impression d'être devant un homme apaisé et limpide, bien qu'il reconnaisse avoir une nature impulsive et parfois trop exigeante. L' impression vient tout à la fois de la qualité de son écriture, de la clarté de ses phrases, son italien riche, parfois recherché, mais toujours fluide, de la bonté de ses sentiments, comme de l'émergence constante de sa foi : « Me voilà réduit à me reposer beaucoup et à travailler toujours moins. Il faudra payer la dette à la nature de la manière dont disposera la Providence : il n'y a pas de quoi s'en faire, nous sommes en de bonnes mains. » (20-12-1936)


Quand il écrit à sa famille, jamais de réflexions compliquées ou profondes. Il utilise un langage courant, des formules connues, s'arrêtant sur des points intéressants de la vie ordinaire : le temps, les champs, les récoltes, la santé des membres de la famille, la joie des nouvelles naissances… et toujours l'affection et la courtoisie des âmes nobles. Le Frère Alfano écrit dans un italien fluide, qui exprime les sentiments d'une personne sensible, intelligente, et qui, par nature, est toute remplie de gratitude et d'admiration. Les lettres que le Fr. Alfano écrit à ses 4 neveux maristes, ou aux Frères, acquièrent un aspect religieux plus marqué, insistant pour des personnes données à Dieu sur la nécessité faire de la volonté de Dieu le tout de leur vie. Plus profondes, parce que écrites à des religieux, elles perdent un peu la légèreté et la simplicité qui faisaient le charme des lettres écrites à ses frères ou à ses neveux Zenone et Giorgio, hommes de la terre, sans trop de culture. Alfano sait s'adapter, et ici paraît davantage le maître spirituel. Le style pourtant reste simple : « Comme tu vois, avec toi, comme aussi avec tes frères, je me permets de passer outre aux formes protocolaires. Du reste entre religieux c'est le sentiment de charité, de franchise et d'estime respectueuse et le désir de faire du bien qui doivent guider nos écrits. » 22-1-1940


Cette lettre à la maman, du 17-2-1900, comprend neuf feuillets. Elle est rédigée en français: « Bonne Maman, A la suite du malheur qui a frappé notre maison, (la mort du papa) et sur lequel je ne veux nullement revenir, si ce n'est pour recommander le souvenir de nos défunts, c'est un devoir pour tous vos enfants (et c'est mon devoir surtout,) de vous consoler par nos paroles et par notre tendre affection pour vous, et par tout ce que nous voulons faire pour vous rendre heureuse, autant que nous le désirons et que vous pouvez le souhaiter vous-même… Dans ce but et à cette fin, pour venir en aide à mes deux frères qui sont spécialement chargés de vous, et plus particulièrement encore à celui avec lequel vous désirez demeurer habituellement, je suis disposé à renoncer à tout ce

qui pourrait me revenir comme rente viagère, en votre faveur, votre vie durant, que Dieu veuille rendre très longue… Un de mes plus grands désirs est d'aimer et de me sentir aimé surtout par mes plus proches parents. Chère maman, je voudrais pouvoir vous envoyer quelque joli cadeau, mais je n'ai rien qui puisse vous convenir : je vous ferai donc seulement apporter un chapelet (le mien) par Pierre : en le récitant vous penserez un peu à votre Joseph et vous le recommanderez au bon Dieu, à la Sainte Vierge et à son saint patron, Saint Joseph… Chère maman, si vous voulez bien vous porter, usez de flanelles ou chemises en laine ; j'en fais l'heureuse expérience et je la conseille à tous ceux qui sont un peu faibles, surtout pour se préserver de subits refroidissements … Priez pour moi, comme je prie pour vous. Saluez affectueusement les oncles Jean, Georges, ainsi que les bonnes tantes, cousins et cousines, ainsi que l'oncle Joseph… Il ne sera jamais dit que vos enfants vous aient été peu reconnaissants de tout ce que vous avez fait et souffert pour les élever, les nourrir, les entretenir et les élever chrétiennement… Maman, croyez-moi toujours un de vos fils plus affectionnés que jamais ; aimez-moi beaucoup et conduisez-moi au ciel à votre suite… Je finis, car il est 4 heures et demi du matin et je cours sonner le lever de la communauté… Recevez les embrassades de votre fils affectionné. Embrassez pour moi les petits bébés de la maison. »


2. L'affection


« L'affection, la délicatesse, la gratitude remplissent les lettres du Fr. Alfano: « J'ai lu avec un grand plaisir ta belle épître que tu m'as envoyée à l'occasion des fêtes de Pâques. Je dis épître parce que ce fut une très longue lettre. Et je dis 'belle', parce qu'en plus d'être soignée dans l'écriture, elle contient tellement d'enthousiasme, de pensées poétiques, de sentiments généreux, que cela m'émeut. Bravo ! » (Au Fr. Carlo Borromeo, 2-4-1931) Quand il écrit à la famille de Sandro, les termes d'intérêt, d'attention, de cordialité, de joie, de proximité sont présents dans toutes les lettres. Il fait mémoire de tous les membres de la grande famille et se dit intéressé par les travaux des champs : la fenaison, la moisson, les vendanges, le beau temps, les pluies, les inondations… On découvre un homme qui n'oublie rien de son pays natal et lui garde une sympathie qui affleure avec fréquence ; il évoque les beaux paysages de la Vallée d'Aoste, les montagnes, les vallées… Même à Rome il préfère les collines autour de la Ville Eternelle à ses musées. Il est souvent comme en attente d'une visite à la famille et il en parle avec joie, avec cœur : pour lui les liens de famille sont forts et sacrés. Il avoue à son frère Alessandro : « Je sens que mon affection est en train de se concentrer sur toi de manière plus intense avec les années qui passent vu que les vides deviennent plus nombreux dans la parenté. (Ils avaient vécu la mort trop soudaine de leur frère Pietro). Sois en bonne santé, sois attentif à toi-même, reste joyeux. Adieu ! (25-10-1926)


Le début des lettres à son frère est souvent « Sandro mio carissimo ! » (Mon très cher Sandro), qui en italien exprime l'affection profonde qu'on porte aux siens. Attentif à ceux qui composent la famille, il leur rappelle de soigner la santé « qui est un trésor de premier ordre . » Volontiers il donne des petits conseils pour protéger la santé ou pour la récupérer. Son frère Pierre est en train de sortir de maladie. Il lui dit de rester prudent, de se ménager, de prendre des purges légères pour purifier le sang, « de tout faire avec calme, lentement, un peu à la fois, ainsi tout se fait mieux . » A son frère Sandro, le 26-10-1926, il rappelle : « Tu n'es plus un jeune homme et donc tu dois être attentif dans le travail. Maintenant que le froid est arrivé repose-toi quelques mois. Et puis ce n'est pas le bien qui vous manque. Donc du calme, du calme ! » (25-2-1926) Le printemps commence à se montrer. Pour toi et pour les tiens ce sera un surplus de travail. Mais sois attentif à te ménager en tout, reste prudent. Qui trop embrasse, mal étreint, dit le proverbe. (20-2-1927) Ce conseil de bien ménager la santé est fréquent, sincère, motivé aussi du fait que lui-même sait ce qu'il en est d'avoir une santé délicate. Il craint les voyages trop longs : « Je ne suis ni fort, ni robuste ; en voyage je ne peux pas m'alimenter et si j'arrivais à la maison épuisé à tomber de fatigue, cela me ferait de la peine. » Il se réjouit spontanément de toute bonne nouvelle et pleure avec les siens celles qui sont mauvaises, éprouvant la douleur dans le fond de son cœur.


Son affection, son amitié, sa fraternité ont la limpidité de la sincérité ; elles ont établi leur demeure

dans son cœur. A la mort du Fr. Raffaele, (été 1937) qui était le Visiteur de l'Italie, il écrit au Fr. Teofano en Argentine : « Je ne peux pas vous dire la douleur immense, l'hébétement qui s'est fait en moi par la disparition inattendue et imprévisible du Fr. Raffaele! Je n'aurais pas dû survivre au coup, humainement parlant! » (18-8-1937) Il débute ainsi sa lettre de réponse au Fr. Martino Zimei, directeur du juvénat de Gassino : « Les souhaits que vous avez daigné m'exprimer sont trop courtois, affectueux et vrais pour qu'ils ne me soient pas très agréables et je m'oblige à vous dire que je ne méritais pas autant d'attention. Mais j'accepte toujours l'attention d'un cœur bon et l'appui des prières. » (21-12-1931) Même ton dans les lettres à son frère Sandro. Il débute ainsi celle du 6 mai 1928 : « Tes enfants me donnent l'occasion de t'envoyer un salut affectueux: je le fais volontiers, tout de suite et de tout cœur. Et je salue aussi avec affection Anastasia, Giorgio et Zenone ! » « Je t'ai vu deux fois à Vintimille, mais à la dérobée : il n'est donc que trop légitime le désir de nous revoir et d'avoir le temps de parler à notre aise. Cela nous rajeunit un peu. Et cela me ferait plaisir de voir les nouveaux lieux où tu t'es établi… Si donc la Providence le veut, je vais saisir la première occasion possible… » 18 juin 1928 Il passera, en effet, deux semaines chez son frère Sandro, à Tayrac, près d'Agen. Au retour il lui écrit une longue lettre qu'il conclut ainsi : « Merci à vous tous pour les gentillesses et les attentions que vous avez eues à mon égard. Oui, je vous remercie tous: Sandro, Anastasia, Giorgio et Zenone. Veuillez agréer les salutations les plus affectueuses de Domenico et de Filippo qui vous envoient aussi mille embrassades de tout cœur… Vôtre, toujours et avec beaucoup d'affection dans le cœur de Jésus. » 31 août 1928 Souvent, dans la partie finale de ses lettres nous trouvons la formule : « Soyez tous joyeux dans le Seigneur ! » La lettre du 22-12-1928 terminait ainsi : « Mon cher Sandro, je m'arrête en me redisant ton frère plein d'affection et en saluant et embrassant les tiens bien chèrement ». « Maintenez-vous dans la paix, dans la joie du Seigneur. Soyez tous attentifs à votre santé. Cet avis est surtout pour toi, Sandro et pour Anastasia, parce qu'avec les années on devient plus sensible aux changements des saisons. » 29 mars 1929 "Dans les Saints Cœurs de Jésus et de Marie" devient la formule de conclusion de presque toutes les lettres des dernières années de vie. Et puis chacun, tous les jours, est dans sa prière. Il a comme l'habitude, quand il prie, de faire le tour de toute la parenté pour la recommander à Dieu et comme il l'avoue, il fait cela : « très souvent dans la journée . » « Je ne peux pas ne pas prier continuellement pour toi, pour tes frères, pour tous les confrères et particulièrement pour les supérieurs auxquels nous devons tellement. Mes pauvres prières, même si elles sont nombreuses et longues, le Seigneur sait de quelle misérable efficacité elles sont ! Et cependant les besoins immédiats du District, de l'Institut, de l'Eglise, de toute la société… me poussent toujours plus à implorer la miséricorde du Cœur de Jésus… » (Au Fr. Carlo Borromeo, 8-7-1937)


« J.M.J.

S. Stefano

25 mars 1930


Très cher Sandro, Je me rends compte que j'ai laissé passer un temps bien long sans t'écrire, je m'en fais un reproche. De décembre jusqu'à mars cela fait presque quatre mois. Quand j'ai lu à propos des inondations dans le Sud-Ouest de la France et plus particulièrement dans le Lot-et-Garonne, de la ville d'Agen sous l'eau, etc.… j'ai eu envie de vous écrire. Ce n'est pas que nous étions préoccupés pour vous autres, car tu as bien choisi ta place sur des collines, hors des plaines, mais nous désirions avoir des nouvelles précises… Maintenant je vois que le mauvais temps continue pas mal ; cela me fait de la peine pour vous puisque cela va vous gêner pour les semailles du printemps. Ici aussi la saison a été plutôt pluvieuse cette année, mais plus douce que l'an passé. Maintenant nous devons souhaiter partout un peu de soleil dont on a grand besoin et que la Providence ne saurait nous refuser… Je me suis réjoui que vous ayez fait une belle cave avec de meilleures conditions de solidité et de fraîcheur que celle que vous aviez pensé d'abord. Ainsi vous pourrez conserver le vin dans de bonnes conditions et vendre au bon moment le surplus… Je me suis réjoui aussi de l'ensemble des bonnes nouvelles pour ce qui regarde les moissons de l'an passé et des semailles faites pour cette année ou que vous pensez faire. Avec l'aide de la Providence, même les pluies abondantes pourront vous être avantageuses pour le jardin et les légumes, pour les pommes de terre et le maïs et avant cela pour les foins et après peut-être aussi pour le blé… Je me réjouis que vous pensiez faire un pèlerinage à Lourdes pour compenser au manque de vie religieuse dont vous souffrez… Souhaitons que cette année aussi vous ayez la visite de quelque missionnaire italien, comme l'an dernier… Mon cher Sandro, tâche de rester en bonne santé et joyeux ; salue pour moi très chaleureusement Anastasia, Giorgio et Zenone, et ainsi que les autres amis que j'ai eu l'occasion de voir chez vous. Je garde toujours le désir d'une autre visite, quand il plaira ainsi à la Providence : ce furent des journées vraiment délicieuses pour moi, celles que j'ai passées chez toi, avec toi et les tiens, dans ces lieux d'une paix et d'une tranquillité merveilleuses… Adieu ! Très affectueusement. - Fr. Alfano. »


3. L'affection envahit le paragraphe final


Le paragraphe final de la lettre est parfois constitué d'une longue liste de personnes auxquelles le Fr. Alfano envoie ses salutations fraternelles. Ces listes font penser à saint Paul quand il envoie ses salutations aux gens qu'il connaît à Rome. On n'est pas à l'étroit dans le cœur du Frère Alfano et ses amitiés sont sincères, délicates, durables. Souvent, d'ailleurs, il ne s'agit pas d'un paragraphe final, mais de plusieurs pour redire l'affection, la gratitude, la fidélité dans l'amitié avec une insistance délicate et intelligente. La lecture de ses lettres laisse l'impression d'une âme très noble en même temps que d'un ami délicieux et délicat. Beaucoup de lettres laissent deviner que la prière du Fr. Alfano est peuplée de beaucoup de personnes ; il va au Seigneur mais portant dans le cœur les parents, les anciens novices, les anciens élèves, les amis, les Frères partis dans les missions, les supérieurs. En 1917, en pleine guerre mondiale, il écrit au Fr. Teofano, son ancien novice, en Argentine. Dans la lettre, un long paragraphe énumère le nom des Frères de la Province sous les armes, soit en France, soit sur le front italien. Il cite jusqu'à quarante noms, souvent avec leur grade et leur sort : dans les tranchées, prisonniers, blessés, ou morts dans les batailles…(1er octobre 1917, lettre au Fr. Teofano). Dans cette même lettre il dit : « Je cherche à encourager nos soldats avec des lettres et j'essaie de faire entrer dans les cœurs et dans les esprits les motivations religieuses. » Depuis plus de trente ans il a quitté le Collège San Leone Magno et le Fr. Emery fait allusion à ses anciens élèves. Dans la réponse, le Fr. Alfano rappelle les noms de 26 de ses anciens, souvent avec des traits qui les caractérisaient, la situation de la famille, de petites anecdotes de la vie du Collège. Frère Alfano ne va jamais à Dieu comme un solitaire : l'intimité avec Dieu est peuplée de personnes, de situations, de problèmes et de joies humaines. Il jouit de la mémoire d'un cœur qui prie et vit d'intenses moments d'humanité.


Branchés en direct sur des lettres


Les lettres laissent transparaître la grande affection réciproque entre la famille de Sandro et le Fr. Alfano. Son neveu, Zenone, projette de se marier et s'ouvre à son oncle qui lui écrit le 28-12-1934 : « Pour ce qui est de ton prochain mariage je me réjouis sans restrictions. Je vois que tu te comportes comme un bon fils, un bon chrétien et comme homme de jugement : tu as réfléchi, tu as prié, tu as consulté ceux qui te veulent du bien… Il n'y a pas de doute que Dieu bénira ton mariage et il donnera à toi et à Marguerite les grâces abondantes pour accomplir les devoirs de famille… A partir du moment où tes parents sont contents, je suis plus que tranquille… Personne ne peut mieux te conseiller dans cette affaire que les parents excellents que tu as. Donc tout est très bien ! Et je comprends mieux, maintenant, le besoin que vous aviez d'agrandir la maison. » A cette même date il écrit à l'autre neveu, Giorgio : « Chacun de tes écrits m'est toujours très agréable parce que dictés par un cœur droit et affectueux… Je ne manque pas de penser à toi, à tes excellents parents et à Zenone tous les jours et plusieurs fois par jour, parce que mon cœur leur veut un très grand bien… »


Quand il reçoit la visite de Zenone et de sa femme Marguerite, il écrit à son frère Sandro : Tu ne peux pas t'imaginer la joie que j'ai eue en revoyant Zenone, que je n'avais pas vu depuis 7ans, et en faisant connaissance de sa femme Marguerite. Ils seront de retour demain, après un long voyage en Italie. Ils en auront un souvenir pendant toute leur vie… » 16 mars 1935. De Tayrac on fait savoir au Frère Alfano qu'un enfant est né dans la famille de Zenone et de Marguerite. Il leur écrit : « Je me suis réjoui avec vous tous pour la bénédiction que le Seigneur a envoyé e sur votre maison, en donnant à Marguerite et à Zenone un petit ange, né à la vie surnaturelle de la grâce et donc fait citoyen du ciel le beau jour de l'Immaculée. » (5-1-1936).


4. Un homme proche et pratique


Alfano est souvent pratique, surtout quand il s'agit de santé ou de pédagogie. Au Fr. Carlo Borromeo, son neveu, le 10 octobre 1938, il écrit: « Je me suis plusieurs fois informé si tu avais fait quelque progrès en poids physique depuis juillet et j'ai eu l'assurance qu'il y a un peu de progrès. Je m'en réjouis, mais on ne peut pas se contenter de si peu. Tu as besoin de continuer à renforcer tes muscles, parce que ton système nerveux est resté trop secoué ces dernières années, pour les motifs que tu sais. Et pour faire le bien à l'école et le faire facilement et avec joie, il faut reconquérir l'équilibre physique et la sérénité intellectuelle. Tu dois donc tenir comme un devoir très important de t'alimenter beaucoup…pas de privations pour l'estomac, car tu as besoin de te rendre plus robuste pour faire tout ce que Dieu te demande… Tu me comprends ? » Dans une lettre précédente il lui donnait des conseils pédagogiques : « Tu vas t'apercevoir assez rapidement que les enfants savent bien moins que tu ne penses, et qu'il est nécessaire de les interroger très souvent, pour qu'ils soient attentifs, pour les faire réfléchir et les stimuler. De ton côté, parle peu et jamais à haute voix; tu connais aussi le dicton : « Ce que le maître fait est peu de chose, ce qu'il fait faire aux élèves est ce qui compte le plus et ce qui vaut . » Dans le catéchisme aussi : pas de sermons, mais des explications brèves, claires, qui viennent du cœur. » (12-10-1937) A ses amis il dit de ne jamais faire des imprudences ascétiques: « Puisque je ne vois pas que tu sois un colosse, ne fais pas d'imprudence, ne te prive pas de sommeil, ni de nourriture substantielle. En plus, à l'école, parle à voix modérée et sobrement... » (Au Fr. Ugo Roberto 25-12-1938). « Jamais des vociférations en classe : tout y gagne, la santé de l'enseignant, les progrès et la discipline des élèves . » (13-10-1938) « Prends soin de ta santé : quand tu fais la classe parle doucement, sinon malheur ! » (Au Fr. Giustino, en Argentine, 24-12-1910). Nous retrouvons ce conseil parmi ses principes pédagogiques : En classe parler peu, le moins possible,… punir peu et encourager beaucoup, arriver en classe toujours bien préparé, prendre soin surtout des derniers et prier souvent pour eux. »

Il se rend compte que le Fr. Visiteur a la santé branlante, il lui donne des conseils de vive voix et écrit au Fr. économe de Rome pour qu'il convainque le Visiteur de voir un médecin et d'en suivre les prescriptions. Il y a trop de cas de tuberculose parmi les jeunes, aussi il dit au Frère Supérieur général qu'il faudrait une infirmerie appropriée. Dans presque toutes les lettres qu'il écrit à son frère Sandro, nous l'avons vu, il lui dit de ménager sa santé, de laisser le travail à des bras plus jeunes. « Je veux espérer que ma lettre vous trouve en parfaite santé. Moi je fais grand usage du houblon. On le trouve ici en grande quantité et il me fait du bien. Je fais aussi usage de reconstituants, et ainsi je vais de l'avant . (22-12-1928). « Laisse manier les machines par des bras jeunes et robustes… » (23-3-1932). Le Frère Alfano vieillit et son frère Sandro aussi puisqu'il est son aîné. Il lui écrit : « Il y a celui qui monte et qui remplace celui qui vieillit et s'en va au repos. Gardons l'âme en paix, mon cher Sandro : grâce à Dieu nous avons travaillé, acceptons maintenant que d'autres nous aident et nous remplacent, quant à nous restons tranquilles… » (2-10-1935)


Frère Alfano garde un vif intérêt pour la maison, pour la famille, pour les champs et pour la nature, pour ce qui a fait le monde, les joies, les sentiments de son enfance. Il se préoccupe de son village qui va rester sans messe à Noël parce que le curé a choisi de résider dans un village voisin. Quand plus tard son frère Sandro sera en France, près d'Agen, dans un village sans curé, le Frère Alfano fera des démarches pour qu'un prêtre de la Vallée d'Aoste s'intègre au diocèse d'Agen afin que les italiens de l'endroit soient suivis. (19-déc-1930) Fils de paysans, il garde en mémoire cette vie simple, laborieuse, en contact avec la nature ; il tient toujours un regard sur le temps, sur le rythme des saisons, sur ce que promettent les champs : « Les chaleurs sont revenues, bien que pas d'une manière fixe. Les nèfles sont abondantes et mûres, tout comme les cerises. Le raisin et les olives promettent bien, si Dieu nous garde un temps propice. » (18 juin 1928) « Nous avons eu aujourd'hui la première menace de pluie : en réalité quelques gouttes. Mais grâce à l'irrigation nous avons des récoltes convenables : des figues en abondance, d'autres fruits, le raisin, etc. Le poids d'une tomate 1kg 400 grammes, des oignons qui pèsent plus d'un kilo, et les patates douces dont une pesait plus de 4 kilos… » (14 septembre 1928) « Je me permets d'ajouter un conseil pratique : les coings, pour qu'ils soient vraiment bons, il faut les couper en petits morceaux, puis il faut les faire bien cuire, et il faut les tamiser pour les réduire en purée ; ensuite il faut ajouter un peu de sucre. Ils sont excellents pour la santé. J'ai entendu aussi que les pies, pour qu'on puisse les manger, il faut leur enlever la peau qui est amère, mais la viande est bonne. (Octobre 1928)


Comme il n'y a pas de curé dans le village où Sandro habite, il suggère que les enfants achètent une moto ou même une auto et puissent conduire papa et maman aux liturgies du dimanche. « Ici la vigne est encore belle, elle n'a pas souffert du mauvais temps, bien qu'elle soit un peu en retard. Et chez vous, comment voyez-vous la prochaine récolte ? Et la vente du vin a-t-elle été bonne ? Et celle du bétail ? Les prunes sontelles belles et nombreuses ? Et dire qu'elles vont tomber par terre sans être utiles à personne. » (15-7-1932) Alfano ne manque pas de donner des conseils sur les affaires quand il le juge opportun. Son frère Sandro fait-il l'achat d'un terrain de peu de valeur ? Il lui écrit le 15 août 1937 : « Tu dois convaincre Zenone que les gens sont faux, tricheurs (les filous sont nombreux, de toutes parts – écrit en français). Dans une région dépeuplée les terrains et les maisons sont sans valeur, ils sont un poids, une gêne. Il ne faut pas acheter ou laisser croire qu'on veut acheter… autrement on paie le triple de ce qu'on devrait. Et d'ailleurs vous avez assez de biens. Vous vous tuez au travail pour rien… »


Sandro avait entrevu de changer d'endroit et de vendre… « Il ne vous convient pas de changer de lieu… Ce que vous possédez vous ne pourrez le revendre à sa valeur. Et ailleurs vous trouverez des inconvénients, des ennuis, des problèmes, des désappointements. Un proverbe dit avec raison que deux déménagements nuisent autant qu'un incendie. Donnez-vous, au contraire, le temps d'un repos honnête, de quelque lecture bonne et reposante, etc. Alors on apprécie mieux les douceurs de la famille… Vous me comprendrez parce que je vous écris pour l'amour que je vous porte et cela me fait de la peine de vous savoir toujours surchargés de travail au point de vous abîmer la santé… (Sandro avait été sérieusement malade). » Les neveux Zenone et Pietro, établis en France, sont tentés de demander la nationalité française : « Pour ce qui regarde l'opportunité de prendre la nationalité française, je suis d'avis contraire : J'ai vu pendant la guerre mondiale, il y a 24 ans, les Allemands et les Hongrois en France. Ils furent réunis dans un camp pour travailler pour le gouvernement français, mais ils étaient payés et logés, etc. Et après la guerre ils sont restés en France, maîtres de leurs affaires. Tandis que ceux qui avaient pris la nationalité française ont été enrôlés et envoyés au front. C'était pire que s'ils n'avaient pas pris la nationalité puisqu'ils ont dû affronter les mutilations et la mort, au lieu d'un travail sûr, payé et tranquille. C'est un fait éloquent ! » 6 janvier 1939


« Très cher Frère Graziano (économe)


Collège San Leone Magno, Via Montebello – Roma


8-9-1940


Je me permets de t'envoyer cet écrit pour une raison d'intérêt commun et d'esprit filial. Tu sais que notre Frère Visiteur, en ces derniers mois (et cela fait déjà bien des mois) est un peu secoué dans sa santé : des bronchites fréquentes qui traînent beaucoup (tu t'en seras aperçu toi aussi), et contre lesquelles il ne veut pas de remèdes. Par ailleurs la quantité de travail, des préoccupations et des soucis lui ont causé finalement des insomnies, des vertiges, et une haute pression cardiaque… Finalement il s'est résigné à voir le docteur Trucchi, (très expert et proche de nous), mais il me semble qu'il ne suit pas la cure prescrite, ni non plus qu'il soit retourné le voir après une quinzaine de jours, comme il le lui avait prescrit… Ce que le Frère Directeur a pu lui dire, de même que toutes mes supplications, ne suffisent pas… Et moi j'ai la réputation d'exagérer et cela rend nulle la valeur de mes paroles… Je reconnais moi-même que j'ai l'habitude de m'exagérer les choses, et donc qu'on doive en retrancher la moitié. Mais certaines choses sont réelles, visibles, tangibles, on ne peut pas les nier complètement. Et les maux, pris dans leurs débuts , sont tout à fait curables; sinon, à long terme, ils deviennent fatals. « Obsta principiis » , dit la sagesse (et pour toutes les choses).- Il

faut faire usage des moyens humains que la science et qu'une expérience pondérée ont trouvés, pour se conserver sains de corps et d'esprit et ainsi pouvoir accomplir tout le bien que le bon Dieu veut de chacun. La raison, la foi, les règles imposent cela clairement. (Autrement on risque de tenter le Seigneur). Je voudrais donc que tu uses de tout ton ascendant pour persuader le Fr. Visiteur de voir un spécialiste qui rende ses bronches fortes contre les changements subits de température et de climat, ce à quoi l'exposent évidemment ses fonctions. (Suggère-lui aussi, en même temps, les précautions opportunes). Je voudrais aussi que tu le persuades de suivre le traitement du Docteur Trucchi. Le Fr. Paolino est venu plusieurs fois de Carmagnola, pour suivre le même traitement et il en est très content. Le Cher Frère Directeur de chez vous appuiera certainement de sa propre insistance (s'il le faut) ce que tu sauras faire. Nous avons le devoir d'être attentif à la santé de notre Supérieur et faire tout le possible pour cela : la gloire de Dieu en dépend et le bien général de notre District… D'avance mille mercis pour ce que tu sauras faire à ce sujet. Je ne continue pas. Ne me réponds pas ; ce n'est pas nécessaire… Mille mercis, hommages et souhaits pour la nouvelle année scolaire. Des hommages reconnaissants et humbles de ma part au Fr. Directeur et à toute la communauté et les plus fraternelles embrassades dans le Seigneur. Toujours votre très humble et très reconnaissant serviteur. Fr. Alfano. »

5. L'humour


Frère Alfano glisse fréquemment dans ses lettres une petite réflexion pleine d'humour. Après la pluie, les figues ont la bouche ouverte : « on dirait des hydropiques ! Et il n'y a rien à faire.» ( Au Fr. Carlo Borromeo 14-10-1928 ) . Le beau temps et le printemps sont « une antienne de la vraie Pâques où les alléluia ne finiront plus ! » (Au Fr. Carlo Borromeo, 2-4-1931). Au Frère Natale, maître des novices, il rappelle : « une plante (un novice) qui n'a pas de fleurs au printemps, n'aura jamais de fruits en été . » ( 18-2-1940 ) Dans ses dernières années il salue les jeunes ainsi : « Le vieux grand-père envoie des souhaits à tous les chers novices, aux postulants et aux juvénistes… Le

vieux grand-père prie les Saints Cœurs de Jésus et de Marie pour les jeunes de bonne volonté, espoir de l'Eglise et de l'Institut Mariste… » (Au Fr. Antelmo, 13-10-1939). Le 2 avril 1940 écrivant à ce même Frère il reconnaît : « Je suis toujours davantage tortue ; mais avec les amis les plus intimes je prends cela encore plus à mon aise. Voilà qui vous expliquera mon retard excessif à votre égard. Cela ne me justifie pas ; malheureusement je risque de ne plus me corriger, comme d'ailleurs de bien d'autres misères qui pèsent en moi… » Très finement il se compare à un zéro : « Le Bon Dieu veut des zéros près des grands chiffres... » ( Au Fr. Alessandro, 28-3-1932 ) . D'autres fois il reconnaît qu'il n'est qu'une pauvre pioche à laquelle Dieu met un bon manche. Un jeune Frère est gravement malade, il prie pour lui et ajoute : « Qu'un vieux décrépi comme moi s'en aille dans un autre monde, c'est logique, c'est normal, c'est peut être même souhaitable…mais les jeunes doivent pouvoir travailler pour la gloire de Dieu ! » (Au Fr. Alessandro, 24-12-1933) Le Fr. Giustino, ancien disciple, l'invite en Argentine : « C'est peut-être pour blaguer que tu parles ainsi, lui répond le Frère Alfano. Tu ne sais pas que je suis une

marmite fêlée… » (Le 18 janvier 1912)


L'année d'après il lui dit : « Je suis un grand-père usé avant le temps ! » ( 7 mars 1913 ) Pourtant bien des lettres témoignent qu'il a demandé de partir en Argentine, en Colombie, en Chine… « Mais je n'ai jamais valu les frais de la traversée… » ( Au Fr. Teofano, 14-10-1922 ) Dans cette même lettre, écrite de Gênes, il remarque que les enfants de cette ville sont bien gentils mais ils « préfèrent le travail fait à celui qu'il faut faire . » Le Frère Jérôme, son cousin, lui rédige de l'Argentine une lettre pleine d'éloges. Alfano lui répond : « L'encens doit être bon marché en Argentine puisque tu m'envoies des coups d'encensoir à profusion . » (6 juillet 1909) Son jubilé de noces d'or de vie religieuse est célébré en même temps que celui du Fr. Isidoro. Il voit la fête qu'on lui fait comme l'ombre qui met en relief le tableau de la vie de son confrère. Avec l'âge il devient un «schivafatiche » (quelqu'un qui évite les fatigues). A 69 ans il n'est plus qu' 'une ombre d'homme', mais tout de suite après il ajoute : « Je me réjouis quand je vois des jeunes sains, bons, contents, bien acheminés et généreux sur la voie droite. Et pour eux je demande continuellement, à la Vierge Marie et au Fondateur, constance, foi, piété, confiance en Jésus et Marie. » (Au Fr. Enrico Maria Bordet, 30-12-1939). A Sandro, son frère en France, il parle de la belle crèche, des chants de Noël qui attirent les gens et il ajoute : « Quand les voyages en avion ne coûteront rien, et qu'on en verra partout comme les voitures, nous vous inviterons pour la messe de minuit, n'est-il pas vrai ? » (21-12-1934).


« J.M.J.


S. Stefano 9 nov 1927


Très cher Sandro, C'est avec joie que je revois tes enfants. Ils sont arrivés ce matin, mercredi, à 4 heures, après un heureux voyage. Ils pensent maintenant à un supplément de sommeil pour se remettre du temps qu'ils ont perdu la nuit. Ils m'ont réjoui avec les bonnes et nombreuses nouvelles de chez vous et de vous tous. Mentalement je me suis trouvé avec vous, voyant toutes les choses dont ils parlaient. Le Frère Pietro Giuseppe (son neveu) a bon cœur et il est prévoyant, il m'a apporté de la gentiane et de la camomille dont il me fait de très bonnes tisanes. Je dois te remercier aussi. Mais ce que je ne m'explique pas est tout cet argent que tu m'envoies et auquel je n'ai pas droit. Tu sais bien ce que je t'ai dit à ce propos. Mais tu as trouvé tout de suite une belle réponse à mes protestations : 'que je vienne te rendre l'argent'. C'est une trouvaille gentille et je ne sais pas comment objecter à cela pour le moment. Si Dieu le veut, dans des temps meilleurs, je me rendrai chez vous. Pour le moment je vais me contenter de te remercier, de demander au bon Dieu qu'il te bénisse et te le rende au centuple. Tu as un trop bon cœur et je ne pourrai jamais te payer mes dettes… Pour toi et pour les tiens je demande incessamment toutes sortes de biens . En décembre j'écrirai à Hône pour savoir comment vont nos parents de là-bas. Mille souhaits à Anastasia, à Giorgio, à Zenone. La maison va vous sembler un peu vide après la quinzaine passée (les 4 fils, maristes, étaient en vacances). Ce sont les circonstances de la vie. Je te conseille de travailler avec modération. Tu n'es plus tenaillé par tant de besoins. Crois-moi, je suis toujours ton frère plein d'affection et de gratitude et je te donne rendez-vous dans le Cœur de Jésus. - Fr. Alfano. »

6. Tout reste imprégné d'une vision spirituelle des choses


Les lettres du Frère Alfano s'ouvrent volontiers sur une réflexion religieuse, rien de pesant ni de prolongé, mais plutôt un climat intérieur, celui dans lequel vit le Frère Alfano, qui transparaît dans des phrases rapides. Et comme cela lui vient spontanément, ses pensées religieuses ne sentent jamais l'artificiel: « Les années passent rapidement et avec eux la vie, le voyage, l'exil, la vraie guerre…et donc on entrevoit la paix, la victoire, le triomphe, la récompense, la couronne, la joie, la compagnie sans fin avec tous nos êtres chers. » (21-12-1934). L'année précédente, Sandro l'avait invité à Tayrac, mais il n'y avait pas de prêtre au village et Alfano, refusant l'invitation, lui fait cet aveu : « Je ne peux plus vivre sans la Messe et sans la Communion quotidienne. Je suis prêt à faire n'importe quel sacrifice afin de n'en être jamais privé. » (17-7-1933). Comme il écrit souvent à l'occasion de Noël et de Pâques, il en souligne l'aspect religieux : « Pour le moment je m'arrête en vous souhaitant toutes les joies de la vraie Pâques chrétienne, qui signifie passage. La résurrection de N. S. J. C. est pour nous un gage de résurrection et de vie éternelle. Oh ! la belle Pâque qui nous est réservée dans le ciel, durable, éternelle, absolument parfaite, tandis qu'ici bas tout change, tout s'efface et la croix est de tous les jours dans des manières et des degrés différents. C'est bien vrai qu'il ne vaut pas la peine de s'accrocher à ce qui passe ! » (28-3-1929). Si c'est à l'occasion de la Pentecôte qu'il écrit, la lettre ouvre une fenêtre sur le Saint Esprit : « Combien nous avons besoin des dons du Saint Esprit pour nous sanctifier ! Quelles choses admirables ne firent pas les apôtres après avoir reçu le Saint Esprit ! Quelles œuvres admirables font tous les bons chrétiens sous la poussée du Saint Esprit. Il est vraiment l'Esprit Consolateur parce qu'il nous révèle tout ce qui est important pour que nous nous rappelions notre sort futur et joyeux. Combien saint François d'Assise avait raison de chanter : Le bien que j'attends est tellement grand, que toute douleur m'est consolation . » (Lettre du 17-5-1929).

Le Frère Alfano n'oublie pas d'être l'homme de Dieu dans sa correspondance. La Noël est proche quand il écrit à Sandro le 22-12-1929 : « Nous arrivons à Noël et je te souhaite, comme aussi à tous les tiens de la maison, le meilleur bien possible. Dieu peut et il veut nous donner ce qu'il y a de mieux parmi toutes les choses et en plus il sait ce qui est bon ; alors, laissons-le faire… Qu'il vous donne surtout sa paix divine, tellement précieuse puisqu'il l'a faite chanter par les anges sur son berceau de Bethléem ! Il la promet aux hommes de bonne volonté et nous voulons être des hommes de bonne volonté ! » Et pour Pâques : « Pâques est une fête toujours joyeuse et avril un mois toujours agréable. Ce n'est pas pour les motifs qui nous parlaient tellement au cœur dans nos jeunes années, mais pour ce qu'ils représentent et promettent vraiment. Le printemps nous parle d'un autre printemps, qui sera parfaitement radieux, prespère, festif, durable, éternel, sans nuages, ni tempêtes, ni fatigues, ni préoccupations…Pâques nous rappelle justement ce passage définitif de l'exil à la patrie, de la terre au ciel, elle nous promet la résurrection glorieuse de nos corps et l'éternelle joie… » (31-3-1931). La lettre qu'il adresse à sa belle-sœur Anastasia est pleine de la présence de la Vierge Marie. Sa belle sœur s'est rendue en pèlerinage à Lourdes pour la fin de l'année jubilaire et il lui écrit: « Tu as été chanceuse d'avoir pu assister à ces manifestations religieuses magnifiques, présidées par le représentant du pape et qui ont été faites avec la ferveur du paradis. Comme elle est bonne et miséricordieuse la Vierge Marie de susciter tellement de foi et de générosité au milieu d'une humanité par ailleurs ingrate et indifférente. C'est le cas de redire aujourd'hui que les extrêmes se touchent : la sainteté voisine l'impiété… » (1-6-1935).

L'âge lui fait tourner les regards vers Dieu : « Avec les années arrivent les ennuis de santé ; mais ils sont providentiels, ils nous font acquérir des mérites et ils nous détachent de ce pauvre monde et ils nous font penser que nous avons une belle patrie ouverte au-dessus de nos têtes, avec l'éternel printemps, la plénitude de vie et toutes sortes de bonheur. La foi nous rend heureux, pour autant qu'on puisse être heureux ici-bas, avec la paix dans le cœur, la paix en famille et l'assurance pour l'avenir proche ou lointain. (20-12-1937). En pleine guerre il écrit à son frère Sandro : « Oui, je m'unis toujours et de tout cœur aux prières que vous adressez au Cœur de Jésus par le Cœur Immaculé de Marie. Il est notre vie, notre espérance, notre sécurité et notre paix… Nous prions toujours pour que l'Europe retrouve vite la tranquillité dans l'ordre et dans la justice chrétienne. Les peuples trouveront en Jésus le vrai médecin, le pacificateur, l'ami… » (14-9-1940). Dans le dernier billet que le Fr. Alfano a envoyé à Sandro, le 5 décembre 1942 - il mourra trois mois après - tout dit son très mauvais état de santé. Le message est bref, les mots abrégés et l'écriture incertaine: « Mon très cher frère et très chers parents. Souhaits pour une s. Noël. Confiance toujours dans les SS. CCs. d. Jésus et Marie Immaculée dans la vie et dans la mort. Seul le Paradis vaut : Notre Patrie Infiniment Bienheureuse. Le monde est une ombre. Au revoir dans le bien infini ! f.a. »


Le climat spirituel du Fr. Alfano: le second noviciat


Le Frère Alfano se trouve à Grugliasco pour le second noviciat et il écrit à un groupe de ses anciens novices qui travaillent en Argentine.


Frère Teofano - Grugliasco, 3-4-1916


« Je vous écris ces lignes de Grugliasco même, du second noviciat. Oui, j'ai été finalement exaucé dans mon vif désir de faire le second noviciat. Je m'estime heureux et chanceux. Je n'ai qu'une crainte, c'est que les événements actuels ne me permettent pas de le poursuivre jusqu'au bout. Les Frères soldats augmentent toujours plus et les besoins des maisons deviennent plus urgents, de sorte que l'on n'est jamais sûr du lendemain. Mais enfin nous sommes dans les mains de la Providence et nous ferons tout ce que nous pourrons. Pour moi, j'estime plus que jamais le bénéfice du second noviciat : prier avec une âme apaisée, faire deux belles méditations par jour, deux examens de conscience (vraiment méthodiques), visiter plus de six fois par jour Jésus dans le Saint Sacrement, faire le chemin de croix tous les jours et tous les jours un rosaire de 15 mystères… Ce n'est pas une petite grâce. Et travailler tous les jours sur les livres de l'Institut pour les connaître de façon plus substantielle, vivre une vie vraiment mariste, m'exercer à faire mourir l'amour-propre et à pratiquer toutes les vertus : voilà la vie d'un second novice, voilà un bel exercice pour le paradis. Apprendre à se renouveler dans la ferveur, dans l'esprit de l'apostolat, pour faire un bien durable… Quelle beauté de pouvoir se dire les amis du Sacré Cœur de Jésus et ses apôtres… »


7. Amour pour l'Institut


Cet amour fait partie du courant central de sa spiritualité et toutes les occasions lui sont bonnes pour conduire à l'amour, à la connaissance et à l'imitation du Fondateur, à la connaissance de tous nos écrits, à l'admiration de nos premiers Frères par la lecture des biographies. Il a la dévotion à ce qu'il appelle 'pain de chez nous'. Le 14 octobre 1918, il envoie à Grugliasco 16 pages de préparation au Chapitre général de 1920 : pages pleines de sagesse pratique et prophétique. Devançant le temps, il indique des structures à mettre en place : le Guide de Formation, un responsable de la formation pour tout l'Institut, la formation continue, il demande de coordonner les programmes religieux et profanes entre les diverses périodes de formation. Grâce à son expérience, dans les notes envoyées pour le Chapitre général, il parcourt les diverses étapes de la formation d'alors pour proposer des améliorations : le recrutement, le juvénat, le postulat-noviciat, le scolasticat… Il conseille les Supérieurs majeurs de faire en sorte que ceux qui sont responsables des juvénats se rencontrent, échangent leurs expériences, rédigent un manuel qui les guide…Il suggère que les documents de l'Institut et les circulaires soient traduits dans les autres langues pour que tous les Frères en profitent vraiment. (Ce sera fait à partir de 1967) Que les postulants soient des jeunes gens mûrs, qu'ils aient si possible déjà quelque diplôme officiel, parce que, dit-il, des jeunes d'une certaine culture assimilent mieux les valeurs de la vie religieuse. Plus qu'à l'âge, il demande qu'on fasse attention à la maturité de la personne pour admettre au noviciat. On y entrait alors à 15 ans. Qu'il n'y ait qu'un seul groupe de postulants, un seul groupe de novices, de façon que les formateurs soient moins dispersés. (On avait alors encore l'habitude de plusieurs vêtures et de plusieurs professions pendant la même année, donc des groupes différents). Il ne veut pas qu'on accable les novices d'études, pour qu'ils aient le temps de former en eux l'habitude de l'intimité avec le Seigneur dans la sérénité. Il insiste pour qu'on ne garde jamais des éléments médiocres et que l'on ne craigne pas de les renvoyer. Il est contraire à des noviciats trop pleins, si on veut viser à une formation en profondeur.


Le Frère Alfano enverra de pareilles réflexions en 1938 dans l'imminence d'un autre Chapitre général. Il s'est toujours montré responsable et actif. Il note que dans la Province il manque d'infirmerie alors que les Frères anciens, et les tuberculeux, méritent les soins dont ils ont besoin… Jusqu'où allait son amour pour la Congrégation ? Il écrit à son cousin, missionnaire en Argentine, Mr Eugène Colliard : « Quand tu auras les cheveux blancs comme moi maintenant, tu aimeras plus que jamais être mariste, et tu voudras même verser ton sang pour cet Institut béni, tellement privilégié et tellement bienfaisant. » (15-8-1910). Alfano n'a que 40 ans, probablement il commence à avoir quelques cheveux blancs, mais le cœur est tout rempli d'amour pour la famille mariste et prêt à verser son sang pour elle. Transmettre l'amour de l'Institut, du Fondateur, par la connaissance profonde de sa vie, de sa pensée, des livres de l'Institut, des biographies des premiers Frères, a été une de ses préoccupations obsédantes ; nous la retrouvons dans toutes les lettres de ses dernières années de vie. Rien ne lui était plus douloureux que de voir des Frères qui n'estimaient pas et ne connaissaient pas notre Fondateur. Il voulait que tous les Frères fussent orgueilleux du trésor mariste, 'le pain de la maison', et cela comme une expression de gratitude à l'égard de Dieu et de la Vierge Marie. La sensibilité qu'il a pour sa famille, il l'éprouve avec la même intensité quand il s'agit de la Famille Mariste. En mai 1937 meurt le Frère Raffaele, Supérieur du District de l'Italie. A son frère Sandro, Alfano écrit : « Ici nous avons été très grandement éprouvés et souffrants pour l'immense perte que nous avons eue de notre Supérieur d'Italie. Il nous a été ravi après 15 jours de maladie à 53 ans (dix ans de moins que moi !) et quand tout nous faisait croire qu'il pouvait vivre et travailler pendant 30 autres années… De mon côté je suis resté comme perdu et hébété ! J'admirais son activité intelligente et infatigable. Oui, le supérieur était le moteur principal de notre District, qui a tellement peu d'hommes mûrs et valides !… Et maintenant nous devons bien faire sans lui ! » (10-5-1937). Il regarde les Frères avec sympathie, admiration. La lettre qu'il envoie au Frère Stratonique, Supérieur général, sur le Frère John, Assistant général, récemment décédé, nous permet de connaître le cœur attentif et bon du Fr. Alfano, mais peut-être se décrit-il un peu.

Suite



14/03/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 752 autres membres