Le Serviteur de Dieu François Xavier Nguyen Van Thuan
Le Serviteur de Dieu François Xavier Nguyen Van Thuan
1928-2002
Le Cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân est né le 17 avril 1928 à Phu Cam, il est l'ainé d'une famille de huit enfants, neveu de Ngô Dinh Diêm, et de l'archevêque Pierre Martin Ngo Dinh Thuc . Il fait ses études au petit puis grand séminaire et est ordonné Prêtre en juin 1953. Il continue ses études à Rome. Il est chargé de la formation des prêtres dans son diocèse, et le 24 juin 1967 il est nommé évêque du diocèse de Nha Trang. En 1975, il est nommé par le Saint Siège Archevêque-coadjuteur du diocèse de Saïgon. Sa nomination est refusée par le nouveau pouvoir, qui le 15 août 1975, le convoque au palais de l'indépendance puis il est placé en résidence surveillée, puis interné pendant plus de treize ans : en 1976, le cachot de la prison de Phu Khanh, puis le camps de rééducation de Vinh Phu au Nord Vietnam, la résidence surveillée dans la petite chrétienté de Giang Xa, et enfin les locaux de la Sûreté de Hanoi. Lorsque son internement prend fin le 21 novembre 1988, il est assigné à résidence dans les bâtiments de l'archevêché de Hanoï. Lors d'un séjour à Rome en septembre 1991, il apprend que le gouvernement ne souhaite pas son retour au pays.
C'est en 1994 que Mgr Van Thuân a été appelé à Rome par le Serviteur de Dieu Jean-Paul II, qui l'a alors nommé vice-président de la Conseil Pontifical « Jusrtice et Paix ». En 1995 il est nommé postulateur de la Cause de béatification du Serviteur de Dieu Marcel Van. Le Pape Jean Paul II a créé le président de Justice et Paix cardinal lors du consistoire du 21 février 2001, puis Jean Paul II demande à Mgr Van Thuân delui prêcher la retraite de carême ainsi qu'à la curie en l'annnée du grand Jubilé de l'an 2000. Le 27 février 2001 il reçoit la pourpre cardinalise des mains du Serviteur de Dieu Jean Paul II. Le cardinal Van Thuan est entré dans la Vie le 16 septembre 2002 à l'hôpital romain Pie XI des suites d'un cancer, à l'âge de 74 ans. Ses funérailles furent présidés par le pape Jean-Paul II lui même, en la basilique vaticane le 20 septembre 2002.
Homélie du Pape Jean Paul II, prononcée los des obsèques du Serviteur de Dieu François-Xavuer Nguyên Van Thuân
Le Vendredi 20 septembre 2002
1. "Leur espérance était pleine d'immortalité" (Sg 3, 4).
Ces paroles réconfortantes du Livre de la Sagesse nous invitent à élever, à la lumière de l'espérance, notre prière de suffrage pour l'âme élue du défunt Cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân, qui a placé toute sa vie précisément sous le signe de l'espérance. Certes, sa douloureuse disparition remplit de douleur ceux qui l'ont connu et aimé: sa famille, en particulier sa mère, à laquelle je renouvelle l'expression de ma proximité affectueuse. Je pense également à la bien-aimée Eglise du Viêt-nam, qui l'a engendré dans la foi; et je pense également à tout le peuple vietnamien, que le vénéré Cardinal a expressément rappelé dans son testament spirituel, en affirmant l'avoir toujours aimé. Le Saint-Siège regrette le Cardinal Van Thuân, qui a consacré ses dernières années à son service, comme Vice-Président, puis comme Président du Conseil pontifical "Justice et Paix". A tous, en ce moment également, il semble lancer avec une affection persuasive une invitation à l'espérance. Lorsque, en l'an 2000, je lui demandai de guider les méditations pour les Exercices spirituels à la Curie Romaine, il choisit comme thème: "Témoins de l'espérance". Maintenant que le Seigneur l'a éprouvé "comme l'or au creuset" et l'a agréé "comme un parfait holocauste", nous pouvons véritablement dire que "son espérance était pleine d'immortalité" (cf. Sg 3, 4.6). C'est-à-dire qu'elle était pleine du Christ, vie et résurrection de ceux qui ont confiance en Lui.
2. Espère en Dieu! C'est par cette invitation à placer sa confiance dans le Seigneur, que le cher Cardinal avait commencé les méditations des Exercices spirituels. Ses exhortations sont restées gravées dans ma mémoire en vertu de la profondeur des réflexions, enrichies de souvenirs personnels constants, relatifs en grande partie à ses treize années passées en prison. Il racontait que précisément en prison, il avait compris que le fondement de la vie chrétienne est de "choisir Dieu seulement", en s'abandonnant totalement entre ses mains paternelles. Nous sommes appelés, ajoutait-il à la lumière de son expérience personnelle, à annoncer à tous l'"Evangile de l'espérance"; et il précisait que ce n'est qu'à travers la radicalité du sacrifice que l'on peut porter à terme cette vocation, même au milieu des épreuves les plus dures. "Valoriser chaque douleur - disait-il - comme l'un des innombrables visages de Jésus crucifié et l'unir au sien signifie entrer dans la même dynamique de douleur-amour; cela signifie participer à sa lumière, à sa force, à sa paix; cela signifie retrouver en nous une présence de Dieu plus nouvelle et plus pleine" (Témoins de l'espérance, Rome 2001, p. 124).
3. On pourrait se demander d'où il puisait la patience et le courage qui l'ont toujours distingué. Il confiait, à ce propos, que sa vocation sacerdotale était liée de façon mystérieuse mais réelle au sang des martyrs tombés au cours du siècle dernier tandis qu'ils annonçaient l'Evangile au Viêt-nam. "Les martyrs, observait-il, nous ont enseigné à dire oui: un oui sans condition ni limite à l'amour du Seigneur; mais également un non aux flatteries, aux compromis, à l'injustice, même dans le but de sauver sa vie" (Ibid., pp. 139-140). Et il ajoutait qu'il ne s'agissait pas d'héroïsme, mais de fidélité mûrie en tournant son regard vers Jésus, modèle de tout témoin et de tout martyre. Un héritage à accueillir chaque jour dans une vie pleine d'amour et de douceur.
4. En adressant notre ultime salut à ce messager héroïque de l'Evangile du Christ, nous remercions le Seigneur de nous avoir donné en lui un exemple lumineux de cohérence chrétienne jusqu'au martyre. Il a affirmé de lui-même, avec une simplicité impressionnante: "Dans l'abîme de mes souffrances... je n'ai jamais cessé d'aimer chacun, je n'ai exclu personne de mon coeur" (ibid., p. 124). Son secret était une confiance indomptable en Dieu, alimentée par la prière et la souffrance acceptée avec amour. En prison, il célébrait chaque jour l'Eucharistie avec trois gouttes de vin et une goutte d'eau dans le creux de sa main. C'était son autel, sa cathédrale. Le Corps du Christ était son "médicament". Il racontait avec émotion: "Chaque fois, j'avais l'occasion de tendre les mains et de me clouer sur la Croix avec Jésus, de boire avec lui le calice plus amer. Chaque jour, en récitant les paroles de la consécration, je confirmais de tout mon coeur et de toute mon âme un nouveau pacte, un pacte éternel entre Jésus et moi, à travers son sang mêlé au mien" (ibid., n. 168).
5. "Mihi vivere Christus est" (Ph 1, 21). Fidèle jusqu'à la mort, le Cardinal Nguyên Van Thuân a fait sienne l'expression de l'apôtre Paul que nous venons d'écouter. Il a conservé la sérénité et même la joie, même au cours de son long et douloureux séjour à l'hôpital. Au cours des derniers jours, lorsque désormais, il était incapable de parler, il demeurait le regard fixé sur le Crucifix qu'il avait devant lui. Il priait en silence, tandis qu'il accomplissait son ultime sacrifice couronnant une existence marquée par la configuration héroïque au Christ sur la Croix. Les paroles proclamées par Jésus à l'imminence de sa Pâque s'adaptent bien à lui: "Si le grain de blé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit" (Jn 12, 24). Ce n'est qu'à travers le sacrifice de lui-même que le chrétien contribue au salut du monde. Il en a été ainsi pour notre vénéré Frère Cardinal. Il nous quitte, mais son exemple demeure. La foi nous assure qu'il n'est pas mort, mais qu'il est entré dans le jour éternel qui ne connaît pas de crépuscule.
6. "Sainte Marie,... priez pour nous... à l'heure de notre mort". En prison, lorsqu'il lui était impossible de prier, il avait recours à Marie: "Mère, tu vois que je suis à bout, je n'arrive plus à réciter aucune prière. Alors,... me remettant entre tes mains, je répète simplement: "Ave Marie!" (ibid., p. 253). Dans son testament spirituel, après avoir demandé pardon, le défunt Cardinal assure continuer à aimer chacun. "Je pars avec sérénité, affirme-t-il, et je n'éprouve de haine pour personne. J'offre toutes les souffrances que j'ai vécues à Marie Immaculée et à saint Joseph". Le testament se conclut sur une triple recommandation: "Aimez la Sainte Vierge et ayez confiance en saint Joseph, soyez fidèles à l'Eglise, soyez unis et faites preuve de charité envers tous". Telle est la synthèse de son existence même. Puisse-t-il être accueilli à présent, avec Joseph et Marie, pour contempler dans la joie du Paradis le visage glorieux du Christ, qu'il a cherché sur terre avec ardeur comme son unique espérance.
Amen!
Citations et extraits de textes de François Xavier Nguyen Van Thuan
Le Testament de Jésus
Une dernière manière de prier, comme évêque en prison, était de m'immerger dans le Testament de Jésus, dans ses dernières paroles, ses dernières actions. Je me demandais : "Qu'est-ce que Jésus nous a laissé avant de monter au ciel ? "Et la réponse était : "Il nous a laissé sa parole ; son corps ; sa mère ; son Eglise ; son sacerdoce ; sa paix. "Dans son amour infini (in finem dilexit) il nous avait tout laissé. Et une onde de bonheur m'envahissait. Puis je me posais la question : "Qu'est-ce que Jésus nous a promis ?" Et je me souvenais de tout ce qu'il avait promis aux siens avant de monter vers son Père : qu'il sera avec nous tous les jours jusqu'à la fin des temps (cf. Mt XXVIII,20), qu'il nous enverra l'Esprit Saint (cf. Jn XIV,15-26) ; que le Père nous aime (cf. Jn XVI,27) ; que nous pouvons tout obtenir si nous prions en son nom (cf. Jn XIV,13) ; qu'il sera au milieu de nous là où deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt XVIII,20). Et je me demandais encore : "Qu'est-ce que Jésus demande à son Eglise ? "Et je constatais : Jésus veut laisser une Eglise pauvre, lui qui n'a pas de maison pour y faire son dernier repas et qui offre son sacrifice suprême sur la croix, sans vêtements. Jésus veut laisser une Eglise de service, lui qui lave les pieds de ses apôtres. Jésus veut laisser une Eglise mariale, quand du haut de la croix il confie Marie à Jean et qu'il répand sur eux l'Esprit. Jésus veut laisser une Eglise missionnaire, quand il envoie les apôtres pour être ses témoins jusqu'aux extrémités de la terre. Jésus veut laisser une Eglise qui affronte avec courage les défis du monde, quand il prie : "Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais" (cf. Jn XVII,15). Je me demandais enfin : "Quel est le plus grand commandement qu'il nous laisse ? "Et la réponse était : "L'amour jusqu'à l'unité." Le Testament de Jésus est le trésor inépuisable qui a nourri ma vie spirituelle pour garder l'espérance dans les épreuves de la solitude, du désespoir, de l'infirmité, à la mer, à la montagne, en captivité.
Témoins de l'espérance (ch. XIII – p.159-158)
Marie est accueil d'Amour
Durant le cours entier de sa vie, Marie reçoit tout de Dieu. C'est justement là que réside la grandeur de sa mission qui se prolonge mystérieusement dans l'Eglise : tout prend son origine dans le Seigneur, tout vient d'en haut. Et la Vierge accueille. En même temps que toute l'Eglise, méditons sur quatre paroles de l'Ecriture.
1. Ave Maria, gratia plena. Marie est la première à recevoir la Bonne Nouvelle et, en prévision de la passion de Jésus, la première à être comblée de la plénitude du salut. Par le salut de l'ange, la servante devient possession de Dieu. Nous sommes à l'aube de l'Eglise qui est - comme l'affirme la constitution Lumen Gentium - "la terre ou le champ de Dieu" (LG VI ; cf. I Co. III,9).
2. Ecce concipiens et paries filium. Par l'oeuvre de l'Esprit, s'actualise le grand mystère de l'Incarnation. Le Fils, qui avait vécu au ciel in sinu patris, trouve en Marie sur la terre un sein digne de lui. Fille du Père, Marie devient mère, Mère du Verbe incarné Epouse de l'Esprit Saint. Durant les neuf mois qui suivent, Marie est davantage la Vierge de l'intériorité. Unique parmi les créatures, elle fait l'expérience de porter physiquement Jésus dans son sein. A son image, toute l'Eglise est appelée à être le "sein" qui offre Jésus au monde.
3. Respexit humilitatem. Pendant toute sa vie, Marie vit en un chant d'action de grâce pour remercier Dieu de ce qu'elle a reçu de lui : non seulement la grâce, mais le Dispensateur de la grâce et, avec lui, tous les autres privilèges. "Le Seigneur a fait pour moi de grandes choses... il a porté son regard sur son humble servante." Pour cela "toutes les générations me proclameront bienheureuse". Comme Marie, l'Eglise, consciente de son rien, proclame la grandeur du Seigneur.
Témoins de l'espérance (ch. XX – p.244-246)
Prier sans cesse – In oratione Dei
Après ma libération, beaucoup de gens m'ont dit : "Père, vous avez dû avoir beaucoup de temps pour prier, en prison." Cela n'est pas aussi simple qu'on pourrait le penser. Le Seigneur m'a permis d'expérimenter toute ma faiblesse, ma fragilité physique et mentale. Le temps passe lentement en prison, surtout durant l'isolement. Imaginez une semaine, un mois deux mois de silence... C'est terriblement long, mais quand cela se transforme en années, cela devient une éternité. Il y a des jours où, épuisé par la fatigue, la maladie, je n'arrivais pas à réciter une seule prière ! Mais c'est vrai : on peut apprendre beaucoup sur la prière, sur l'authentique esprit de prière, justement quand on souffre de ne pas pouvoir prier, à cause de la faiblesse physique, de l'impossibilité de se concentrer, de l'aridité spirituelle, avec la sensation d'être abandonné de Dieu et si loin de lui qu'on ne peut pas lui adresser une parole. C'est peut-être à ces moments-là que l'on découvre l'essence de la prière et que l'on comprend comment peut se vivre ce commandement de Jésus qui dit : "Il faut prier sans cesse" (cf. Lc XVIII,1). Des Pères du désert au Pèlerin russe, des moines d'Occident à ceux d'Orient, il n'y a eu qu'une seule préoccupation, une recherche passionnée : celle de pouvoir mettre en pratique une prière persévérante et ininterrompue dans laquelle - comme le dit Cassien - "se trouve le point culminant de la perfection du coeur".
Témoins de l'espérance (ch. XIII – p.151-152)
En état de confiance
Mais qu'est-ce qui, dans la vie quotidienne, dans la routine normale du travail et des relations, peut nous aider à nous maintenir dans un état de prière, c'est-à-dire d'union avec Dieu ? En lisant les Pères du désert - pour qui la solitude était une conditio sine qua non d'une prière continue - j'ai été frappé par un épisode peu connu mais très significatif. On dit qu'un jour le grand Antoine eut une révélation surprenante : "Il y a dans la ville quelqu'un qui te ressemble : il est médecin de profession, donne son superflu à ceux qui sont dans le besoin et chante le trisagion tout le jour avec les anges [Le trisagion est une triple acclamation qui se place ordinairement pendant la liturgie de la Parole dans les liturgies eucharistiques des rites orientaux]." Comment faisait ce médecin inconnu de la Thébaïde pour pratiquer une forme aussi élevée de la prière ? Augustin nous en donne peut-être la clef lorsqu'il affirme : "Ton desiderium est ton oratio ; si ton désir est continu, continuelle est ta prière." Pour Augustin, de desiderium s'identifie avec la caritas, et la charité conduit à faire le bien, si bien qu'une autre manière de rendre continue la prière consiste à faire le bien, à bene agere. "Qui pourra avec sa langue répéter tout le jour les louanges de Dieu ? [...] Qui peut persévérer à louer Dieu tout le jour ? Je te suggère un moyen pour louer Dieu tout le jour, si tu le veux. Tout ce que tu fais, fais-le bien, et tu auras donné louange à Dieu."
Témoins de l'espérance (ch. XIII – p.154-155)
Etre prière
La dernière étape de la prière continuelle est atteinte, selon les auteurs spirituels, non seulement lorsqu'on prie sans cesse, mais quand on est prière. Isaac de Ninive décrit en ces termes celui qui vit ainsi : "Qu'il mange, boive, dorme, ou fasse quelque autre chose, et jusque dans son sommeil le plus profond, le parfum de la prière s'élève sans effort de son coeur et de l'esprit purifié sont les voix pleines de douceur avec lesquelles de tels hommes ne cessent jamais de chanter en secret le Dieu caché." Un expert moderne en matière de spiritualité a concentré en quelques mots à la fois toute la tradition et l'idée que l'on se fait aujourd'hui de la prière en disant : "Le vrai chemin de l'oraison, c'est la vie [...]. Une prière continue, c'est une vie entièrement vouée au service de Dieu. C'est la seule manière de toujours prier. La prière est continue quand l'amour est continu. L'amour est continu quand il est unique et total." Si notre vie devient "un acte d'amour unique étendu dans le temps", s'il reflète instant après instant la vie du Seigneur Jésus, on peut alors aussi comprendre cette affirmation simple et concise de Chiara Lubich qui m'a beaucoup touché : "Comment faire pour prier sans cesse ? En étant Jésus. Jésus prie toujours." Dans cette brève fromule est contenue toute l'essence de la prière, dans laquelle c'est Jésus lui-même qui, comme le dit saint Augustin, "orat pro nobis ut sacerdos noster ; orat in nobis ut caput nostram ; oratur a nobis ut Deus noster."
Témoins de l'espérance (ch. XIII – p.155-157)
« Jésus dans l'Eucharistie m'a aidé à surmonter les années les plus difficiles»
Témoignage que le Cardinal Van Thuân nous a laissé peu avant sa mort
Éminences, Excellences, chers confrères prêtres, chères sœurs, chers frères et sœurs dans le Christ, Je voudrais partager avec vous tous l'expérience de mes années de prison et d'autres choses que j'ai vécues dans mon travail comme Président de « Iustitia et Pax » à travers le monde. J'ai passé, comme vous le savez, plus de treize ans en prison, dont neuf en isolement, sans jamais recevoir de visite, pas même de ma famille, toujours avec mes deux gardiens qui ne me parlaient pas, sans radio, sans journal, sans téléphone, sans télévision. C'est une culture de mort. Je vous dis tout de suite comment j'ai passé ces années et comment c'est surtout Jésus dans l'Eucharistie qui m'a aidé à surmonter ces années difficiles. Des moments de désespoir, de révolte : Pourquoi le Seigneur m'envoie-t-il en prison alors que je suis encore un jeune Évêque, après huit ans d'expérience ? Toutes ces années de prison sans procès et sans jugement.Le premier jour j'ai dû partir les mains vides. Le deuxième jour on m'a permis d'écrire quelques lignes pour demander des vêtements ou du dentifrice. J'ai demandé qu'on m'envoie un peu de vin et des médicaments contre les maux d'estomac. Les personnes dehors ont le don de l'Esprit Saint, elles ont compris tout de suite. Le directeur de la prison m'a fait venir : « Monsieur Van Thuân, vous avez mal à l'estomac ? ». « Oui Monsieur ! ». « Vous avez besoin de médicaments ? ». « Tous les matins ». « Alors en voici, un flacon avec une étiquette où il est écrit : « Remède contre le mal d'estomac ». À ma grande joie, ce sont les plus belles Messes de ma vie : j'offre chaque jour le sacrifice dans la paume de ma main avec trois gouttes de vin et une d'eau. Mais chaque jour je peux ainsi renouveler au Seigneur mon alliance nouvelle et éternelle comme prêtre. L'Eucharistie est une force pour moi et pour les autres détenus. Ils sont proches de moi, parce que nous dormons tous ensemble dans un lit commun, 25 de chaque côté, tête contre tête et les pieds à l'extérieur. Le soir à neuf heures et demi, dans l'obscurité, je me penche pour célébrer de mémoire la Messe, puis je passe sous la moustiquaire la communion aux cinq autres catholiques qui sont près de moi. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nous réconforte. Le lendemain, nous allons tous recueillir le papier des paquets de cigarettes avec lequel nous fabriquons des petits paquets pour y conserver le Saint-Sacrement. Chaque semaine, le vendredi, il y a une séance d'endoctrinement. Toute la prison va étudier. Au moment de la pause, nous passons donner à chaque groupe de 50 personnes un sachet avec Jésus dedans. Chaque groupe porte Jésus dans sa poche, et dans l'épreuve, l'anxiété, la tristesse, les tribulations, ils sentent toujours que Jésus dans l'Eucharistie est avec eux ; ils prient la nuit, et grâce à l'adoration de Jésus Christ et à la communion, ces hommes qui parfois ont abandonné la foi deviennent vraiment des chrétiens.
Je ne pourrai jamais oublier combien nous a été utile le chant liturgique que nous a laissé saint Thomas pour la célébration de la fête du Corps et du Sang du Christ, dans lequel est affirmée toute la théologie en quelques mots tout simples. Permettez-moi de les chanter, pour vous faire comprendre ce que nous éprouvions quand nous chantions ensemble à voix basse le soir dans la prison, pour voir ce que le Seigneur nous a promis à travers les figures de l'Ancien Testament : « In figuris praesignatur / cum Isaac immolatur / Agnus Paschae deputatur / datur manna patribus ». Ou alors nous percevions l'aspect marial de l'Eucharistie : quand nous la célébrons, nous sommes vraiment les enfants de Marie : Ave verum corpus, natum de Maria virgine ». Ces chants ont aidé beaucoup d'entre nous en prison. Ces laïcs devenaient ainsi courageux, sereins dans la tristesse, ils servaient les autres avec charité, et leur témoignage attirait les autres, les non catholiques, quelquefois fanatiques, qui demandaient à connaître la religion, Jésus : ces laïcs sont devenus des catéchistes, puis ils ont baptisé d'autres compagnons prisonniers et sont devenus leurs parrains.
Avec l'Eucharistie, la prison a changé : elle est devenue une école de foi et de catéchèse. (…) Ce dont nous avons besoin, Jésus nous le donne dans l'Eucharistie : l'amour, l'art d'aimer : aimer toujours, aimer par un sourire, aimer tout de suite et aimer ses ennemis, aimer en pardonnant, en oubliant d'avoir pardonné. Je pense que Jésus dans l'Eucharistie peut nous enseigner sept aspects de cet amour. Au Cénacle, Jésus nous manifeste l'amour sacrifié : « Ceci est mon corps, offert en sacrifice pour vous ». Quand, après le repas, il se rend au Gethsémani, c'est un amour abandonné : Jésus se sent abandonné par le Père, mais c'est à ce moment-là qu'il s'abandonne complètement et totalement entre les mains du Père : « Non sicut ego volo sed sicut tu ».
Sur la croix, Jésus a manifesté l'amour consommé, parce qu'il nous a aimés jusqu'à la fin, et qu'il a dit : « Tout est accompli ». Il ne reste rien qu'il n'ait fait pour nous. Et quand, une fois ressuscité, il accompagne les deux disciples à Emmaüs et qu'il parle avec eux, en leur expliquant les Écritures et qu'il se révèle à eux comme Eucharistie dans la fraction du pain, c'est un amour intime. Dans la Messe, Jésus s'offre dans nos mains chaque jour ; son sacrifice pour nous, son sang versé pour nous et pour tous est un amour immolé, un amour mastiqué, comme le disait le Curé d'Ars : « Le prêtre et tous les chrétiens sont des masticateurs ». Dans le tabernacle, Jésus nous manifeste l'amour caché, dans l'oraison silencieuse. Dans l'Ostensoir, Jésus nous montre l'amour radieux, et nous sommes tous un rayon de Jésus, nous devons être lumière comme il veut que nous le soyons.
Quand j'étais en prison, les gardiens ne me parlaient pas, mais un jour, ils m'ont dit que quand leurs chefs les avaient envoyés vers moi, ils leur avaient dit : « Étant donné que vous irez surveiller un Évêque très dangereux, je vous changerai tous les quinze jours avec un autre groupe, pour éviter qu'il ne vous contamine ». Après les avoir suivis, leurs chefs les appelèrent et leur dirent : « Maintenant nous ne vous changerons plus, sinon ce mauvais Évêque finira par contaminer toute la police ». Avec quel venin les ai-je contaminés ? Avec le venin de l'amour de Jésus. Un jour, je devais couper du bois. J'ai demandé à un compagnon qui était devenu mon ami : « Me laisses-tu tailler un bout de bois en forme de croix ? ». « C'est très dangereux, c'est interdit. Maintenant tu es mon ami, et on me mettra en prison comme toi ». « Mais non, ferme les yeux et laisse-moi faire ». Il n'a pas pu résister et il s'en est allé. J'ai taillé un bout de bois en forme de croix et je l'ai caché dans une savonnette jusqu'à ma libération, et j'ai fait cette croix avec le bois noir de la prison.
Dans une prison près de Hanoi, un jour, j'ai demandé à un gardien une autre faveur : de me couper un bout de fil électrique. « Vous voulez vous suicider ! ». « Mais non ! ». « Mais qu'allez-vous faire avec du fil électrique ? ». « Je veux faire une chaîne pour porter ma croix ». « Je n'arrive pas à comprendre comment on peut faire une chaîne avec du fil électrique ! ». « Prête-moi deux petites tenailles et je te le montrerai : c'est difficile ! ». Trois jours plus tard, il revint en me disant : « Je ne peux pas refuser, c'est un manquement à la sécurité ; mais tu es mon ami : demain je t'apporterai ces choses, et nous devrons tout faire entre 7 heures et 11 heures, sinon si quelqu'un nous voit, il nous dénoncera ». Et en quatre heures, il m'a aidé à fabriquer cette chaîne de fil électrique que je porte toujours sur moi, parce que ce n'est pas seulement un souvenir, c'est aussi un rappel à aimer comme Jésus a aimé. Plusieurs fois les gardiens m'ont demandé : « Tu nous aimes ? ». « Mais oui, je vous aime ». « C'est impossible ! Nous te gardons ici depuis plus de dix ans, sans procès et sans jugement, et tu nous aimes ! ». Je continue à vous aimer, et vous voyez comme nous sommes amis. C'est beau, même si c'est incompréhensible qu'on puisse aimer un ennemi ». « Mais pourquoi nous aimes-tu ? ». « Parce que Jésus me l'a enseigné, et que si ne je vous aimais pas, je ne serais pas digne de porter le nom de chrétien. Le chrétien doit aimer comme Jésus ». C'est ainsi que nous avons vécu en prison jusqu'à la fin. (…) La prière à Jésus dans l'Eucharistie apporte la paix dans l'amour pour tous les hommes, comme l'a dit Jésus : « Ma chair est pour la vie du monde. Caro mea est pro mundi vita ». Et pour la fête du Corps et du Sang du Christ, je suis certain que le Seigneur nous réserve d'autres grandes grâces ».
Ouverture de la cause de Béatification du Cardinal Van Thuân
ROME, Vendredi 27 avril 2007 (ZENIT.org) - Le 18 avril dernier à Rome, Mgr Giampaolo Crepaldi, secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix, a annoncé l'ouverture prochaine de la cause de béatification du cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân. L'annonce a été faite dans le cadre de la présentation de l'ouvrage « Verità di Dio e Verità dell'uomo. Benedetto XVI e le grandi domande del nostro tempo » (Vérité de Dieu et Vérité de l'homme. Benoît XVI et les grandes questions de notre temps) écrit par le cardinal Camillo Ruini, vicaire de Rome, et publié aux éditions Cantagalli de Sienne, dans la collection réservée aux publications de l'Observatoire international « Cardinal Van Thuân » sur la doctrine sociale de l'Eglise.
Le cardinal Van Thuân (1928-2002) est considéré à juste titre un martyr du catholicisme au Vietnam. Témoin de la foi, de l'espérance chrétienne, de l'amour pour l'Eglise et pour les pauvres, il a passé plus de treize ans en détention dans les camps de rééducation communistes, dont 9 dans l'isolement le plus total, sans n'avoir jamais commis de fautes. Formé à Rome et consacré évêque de Nhatrang en 1967, François-Xavier Nguyen Van Thuân a été nommé archevêque coadjuteur de Saigon (l'actuelle Ho Chi Minh Ville) par le pape Paul VI en 1975. Le gouvernement communiste qualifia sa nomination de complot et trois mois plus tard ordonna son arrestation. Après sa libération, le cardinal vietnamien a dû quitter le Vietnam. Jean-Paul II l'a alors accueilli à Rome, lui confiant des charges de grande responsabilité à la Curie romaine. En mars 2000, ses fragments de méditations, lus devant le pape et devant la Curie romaine durant les Exercices spirituels de carême, ont ému des millions de personnes qui ont pu partager ses expériences spirituelles, fruits de toutes ses années d'emprisonnement. Le cardinal Van Thuân les a ensuite réunies dans l'ouvrage « Témoins de l'espérance », publié aux éditions « Città Nuova ». Créé cardinal en février 2001, il est mort en 2002 à l'âge de 74 ans.
« Ce livre - a expliqué le secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix - m'a incité à faire un lien entre le thème de la vérité - de Dieu et de l'homme - sur lequel porte le texte du cardinal Ruini et le thème de l'espérance, si cher au regretté cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân. Un thème qui est d'ailleurs au cœur même de sa spiritualité et de la conduite exemplaire de sa vie d'homme et de chrétien ». « Le fait que cette année nous allons commémorer le cinquième anniversaire de sa mort, survenue le 16 septembre 2002, et que va bientôt s'ouvrir sa cause de béatification - a souligné Mgr Crepaldi - représente un lien opportun et significatif ». Mgr Crepaldi, qui a travaillé aux côtés du cardinal vietnamien, a expliqué à quel point « ce lien entre la vérité et l'espérance est profond. L'intelligence de la foi me rend fermement convaincu que la vérité, dans la manière de se donner ou de se révéler, révèle une vocation qui pousse donc à espérer ». « En réfléchissant bien, nous voyons que dans la vérité, la plus petite et la plus ordinaire qui soit, nous trouvons toujours beaucoup plus que ce que nous pensions trouver. Dans chaque bonne action que nous faisons nous trouvons un bien plus grand que celui que nous pensions mettre », a-t-il ajouté. Mgr Crepaldi, qui est aussi président de l'Observatoire Van Thuân, a conclu en disant : « La vérité nous précède et nous interpelle. La vérité de l'être me dit : connais-moi ; la vérité du bien me dit : désires-moi ; la vérité du beau me dit : contemples-moi ». « Plus que le fruit d'une conquête, la vérité est au fond une révélation. La chose devient encore plus évidente si nous pensons que la vérité requiert de l'amour. On ne peut connaître la vérité sans passion. La vérité est attirante », s'est-il exclamé !
Bibliographie
Une vie d'espérance Vie de François-Xavier Nguyen Van Thuan André Nguyen Van Chau, Editions du Jubilé
365 jours d'espérance, Nguyen van Thuan François-Xavier, Editions du Jubilé
Prières d'espérances, Nguyen van Thuan François-Xavier, Editions du Jubilé
À la lumière de la Parole de Dieu et du Concile, Nguyen van Thuan François-Xavier, Editions du Jubilé
Les pèlerins du chemin de l'Espérance, Nguyen van Thuan François-Xavier, Editions du Jubilé
Sur le chemin de l'Espérance, Nguyen van Thuan François-Xavier (1991, Editions du Jubilé
Gallerie de photos du Cardinal Françoix-Xavier Nguyen Van Thuan
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