Spiritualité Chrétienne

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Le Bienheureux Paul Giustiniani 3e partie

 Le Bienheureux Paul Giustiniani 3e partie

Chapitre 6

Désert, dis-moi ton nom!


La lecture si rapide de la vie du bienheureux frère Paul peut nous laisser une certaine gêne à l'esprit et au cœur. Nous avons sans doute l'impression assez pénible d'avoir rencontré et fréquenté pour un moment un homme de la Renaissance, certainement sympathique et parfois fascinant, qui, depuis son enfance, a rêvé de solitude et de silence, mais n'a jamais été vraiment un ermite enseveli dans le secret de Dieu. Son tempérament, sa culture considérable, sa curiosité intellectuelle, son esprit parfois brouillon, ses relations ecclésiastiques et autres avec les obligations que, nécessairement, elles ont entraînées, puis, après son départ de Camaldoli en 1520, cette vocation de "fondateur" qui est désormais la sienne avec des responsabilités et des traitements d'affaires qui ne lui déplaisent pas tellement, tout cela risquerait de nous amener à conclure qu'il ne fut qu'un rêveur du désert, qu'un amoureux impénitent qui s'obstine à frapper à la porte de sa bien-aimée qui n'accepte pas son amour. Ce serait, me semble-t-il, passer complètement à côté du mystère de cet homme de Dieu, dont la vocation au désert est hors de cause, mais dont les circonstances historiques du monde, de l'Eglise et de l'Ordre camaldule ont fait qu'il n'a jamais pu jouir longuement pour son bonheur personnel des "embrassements de Rachel", comme aurait dit saint Pierre Damien, lui aussi victime de son amour de l'Eglise et de son obéissance à Hildebrand, le futur Grégoire VII, son "saint Satan", comme il l'appelle. Pour avoir fréquenté frère Paul Giustiniani depuis plus de cinquante ans, ainsi que les héritiers de son charisme, ces ermites au visage de fête, je sais qu'il est devenu un saint ami de Dieu, fasciné par son visage, ne désirant que l'aimer lui seul en lui-même, enfoui dans la solitude romualdienne. Son amour du désert n'est certes pas un mirage dangereux, comme il en existe au désert précisément, mais un désir d'aller sans cesse de l'avant malgré la "situation", les obstacles de toutes sortes, les pires déceptions, ses propres limites, pour acheter la perle de grand prix. S'il n'a pu vivre d'une façon sereine et permanente le mystère et la grâce de la cellule solitaire, il n'a jamais renoncé à se laisser envoûter, et je ne doute pas que Dieu lui ait accordé de savoir enfin son Nom. Dès ses premiers pas au désert de Camaldoli, il a rencontré par bonheur cette merveilleuse réussite qu'était le reclus Michel, et il a su ce que cela pouvait être de devenir solitude. Tant de soliloques qu'il griffonne parfois nous disent sa découverte heureuse d'un rare et furtif bonheur, dont il évoquera la magnificence à ses disciples, si modestement mais avec des mots qui ne trompent pas. Il y a, dans la "Règle de la vie érémitique", des expressions, un tel climat de paix et de joie que le lecteur ne peut que dire, presque à chaque page, ce que les Anciens disaient du grand Arsène : "Il a trouvé la voie." Cette voie, telle qu'il a essayé de la parcourir lui-même et de l'indiquer, aujourd'hui encore, à ces amoureux du désert que sont ses fils, elle s'appelle Jésus-Christ, le Christ de Bethléem, de Nazareth, le Christ du désert de la tentation, celui de la montagne où il se cache pour prier, celui de la Transfiguration, puis du désert de la Croix, chemin vers le sein du Père. "La Règle suprême, dira-t-il, c'est Lui et Lui seul, Jésus-Christ et son Evangile. Il est la vraie vie du moine et de l'ermite, le modèle de toute perfection. Puisque nous sommes chrétiens, renouvelons-nous par notre vie solitaire comme en un second baptême pour vivre uniquement Jésus-Christ. Il est la source d'eau vive… Allons donc à cette source, marchons sur cette voie royale. Que la Règle de notre vie soit sa vie à Lui et son Evangile. Là est la vraie vie érémitique, là est la norme de toute perfection." Le Christ devient ainsi le Maître unique, la lampe du désert qui ne connaît point d'autre lumière. Voilà pourquoi frère Paul insiste tant sur le regard à fixer sur le Christ, sur l'écoute de sa parole. "Ce doit être, dit-il, une pratique constante des ermites et des convers que de vaquer quotidiennement à la lecture de la Parole." Mais lire est trop peu. Giustiniani ne considère pas l'Evangile comme un livre, mais comme un tabernacle, comme cette fameuse tente du Rendez-vous dont il est parlé dans l'Exode, là où Dieu parle à Moïse face à face, bouche à bouche, comme un homme à son ami. "Va donc à l'Evangile, écrit-il encore, comme si tu montais au saint autel, avec de grands apprêts d'âme et de corps, avec tant de révérence!" Telle est d'ailleurs la grande tradition des moines, qui a porté tant de fruits d'illumination et de conversion. On peut dire qu'elle a fait florès dans les ermitages avellanites, camaldules ou cartusiens. "Mon livre, écrit encore frère Paul, doit devenir Jésus-Christ en Croix. Livre écrit entièrement avec son précieux sang, prix de mon âme et rédemption du monde. Livre dont les cinq chapitres sont les cinq plaies du Sauveur. Je ne veux étudier que Lui, et les autres uniquement dans la mesure où ils Le commentent. Mais c'est un livre qui doit être lu en un profond silence."


En effet, l'appel précis du Christ lancé à ceux et celles qu'il a choisis pour le suivre au désert est une invitation à l'enfouissement dans la solitude. Le bienheureux Paul sent très fort que l'ermite doit "épouser de grand cœur le lien si aimable de son heureux désert". "Si saint Romuald, explique-t-il, a choisi la solitude de Camaldoli, c'est bien parce qu'elle est éloignée de toute ville, et même de toute habitation, et parce que la vaste étendue de forêts qui l'entoure la rend absolument cachée et presque inaccessible." Il conseille alors au prétendant du désert : "Aime donc la profonde tranquillité de cette solitude sainte." Et encore : "Savoure la douce retraite de ta cellule isolée et séparée des autres." La cellule est en effet à ses yeux le saint des saints de la vie solitaire. A l'école de saint Pierre Damien et du bienheureux Rodolphe, à celle du reclus Michel, il sait que c'est elle la grande et incontestable, douce et exigeante maîtresse de vie, qui vous rejette impitoyablement si vous ne voulez pas vous laisser instruire. "Le fait de demeurer continuellement en cellule me fait voir une ombre, une image bien lointaine certes, mais aussi bien fidèle, d'une vie qui est la vraie vie. Tant que j'étais dans la foule, au-dedans et au-dehors de moi-même, dans les conversations, les affaires, le flot des pensées qui, par des chemins divers, entraient dans mon cœur, je ne vivais pas, j'étais réduit à rien… O bienheureuse solitude qui enseignes aux hommes à rentrer en eux-mêmes et à aspirer, autant qu'il est possible, à Dieu et à son Royaume. Vraiment, je n'ai pas vécu tant que je ne t'ai pas connue!" Et Giustiniani d'affirmer alors avec audace : "Ils n'ont donc point droit au nom d'ermites, ceux qui ne sont pas les amants de la solitude! Qu'ils apprennent donc à rester avec eux-mêmes, à s'abstenir des conversations mondaines et à parler avec Dieu seul ou de Dieu seul. Ils commenceront alors à goûter la très suave tranquillité de la vie érémitique, et lorsqu'ils en seront tout imprégnés, ils n'auront aucune peur, mais plutôt une immense joie à y persévérer jusqu'à la mort." Le bienheureux Paul ne cessera de répéter à ses disciples la consigne de saint Romuald, donnée aux cinq premiers solitaires de Camaldoli : "Assieds-toi dans ta cellule, jeûne et tais-toi"; allant même jusqu'à les encourager au désir de la réclusion "au-delà de tout éloge", soit pour un temps, soit pour la vie. "Après avoir été éprouvés par une longue expérience de l'obéissance et des austérités de l'ermitage, sans perdre certes un tel trésor, l'ermite peut accéder à une vie encore plus parfaite. A l'âge mûr de quarante ou quarante-cinq ans, après mûre délibération, il peut en effet être accordé à tel ou tel frère qui le demande instamment de se séparer des autres ermites et de s'enfermer dans sa cellule sans pouvoir en sortir, afin de vaquer en toute tranquillité, avec la grâce de Dieu, à la communion aux réalités célestes." L'ermite ne gagne le désert que pour tâcher d'atteindre ce but : devenir un hésycaste1, un homme ramené de la multiplicité à l'unité, de la dispersion, du divertissement, à la conversion à l'Unique. En un mot, il désire de toutes les fibres de son être, vivre Dieu, devenir prière. "Si nos Pères, dit frère Paul, n'ont assigné à l'oraison aucun moment particulier du jour ou de la nuit, c'est bien pour nous suggérer que la prière continuelle est aussi nécessaire à l'homme du dedans que la respiration de l'air l'est à notre corps." Il n'hésite donc pas à affirmer encore : "Ils ne sont ermites que de nom, ceux qui ne s'adonnent pas chaque jour à la lecture de Dieu, à la méditation, à l'oraison." C'est la fameuse "échelle des cloîtriers" de Guigues II de Chartreuse, qui a fait ses preuves dans tant de monastères et ermitages des siècles passés et de ceux qui viendront. "L'on tiendra compte certes des capacités de chacun et des attraits de la grâce de Dieu, mais qu'aucun d'entre les frères n'oublie que la spécificité de l'ermite, c'est la prière." "Même si parfois il ne peut prier, parce que son esprit est saturé de diverses préoccupations ou harcelé de distractions, qu'il ne renonce pas cependant à entrer dans l'oratoire de sa cellule et, à genoux devant l'image du Sauveur, qu'il se tienne là pour le temps qu'il se sera fixé, pleinement convaincu qu'une telle persévérance est déjà une authentique oraison."


Mais Giustiniani est fils de Romuald. Or, comme l'affirme saint Bruno de Querfut, son disciple, l'ermite-prophète donne habituellement à ses frères une seule consigne pour la prière : "L'unique voie de la prière, c'est le psautier!" Alors frère Paul le propose à son tour à ses ermites comme une voie assurée, comme la forme la plus vraie de la conversation de l'homme avec Dieu. Il donnera même dans sa Règle cette attrayante consigne : "Délecte-toi dans la pratique quotidienne de la psalmodie privée." Les "divines cantilènes", comme il appelle les psaumes, permettront à chacun de dire à Dieu son cœur, en espérant, bien sûr, l'heure où l'Esprit-Saint, s'emparant de l'âme purifiée et libérée, fervente et fidèle dans l'amour, la fera entrer en grand silence dans l'au-delà des mots, même les plus sacrés. Ne pensons pas toutefois que frère Paul succombe à la tentation des messaliens, qui, parce que prétendant se consacrer uniquement "aux choses de l'âme", refusent le travail quotidien avec ses contraintes, ses exigences, ses qualités de service humble et caché de la famille érémitique. La vie dans les ermitages des Grottes, Pascelupo, San-Leonardo, Saint-Benoît, Sainte-Marie du Saint-Esprit, est volontairement d'une très grande simplicité et d'un réalisme humain qui conditionne l'équilibre physique, psychique et spirituel de l'ermite. Le travail est à ses yeux un élément essentiel de la vie solitaire, non seulement comme un remède à la possible oisiveté de certains, mais comme l'expression et l'aliment d'une pauvreté réelle. Il écrit par exemple dans la Règle : "Lorsque ce sera possible sans difficultés et que ce ne sera pas exigé par les inattendus de la vie, les ermites ne feront pas appel à des ouvriers du dehors, mais travailleront eux-mêmes aux heures et aux temps fixés… N'est-il point d'ailleurs écrit dans la Règle de notre Père saint Benoît que ‹les frères seront d'autant plus moines qu'ils gagneront leur pain par le travail de leurs mains›? C'est alors seulement qu'il y aura authentique vie monastique chrétienne, quand toutes les activités des frères auront leur moment marqué, afin que tout se fasse avec ordre et qu'aucune situation ne tende ou n'inquiète les esprits." Bien sûr, frère Paul pense aux humbles occupations de l'ermite à l'intérieur de sa cellule et du petit jardin qui lui est attenant. "Nul ne négligera l'entretien de sa cellule et de son jardinet. Tout ce que l'ermite y cultive appartient d'ailleurs à tous les frères, mais chacun selon ses talents et ses possibilités aimera aussi s'adonner à un travail qui lui permette de demeurer le plus possible en solitude." "Cependant, particulièrement dans les ermitages où les frères sont peu nombreux, chacun aura aussi à assumer les emplois indispensables à la vie de la famille érémitique." Notons encore ici comment frère Paul insiste pour que tout se fasse avec un visage joyeux, des psaumes et des hymnes plein le cœur et sur les lèvres, particulièrement au moment de la fenaison, des vendanges ou de la récolte des fruits, où les frères travaillent ensemble…


Sera-t-il permis justement d'évoquer encore le climat fraternel dans lequel se déroule la vie silencieuse des fils de saint Romuald? Ceci pourrait sembler un paradoxe, mais c'est précisément l'expression de la plénitude et de la beauté chrétienne camaldules que de donner aux solitaires la possibilité et le bonheur de goûter combien il est beau et doux de vivre en frères, tous ensemble à la recherche austère, et parfois sanglante, de leur bien commun, qui est Dieu. Il faut dire que frère Paul croit très fort à la nécessité d'aimer en vérité, et d'être aimé, pour se déployer en grand, même, et peut-être surtout, quand on est ermite. Lui-même semble en être d'ailleurs un merveilleux exemple. Le cardinal Contarini lui écrira un jour : "Vous êtes (et je vous dis la vérité) celui dont les paroles et l'exemple sont pour moi un soutien permanent, un havre auquel je crois pouvoir revenir en toute sécurité au sein de l'adversité." Giustiniani pense que la vraie vie solitaire, loin de recroqueviller l'ermite sur lui-même, comme on le croit souvent, le dilate au contraire à la dimension des autres frères et du monde entier. Aussi bien écrit-il encore dans la Règle : "Que les ermites soient toujours prêts à aider leurs frères sans jamais se considérer supérieurs à eux… Qu'ils ne refusent jamais un service parce que dérangeant ou trop banal." Il voit plutôt les frères s'encourageant les uns les autres, sans pourtant sombrer dans des conversations interminables, des paroles inutiles ou ce murmure qui sape les fondements de la communion fraternelle. Tendre la main aux plus jeunes, aux anciens, aux frères fatigués ou tentés, leur donner un regard de complicité d'amour, quand et où il faut, avec un beau sourire, voilà le frère changé en sacrement de Dieu. Mais que dire alors du ministère du prieur de l'ermitage, maître d'œuvre discret mais indispensable de cette communion d'amour dans l'Esprit-Saint que doit être l'ermitage? Saint Pierre Damien avait beaucoup parlé de son importance, ainsi que le bienheureux Rodolphe. Frère Paul se fait leur porte-voix. Il lui importe évidemment de veiller à l'épanouissement des âmes qui lui sont confiées. Et Giustiniani insiste beaucoup sur l'importance, non seulement de l'exemple d'une vie toute livrée à Dieu, mais aussi de la parole aimante et lumineuse que les frères attendent et qui éclaire, encourage et fortifie. Un chapitre de la Règle est consacré aux "fragiles, aux malades, aux veillards". A leur égard, dit frère Paul, le prieur devra se comporter comme une mère. C'est alors que l'ermitage, malgré l'austérité de la vie quotidienne et tous les ratés inhérents à la condition humaine, peut être quelque chose du paradis.


L'on sait d'ailleurs que le charisme du bienheureux Paul est cette joie qui l'habite de plus en plus, la jucunditas des Pères des déserts. Il veut la communiquer à tous les frères et à tous ceux qui fréquentent l'ermitage. Si saint Pierre Damien a noté la festivité du visage de Romuald, plus rayonnant que jamais à ses moments de réclusion, si lui-même, le cardinal-ermite, s'est accusé, avant de mourir, mais en souriant, de ne pas avoir eu "l'air assez lugubre et d'avoir dit trop de bons mots", frère Paul a hérité de cette grâce chrétienne qui, aujourd'hui encore, est si typique des solitudes camaldules. Il serait intéressant de compter le nombre de fois où, au long du si beau chapitre 3 de la Règle, sont employés les mots : jubilation, allégresse, contentement, délices et suavité. L'on sait très bien que, pour le frère Paul, seul l'amour peut être le mobile de la vie au désert, et "là où est l'amour, là a disparu la peine". Les ermites camaldules de Monte Corona ne chantent jamais à l'église, sauf aux vigiles de Pâques et de Pentecôte. Ils psalmodient doucement, sereinement, debout comme des veilleurs. C'est une musique au-delà de toute musique, celle d'en-haut, celle de Dieu. Elle imprègne les solitudes camaldules et rayonne sur les visages barbus des frères qui n'ont pas d'âge parce qu'ils ont la jeunesse de Dieu. Ah, ces amoureux impénitents du désert!


Appendices


Appendice 1


Texte du chapitre 3 de la Règle de la vie érémitique de 1520


Les chemins du désert


Voici quelles sont les "armes spirituelles" de la sainte vie érémitique : 1. Faire éclore dans son cœur en toute vérité et liberté la réalité des saints vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Les professer expressément et les observer intégralement durant toute la vie selon la Règle de saint Benoît et les constitutions érémitiques. 2. Observer avec rigueur ces règles de vie solitaire et la Règle bénédictine lorsque cette dernière n'est pas contraire à la solitude qui réclame aussi observances plus austères et plus parfaites. 3. Aimer la profonde tranquillité de la solitude sainte. 4. Savourer la douce retraite de la cellule, isolée et séparée des autres. 5. Eviter de toutes manières, mais dans le respect de la charité, de fréquenter, d'approcher des personnes qui vivent dans le monde ou qui ont des façons de vivre très différentes des nôtres. 6. Aimer de tout son cœur la sainte pauvreté volontaire. 7. Avec la parfaite chasteté du corps, garder aussi son esprit libre de toute souillure. 8. Ne jamais secouer le joug vraiment doux et léger, pour qui l'accepte volontiers, de la sainte obéissance, mais le porter avec joie jusqu'à la mort. 9. Poussé par le continuel désir d'atteindre un degré toujours plus éminent de cette vertu, obéir sans cesse à ses supérieurs même dans les détails qui n'impliquent pas formellement l'obligation de l'obéissance. 10. Avancer d'un pas ferme, porté par les bonnes œuvres, vers les hauts sommets de toutes les vertus. 11. Garder le trésor de la plus parfaite humilité avec d'autant plus de délicatesse que l'on avance dans la perfection. 12. Eviter les distractions de l'esprit, les attraits et l'arrogance de la vie mondaine. 13. Ne pas désirer les ordres sacrés ni la dignité du sacerdoce, et ne les accepter que par amour d'une obéissance parfaite. 14. Refuser énergiquement les charges de gouvernement et tout ce qui y ressemble, non par crainte d'un travail lourd à assurer, mais par amour de l'humilité, comme s'il s'agissait de voguer sur une mer peu sûre et agitée. 15. Désirer les emplois qui ne comportent pas d'honneur. 16. Etre toujours prêt à aider les autres et ne jamais désirer de leur être supérieur. 17. Ne jamais refuser un service parce que jugé trop vil. 18. Fréquenter l'église pour célébrer l'Œuvre de Dieu non seulement par habitude ou par obligation, mais bien plutôt parce que porté par le désir de louer le Seigneur. 19. Célébrer l'office divin selon l'usage des moines avec respect, dignité, grande dévotion, en observant les cérémonies prescrites, sans chanter mais d'une voix juste. 20. Célébrer la Sainte Messe avec grande joie spirituelle ou l'écouter avec dévotion. 21. Aimer la lecture de la Sainte Ecriture. 22. Se délecter dans la pratique quotidienne de la psalmodie privée. 23. S'arrêter souvent pour vaquer à la conversation avec Dieu. 24. S'adonner à la sainte oraison avec larmes et componction du cœur, sinon d'une façon continuelle, du moins une fois par jour. 25. Se consacrer volontiers à l'étude des Lettres et spécialement de la Sainte Ecriture. 26. S'encourager les uns les autres et toujours être à l'école de ceux qui ont reçu le don de conseil. 27. Confesser souvent ses péchés avec une vraie contrition de cœur. 28. Recevoir avec un grand respect le vénérable sacrement de la Sainte Eucharistie. 29. Veiller en tout temps à la propreté du corps et des vêtements. 30. Se sachant toujours en présence de Dieu et de ses anges, veiller continuellement à la pureté de l'esprit et à la gravité de la démarche. 31. Se réjouir de la précarité, de la simplicité de la nourriture et de la boisson, de la rigueur de l'abstinence et de la fréquence du jeûne. 32. Se priver de vin, sinon toujours, du moins assez souvent. 33. Ne pas relâcher, sinon par vraie nécessité ou par ordre du supérieur, l'observance commune, mais plutôt la renforcer discrètement au moment où il faut et de manière convenable, à la façon des anciens pères. 34. En diminuer un peu la rigueur lorsque le cas se présente, mais avec une juste discrétion, en faveur des frères plus délicats, les faibles, les vieillards, les malades et ceux qui s'adonnent à un dur travail. 35. Aimer beaucoup le silence sacré, car s'y trouvent cachés le culte de la justice et le progrès de toutes les vertus. 36. Dans les temps et les lieux définis, observer un inviolable silence. 37. S'habituer à parler à voix basse, sans exagération cependant. 38. User de peu de paroles, bien réfléchies et seulement par nécessité ou motif d'édification. 39. Se garder avec soin des conversations prolongées, des paroles inutiles, du vice du murmure. 40. Ne jamais trop s'occuper des événements du monde, des guerres, des faits divers; ni jamais les rapporter ni les écouter avec complaisance. 41. Par le travail, fuir l'oisiveté, garder la vertu d'humilité et apaiser les exigences excessives du corps. 42. Etre toujours occupé à quelque travail manuel ou intellectuel. 43. Etre heureux de vivre à l'ermitage, d'habiter continuellement en cellule, et là, de garder la tranquillité du corps et de l'esprit. 44. Ne jamais entrer dans la cellule des autres frères ni dans les ateliers communs sans la permission du prieur, lorsqu'il n'y a pas urgence. 45. Ne jamais vagabonder en dehors de la clôture. 46. Autant que possible, ne jamais relâcher la rigueur et le style de la vie érémitique quand la nécessité ou l'obéissance impose de sortir de clôture. 47. Dormir toujours seul dans sa cellule. 48. Ne pas s'attrister de la banalité de la couche ni de la grossièreté des couvertures. 49. Dormir vêtu et la ceinture aux reins. 50. Prendre fréquemment et volontiers la discipline. 51. User avec plaisir d'un dur cilice et se complaire à porter des vêtements pauvres. 52. Considérer le supérieur, quel qu'il soit, comme choisi par Dieu lui-même, à la condition qu'il soit légitimement élu. 53. Ne pas porter de jugement sur les supérieurs, mais pencher plutôt à accepter son jugement à lui. 54. Respecter le supérieur et prêter volontiers l'oreille à ses observations et à ses ordres. 55. Si le supérieur est un homme vertueux, imiter ses bonnes œuvres, mettre en pratique ses enseignements, même si, Dieu nous en préserve, il fait le contraire de ce qu'il dit. 56. Obéir en toutes choses au supérieur, comme à Dieu, avec une vraie joie spirituelle. 57. Le supérieur doit aimer tous ses frères sans faire acception de personnes. 58. Il doit veiller sur le repos et la santé des ermites, comme s'il s'agissait de lui-même. 59. Il doit pourvoir aux besoins matériels des frères plus encore qu'aux siens propres. 60. Il doit se sentir toujours responsable quand il remarque la négligence de tel frère dans son emploi ou la diminution de sa ferveur. 61. Accepter volontiers et, sans retard, mener à bonne fin tel emploi d'utilité générale, lorsqu'il nous est confié. 62. Lorsqu'on le demande, participer au chapitre et, après avoir prié, donner de sages conseils. 63. Exposer son avis avec humilité et crainte de Dieu. 64. Accepter de bon cœur le jugement et la décision de la majorité, même si son propre jugement est absolument à l'encontre. 65. Garder le secret sur tout ce qui est dit au chapitre. 66. Accepter de bon cœur la correction fraternelle et même les plus dures observations du supérieur. 67. Accomplir avec soin et promptitude les obédiences pour quelque travail que ce soit ainsi que les pénitences dues à nos manquements. 68. Ne pas accepter immédiatement et sans réflexion celui qui demande à partager la vie érémitique. 69. Décider toujours après avoir pris conseil de tous les frères, examiné la candidature avec soin et consentement des autres pour l'acceptation ou le rejet. 70. Offrir à qui est accepté la place qui lui revient, conformément à la coutume établie. 71. Occuper et garder, dans les divers moments de vie commune, la place assignée à chacun. 72. Ne pas déranger l'ordonnance de l'assemblée. 73. Accepter sans hésitation l'emploi confié. 74. Ne pas s'excuser inutilement pour quelque obédience. 75. N'envoyer personne en dehors de l'ermitage sinon pour une véritable nécessité, un urgent besoin. 76. Avec un soin jaloux et une grande charité, faire en sorte que rien ne manque en fait de nourriture ou de vêtement à chacun des frères, selon les besoins de chacun et aux moments fixés. 77. Avoir toujours pour les faibles et les malades prudence et discrétion, soins paternels, sollicitude attentive. 78. Accueillir celui qui arrive à l'ermitage avec de douces paroles, une attentive charité et le parfum du bon exemple. 79. Que les ermites "ouverts" soient toujours prêts à servir les reclus. 80. Et que ces derniers prient pour leurs frères. 81. Que les frères non reclus aient en vénération la perfection de la réclusion et l'imitent dans la mesure du possible. 82. Qui a épousé un jour la réclusion, la gardera avec soin et lui sera fidèle en toutes choses. 83. Tous les ermites, reclus ou non, observeront les prescriptions de la vie solitaire dans la ferveur et un grand zèle pour Dieu. 84. Mettre tout en œuvre pour que la règle de l'ermitage soit observée. 85. Infliger aux transgresseurs une juste pénitence d'après la gravité des manquements. 86. Ne pas penser que la perfection de la vie solitaire soit renfermée dans ces prescriptions, mais aspirer à travers elles à y tendre et à mettre en pratique les enseignements évangéliques et apostoliques. Et par-dessus tout, garder toujours en son intégrité et en sa perfection le lien de l'amour fraternel. 87. S'aimer les uns les autres de manière parfaite. 88. Et comme but principal de toutes les vertus, s'enflammer avec toujours plus de ferveur, avec toutes les ressources de l'intelligence et les affections du cœur, pour la connaissance et l'amour de Dieu Créateur si bon et si grand. Voici donc quels sont les instruments de l'art de vivre à l'ermitage. Si les ermites les acceptent et sont capables de les mettre en œuvre, ils recevront en récompense le denier de chaque jour, je veux dire l'éternel bonheur et, au jugement dernier, un sort égal à celui des Pères de cette sainte Institution, non pas certes par leurs mérites mais certainement par la miséricorde du Seigneur. L'atelier, où sans interruption et sans entraves ils peuvent travailler, est notre Saint-Ermitage, lieu chéri de la bienheureuse solitude où ils persévéreront avec ténacité jusqu'à la mort dans le propos de vie érémitique.


Appendice II


Poèmes d'amour de frère Paul Giustiniani


Nous pensons que beaucoup seront heureux de lire quelques-uns des nombreux poèmes où frère Paul a traduit, ou plutôt essayé de traduire, son angoisse d'amour à l'égard de ce Dieu dont le Visage a été le tourment de sa vie solitaire. Il serait, bien sûr, préférable de les lire dans l'original vénitien ou italien. Nous sommes donc confus d'esquisser une traduction à peu près fidèle. Mais je crois que quelques lecteurs sauront aller au-delà des mots et des images et reconnaîtront leur propre tourment.


I

Révélation de l'amour

Si existe sur terre

Un homme pleinement heureux

Avant même que son âme

Ne se soit échappée de son corps,

Cet homme c'est bien moi

Qui sais Celui qui m'enamoure

Cause de mon bonheur et Source de ma joie.

Autant sans amour j'ai vécu

Jusqu'à ce que Tu Te révèles,

Autant, lorsqu'enfin j'ai commencé

A T'aimer, cher Seigneur mien,

J'ai pénétré par ta douce pitié,

En un océan de bonheur

Où je n'ai point trouvé encore

Semblance d'amertume.

Me voici désormais

Sous le charme d'un tel Amant

Que je commence à vivre hors de moi.

J'étais mort et me voici vivant,

Arraché à la terre, en marche vers le ciel.

O douce et bienheureuse destinée,

De quelle splendeur tu envahis mon âme.


II

Recherche du Visage

L'amour soulève ma pensée

Haut, vers le ciel

Sans que je puisse, hélas,

Embrasser ton mystère, ô mon Dieu.

En mon cœur est sculpté ton Visage

Mais l'image est si loin de la Réalité !

Jusqu'à ce tien, total et sublime Mystère,

Jusqu'à cette beauté que

De loin, ici-bas, avec une telle impatience

Je désire enfin contempler,

Je ne puis élever mes yeux

Ni fixer mon regard.

Comme le papillon du soir

Qui ne vole très haut et

Ne peut fixer la lucerne

Mais tourne, tourne autour

D'une vacillante lumière,

Telle est mon âme

Captive encore

Des ombres de la terre.


Appendice III


Vers la béatification officielle?


Les ermites camaldules, tout comme les chartreux, n'ont jamais été friands de voir canoniser leurs frères. La plupart de ceux qui sont sortis du silence et ont été "élevés sur les autels", comme l'on dit, le furent parce que devenus évêques ou cardinaux, ou martyrs dans le sang. Quant à la "piétaille" monastique, le grand secret de l'amour fidèle jusqu'à en mourir sera leur part apophatique. "A Toi, ô Dieu, la gloire!" Frère Paul, dont l'influence spirituelle a été et demeure si grande dans son Ordre et dans l'histoire de l'érémitisme, a été immédiatement après sa mort qualifié de bienheureux, au grand dam d'ailleurs de quelques-uns de ses ex-adversaires, qui ne supportaient point les images que l'on aimait créer, ici et là, en grand et en petit, rayonnantes de gloire. La force tranquille de sa sainteté a renversé les forteresses, et depuis quatre siècles, sans que frère Paul ait été officiellement proclamé bienheureux, car ses fils n'en ont jamais fait la demande, il est appelé et considéré comme tel. Tout comme, dans l'Ordre des Prêcheurs, Jean de Fiesole, le bienheureux Fra Angelico, aujourd'hui déclaré tel par notre Saint Père Jean-Paul II. Evidemment les frères ermites camaldules du Monte Corona seraient plus qu'heureux si aujourd'hui, à travers la béatification officielle de frère Paul, Jean-Paul II exaltait la vie solitaire, cachée avec le Christ en Dieu. Lorsque, d'ailleurs, en 1982, nous célébrions avec lui à Fonte-Avellana le millénaire de l'Ermitage de la Croix et saint Pierre Damien, Jean-Paul II confessait devant nous tout ce qu'il avait reçu à Cracovie des ermites camaldules de Biélamy. Mais qui lui demandera une reconnaissance officielle de la vie en Dieu de frère Paul? Surtout pas les ermites, trop pauvres et trop amis de l'enfouissement. Seul, le Saint-Esprit qui souffle où il veut… Alléluia!


Repères biographiques


15 juin 1476 : Naissance à Venise de Thomas Giustiniani.

1494 : Etudiant à l'Université de Padoue.

1er juin 1506 : Se retire dans l'île de Murano.

4 juin 1507 : Thomas accomplit un voyage en Terre Sainte.

3 juillet-6 août 1410 : Premier séjour à Camaldoli.

17 décembre 1510 : Entrée définitive chez les Camaldules.

25 décembre 1510 : Vêture; il reçoit le nom de F. Paul.

8 août 1512 : Profession monastique.

1513 : Participe au Chapitre général pour la réforme de l'Ordre.

décembre 1518 : Ordination sacerdotale.

28 juin 1519 : Il est élu Majeur de Camaldoli.14 septembre 1520 : Il démissionne et quitte Camaldoli pour s'enfoncer dans la solitude et fonder de petits ermitages.

15 juin 1528 : Mort à Rome.

 



27/12/2008
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