La Servante de Dieu Victoire Brielle 2
Vie de la Servante de Dieu Victoire Brielle
Dite « La Sainte de Méral »
Par M. L’Abbé M. Chanoine de L.
Ce n'est ici qu'une simple notice sur une vie aussi cachée aux yeux des hommes que précieuse devant Dieu : mais toute imparfaite et abrégée qu'elle est, j'espère qu'elle sera accueillie favorablement par le public, qui a tout intérêt à sauver de l'oubli la mémoire de Victoire Brielle et le souvenir des grâces extraordinaires obtenues sur son tombeau. On n'y trouvera que des choses certaines et bien prouvées. Mgr l'évêque de Laval ayant ordonné une enquête, la commission nommée par Sa Grandeur se transporta sur les lieux, interrogea et entendit un grand nombre de témoins. Or cette notice est le résumé de ces dépositions et de ces témoignages concordants et se complétant les uns les autres : on pourrait ajouter qu'elle est écrite à la prière de toute la population du pays. Maintenant, ô cher lecteur, j'aurai atteint mon but si, après avoir lu et médité ces pages, vous vous sentez une vraie dévotion pour la sainte de Méral et une grande confiance dans son intercession.
N. B. Je me fais un devoir de déclarer que je me conforme entièrement aux décrets pontificaux pour ce qui concerne les expressions de Saint, Bienheureux et autres semblables, et pour les faits surnaturels sur lesquels l’Église n'a pas porté de jugement.
1 Naissance de Victoire, son éducation
Victoire-Françoise Brielle, appelée communément aujourd'hui « la Sainte de Méral », a vu le jour en cette paroisse, au village de la Grihaine, ou dans une maison voisine située sur le territoire de Saint-Poix. Née le 31 janvier 1815, elle fut baptisée le même jour dans l'église de Saint-Poix.
Son père, Jean Brielle, et sa mère, Marie Jégu, appartenaient l'un et l'autre à cette honorable bourgeoisie, assez nombreuse dans cette partie de la Mayenne, qui sait allier à une grande aisance, l'amour du travail et la simplicité chrétienne dans les habitudes de la vie. M. Brielle remplit constamment tous ses devoirs religieux ; Mme Brielle a laissé le souvenir d'une excellente mère de famille. Ils eurent huit enfants : Marie, Jean, Victoire, Agathe, Isidore, Victor, et deux autres qui moururent avant l'âge de sept ans. Ils furent tous élevés à la Grihaine par les soins de leur pieuse mère. Dans cette maison vraiment patriarcale, dans cette atmosphère de foi, les enfants s'instruisaient par tout ce qu'ils voyaient et entendaient ; ils aimaient la prière, qui se faisait en commun, et leur conscience était déjà formée lorsqu'ils arrivaient à l'âge de raison.
Victoire, qui était la troisième, se distingua dès ses premières années entre ses frères et sœurs : on assure qu'à l'age de cinq ou six ans, elle paraissait raisonnable comme une grande personne ; ses paroles étaient pleines de sagesse et toutes ses actions portaient l'empreinte de la piété. Elle ne jouait pas comme les autres enfants ; préférant au plaisir le calme et le recueillement, elle se retirait à l'écart, dans la solitude, pour jouir paisiblement de la présence de Dieu. C'est ce qu'on remarqua pendant un séjour de quelques semaines qu'elle fit chez une tante au bourg de Méral ; elle avait alors de sept à huit ans. Une enfant à peu près de son âge, aujourd'hui religieuse Augustine à Angers, se sentit pour Victoire une vive affection. Elle la conduisait avec les autres enfants ; mais Victoire restait à l'écart, pour prier en silence : elle ne se prêtait au jeu que pour faire plaisir à ses compagnes, et alors elle le faisait de bonne grâce. « Elle conservait toujours, écrit la religieuse, un air de gravité et de réserve qui était remarqué et admiré de toutes les petites filles. Malgré cette apparence un peu sévère toutes les enfants l'aimaient et déjà la vénéraient ».
Ces heureuses dispositions allaient se développer et s'accroître. A l'âge de neuf ans. Victoire fut conduite, avec sa sœur Marie, chez les Sœurs d'Evron, établies à Beaulieu depuis quelques années. Elle resta dans cette école quatre ou cinq ans. L'enseignement n'avait pas encore reçu les développements qu'il a de nos jours : on apprenait, sans doute, moins de choses ; mais le Divin Maître a dit : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et le reste vous sera donné comme par surcroît ». Suivant cette recommandation, on apprenait avant tout la religion, et, avec la science du salut, un enfant savait comme par surcroît toutes les choses vraiment utiles. Il est certain que Dieu avait donné à Victoire des qualités naturelles remarquables : elle était douée d'un esprit vif et juste ; l'intelligence était prompte et la mémoire facile. Avec de telles dispositions aidée de la grâce, elle s'instruisit vite et solidement,et bientôt, elle se prépara à sa première communion. Le souvenir de sa ferveur durant ces jours bénis resta longtemps gravé dans l'esprit de plusieurs personnes qui en furent les heureux témoins.
2 Retour de Victoire à la Grihaine, sa conduite dans sa famille jusqu'à son entrée en religion
Victoire revint à la Grihaine. Elle parut dès lors un modèle parfait des plus belles vertus chrétiennes : c'est le témoignage unanime des personnes qui la connurent à cette époque. Il devenait évident qu'elle s'appuyait sur des résolutions fermes et inébranlables, que les choses périssables n'avaient et n'auraient jamais aucun attrait pour son cœur, qu'elle ne consentirait pas à avoir d'autre époux que Jésus-Christ. Les parents étaient heureux et touchés de tout ce qu'ils voyaient dans leur fille : ils se sentaient éclairés, suivant l'expression du père, par sa dévotion, et comme dominés par son incomparable douceur. Aussi la mère se déchargea-t-elle bientôt sur elle du soin d'instruire ses jeunes frères, et, comme Victoire savait allier l'autorité et la gravité aux délicatesses d'une exquise charité, à une gaieté douce et vive, et aux charmes d'une parole extrêmement attrayante, elle exerça bientôt dans la famille un véritable apostolat. Elle prépara ses frères à leur première communion. On se rappelle encore comment, en les conduisant à l'église pour se confesser, elle faisait leur examen de conscience et les exhortait, avec une onction admirable, à bien recevoir le Sacrement de Pénitence. L'un d'eux, Isidore, dans ses dernières années, n'avait point oublié les leçons de sa pieuse sœur : il aimait à les redire à sa femme, lorsque celle-ci se disposait à se confesser. Du reste, toujours très humble et très simple, Victoire donnait l'exemple du respect et de l'obéissance à l'égard du père et de la mère ; elle se faisait la servante de tous, et pour faire plaisir à ses frères, écrit sa belle sœur, elle se privait de bien des choses.
La Grihaine est un hameau isolé et éloigné de toute habitation. Victoire pouvait y vivre comme dans la solitude sans voir le monde et sans être remarquée du monde. Sa mise était correcte, mais, en se conformant aux usages de la famille, elle était toujours, comme on disait, un peu au-dessous de sa condition. Le capitaine Jégu, son oncle et son parrain, se plaisait à lui faire des cadeaux : un jour il lui donna une très belle robe. Victoire ne put la refuser ; mais elle ne consentit jamais à la porter. De temps en temps, elle la montrait au bon M. Jégu pour lui faire admirer le respect avec lequel elle conservait son précieux cadeau. A ce mépris des frivolités mondaines, Victoire joignait une égale horreur pour une vie molle et oisive. On la vit aussitôt qu'elle fut revenue de l'école, se mettre au travail avec ardeur. La famille Brielle cultivait ses terres elle-même et sans domestiques. Une partie de l'année, Victoire était occupée dans les champs à ce rude travail, et son seul délassement était la prière, rapporte sa belle sœur
Victoire arriva ainsi à l'âge de vingt ans, aux fleurs de l'innocence et de la sainteté unissant les fruits de toutes les bonnes œuvres Cependant elle aspirait à une vie meilleure. Il lui semblait qu'elle devait quitter le séjour paisible de Nazareth pour monter au Calvaire et se crucifier avec Jésus-Christ. Elle éprouvait un besoin irrésistible de s'entretenir, nuit et jour dans le silence du cloître, avec le Dieu qu'elle aimait si ardemment Mais avec la modestie et la réserve qui lui étaient propres, elle conserva longtemps dans son cœur ses désirs secrets. Enfin le temps arriva de faire connaître ses projets à son père. Celui-ci redoutait, depuis longtemps une pareille communication : il aimait tendrement sa fille ; il appréciait le bien qu'elle faisait dans la famille ; il voulait l'avoir auprès de lui jusqu'à la mort pour qu'elle l'assistât, lui disait-il, et qu'elle l'éclairât par ses exhortations. Il déclara d'abord nettement qu'il ne donnerait jamais son consentement. De son côté Victoire insista doucement, et l'excellent père finit par céder. Mme Brielle, qui avait la même opposition, s'associa généreusement à ce douloureux sacrifice, libre alors de suivre son attrait, Victoire dit adieu à son père, à sa mère, à ses frères, à ses sœurs, à ce cher foyer de la Grihaine, et se rendit à la communauté des Bénédictines de Craon.
3 Entrée en religion, retour dans sa famille
C'est dans l'année 1835 que Victoire, âgée de vingt ans, entra au couvent des religieuses Bénédictines du Très Saint-Sacrement à Craon. Cette maison, fondée depuis quelques années par la révérende Mère de Cossé-Brissac, était en grande réputation de ferveur et de sainteté : on la considérait dans le pays comme un foyer de l'amour divin. Tout, dans cette communauté, répondait aux attraits de Victoire : vie très austère, prière continuelle, adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, instruction des enfants. Peut-être encore y fut-elle attirée par une cousine, religieuse d'une haute piété, très adonnée à la contemplation. Notre chère Victoire était donc au comble de ses vœux : les conseils évangéliques, elle les avait toujours observés ; c'était son bonheur de penser aux engagements irrévocables qui la lieraient à jamais au divin Époux. Cependant ce cher monastère si loin du monde et si près du ciel, ce paradis terrestre, après six mois d'essai. Victoire dut le quitter. Pour être bénédictine du Saint-Sacrement il lui manquait une chose, la force physique. Le régime
est dur, il exige une santé vigoureuse.
Victoire eut à souffrir on ne sait quelle indisposition qui fit craindre pour l'avenir. Le docteur Duplessis déclara qu'il lui fallait prendre le grand air de la campagne. Les bénédictines ne la virent pas s'éloigner sans de vifs regrets : elles n'oublièrent pas la postulante qui paraissait déjà au milieu d'elles une religieuse accomplie. Lorsque trente-trois ans plus tard elles apprirent la merveilleuse découverte de son corps, et les grâces obtenues par son intercession, elles ne furent nullement surprises : on assure même que deux sœurs tourières furent envoyées prier sur le tombeau de la sainte. Victoire en partant de Craon, avant de rentrer dans sa famille, crut devoir tenter un nouvel essai à la communauté d'Evron: mais là encore elle fut jugée trop faible ; elle y entra le 24 octobre et en sortit le 15 novembre 1835.
Saint Benoît-Joseph Labre avait fait plusieurs essais semblables chez les Chartreux, plusieurs chez les Trappistes, suivant les inspirations divines, et lorsqu'il était sur le point de s'engager définitivement, il se trouvait dans la nécessité de quitter le monastère. Le Seigneur voulait qu'il fit de la sorte l'apprentissage de la vie religieuse, pour donner ensuite au monde l'édification de sa pénitence extraordinaire et des vertus les plus héroïques. Ainsi conduite au couvent pour y puiser abondamment l'esprit religieux, Victoire est ramenée dans le monde, pour l'édifier en pratiquant au grand jour les saintes observances qu'elle avait appris à aimer dans le silence du cloître.
4 Vie religieuse dans le monde, travail, pénitence, charité pour les pauvres
Après ce double insuccès, notre chère Victoire revenait dans sa famille, soumise et résignée, mais profondément affligée et très inquiète de l'accueil qu'elle recevrait. Son humilité la trompait : comme elle n'avait jamais causé d'autre peine à ses parents que celle de les quitter, ils furent très heureux de la voir revenir et de la posséder désormais sans craindre de la perdre. Victoire ramena vraiment l'allégresse au foyer de la Grihaine. Elle reprit sa place et ses fonctions dans la famille. Le père décida qu'elle aurait la liberté de faire ses dévotions comme elle voudrait, que le dimanche, par exemple, elle serait entièrement libre et exempte de tout travail. Pour elle, loin de vouloir regarder en arrière, elle résolut de marcher avec une nouvelle ardeur dans la voie de la perfection.
L'âme chrétienne, et particulièrement l'âme religieuse, doit reproduire la vie de Jésus-Christ. Or, quelle a été la vie du divin Maître ? « On ne sait rien de lui, dit Bossuet, durant trente ans, sinon qu'il était le fils d'un charpentier, charpentier, lui-même, et travaillant à la boutique de celui qu'on croyait son père, obéissant à ses parents et les servant dans leur ménage et dans cet art mécanique comme les enfants des autres artisans. Quel était donc son état, sinon qu'il était caché en Dieu, ou plutôt que Dieu était caché en Lui ? Et nous participons à la perfection et au bonheur de ce Dieu caché, si notre vie est cachée en Dieu avec lui ». C'est bien ainsi que Victoire se conforma à l'adorable modèle. Jésus était soumis à Marie et à Joseph : Victoire, se renonçant à elle-même en tout, ne songea qu'à faire la volonté de son père et de sa mère. Jamais une plainte, jamais un refus ni une négligence. On peut même dire qu'elle obéit à ses frères et à ses sœurs, puisqu'elle préféra toujours leur volonté à la sienne, et qu'au rapport de sa belle sœur, elle se priva de bien des choses pour leur faire plaisir. M. Brielle, mort il y a quelques années, ne cessait pas de rappeler à ses enfants et petits enfants l'exemple de cette obéissance si empressée, si douce et si aimable.
Jésus obéissant à ses parents les servait dans le ménage et dans cet art mécanique. De même sans perdre un instant dans les petits riens et les frivolités qui occupent souvent les personnes du sexe, Victoire se livra toujours à un travail sérieux et souvent très fatigant. A la maison, dans les soins multipliés du ménage et des animaux domestiques, elle faisait en sorte de prendre la part la plus pénible afin de décharger sa mère et ses sœurs. La famille Brielle, avons-nous dit, cultivait elle-même ses terres, sans domestiques et sans le secours des machines, qui n'étaient pas encore en usage à cette époque : c'était par conséquent un rude travail pendant une grande partie de l'année. Malgré sa faible santé, il est prouvé que Victoire travailla constamment comme tout le monde. Mais, en arrosant les sillons de ses sueurs, elle gardait le silence le plus souvent pour s'entretenir avec Dieu. Lorsque les autres se reposaient de temps en temps ou prenaient quelques rafraîchissements, on la voyait se retirer dans un coin, se jeter à genoux et prier. Toutefois, elle savait parler à propos et toujours de la façon la plus gracieuse pour récréer et surtout pour édifier ceux qui l'entouraient.
Le filage du lin et de la laine était encore alors l'occupation des femmes à la maison. Victoire aimait ce travail, parce que son oraison n'était troublée par aucune distraction. Elle passait ainsi à son rouet des journées très heureuses et très riches en mérites. C'est en filant qu'elle devait mourir. A cet emploi du temps si conforme à la volonté divine, à cette pénitence si méritoire, la pieuse fille ajoutait de nombreuses mortifications. Non seulement elle observait tous les jeûnes de l’Église, dont elle aurait pu souvent se dispenser ; mais elle faisait plusieurs autres carêmes et même des personnes qui la fréquentaient assurent qu'elle jeûnait tous les jours. A l'une d'elles qui lui demandait si ces jeûnes n'étaient point au-dessus de ses forces, elle répondit : « Non, cela ne me gène pas et je dois faire pénitence » (Déposition de Mme Cheruault).
Ce n'était pas assez pour Victoire. On croyait généralement qu'elle exerçait sur elle-même de rigoureuses sévérités. Une de ses parentes, son intime amie, pense qu'elle avait un corset garni de lames de fer, qui devait lui causer une gêne continuelle surtout pendant le travail. Victoire avoua un jour à cette amie, qu'en effet ce corset était gênant ; mais disait-elle, il faut bien souffrir un peu. C'est sans doute ce corset que son frère Isidore avait en vue, lorsqu'il disait au curé de Méral que sa sœur portait toujours une cuirasse (Lettre à Mgr Wicart) : d'un autre côté, une femme pieuse du bourg de Saint-Poix, qui ensevelit Victoire, disait et répétait, plusieurs personnes s'en souviennent, qu'elle avait trouvé autour des reins une chaîne en fer, dont les pointes s'enfonçaient dans la chair. On pourrait encore citer le témoignage d'une personne qui la voyait tous les jours dans ses dernières années, et qui affirme que ces pénitences extraordinaires étaient un fait connu et évident. Il parait donc prouvé que Victoire portait constamment, jour et nuit, un rude cilice et une chaîne qui devait lui causer de vives douleurs. Suivant la recommandation et l'exemple de l'Apôtre, elle mortifiait ses membres et elle était crucifiée avec Jésus-Christ. Une vie pareille est vraiment une mort, mais une mort, dit le saint Apôtre, qui produit dans une chair mortelle la vie du Christ.
Autant Victoire était dure pour elle-même, autant elle était tendre et charitable pour les autres. Je ne parle pas de ses parents pour lesquels elle avait les prévenances les plus aimables. Il est question des pauvres qu'elle assistait comme une sœur de charité. Tous les soirs à la veillée, elle travaillait pour eux une ou deux heures. Elle faisait des vêtements qu'elle leur portait elle-même ou leur faisait remettre en secret. Les détails de ces bonnes œuvres sont sans doute oubliés ; mais le souvenir de son dévouement habituel et, pour ainsi dire quotidien, se conserve dans le pays. On rapporte qu'elle visitait un grand nombre de pauvres dans le voisinage, dans les bourgs de Méral et de Saint Poix, et qu'on la trouvait toujours auprès des malades pour les soigner et les veiller.
La Grihaine était souvent visitée par les mendiants des paroisses voisines de la Mayenne et de la Bretagne : lorsque Victoire les apercevait, elle s'élançait à leur rencontre comme si elle eût vu Jésus-Christ lui-même, et si c'était au moment du dîner, outre le bon morceau de pain qu'elle leur donnait, elle partageait son repas avec eux. Elle les suivait le plus souvent quand ils partaient, afin de leur faire l'aumône spirituelle. On se souvient de sa charité toute spéciale pour les enfants : c'était son bonheur de leur parler de Dieu, de leur apprendre à prier, de les préparer à leur première communion. Il se trouve encore des personnes qui se rappellent parfaitement les belles remontrances qu'elle leur faisait.
5 Comment Victoire était unie à Dieu, comment elle conversait avec le prochain, comment elle priait
Par ces faits d'une vertu extraordinaire, Victoire, sans le vouloir, découvrait son intérieur. A la voir, à l'entendre, on sentait qu'elle était toute pénétrée de la présence de Dieu, embrasée de son amour, remplie du Saint-Esprit et toujours dirigée par ses inspirations. Cette union avec Dieu était la source de sa vie spirituelle si abondante ; car telle était la vie de Victoire : ou elle parlait à Dieu dans l'oraison, ou elle parlait de Dieu pour le faire aimer.
Une âme qui se baigne sans cesse, suivant l'expression du Saint Curé d'Ars, en la présence de Dieu, ne saurait se plaire dans des conversations frivoles. Lorsque Victoire rompait le silence, c'était pour ranimer l'amour divin dans les âmes. Elle avait assurément une grâce singulière pour parler des choses de la piété, c'est ce que sentaient et admiraient ses parents et ses amies aussi bien que les religieuses Bénédictines. Je ne sais si elle avait lu les conseils que Saint François de Sales donne à sa Philotée, mais il est certain qu'elle les mettait admirablement en pratique ; citer cette page, c'est raconter ce que faisait Victoire : « Si donc vous, êtes bien amoureuse de Dieu, Philotée, vous parlerez souvent de Dieu es les devis familiers que vous ferez avec ceux de la maison, amis et voisins. Mais parlez toujours de Dieu comme de Dieu, c'est-à-dire révéremment et dévotement; non point en faisant la suffisante ni la prêcheuse, mais avec l'esprit de douceur, d'humilité et de charité, distillant autant que vous savez le miel délicieux de la dévotion et des choses divines, goutte à goutte, priant Dieu au fond de votre âme qu'il lui plaise de faire passer cette sainte rosée jusque dansle cœur de ceux qui vous écoutent. Surtout il faut faire cet office angélique doucement et suavement, non point par manière de correction, mais par manière d'inspiration ; car c'est merveille combien la suavité et aimable proposition de quelque bonne chose est une puissante amorce pour attirer les cœurs ».
Telle était la conversation de Victoire. « Je n'étais pas cinq minutes avec elle, dit une de ses amies, sans me sentir très émue et heureuse ; je ne la quittais jamais sans emporter de bonnes pensées et un nouvel amour pour Dieu ». Tout le monde en entendant ses belles remontrances, était pénétré de respect et de vénération. Comme on la voyait si modeste et si réservée, rougissant à la moindre parole légère, on s'observait avec soin : son air seul commandait le respect de la présence de Dieu et de la vertu.
Les jours de la pieuse Victoire, il faut bien le reconnaître, étaient pleins et riches en mérites. Quel que fût le travail, elle priait continuellement ; pendant que les autres se reposaient, elle se retirait à l'écart pour s'entretenir avec Dieu. Au dîner, elle mangeait peu et vite, et elle se renfermait dans sa chambre ou cherchait un endroit secret dans le jardin, et restait en oraison jusqu'au moment de reprendre le travail. Le soir, c'était la prière en famille : Victoire ajoutait souvent le chapelet et une lecture, par exemple, pendant le Carême et l'Avent et la veille des fêtes. Après une journée si bien employée, Victoire était en droit de demander au sommeil un repos bien mérité et qui semblait nécessaire à sa faible santé. Hé bien ! Elle se privait de ce repos : après avoir travaillé une ou deux heures pour les pauvres, elle s'enfermait dans sa chambre, et commençait une oraison qui se prolongeait souvent toute la nuit. Dans ses délicieux entretiens avec Dieu, les heures s'écoulaient comme un instant. Il arrivait parfois que les habitants de la maison la surprenant en prière après minuit, l'engageaient à se coucher : « Non, pas encore, disait-elle, je n'ai pas envie de dormir, et j'ai beaucoup de prières à faire'. C'est qu'en effet, suivant saint Augustin, l'amour triomphe du sommeil et tient éveillé. Voilà comment Mme Rousseau (Marie sa sœur aînée : elle couchait dans la même chambre) pouvait affirmer que Victoire ne se couchait point avant deux heures, et souvent priait toute la nuit sans se coucher.
Les Religieuses Bénédictines consacrent à la prière une partie considérable de la nuit. Chargées de réparer les innombrables péchés qui sont commis chaque jour, elles veillent de longues heures devant le Saint-Sacrement, méditant la passion du Sauveur sans cesse renouvelée par les pécheurs. Ce que Victoire avait fait avec tant de bonheur dans le monastère, elle aura voulu, sans doute, le continuer dans le monde. Ainsi elle aura veillé l'Heure Sainte avec Jésus-Christ agonisant au Jardin des Oliviers ; après avoir assisté à la flagellation et au couronnement d'épines, elle l'aura accompagné dans le chemin de la Croix, et, avec sa divine Mère, elle sera restée longtemps dans la contemplation de l'adorable Crucifié. C'est ainsi qu'on peut expliquer ces nuits passées dans la prière et la méditation ; mais il est plus convenable de dire simplement, sans vouloir scruter les secrets divins, que Victoire s'unissait avec un ardent amour aux gémissements ineffables que l'Esprit-Saint produisait au fond de son cœur.
6 Sanctification du Dimanche, fréquentation des Sacrements
L'éclat de si beaux exemples ne pouvait rester entièrement caché dans l'intérieur de la famille. Il n'était pas au pouvoir de l'humble Victoire de se dérober toujours aux regards du public. Mais le monde n'était à même de la voir que dans les églises ou sur les routes qui y conduisent. La Grihaine est à six kilomètres de l'église de Méral, et à un kilomètre de celle de Saint-Poix. Pendant la semaine, Victoire allait à Saint-Poix; mais le dimanche, elle se faisait un devoir d'aller dans sa paroisse. On assure même qu'elle persuada des parents et des voisins de fréquenter plus souvent l'église paroissiale. Assurément elle prêchait d'exemple. Le sacristain Feuchaud, mort il y a quelques années, le même qui a découvert son corps, affirmait, et un grand nombre de personnes l'ont déclaré comme lui, que Victoire était arrivée tous les dimanches avant cinq heures à la porte de l'église. C'est un fait de notoriété publique. Elle devait, pour cela, partir de la Grihaine vers trois heures et demie au plus tard ; car elle venait, hiver et été, par des chemins très étroits, creusés à travers les champs, ayant à passer, au dire de M. le comte du Buat, soixante-douze échaliers. On rapporte qu'à Minuit, des pluies torrentielles avaient tellement inondé le pays que personne ne put sortir toute la journée ; Victoire, néanmoins, partit de la Grihaine, et on la vit à l'heure ordinaire dans l'église de Méral, sans que personne pût expliquer comment elle était arrivée saine et sauve.
Victoire recherchait de préférence ces chemins si difficiles, mais solitaires, pour ne point être troublée dans son oraison. Si cependant quelque personne se rencontrait désirant l'accompagner, elle la priait poliment de la laisser seule, ou bien, disait-elle, nous allons nous préparer ensemble à la Sainte Messe et à la communion. Arrivée à l'église, elle se confessait ordinairement. On remarquait qu'elle ne restait jamais longtemps au confessionnal, mais quelques minutes seulement, preuve, dit une de ses amies, de la grande droiture de son âme.
Comme la famille Brielle assistait aux offices de Saint-Poix, elle n'avait pas de banc dans l'église de Méral. C'était l'ancienne église, trop petite pour la population. Victoire se mettait au rang des pauvres, toujours à genoux ou debout. Quelquefois, des personnes charitables lui offraient une place dans leur banc : elle l'acceptait humblement Etant la toute recueillie en Dieu, Victoire ne pensait pas assurément qu'elle était remarquée et admirée par tous les assistants. Son attitude était pour tout la plus éloquente prédication. M. l'Abbé Bousselet, mort il y a quelques mois, qui avait vu notre sainte fille dans l'église de Méral, ne pouvait encore, après un demi-siècle, se rappeler sans pleurer le spectacle de cette piété si vive, si humble et si simple.
Après la première messe et l'action de grâces. Victoire allait dans une maison du bourg manger un petit morceau de pain qu'elle apportait pour le déjeuner et le dîner. Elle revenait ensuite à l'église, assistait à la grand'messe et ne sortait qu'à midi. Assez souvent, elle dînait chez M. Guéret, adjoint au maire, son parent Mais celui-ci devait beaucoup insister pour lui faire accepter l'invitation. Il était du reste, dit-il lui-même, bien payé de son hospitalité par les charmes de sa conversation toujours très gaie et très aimable. On voyait Victoire revenir de bonne heure à l'église pour visiter le Saint-Sacrement, faire le Chemin de la Croix, et assister aux vêpres ; mais parfois elle retournait à Saint-Poix, qui est bien plus près de la Grihaine. Elle ne partait point sans visiter plusieurs pauvres maisons, elle y laissait ordinairement une partie du pain qu'elle avait apporté pour elle. Les petits chemins du matin n'étant plus aussi solitaires dans la soirée, Victoire, pour le retour, préférait la grande route ; mais on se souvient qu'elle marchait constamment sur le bord pour éviter les rencontres et les distractions. « Il me semble encore, disait naguère une de ses amies, voir notre chère sainte marcher sur le bord du chemin, en silence, les yeux baissés, toute absorbée dans ses pieuses pensées ».
De retour à la maison, elle employait le reste du temps à la prière ou à la lecture. Et maintenant qu'on se transporte au foyer de la Grihaine et qu'on pense aux saintes joies d'une famille qui a sanctifié le dimanche ! Plaise à Dieu que les populations de nos campagnes suivent toujours cet exemple, et, s'abstenant du travail et des fêtes mondaines, assistent pieusement aux offices de la paroisse et goûtent au sein de la famille le bonheur du dimanche bien observé ! On suppose bien que Victoire n'était pas toute une semaine sans fréquenter l'église. Elle venait à Saint-Poix souvent, et bien probablement tous les jours, pour assister à la messe et communier. En allant et en revenant elle ne cessait de prier. On remarquait qu'elle arrivait toujours de bonne heure pour se préparer à loisir. C'était toujours le même recueillement et la même application à l'oraison.
7 Résumé de la vie de Victoire, sa mort, sa sépulture
Ce qu'il faut le plus admirer dans la vie de la pieuse Victoire, c'est la sagesse et la force d'une volonté qui, s'étant prononcée, dès les premières années, ne se laisse ni détourner ni ralentir, saisit résolument la croix de chaque jour et marche sur les pas de Jésus-Christ. Forcée de quitter le monastère vers lequel elle se sentait appelée, elle vivait dans le monde comme une parfaite religieuse. On n'a pas oublié que Victoire était d'une faible santé : quelle violence devait-elle donc s'imposer pour travailler comme les autres malgré ses différentes pénitences, pour prier ensuite presque toute la nuit et souvent jusqu'au matin, pour arriver le dimanche, sans manquer jamais, disait le bon Feuchaud, à la porte de l'église de Méral avant cinq heures ? Et cet effort violent et continuel ne troublait aucunement la sérénité de son âme. C'est le témoignage unanime des personnes qui l'ont connue : on ne vit jamais une si parfaite égalité de caractère, une aménité, une douceur envers tout le monde, aussi constante, aussi aimable. Evidemment elle remplissait le vœu de l'Apôtre : elle marchait digne de Dieu et de sa vocation, fructifiant en toute sorte de bonnes œuvres, croissant chaque jour dans la science des saints, étant continuellement dans l'attente de la bienheureuse espérance.
L'attente ne devait pas être bien longue. La vierge prudente avait tout préparé. L'Epoux ne devait pas la trouver endormie. Elle était dans sa trente-deuxième année. Elle venait de célébrer les fêtes pascales. On, sait que les fêtes de l'Eglise ranimaient singulièrement sa piété. Plusieurs personnes assurent qu'elle fut avertie, dans une sorte de ravissement, du jour de sa mort Elle dit elle-même à une amie qu'elle ne tarderait pas à mourir. Un jour portant à boire à un ouvrier qui travaillait à la Grihaine, elle lui dit : « Je vous apporte à boire aujourd'hui, dans huit jours je ne vous en apporterai pas : je serai morte ». C'est ce que cet homme, nommé Marcille, mort depuis quelques années, racontait souvent. Quoi qu'il en soit, Victoire ne parait pas avoir rien changé dans ses exercices quotidiens. Comme elle était si attentive à faire à tout instant la volonté de Dieu, peu lui importait l'heure du jour ou de la nuit où la mort allait venir lui ouvrir les portes de l'éternité. Il est bien probable que le mardi 27 avril, elle se rendit, suivant l'habitude, à l'église de Saint-Poix, assista à la Messe et communia. Ce jour-là elle s'occupa à filer, et, sans aucun doute, en filant elle ne cessa de prier. Dans l'après-midi, voyant sa mère, avec sa sœur Agathe, se disposer à porter à la fontaine un paquet de linge, elle lui proposa d'aller à sa place ; mais la mère ne le voulut pas, et lui dit de rester à son rouet. Vers quatre heures, tout le monde étant absent de la maison, survint le moment suprême : Victoire, une main à la quenouille et l'autre au rouet, sans effort, sans pousser un soupir, s'était endormie dans le Seigneur.
Dans le même instant, la mère rentra : apercevant Victoire qui paraissait dormir, elle s'approcha pour la réveiller : elle vit qu'elle était morte. M. Brielle, qui était à deux pas de la maison, rentra en disant : « Pauvre Victoire, elle cède au sommeil ; ce n'est pas étonnant, elle ne dort point la nuit ». La famille se trouva bientôt réunie ; on accourut du voisinage pour voir la mort d'une sainte. Le corps restait dans la même attitude et nulle trace de la mort n'apparaissait sur le visage. Le vendredi 30 avril, le corps fut porté à l'église de Méral. Comme Victoire était grande et puissante, les porteurs pliaient sous le poids du cercueil, et ils étaient obligés de se remplacer souvent. Ils déposèrent le corps à un kilomètre environ du bourg. A partir de cet endroit, où le clergé vint jeter l'eau bénite, ces hommes remarquèrent que le corps ne pesait plus. Plusieurs personnes, qui étaient autour du cercueil, se rappellent encore leur étonnement et les observations qu'elles échangeaient entre elles. L'une d'elles, le menuisier Rousseau, qui avait déposé et renfermé le corps dans la bière, racontait souvent dans la suite, dit son fils, ce fait inexplicable. Était-ce un indice que le corps de la sainte fille de Grihaine allait être .soustrait aux lois ordinaires et était destiné à une prochaine glorification ? M. l'Abbé Lebreton, alors vicaire à Saint Poix, directeur de Victoire dans ses dernières années, présida la cérémonie. En s'en retournant, il paraissait plein de joie : à ceux qui lui en demandaient la cause, il répondait : « J'ai enterré une sainte ». C'était le sentiment de tout le monde.
8 Dix-neuf ans dans le tombeau, découverte du corps, conservation et identité constatée, joie universelle
Le prêtre, en bénissant le tombeau d'un chrétien, prie le Seigneur de députer pour le garder un de ses anges. Sous la protection de cet ange, qui fit bonne garde, Victoire continua son paisible sommeil. Dix-neuf ans s'écoulèrent. Son tombeau, que rien ne distinguait des autres fosses, qui ne portait aucune inscription, allait être bientôt oublié.
C'était en 1866, le 20 du mois d'août, le sacristain Feuchaud, qui avait creusé la fosse de Victoire, allait la rouvrir pour y déposer le corps d'un homme qui, dans sa vie et sa mort, n'avait pas parfaitement ressemblé à notre chère sainte. Arrivé à une certaine profondeur, Feuchaud découvre un cercueil qui paraît entier ; d'un vigoureux coup de pioche, il brise les planches ; il aperçoit un linceul très blanc, et une main apparaît tournée vers lui, comme la main d'une personne vivante. A cette vue le pauvre Feuchaud effrayé prend la fuite, et il annonce dans le bourg la merveilleuse découverte. En peu de temps, une foule nombreuse arrive et se presse sur le bord de la fosse. On remarque l'intégrité du cercueil ; on examine la main qui s'est dégagée du linceul ; elle est pleine, souple et flexible et la peau est blanche. Quelques instants après, le Vicaire, M. Maulavé, arrive ; il descend dans la fosse, entr'ouvre un peu le linceul, enlève le suaire qui couvre le visage, et on voit une figure qu'on dirait vivante. « Le visage est plein, écrit M. Maulavé, le teint frais et vermeil : les lèvres un peu rapprochées laissent apercevoir des dents très blanches ; les yeux sont légèrement fermés comme ceux d'une personne qui dort. Les traits, nullement contractés, donnent à cette figure un air presque souriant. Les cheveux blonds châtains sont rangés en bon ordre sous un simple bonnet. Il est constaté qu'il ne s'exhale aucune odeur ni du cercueil, ni du corps. On dirait que les planches de la bière sortent des mains de l'ouvrier. Les clous ne sont pas rouillés. La toile qui enveloppe le corps craque comme du linge neuf. Le suaire en batiste est très frais.
Les nombreux témoins qui se pressent contre cette fosse (on évalue le nombre à cinq ou six cents) considèrent, constatent toutes ces choses : ils reconnaissent qu'ils ont sous les yeux un prodige, et concluent unanimement que c'est là le corps d'une sainte. Mais quelle est cette sainte ? La réponse à cette question ne se fait pas attendre. Feuchaud se rappelle qu'il y a dix-neuf ans, il a déposé dans ce tombeau Mlle Victoire Brielle. Plusieurs témoins qui conservaient le souvenir de ses traits déclarent; qu'ils la reconnaissent. Si c'est Mlle Brielle, dit quelqu'un, elle doit avoir à la main droite un anneau d'une certaine façon que lui avait donné son oncle, le capitaine Jégu. On découvre la main droite, et on trouve l'anneau comme il est dit.
Ceci se passait dans la soirée : pendant la nuit, la nouvelle se répandit dans la paroisse de Méral et dans les lieux d'alentour, Cossé, Saint-Poix, Beaulieu, le Pertre. Dès le matin, on arrivait en foule, et pendant la journée, il vint plus d'un millier de personnes. Le corps, qu'on avait laissé exposé à l'air humide de la nuit, avait un peu noirci, mais tout le monde put constater la souplesse, la flexibilité, la merveilleuse conservation du corps qui reposait dans cette fosse depuis dix-neuf ans. Ceux qui avaient connu Victoire, la reconnaissaient : dès lors il n'y eut aucun doute ni sur l'identité ni sur la sainteté. Les souvenirs de Victoire se réveillant dans les esprits, les nombreux spectateurs se rappelaient les uns aux autres sa piété, sa charité et toutes ses admirables vertus, et c'est avec une joie indicible qu'ils contemplaient cette sorte de résurrection, cette véritable glorification de l'humble servante de Jésus-Christ : ils comprenaient et bénissaient le bienfait de Dieu qui donnait au pays une protectrice et un modèle. On aurait voulu déjà emporter des reliques. Plusieurs personnes réussirent à détacher quelques fragments du cercueil, d'autres emportaient des morceaux du suaire et des cheveux. On ne parla plus de Mlle Victoire Brielle : à partir de ce jour, on dit « la Sainte de Méral ».
Certes, on n'accusera pas le curé de Méral, M. l'Abbé Gontier, d'un zèle trop empressé dans la circonstance, étant à deux pas du cimetière, il crut devoir rester étranger à l'évènement. Le soir, il donna ordre de refermer la fosse. On rajusta un peu les planches brisées, on descendit le cercueil. Feuchaud rejeta la terre dans la fosse, et la sainte fut à même de continuer son paisible sommeil. Cependant cette prudence, qui fut appréciée différemment, eut un bon résultat : elle excita des réclamations très vives et générales. M. Gontier en fut ému. Il écrivit à Mgr Wicart pour l'informer de tout ce qui s'était passé. Sa Grandeur en ayant pris connaissance, ordonna une nouvelle exhumation et une enquête. Donc, quarante-trois jours après la découverte du corps, le 3 octobre, à neuf heures du matin, M. François Davost, archiprêtre de la Cathédrale, député par Mgr Wicart, M. le docteur Raulin, de Gossé, médecin très estimé, M. le Curé de Méral et le vicaire, M. Maulavé, M. Brielle, le père de Victoire, son frère Isidore (la mère était morte depuis plusieurs années, les autres parents ne furent pas avertis), M. Guéret, adjoint, et un grand nombre de personnes entouraient le tombeau dans un sentiment de vire curiosité.
Le corps fut retiré de la fosse : il apparut tel qu'on l'avait vu, entier, flexible, sans aucune trace de décomposition ; cependant, quelques parties, comme le visage, étaient devenues un peu noires au contact de la terre humide qui avait traversé les planches mal ajustées de la bière : d'autres étaient desséchées et comme momifiées. Le docteur Raulin examina les diverses parties du corps : il enleva des lambeaux de chair dans le bras gauche, dont il fit remarquer aux témoins la couleur rosée. Reconnaissant que l'état du corps était vraiment extraordinaire et inexplicable, il consigna ses observations dans un procès verbal qui fut déposé aux archives de l'église de Méral. De leur coté, les parents et les amis déclarèrent de nouveau qu'ils reconnaissaient celle qu'ils avaient connue vivante. M. Brielle était extrêmement ému en revoyant sa fille si tendrement aimée : il ne put pas rester longtemps ; on le vit sortir du cimetière en sanglotant, accompagné par son fils Isidore. Celui-ci n'était pas moins impressionné. Il emportait, avec l'anneau dont nous avons parlé, une pensée qui ne le quitta plus ; à tout instant du jour et de la nuit il se disait : « Ma sœur m'appelle, ma sœur m'appelle ». En effet, il mourut quatre mois après, en se recommandant à la très sainte Vierge et à sa sœur. Après ces diverses constatations, le corps fut renfermé dans un nouveau cercueil: un marbre, avec une inscription, fut placé sur la tombe, et bientôt de nombreux ex-voto suspendus à l'entour, marquèrent aux pèlerins le lieu où repose la Sainte de Méral.
On peut comparer Victoire à un grand nombre de Saintes vénérées dans l'Eglise : mais il faut convenir qu'elle ressemble parfaitement à Sainte Germaine Cousin, la sainte bergère de Pibrac. Germaine et Victoire sont deux sœurs semblables dans leur vie, dans leur mort et après leur mort, il serait trop long de montrer ces merveilleuses analogies, mais on me pardonnera de citer tout au long l'histoire de la découverte de Sainte Germaine. C'est ainsi que le continuateur du P. Giry rapporte cette invention miraculeuse : « Germaine fut enterrée dans l'église, suivant l'usage de cette époque. Toutefois la place n'eut rien qui la distinguât des autres et ne fut marquée par aucune inscription. Le souvenir de ses bons exemples et de ses vertus ne périt point parmi les habitants de Pibrac ; mais ceux qui l'avaient connue, disparaissaient peu à peu : on oublia la place où elle reposait, lorsqu'enfin il plut à Dieu de manifester hautement la gloire de son humble servante et de lui donner en quelque sorte une vie nouvelle. Ce fut vers l'an 1644, à l'occasion de l'enterrement d'une de ses parentes, nommée Endouale ; le sonneur, se disposant à creuser la fosse dans l'église, avait à peine levé le premier carreau qu'un corps enseveli se montre. Au cri que pousse cet homme, effrayé de trouver un cadavre, quelques personnes, venues pour entendre la messe, accoururent autour, elles virent et elles ont constata que le corps était à fleur de terre, et que l'endroit du visage qui avait été touché par la pioche, offrait l'aspect de la chair vive.
Le bruit de cet étrange événement s'étant aussitôt répandu, les habitants du village vinrent en foule pour voir par eux-mêmes ce qu'on leur avait annoncé. Alors, et en présence de tout le peuple, le corps, qui n'avait pu que par miracle être ainsi élevé à la surface du sol, fut découvert entièrement. On le trouva entier et préservé de la corruption. Les membres étaient attachés les uns aux autres et couverts de l'épiderme. La chair paraissait excessivement molle en plusieurs parties. Les linges et le suaire qui revêtaient ces restes précieux avaient pris la couleur de la terre, mais ils n'avaient pas été plus atteints que le corps lui-même. Les mains tenaient un petit cierge et une guirlande formée d'oeillets et d'épis de seigle. Les fleurs n'étaient que légèrement fanées, les épis contenaient encore leurs grains frais comme au temps de la moisson. A ces signes, tous les anciens de la paroisse publièrent que c'était là le corps de Germaine Cousin, morte depuis 43 ans, qu'ils avaient connue et dont ils avaient vu les funérailles. Tous les souvenirs aussitôt se réveillèrent ; la miraculeuse apparition et la miraculeuse conservation de ce corps n'étonnèrent plus personne ».
9 Le Pèlerinage, guérisons nombreuses
Les habitants de Pibrac et des environs comprirent que cette seconde vie accordée à la pieuse bergère serait pour le pays une source de bénédictions. Aussi, depuis cette année 1664 jusqu'à nos jours, ils n'ont point cessé de recourir en toute circonstance à leur Sainte, si bien que naguère, après une expérience de plus de deux siècles, ils prétendaient qu'ils n'avaient pas besoin de médecin. C'est ainsi que la dévotion des fidèles d'une part, et de l'autre les grâces de toute sorte obtenues par l'entremise de Germaine, ont, pour ainsi dire, obligé le saint Pape Pie IX à lui décerner les honneurs de la canonisation. Il en va de même pour Victoire : vivement excitée par la merveilleuse invention de son corps, la vénération des fidèles s'est aussitôt manifestée, sans bruit, presque en silence, par des visites à son tombeau toujours plus fréquentes et plus nombreuses. A la confiance des pèlerins. Victoire, de son coté, a répondu par des grâces sans nombre. Lorsque dans les premiers mois de 1881, Mgr. l'Evêque de Laval, désireux de sauver de l'oubli une mémoire si vénérée, ordonna une enquête pour constater au moins les faits les plus notables, toute la population manifesta le désir de venir témoigner en faveur de la chère sainte.
La commission nommée par sa Grandeur s'étant transportée sur les lieux, ceux qui avaient à raconter les faveurs les plus signalées, comparurent devant elle, et, la main sur les Saints Evangiles, ils firent leur déposition avec un accent de sincérité et une expression de joie qui touchaient vivement les assistants. Les faits racontés par les nombreux témoins ne sont pas tous, sans doute, également marqués de l'empreinte du surnaturel. Parmi ces malades et ces infirmes qui se sont adressés à la Sainte, quelques-uns ne pouvaient plus rien espérer des moyens humains; d'autres se seraient peut-être guéris avec des remèdes et du temps : mais la guérison des uns comme des autres, sans remède, à la suite d'une visite et d'une prière au tombeau de Victoire, ne doit-elle pas être considérée comme l'effet de son intercession et la preuve de son crédit auprès de Dieu ?
On croit que la première personne guérie sur le tombeau de la Sainte est un homme de Craon, dont le nom est resté inconnu jusqu'à ce jour : mais le fait n'en est pas moins certain. Cet homme souffrait depuis longtemps d'un ulcère à la jambe. Une femme très respectable, qui le vit à son arrivée, assure que la jambe était toute pourrie. Aussitôt qu'il se fut agenouillé sur la fosse, il cessa de souffrir ; une croûte se forma sur la plaie : au bout de quelques jours, la croûte tomba ; il était entièrement guéri. Il revint sans tarder remercier sa bienfaitrice : il laissa son bâton et la guêtre de cuir qui enveloppait la jambe ; on peut les voir suspendus aux branches du sapin qui ombrage le tombeau. On rapporte qu'avec la santé du corps, l'homme de Craon recouvra aussi celle de l'âme. On le voit revenir de temps en temps visiter la Sainte à laquelle il attribue sa guérison.
En 1867, Félicité Lebreton, qui avait assisté à la sépulture de Victoire et à la découverte de son corps, souffrant toujours des suites de la fièvre typhoïde, vint prier sur le tombeau et quelques jours après elle était complètement guérie.
Le 2 février de l'année suivante, en la fête de la Chandeleur, une femme bien malheureuse arriva dans le cimetière de Méral. Mélanie Pointeau, femme Milet de la paroisse de Peuton, souffrait depuis 20 ans d'un mal à la joue: depuis six ans, c'était une plaie purulente, un cancer qui résistait à tous les remèdes connus. La moitié du visage était rongée, la joue était à peu de chose perforée. Mélanie était sans espoir, elle ne voulait plus faire aucun remède. Sa belle-soeur, Marie Milet, qu_i demeure dans le bourg de Méral l'engage à s'adresser à la Sainte. La malade suivi cet avis ; elle vint à Méral, resta 3 jours à l'hôpital, chez les Soeurs qui s'unirent à elle pour faire une neuvaine de prière. Mélanie s'en retourna sans éprouver de soulagement. Lorsqu'elle fut de retour, elle sentit la douleur diminuer un peu de jour en jour : mais la plaie restait toujours la même. Elle revint vers Pâques. Elle fit une troisième visite dans le courant de juin : elle ne fut pas encore guérie sur le tombeau ; mais le soir, étant de retour à Peuton, elle ressentit les douleurs les plus vives ; elle n'avait jamais autant souffert : « Toute la nuit, dit-elle, j'étais comme une enragée ». Le matin, n'en pouvant plus, elle se jette sur son lit et s'endort : au bout de quelques heures, elle se réveille guérie : plus aucune douleur : une croûte noirâtre couvre toute la plaie : quelques jours après, la chair et la peau se sont renouvelées : la croûte tombe, il ne reste plus qu'une cicatrice très légère, souvenir de l'affreux cancer.
Au commencement de juillet, Mélanie fit un pèlerinage d'actions de grâces. En la voyant si bien guérie, les habitants de Méral furent dans l'admiration et la joie. De son coté, toute la paroisse de Peuton, écrit le le curé, M. l'Abbé Forestier, est disposée à attester cette merveilleuse guérison. Depuis, Mélanie revient chaque année remercier la Sainte, Elle s'est présentée devant la commission d'enquête : elle a raconté sa touchante histoire devant de nombreux témoins. C'était, avons-nous dit, dans l'année 1868 : aujourd'hui, en 1881, Mélanie affirme qu'elle n'a jamais depuis ressenti aucune douleur.
Jean Biélu est un brave journalier, demeurant dans le bourg de Méral. En 1869, conduisant une grosse voiture dans la ville de Laval, il tomba sous la roue : la jambe droite, de la cheville à la hanche, fut littéralement broyée. Transporté à l'hôpital Saint-Julien, il y reçut les premiers soins ; quinze jours après, il fut ramené à Méral. Au bout de deux mois, la jambe était assez bien remise, mais elle était sans force et raccourcie de quinze à vingt centimètres. Le docteur Raulin pensait que Biélu serait longtemps incapable de travailler et resterait estropié. Jean Biélu en appela à la bonne Sainte, sa voisine ; mais, avant de se rendre au tombeau, il voulut faire ses dévotions à l'église. Ce ne fut pas sans peine qu'il se présenta au confessionnal et à la sainte table. Il vint ensuite prier la Sainte ; il revint les jours suivants et il fut exaucé : la jambe était entièrement guérie, rallongée convenablement et forte comme l'autre : il laissa ses béquilles au tombeau de sa bienfaitrice en témoignage de sa reconnaissance.
L'histoire de Rousseau, menuisier à Saint-Poix, est à peu près la même. Voici comment il l'a racontée devant la Commission : un tonneau plein de cidre étant tombé sur sa jambe droite la cassa au-dessus de la cheville, et de telle sorte que le pied ne tenait plus à la jambe que par la peau et que les os perçaient la chair. Remis par l'homme de l'art, il resta au lit sans remuer pendant cinquante-deux jours ; mais il n'était pas guéri. Après dix-huit mois de grandes douleurs, Rousseau vint prier sur le tombeau de la Sainte : au moment où il y dépose un ex-voto en cire représentant une jambe, ses souffrances deviennent très intenses ; mais, en sortant du cimetière, il sent que la douleur a cessé, il est guéri complètement. Depuis ce moment il n'a point souffert : la jambe est restée contrefaite : mais elle a fait son service aussi bien et même mieux que celle qui n'a point été cassée.
Après cette déposition, Rousseau présenta à la commission son fils François. Ce jeune homme, porte-croix dans l'église de Saint-Poix, était devenu sourd à l'âge de dix à douze ans ; il n'entendait pas même les cloches. Trois médecins de la Guerche, qu'il avait consultés, n'avait trouvé aucun remède. François vint avec sa mère au tombeau de la sainte ; il récita un chapelet, et en sortant du cimetière il entendit sonner sept heures à l'église de Méral : il était guéri, et il entend parfaitement depuis.
Notre chère Victoire avait déjà, en 1868, guéri une infirmité semblable. Hortense Vettier, d'une honorable famille du Pertre, avait souffert depuis son enfance des douleurs d'oreilles très-aiguës et fréquentes ; vers l'âge de douze ans elle était tout à fait sourde. Etant en pension chez les Sœurs, on la retira de l'école parce qu'elle ne pouvait prendre aucune leçon avec les autres. C'est alors que les parents vinrent à Méral, firent célébrer une messe, et au moment où ils priaient sur la tombe, Hortense entendit parler les personnes de la maison. Quelques jours après ses parents ramenaient elle même auprès de sa bienfaitrice, et pendant qu'elle était à genoux devant le tombeau, l'usage de l'ouïe lui fut rendu dans toute sa perfection. Ces bons chrétiens se firent un devoir de raconter à M. le curé de Méral cet heureux événement. La Sœur supérieure du Pertre nous écrit que Hortense n'a jamais souffert depuis.
Ernestine Goulet avait connu Victoire ; elle assistait à sa sépulture et portait devant le cercueil une couronne de fleurs blanches. Elle serait venue, sans aucun doute, la voir dans sa tombe lors de la merveilleuse découverte ; mais elle était sans mouvement dans son lit. Elle s'était cassé une jambe, puis le médecin Trochon, en essayant de la remettre, l'avait cassée deux ou trois fois. Ernestine avait été transportée à Méral, chez M. Cherruault, dont la charité est bien connue. Elle resta chez lui une année entière, alitée et éprouvant de grandes douleurs. Un médecin de Vitré, consulté en dernier, lieu, déclara qu'elle ne marcherait jamais, et lui conseilla, pour calmer la douleur, de faire sortir par une forte suppuration des os cariés restés dans la jambe. Après avoir frictionné son genou quelques jours, Ernestine renonça à ces remède douloureux et d'une efficacité si douteuse ; elle se fit apporter sur le tombeau de Victoire. Cette première visite lui procura un soulagement réèl ; à la deuxième, elle se sentit plus forte, mais elle n'osa pas laisser ses béquilles : ce fut à la troisième, quelle les laissa, se sentant entièrement guérie, et elle s'en alla à pied et sans bâton, de Méral à Saint-Poix (quatre ou cinq kilomètres). Elle marche bien depuis ; elle fait de longs voyages à pied, sans se fatiguer. Dans un de ses pèlerinages au tombeau, elle a promis de revenir tous les huit jours ; s'il lui arrive de tarder un peu, la jambe semble faiblir, elle vient alors et elle ne ressent plus cette faiblesse. Tel est le récit d'Ernestine, récit confirmé par l'excellent M. Cherruault et autres habitants de Méral.
François Ghesnel souffrait des douleurs excessives à la cheville du pied. Tous les remèdes étaient inutiles. Il a recours à la sainte, et aussitôt les douleurs diminuent. Il se fait amener à l'église, assiste à la messe, va ensuite prier sur la tombe et il est guéri, il ne lui reste qu'un léger souvenir de son mal, qui disparaît quelques jours après.
Perrine Chartrain, Rosalie Baston, Marie Lacour, Modeste Jégu, de Méral ; une femme Bouquet, de Laubrières ; Rosalie Barré, de Saint-Cyr ; une femme Lardeux, de la Selle-Craonnaise ; une femme Moreau, de Fontaine-Couverte ; une femme Février, d'Astille ; la veuve Tireau, quelques-unes désespérées, ont obtenu la guérison complète et instantanée de diverses maladies, ou commencé la convalescence qui s'achevait en peu de temps.
Le curé de Cuillé, M. l'Abbé Baglin, rapporte ainsi l'histoire de l'un de ses paroissiens : « En 1876, vers le 15 novembre, Frédéric Tauvry, âgé de quinze à seize ans, ressentit dans le côté gauche une vive douleur que le médecin attribuait à des fraîcheurs ou refroidissements. La douleur, après avoir séjourné quelque temps dans le côté, descendit dans le genou de la jambe gauche, puis se fixa définitivement à la hanche. Bientôt apparut une grosse tumeur qui nécessita une opération. Le pauvre enfant fut très souffrant alors ; ses jours furent très longtemps en danger, et pendant six semaines on le veilla comme on veille un malade qui peut trépasser d'un instant à l'autre. Ce fut à cette époque qu'on lui conseilla de se recommander à la sainte de Méral, ce qu'il fit, mais sans ressentir un soulagement immédiat. Le danger passé, le malade resta vingt mois sans pouvoir sortir, huit mois au lit, et un an sur une chaise. Pendant ce temps si long, il invoqua souvent la sainte, et promit de faire un pèlerinage à son tombeau aussitôt que son état le permettrait. Enfin le mieux arriva, le malade put faire quelques pas à l'aide de béquilles. A des intervalles assez éloignés on le conduisit trois fois à Méral. « Je ne ressentais aucun soulagement à la suite de ces voyages, dit-il. Mais quinze jours après j'étais beaucoup mieux. A la troisième visite, je pris mes béquilles dont je ne me servait déjà plus, et je les portais en ex-voto au tombeau de la sainte. Elles y sont et elles y resteront ». Telles sont ses paroles.Aujourd'hui Frédéric Tauvry se porte bien, il travaille comme un autre. Il est bien persuadé que sa guérison est complète et définitive, et il est décidé à faire chaque année un pèlerinage au tombeau de la Sainte à laquelle il attribue la grâce de sa guérison ». Frédéric Tauvry fut présenté à Mgr le Hardy du Marais, lorsque Sa Grandeur fit sa première visite à Méral.
Emile Perrin, jeune homme de vingt-trois ans, domestique dans une ferme à Cossé, n'a pas été guéri aussi complètement : cependant il a obtenu de la sainte une faveur signalée. Atteint d'une tumeur blanche qui avait carié les os et raccourci la jambe, il se fit apporter, en juin 1879, sur le tombeau de Victoire : là, les douleurs ont cessé, la jambe s'est rallongée, les forces sont revenues. Depuis il a pu marcher et travailler dans la ferme comme tout le monde, jusqu'au moment de sa mort, en avril 1881.
L'excellente Sœur Lemonnier, Supérieure de l'Hôpital de Cossé, dans une lettre à M. l'abbé Dulong de Rosnay, Vicaire Général, rapporte les faits suivants, accomplis presque sous ses yeux : un homme de Cossé, nommé Marcille, âgé de soixante ans, avait reçu un coup de pied de cheval dans un genou ; ayant fait tous les remèdes possibles sans éprouver aucun soulagement, il partit un matin à trois heures pour aller prier la Sainte : il eut bien de la peine à faire les cinq kilomètres; enfin il arriva, il pria avec foi, et s'en revint sans fatigue, et il continue de marcher comme auparavant. Cet homme encouragea une femme Placé, sa voisine, à recourir comme lui à la Sainte. Cette femme par suite de douleurs articulaires, était depuis longtemps sans force et sans mouvement. Sur l'avis de Marcille, elle se fit transporter à Méral, pria sur le tombeau et s'en revint guérie.
Edouard Desmots, de Montjean, enfant de huit ans, en 1876, jouant à l'école avec ses camarades, reçut un coup de grosse canette à la cheville du pied. On négligea la blessure qu'on apercevait à peine. Au bout de six semaines, une tumeur blanche se déclara. Les médecins de la contrée employèrent inutilement différents remèdes. On amena l'enfant à l'hôpital de Laval, il y resta la première fois dix-sept jours ; la seconde fois vingt-huit jours. On parlait de lui couper le pied ; le père alors s'adressa à la Sainte de Méral. II promit de faire célébrer une messe et de conduire neuf fois le malade en pèlerinage au tombeau. Au septième voyage l'enfant fut guéri. Ses béquilles sont restées en témoignage de sa guérison.
Marie Pointeau est une excellente mère, bien dévote à la sainte. Son enfant, à l'âge de sept ans, fut atteint d'une fluxion de poitrine, réduit à la dernière extrémité et administré : il priait la sainte, et promettait de se consacrer à Dieu dans l'état ecclésiastique ou religieux ; la mère vint au tombeau, et quelques jours après l'enfant était complètement guéri : il est aujourd'hui Frère de Saint-Gabriel. Marie Pointeau affirme que la sœur de celui-ci a été guérie de la même manière.
Marie-Marthe Paillard apporte trois fois sur le tombeau son enfant gravement malade. A la troisième visite il est tout à fait guéri. Louis Morin obtient la même grâce pour une enfant de sept mois souvent mourante.
La femme Veillet, en 1880, pendant les trois derniers mois, est venue chaque jour prier la sainte pour son fils Constant, âgé de dix-sept ans, atteint depuis sa naissance d'une infirmité très fâcheuse. Le jeune homme, après avoir reçu les Sacrements, vient lui-même prier avec sa mère, et il est guéri complètement
Dans la paroisse de Montjean, la dévotion à la Sainte est générale, comme à Saint Cyr, à Beaulieu et au Pertre. A Montjean, les Chaussée, les Chereau et autres reconnaissent qu'ils lui doivent la conservation de leurs enfants.
Trois femmes très respectables, anciennes amies de Victoire, demeurent dans de petites maisons devant le cimetière : bien des personnes affligées vont solliciter leur recommandation, et les prier de demander à la sainte une guérison morale ou une guérison physique.
Ce sont ces faits et beaucoup d'autres semblables, qui ont excité et qui entretiennent, depuis plus de quinze ans la dévotion envers la sainte de Méral. Chaque jour on voit de dix à vingt pèlerins venir prier sur son tombeau. Le dimanche c'est une procession continuelle. La plupart de ces pieux fidèles s'en retournent, après avoir prié, sans faire connaître les grâces qu'ils ont obtenues : quelques-uns laissent en témoignage de leur reconnaissance, des ex-voto ou des béquilles devenues inutiles ; d'autres viennent faire part de leur joie à l'excellent curé de Méral, M. l'abbé Livet : mais il est certain que tous ceux qui, bien disposés, prient Victoire, et prient avec persévérance, ont des actions de grâces à lui rendre pour quelque bienfait signalé.
Il faut donc reconnaître, et telle est la conclusion, que le Seigneur en glorifiant de la sorte la sainte fille de la Grihaine, nous a donné une protectrice aussi charitable que puissante dans le ciel, après avoir été en passant sur la terre un modèle parfait des vertus qui font les élus. Nous méditerons ces exemples si touchants, et nous la prierons eu toutes circonstances, mais surtout pour obtenir la grâce de mener comme elle une vie cachée en Dieu, toute pour Dieu, toute pour la bienheureuse éternité. Fiat ! Fiat !
Texte publié à Montréal, par la Librairie Saint Joseph, Cadieux et Derome, en 1884
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