La Servante de Dieu Thérèse Guillaudeu des Bassablons
La Servante de Dieu Thérèse Guillaudeu des Bassablons
Une admirable figure malouine
1728-1794
« S'il plaît à Dieu que je partage le sort réservé aux amis de la religion, que sa volonté soit faite ». (Réponse habituelle de Madame des Bassablons sous la Terreur).
Elle naquit et fut baptisée le 3 décembre 1728, sous le règne de Louis XV, au foyer de François Guillaudeu du Plessis, époux de Marie-Thérèse Éon de Pontaye, dans leur hôtel de la rue Vicairie, celle du presbytère voisin de l'Archiprêtre, prenant en haut de la rue de Dinan. De leurs onze enfants, il n'en survécut que quatre. Thérèse était la huitième.
Dix-sept ans après leur mariage, les époux avaient fondé, avec l'approbation de Monseigneur Vincent des Maretz, évêque de Saint-Malo, le 1er juillet 1734, une Confrérie du Sacré Cœur, en l'église de Paramé. La fondation fut enrichie d’un bref d’indulgence de Benoît XIII. Elle s'inscrivait en réaction contre le Jansénisme qui avait sévi dans le diocèse au début du XVIIIe siècle.
Leur maison de campagne du Pont-Pinel s'élevait sur le sol de cette paroisse. Elle demeure intacte au bord de l'actuel boulevard périphérique longeant Saint-Servan et Paramé, en face du cimetière des Ormeaux, au pied du Tertre de Beaulieu.
La jeunesse pieuse et studieuse de Thérèse Guillaudeu se déroula dans la sérénité, soit dans l'enceinte de Saint-Malo, soit dans la malouinière du Plessis Pont-Pinel. Une place prépondérante était réservée chez ses parents aux œuvres charitables, auxquelles elle fut initiée dès l'adolescence.
À dix-neuf ans, elle fut demandée en mariage par Claude des Bassablons, âgé de trente-cinq ans, dont le nom est demeuré attaché, de nos jours, à la plage de Saint Servan. Sa famille avait, en effet, financé, à la fin du XVIIe siècle, les travaux d’amélioration du port de Saint Malo et de ses alentours. La bénédiction nuptiale fut donnée au nouveau couple dans la cathédrale, le 13 février 1747.
D'emblée, la jeune épousée demeura fidèle à l'idéal de sa jeunesse en remettant aussitôt à l'Hôpital de Saint Malo, les trois mille écus offerts par son mari pour ses dépenses personnelles. De par son mariage, Thérèse des Bassablons accédait définitivement à la bonne société de Saint Malo. Néanmoins, son époux réputé comme un homme de bien et charitable, était imbu des sophismes du « siècle des lumières », qui le tenait plutôt éloigné de la pratique religieuse.
L'une de ses premières tâches fut donc de ramener celui-ci à la foi de sa jeunesse, ce à quoi elle réussit en peu de temps. Il en admit d’autant mieux qu'elle s'affilia à la Congrégation des Dames de la Charité, fondée en 1692 à Saint-Malo, par Mademoiselle Després-Gardin.
Le ménage ne demeura uni que vingt-et-une années durant et demeura sans postérité. Claude des Bassablons disparut le 10 mai 1788 après quarante-cinq jours d’une longue et cruelle agonie, veillé nuit et jour par son épouse. Dans un premier temps, celle-ci revint partager l’existence de son père, veuf depuis six ans. Ayant été auparavant maire de Saint Malo, il s’était exclusivement ensuite consacré à des œuvres pies. Sa fille fut donc son auxiliaire durant huit années, jusqu’à sa disparition, le 4 mars 1776, en la deuxième année du règne de Louis XVI.
À cette date, Madame des Bassablons s’en vint habiter « la Maison de la Providence », rue de la Charité, jouxtant, à gauche, l'église Saint Sauveur. En dépendaient trois œuvres principales : « la Manutention », « l'École des petites filles pauvres » ou « Maison de la Passion » et « l'oeuvre des Dames de Charité ». Elle avait bien songé à la vie religieuse, mais l'un de ses guides spirituels, le Père Jésuite de Bricourt, l'en avait dissuadée au nom de la vocation providentielle qui lui permettait de faire un bien largement étendu dans la société.
Dès cette époque, elle adopta un style de vie conforme à la perfection évangélique, tout en restant dans le monde. Elle retrancha le moindre superflu de son quotidien. À moins de recevoir, sa table était des plus frugales. Elle allait toujours très simplement vêtue, dissimulant sous une sorte de longue pelisse de l'étoffe la plus commune, les provisions et le bois qu'elle apportait aux nécessiteux.
Deux mois après la mort de son père, elle fut élue à l’unanimité à la direction de « la Maison de la Providence ». À côté d’un bureau de charité où se faisait la distribution des secours en nature, il y avait une œuvre d’assistance par le travail, « la Manutention ». Des matières premières étaient proposées pour un travail des mères au foyer. Ceci fait qu’on peut donner pour ancêtre local « la Manutention » à l'Atelier du Cœur Immaculé. Les différents services de la maison avaient leurs jours et leurs heures, sachant que les Sœurs de Saint Vincent de Paul apportaient leur aide vigilante aux plus démunis.
La directrice générale qu'était Madame des Bassablons avait tout à coordonner sans avoir, quant à elle, le moindre répit. Bien avant Jeanne Jugan, elle se mit à quêter dans la bourgeoisie comme dans les salons malouins. Ceci lui permettait, en particulier, d’assister discrètement les misères cachées de familles honorables chargées d'enfants.
Sa principale collaboratrice, fut outre une sœur et une belle sœur toutes deux veuves, qu’elle perdra d’ailleurs en 1790, Mademoiselle Julienne White de Boisgelé, d’une famille anglaise émigrée à la chute de Jacques II et fixée depuis 1688 à Saint Malo. Son activité s'exerçait en priorité à la tête d’une association de dames catéchistes ainsi qu’à la surveillance de l’apprentissage et de la bonne conduite d’adolescentes dépendant de « la Maison de la Passion ». Madame des Bassablons se consacrait plus spécialement aux délaissées et aux orphelines qu'elle accompagnait par delà le mariage. Enfin, elle ne craignait pas d’aller visiter les condamnés à la prison.
Après le Père Étienne de Bricourt, à propos duquel elle confia plus tard qu’il lui avait annoncé une mort sanglante, ce qui l’avait beaucoup troublée par avance, elle fit la rencontre d’un autre jésuite, le Père Pierre-Joseph Picot de Clorivière. Après la dissolution de son ordre, en 1773, et des séjours en exil à l'étranger, la paroisse de Paramé lui fut confiée en 1779, avant d’être nommé supérieur du collège de Dinan, en 1786. Il fit de Paramé une paroisse modèle, y établissant, lui aussi, un bureau de charité, présidé par Perrine Guichard, qui sera associé plus tard aux dernières oeuvres de Madame des Bassablons.
À partir de 1790, la tourmente allait s’amplifier. La Constitution Civile du Clergé, décrétée le 22 juillet, sera, hélas, sanctionnée par Louis XVI, le 24 août. Le 15 octobre, la commission municipale de Saint Malo signifia à l'évêque d’avoir à cesser ses fonctions. Le lendemain, Monseigneur Cortois de Pressigny prit le chemin de l'exil.
Les Prêtres ayant refusé le serment vont être traqués d’un lieu à l’autre. Entre autres, la Maison de la Providence, le Plessis Pont-Pinel les accueilleront tant bien que mal jusqu’au 28 août 1792 où fut décrétée la déportation des prêtres insermentés. Dès lors, les trois villes (Saint Malo, Saint Servan, Paramé) seront perquisitionnées sans trêve et les prêtres appréhendés seront internés au Fort de la Cité avant d’être acheminés vers Paris où leur condamnation était prononcée.
Le sinistre représentant en mission, Le Carpentier, arrivé à Saint Malo le 15 décembre 1793, va appliquer la Terreur mise à l'ordre du jour le 5 septembre de la même année. Déjà les exécutions de nombreux membres de la Conjuration de la Rouërie, parmi lesquels M. de Launay, beau-frère de Madame des Bassablons et ancien lieutenant-général de l’Amirauté, M. de Limoëlan, frère du Père de Clorivière, à Paris le 18 juin 1793 avaient été le prélude aux exécutions qui allaient suivre.
Il restait à Le Carpentier à appliquer « le plan de dépopulation, accroissement de gage de la nation »(sic). Il a été prescrit par le Comité de Salut Public qui a adressé partout des tableaux, en blanc, à remplir par les municipalités assistées par les révolutionnaires. Comme le couvent de la victoire et l’Hôtel Magon regorgent de détenus, après en avoir consulté les fiches, Le Carpentier va remplir un premier tableau, le 17 avril 1794.
La guillotine, dressée place Saint-Thomas le 7 avril, avait déjà commencé à fonctionner. Le premier prêtre exécuté avait été l’abbé Saint-Pèz, ancien recteur de Carfantain près de Dol, accompagné par le Père Barthélémy qui conduisait le convoi funèbre des pauvres à Saint Malo.
À ceux qui, dès le début de 1794, avaient prévenu Madame des Bassablons qu'elle risquait d'être arrêtée, elle répétait très simplement :« S'il plaît à Dieu que je partage le sort réservé aux amis de la religion, que sa volonté soit faite ». Situation nouvelle, des provocateurs établis dans un débit de boisson face à « la Maison de la Providence » vociféraient sans trêve blasphèmes et injures à son adresse, sans toutefois oser l’agresser directement.
Le 23 janvier, « la Maison de la Providence” avait été fouillée puis le 7 février, les sept Sœurs de la Charité avaient été arrêtées. Deux mois après, le 8 avril, Le Carpentier se décida à faire appréhender celle que tous nommaient « Notre Dame du Bon Secours », par association à la toute proche montée conduisant à la portion de rempart surplombant la plage du même nom.
Sur le « tableau », elle était ainsi présentée : Détenue le 19 germinal par ordre du Représentant du Peuple Le Carpentier pour causes cy-après : relations et liaisons avec roïalistes et fanatiques, pour ses opinions semblables : recellé de prêtres réfractaires et favorisé de tout son pouvoir les menées aristocratiques. Elle tient un bureau ou petite manufacture pour emploïer les pauvres à filer et faire des bas. Elle jouit d’environ 5.267 livres de rente ».
On la conduisit néanmoins de nuit au Couvent de la Victoire par crainte d'un soulèvement populaire. Julienne White reste seule dans la maison placée sous séquestre, s'efforçant de protéger les ruines de l'oeuvre et ne mourra qu’en 1802, aveugle et percluse d'infirmités, mais s'efforçant jusqu’au bout à la Charité.
La vie de prisonnière de Thérèse des Bassablons débuta avec la semaine de la Passion. À la Victoire, elle a été placée dans un corridor de passage conduisant à deux pièces où logent vingt-quatre malades auxquels elle va prodiguer les soins qu’elle peut.
Sont également présentes dans le couvent des bénédictines transformé en prison, les sœurs de la Passion, maîtresses d’école de l'oeuvre qu’elle présidait, les dix-sept soeurs de Saint Thomas de Villeneuve, les dix hospitalières de Port-Solidor, etc… En tout 174 détenus, hommes et femmes, sont entassés parmi lesquels se dissimulent des mouchards.
La Semaine sainte, puis le Temps Pascal vont se succéder jusqu'à ce que, le 1er juin, leur transfert à Paris soit signifié à une première fournée de 29 condamnés envoyés au Tribunal Révolutionnaire. Celle-ci est cyniquement baptisée par Le Carpentier, « l’Échantillon », et il en a choisi les victimes avec délectation. Elles vont être entassées dans deux charrettes. L’abbé Manet, ancien aumônier de l'Hôpital qui déjoue toutes les perquisitions, ne craint pas, se dressant à une fenêtre d'un des immeubles en face de la Porte Saint Vincent de tracer sur eux, au passage, le signe de l'absolution.
Sa cachette pourtant simple, dans une crypte de l'église Saint Sauveur, où il héberge tout ce qu’il a pu sauver de reliques sacrées, ne sera jamais éventée. Il ne mourra qu’en 1842 et c'est grâce à lui qu'on aura toutes sortes de détails sur la révolution à Saint Malo.
Le convoi encadré par des gendarmes va s'acheminer en dix-sept jours vers Paris, par étapes à Pontorson, Avranches, Villers Bocage, Caen, Lisieux, Évreux et Mantes. Le 18 juin, les captifs débarquent à la Conciergerie et rejoignent « la crypte de Pailleux », nom qui indique sa destination de dortoir occasionnel, sous la Grand-salle des Pas-Perdus.
Le 19 juin, Madame des Bassablons a la joie d’être visitée par le Père de Clorivière qui se cache non loin de là et a des complicités à la Conciergerie. Le lendemain, 20 juin, à 10h. du matin, ce sera la comparution dans la Grande Chambre du Palais de Justice, rebaptisée « Salle de la Liberté » !
Trois juges président assistés de neuf jurés. À part, siège l’odieux Fouquier-Tinville, accusateur public. Après un interrogatoire d'identité, c'est la lecture de l’acte d’accusation ; en toute absence de plaidoirie, suit le réquisitoire de l’accusateur public. Autorisés à s'exprimer, aucun des accusés ne prend la parole.
En ce qui concerne le vingtième condamné... Pélagie Anne Guillodeu veuve Bassablons, elle a été convaincue d'avoir été du nombre des ennemis du peuple... c'est l’asile qu'elle a donné aux prêtres réfractaire... c'est son fanatisme dont elle a donné si longtemps le dangereux exemple qui a fait d'elle une ennemie du peuple...
Le vendredi 21 juin, les 29 condamnés de l’Échantillon sont au pied de la guillotine, à trois heures de relevée, en tête Louis Thomazeau, à la vingtième place, Thérèse, Pélagie, Anne Guillaudeu, veuve Bassablons... en queue, Adélaïde Fournier, femme Delys.
Il a été dit que Madame des Bassablons fut victime d'une courte défaillance, car elle avait redouté depuis toujours l’accomplissement de la prophétie du Père de Bricourt. S »étant vite ressaisie, elle se consacra à plusieurs de ses compagnons qui clamaient vers elle : Aidez-nous, Bonne Mère, en leur montrant le Ciel...
Elle a figuré depuis 1926 sur une liste constituée à Paris pour la cause de béatification des Martyrs du Tribunal Révolutionnaire de trente-huit noms proposés à la Congrégation des Rites... Madame des Bassablons attend toujours.
Texte extrait du journal « Le Sainte Anne » N°188, de mai 2007
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