La Sainte Face de Jésus
La Sainte Face de Jésus
Ce texte, du Père Barbe, Eudiste paru dans la revue « Christus » est la reproduction ,d'un document fourni par le Centre Spirituel de la Sainte Face de Tours, le texte original a été ronéotypé en février 1978, sur la demande de l'ancien Carmel de Tours, réactualisé, certains noms, mots , citations bibliques ont été volontairement changés et rajoutés, pour que ce texte soit plus accessible
1- Histoire de la dévotion
A Rome, dans la Basilique Saint Pierre, le Vendredi-Saint, a lieu l'ostension d'une grande relique, recouverte d'une plaque de métal. On devine un visage dont on ne devine que les lignes générales : cheveux tombant sur les épaules, barbe courte divisée en deux pointes. Cette relique a une histoire qui relève de la légende. Un récit qui date approximativement du septième ou du neuvième siècle, nous parle d'un portrait du Sauveur qui a guéri le souverain ayant châtié les Juifs et Pilate, mais ce portrait n'est pas celui du Christ souffrant, et rien ne dit son origine miraculeuse. Un autre récit, qui date, lui, du XIIe siècle, concerne plus directement cette relique. Il s'agit d'une image du Christ souffrant considérée comme étant le voile de Véronique. Celle-ci était connue depuis le Ve siècle, comme étant la femme guérie par Jésus d'un flux de sang. Son nom serait passé au voile et non l'inverse comme d'aucuns le disent. Un autre fait actuel c'est que la VI e station de notre Chemin de Croix évoque la rencontre de Jésus avec Véronique et l'impression miraculeuse des traits de Jésus en récompense du geste de pitié de cette femme. Enfin à Turin, on vénère le Saint Suaire, et un grand nombre d'images du Visage de Jésus souffrant, ont répandu à travers le monde, la «photographie » du négatif du Saint Suaire. Ces faits demandent toute une étude critique. Ici toutefois nous les prendrons tels qu'ils existent comme les témoins d'une dévotion chrétienne, ancienne de l'Eglise.
II- Il est certain que cette dévotion est assez développée
Au Moyen Age, chez les Carmes, elle est l'une des formes originales de l'exercice de la Présence du Seigneur. La Sainte Face de ses regards les prières et les occupations de ses moines. Il y a dans l'église de Mayence et de Francfort-sur-le-Mein des tableaux avec des textes. Ailleurs cette dévotion, comme celles aux Saintes Plaies est l'expression de la piété compatissante. On connaît une hymne : « Salve Sancta Facies » attribuée à Jean XXII, et même un Office et une Messe qui semblent être de l'époque. Dans l'Adoro Te, on trouve : «Jesu quem velatum…ut te revelate cernens Facies » ; et on connaît les pieuses et poignantes méditations de Sainte Angèle de Foligno sur le Visage souillé du Christ pour l'expiation de ses fautes. Du XIVe au XVIIe siècle, on trouve les traces d'une diffusion assez grande, des reproductions du Voile de Véronique dans beaucoup d'églises (il en subsiste encore ici et là) On peut aussi citer des encouragements divers, mais on a relativement peu de textes. On connaît une image miraculeuse à Laon, provenant des Cisterciennes de Montreuil-en-Thierarche, et l'existence de quelques confréries.
III- Notre époque contemporaine est témoin à la fois d'une évolution et d'une plus grande diffusion
Le Bienheureux Pie IX, le 30 juillet 1847, érige en Archiconfrérie, l'Association Réparatrice des Blasphèmes et de la Violation du Dimanche, déjà érigée en Confrérie par Mgr Parisis, Evêque de Langres, à Saint Martin-de-Lanoue à Saint Dizier. Le 19 septembre 1846, c'est l'apparition de La Salette, où il est question de la «Face irritée de Jésus » à cause des blasphèmes et de la profanation du dimanche. Dès 1843, commence le rayonnement de l'apostolat de Sœur Marie de Saint Pierre : cette humble Carmélite d'origine rennaise, née dans une famille d'artisans, et d'une culture littéraire très médiocre, est à l'origine d'un grand mouvement de piété à l'égard de la Sainte Face. Elle n'a cependant que peu de temps devant elle. Née en 1816, elle meurt à moins de 32 ans, en 1848, avec à peine neuf ans de Profession.
Ce qui est assez remarquable, c'est qu'elle commence par être orientée vers la contemplation de Jésus-Enfant. Elle connaissait Marguerite du Saint Sacrement, la Carmélite de Beaune et sa dévotion à l'Enfant-Jésus. Cette contemplation l'amène à pratiquer la Voie d'Enfance Spirituelle : simplicité, amour gratuit, innocence… «J'avais une ambition, c'était d'être l'âme du Saint Enfant Jésus », dit-elle un jour par boutade, et cette boutade se mua en un programme très sérieux de sainteté : obéissance, humilité, disponibilité entière…Or après quelques années de vie monastique sans histoires et dans ce climat d'Enfance Spirituelle, elle reçut des messages, qu'elle devait transmettre. Dès lors, elle s'attache à l'œuvre de la Réparation par la vénération du Visage de Notre Seigneur Jésus Christ.
Dans ses messages, le Seigneur explique qu'Il est prêt à frapper la terre à cause des blasphèmes et des profanations, désire faire déborder Sa Miséricorde. Il désire l'établissement d'une Association de fidèles adonnés à l'œuvre de la Rédemption par la dévotion à la Sainte Face, c'est à dire à la Sainte Humanité de Jésus, comme aussi à celle du Nom de Dieu. Cette œuvre serait comme un arc-en-ciel de la Miséricorde Divine et sauvera la France : « Cherche-Moi des Véroniques, pour essuyer et honorer Ma Divine Face qui a peu d'adorateurs. »
Les dernières années de l'humble Carmélite de Tours sont centrées sur la contemplation de l'infinie Miséricorde, et le rôle de médiation assumé par la Mère de Dieu. Il est certain toutefois que le courant de piété parti de Tours est nettement marqué par une note réparatrice. Nous allons maintenant trouver toute une série de témoignages qui vont montrer la diffusion de ce mouvement parti de Tours. C'est Théodelinde Dubouché (1809-1863) de Montauban, par une recherche personnelle, elle arrive à la Foi à l'âge de 14 ans ; elle accueille les premières grâces mystiques à l'âge de 16 ans, soigne et convertit ses parents. « Durant les journées tragiques de 1848, elle groupe dans la chapelle des Carmélites de la Rue Denfert-Rochereau à Paris et avec le soutien et l'appui de la Mère Supérieure, pour une quarantaine de prières, des âmes éprises du même idéal de réparation. En quelques semaines 2000 membres s'agrégèrent à l'Association Réparatrice dont l'idée avait été lancée par la Sœur Marie de Saint Pierre, la Carmélite de Tours, et dont Théodelinde Dubouché avait obtenu de Mgr Affre, l'Archevêque de Paris, l'érection Canonique. La même année dans la nuit du jeudi dans l'octave du Saint Sacrement, le Seigneur lui apparut et lui fit comprendre qu'Il voulait bien plus qu'une association : une congrégation religieuse vouée à l'Adoration Réparatrice ». Ce fut le point de départ de la Congrégation de l'Adoration Réparatrice.
Le Saint Homme de Tours, Léon Papin Dupont (1797-1876), né au Lamentin (Martinique), après ses études en France, il est Conseiller à la Cour Royale de Port-de-France. Marié en 1827 et veuf en 1833, il vint s'installer à Tours avec sa mère et sa fille en 1834, ou il est à l'origine du renouveau du pèlerinage à Saint Martin, de la construction de la Basilique, à l'endroit même ou se trouve le tombeau, qu'il retrouva. Dès lors il mène une vie orientée vers la réparation. Ses rencontres avec Sœur Marie de Saint Pierre concentrent sa dévotion sur l'effigie de la Sainte Face, et il en devient l'apôtre. Le Mercredi-Saint de 1851, il suspend dans son salon une reproduction du Voile de Véronique tel qu'on le vénère à Rome et il eut l'idée d'allumer au-dessous une lampe. Le samedi suivant, une femme, à laquelle il avait conseillé de prier devant la Sainte Face et d'oindre ses yeux est guérie.
Les faveurs se multiplient. Des images lithographiées sont répandues par milliers, et aussi des fioles de l'huile de la lampe. C'est surtout un véritable mouvement de pèlerinage qui c'est déclenché et dans ce salon plus de 500 000 pèlerins viendront prier. Le Saint Homme de Tours jouit d'une notoriété considérable. Sa correspondance était immense. Il fut en relation avec les grands spirituels de son temps : Saint Pierre-Julien Eymard, Dom Guéranger, le Vénérable Père Marie-Augustin du Saint Sacrement (Hermann Cohen), Sainte Thérèse Couderc de Lalouvesc, Mère Marie de la Providence et c'est ce qui explique l'usage encore actuel des Religieuses Auxiliatrices du Purgatoire d'avoir dans leur sacristie une image de la Sainte Face avec une lampe.
A sa mort sa demeure fut transformée en Oratoire et devint le centre d'un pèlerinage où se perpétue le culte de la dévotion réparatrice, il existe encore de nos jours à Tours sous le nom de Centre Spirituel de la Sainte Face, Rue Bernard Palissy, où l'on peut y vénérer l'icône de la Sainte Face, là même ou elle fut déposée par Léon Papin Dupont, dans le salon devenu chapelle, aux pieds de l'icône, se trouve la sépulture de Léon Papin Dupont, dont la cause de Béatification est en cours. En 1876, érection de la Confrérie de la Sainte Face. Elle devient Archiconfrérie en 1885 par un décret « Ex More » du 1er octobre 1885. Ajoutons tout de suite qu'il y eut une Messe propre concédée en 1910 et en 1957. Il y eut aussi un groupement de Prêtres de la Sainte Face propageant la dévotion du Visage du Christ qui fut réprouvé à Rome en 1892 parce que s'adressant à une partie du Corps du Christ.
VI- Et voici que nous arrivons à Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus
En 1885, la Famille Martin est agrégée à l'Archiconfrérie de Tours. C'est donc d'abord par sa famille que Sainte Thérèse est initiée très jeune à cette dévotion, que ce soit chez les Guérin ou chez les Martin, cette agrégation ne fut pas seulement un geste d'un jour mais une complète et totale orientation spirituelle. En entrant au Carmel de Lisieux, Thérèse y reçoit le nom en religion de Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face, et là, elle y retrouve la dévotion à la Sainte Face, plus développée encore et provenant du Carmel de Tours, et là, elle put bien l'approfondir.
Au Carmel, en effet, on vouait une très grande dévotion à la Sainte Face parce que la Fondatrice du Carmel de Lisieux, Mère Geneviève, l'avait adoptée ; elle avait même obtenu une image du Voile de Véronique dans la Chapelle du Carmel. De cette manière la dévotion à la Sainte Face devint celle de toute la communauté du Carmel. On fit un accueil très fervent à la lettre circulaire de la mort de Sœur Marie de Saint Pierre puis plus tard à sa vie. On avait même adopté au Carmel de Lisieux certaines pratiques de vie enseignées par Sœur Marie de Saint Pierre. Se reportant à cette époque, Mère Agnès de Jésus (sœur de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus), qui fut la «petite mère » de Thérèse, écrit à Tours : « C'est bien vrai que la dévotion à la Sainte Face m'a été inspirée par votre petite Sœur Marie de Saint Pierre, c'est d'abord Mère Geneviève qui, d'abord m'y attira en m'en parlant avec enthousiasme. Mère Geneviève était pourtant une âme bien simple, qui ne se laissait pas conduire par des imaginations, amis toujours par l'Esprit de Dieu. »
C'est elle qui à sont tour initié Thérèse, «la petite fleur transplantée sur la Montagne du Carmel devait s'épanouir à l'ombre de la Croix, les larmes, le Sang de Jésus devinrent sa rosée, et son soleil fut la Face Voilée de Pleurs… Jusqu'alors, je n'avais pas sondé les trésors cachés dans la Sainte Face, ce fut par vous, ma Mère, que j'apprit à les connaître, de même qu'autrefois vous nous aviez toutes précédées au Carmel, de même vous aviez pénétré la première dans les mystères d'Amour caché dans le Visage de notre Epoux ; alors vous m'aviez appelée et j'ai compris…J'ai compris que c'était la véritable gloire. Celui dont le Royaume n'est pas de ce monde me montra que la vraie Sagesse consiste à vouloir être ignorée et comptée pour rien à mettre sa joie dans le mépris de soi-même »… « Ah ! comme celui de Jésus je voulais que mon visage soit vraiment caché, que sur la terre personne ne me reconnaisse. » « J'avais soif de souffrir, d'être oubliée… » (Manuscrits Autobiographiques 71R°)
Thérèse adopte donc pleinement cette Dévotion… Le 10 janvier 1889, jour de sa Prise d'Habit elle signera pour la première fois un billet à sa compagne de Noviciat, Sœur Marthe de Jésus, en ajoutant à son nom celui de la Sainte Face, elle avait collé sur la Formule de ses Vœux une image de la Sainte Face. Vers la fin de sa vie une photo émouvante prise le 7 juin 1897, nous montre Thérèse bien lasse (elle l'est encore plus que ne le montre la photo, car elle a pris sur elle pour faire quand même un peu bonne figure) avec la Sainte Face. Elle sut rester très personnelle dans ce domaine. C'est le mystère de la Croix, celui des anéantissements du Christ qu'elle contemplait sur le Voile de Véronique. Peu de mois avant de mourir, elle affirmera : « Ces paroles d'Isaïe : « Qui a cru à notre parole…Il est sans éclat ni beauté… », ont fait tout le fond de ma dévotion à la Sainte Face, ou pour mieux dire le fond de toute ma piété. » (Carnet Jaune de Mère Agnès de Jésus, 5 août)
L'épreuve de la maladie de son père, devenu l'homme au visage voilé, apporte à Thérèse sur le plan humain, une émouvante résonance au mystère de la Sainte Face. La Lettre de Céline du 18 juillet 1890, nous parle de l'héroïsme complet dans le silence. Il faut songer aussi à l'étrange vision prémonitoire des Buissonnets (Manuscrits Autobiographiques). « C'est au Carmel, atteste Mère Agnès de Jésus, au moment de nos si grandes épreuves relatives à la maladie cérébrale de notre père, qu'elle s'attache davantage au mystère de la Passion, c'est alors qu'elle obtient d'ajouter à son nom celui de la Sainte Face. »
N'oublions pas toutefois qu'elle portera sur elle une photo de Sœur Marie de Saint Pierre au bas de laquelle elle copie la prière de Saint Edme : « Que j'expire altéré de la soif ardente de voir la désirable Face de Notre Seigneur Jésus Christ. » On peut ensuite glaner tout au long de sa vie un ensemble de citations relatives à la Sainte Face qui montrent l'importance psychologique qu'avait cette dévotion pour Sainte Thérèse. Elle rédige un faire part symbolique de Sa Profession sous ce Nom et insère la Sainte Face dans ces Armes ; ses titres de noblesses étant : Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face.
Elle écrit à la date du 31 mai 1896 le cantique de Sœur Marie de la Trinité et de la Sainte Face. Pour la même sœur, elle recopie quatre prières sur une carte ou se trouve une image de la Sainte Face. L'une de ces prières est de Sœur Marie de Saint Pierre : « De même que dans un royaume on se procure tout ce qu'on désire avec l'effigie du Prince, ainsi avec la pièce précieuse de Mon Humanité qui est Mon Adorable Face vous obtiendrez tout ce que vous voudrez. » La onzième strophe du poème «Vivre d'amour » lui est consacré : « Vivre d'amour, c'est essuyer Ta Face, c'est obtenir des pécheurs le pardon ». Nous apprenons que le 26 février 1895, en regardant l'image de la Sainte Face en allant du chœur au réfectoire, elle murmure cette strophe, confiant ensuite : « En Le regardant, j'ai pleuré d'amour ».
On connaît aussi une consécration à la Sainte Face pour ses Novices avec trois médaillons contenant les photographies de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, de Sœur Marie de la Trinité et de la Sainte Face et de Sœur Geneviève de Sainte Thérèse et de la Sainte Face : au verso, une prière : « Seigneur, cachez-nous dans le secret de Votre Face ». On pourrait encore citer d'autres faits. Ne nous étonnons pas après cela que Mère Agnès de Jésus ait pu répondre à la question : « Que fut l'attrait spécial de la Servante de Dieu ? » - quelque tendre que fut sa dévotion à l'Enfant Jésus, elle ne peut être comparée à celle qu'elle eut pour la Sainte Face de Jésus.
A l'exemple de son humble devancière, Sœur Marie de Saint Pierre, Sainte Thérèse n'a pas trouvé de difficultés à unir ensemble sa piété pour Jésus Enfant et celle pour la Sainte Face. Sa voie d'Enfance Spirituelle s'harmonisait bien avec l'un et avec l'autre. Son orientation profonde et décisive depuis le jour de la grâce reçue en contemplant l'image du Sang répandu pour le salut des âmes, s'alimentait volontiers dans cette contemplation de la Sainte Face. C'était aussi la manière de vivre concrètement de son idéal du Belvédère : « Souffrir et être méprisée pour Vous ». Il est extrêmement intéressant de noter que sur la demande expresse de Sœur Marie du Sacré Cœur, sa sœur aînée, que Thérèse ajouta la mention du Sacré Cœur à celle de la Sainte Face dans son Acte d'Offrande à l'Amour Miséricordieux : « Vous suppliant de me regarder qu'à travers la Face de Jésus et de Son Cœur brûlant d'Amour ». Dans le journal «Christus» N° 12, page 551 en note le Père Arminjon nous dit : « On peut se demander si ce n'est pas en raison de l'idée de Réparation à la Justice Divine, de réparation pour tant d'ingrats égarés, qui est habituellement attachée aux formules anciennes de cette dévotion (mais si étrangère à la Petite Voie » que Thérèse se montre si réservée, ou du moins si silencieuse, dans l'autobiographie «A l'égard de la dévotion au Sacré Cœur». En somme pour Thérèse, la Sainte Face et le Sacré Cœur, sont les symboles d'une seule et même réalité : l'Amour du Christ. Dans la mesure où la dévotion au Sacré Cœur avait pu lui être présentée surtout sous son angle de réparation, Thérèse l'assumait facilement. On voit par là combien, tout en ayant subi et accepté l'inffluence de Sœur Marie de Saint Pierre elle sut être personnelle dans son orientation vers la Sainte Face
5 Peu de temps après la mort de Thérèse, Sœur Geneviève…
La sœur de Thérèse découvrit le Saint Suaire, grâce au livre de M. Vignon : « Le Linceul de Turin » que lui avait procuré son oncle, M. Guérin. Bouleversée d'émotion elle ne cessait de contempler assidûment cette Image. En 1904 elle esquisse un dessin au fusain. Des éditeurs pressentis conseillèrent une peinture en grisaille. Elle y travailla avec beaucoup d'amour et l'effigie fut terminée en 1906. Elle obtint le Grand Prix de l'Exposition Internationale d'Art à Bois-le-Duc en Hollande en 1909. Cette effigie fuit présentée au Pape Saint Pie X qui dit en la voyant : «Que c'est beau ! Je veux donner un souvenir à la petite Religieuse qui a fait cela », et lui envoya une médaille à son effigie. «Ah ! je ne m'étonne pas d'avoir pu réussir la Face Douloureuse de mon Jésus. On a dit, je le sais, qu'une âme pure avait seule le don de reproduire un si beau Visage, et moi je sais encore que, pour comprendre de telles blessures, il a fallu une âme qui en porte les empreintes ». Elle pensait à son cher père, Louis Martin.
Il y eut un commencement de diffusion, et voici qu'un saint Prêtre, le Père Eugène Prévost, qui avait servi d'intermédiaire pour présenter l'image au Saint Père, prend conscience d'une mission possible pour lui. « Je commençais à comprendre que Jésus pouvait avoir le dessein de toucher les âmes par la révélation de Sa Face Adorable. L'idée me vint de la répandre partout et de commencer par le Canada. » Ce fut le commencement d'un vaste mouvement de diffusion de l'image de la Sainte Face. Il fit également frapper une médaille et éditer un bulletin. Actuellement, il y a une diffusion assez considérable de la photographie du négatif du Saint Suaire à travers le monde. Si cette dévotion n'a pas de place privilégiée dans la piété de nos contemporains, on peut du moins dire qu'elle existe toujours et que certaines âmes continuent à être attirées par elle.
Un très beau témoignage en ce sens est donné par l'œuvre artistique du peintre Rouault. Il peut être considéré comme le peintre de la Sainte Face. Le Christ qu'il a peint, c'est l'Homme de Douleurs, le Christ. D'abord la Crucifixion. Ensuite et surtout, le thème du Voile de Véronique ; comme si ce thème lui était particulièrement cher. Et, en présence de cette Sainte Face, je ne crains pas de dire qu'il faut remonter au Moyen Age pour trouver une expression religieuse aussi valable et aussi authentique. Rouault a retrouvé le sens de l'air d'être couché sur un lit de roses. Au contraire, ici, nous voyons bien que la Passion, permettez-moi l'expression, que la Passion «n'a pas été de la rigolade ». Ce Visage ravagé, ces yeux révulsés, exorbités, cette bouche sanglante, ces traits tirés, tout cela nous montre bien l'horreur de la Passion. Mais en même temps, et c'est ce qu'il y a d'admirable dans cette œuvre de Rouault, en même temps, ces yeux révulsés dégagent un regard de grandeur, une espèce de rayonnement surnaturel qui s'affirme aussi dans l'extrême majesté de cette Tête, cette Tête sans cou, cette Tête ou Rouault semble retrouver l'inspiration des grands Pantocrator byzantins. Sens du surnaturel sens de l'humanité la plus totale et la plus douloureuse. Ce double sentiment que Moyen Age avait si bien connu, si bien exprimé et qui s'était perdu depuis à quelques exceptions près, Rouault le retrouve et le restitue.
Fondement et objet
Cette locution de l'Ancien Testament n'est souvent qu'un «hébraïsme » - « A la Face de Dieu » étant l'équivalent de « devant… En présence de… « la Face étant ce par quoi toute personne est reconnue « Trois fois par an, tous tes hommes viendront voir la Face du Maître, le Seigneur, Dieu d'Israël. En effet, quand J'aurai dépossédé les nations devant toi et que J'aurais élargi ton territoire, personne n'aura de visées sur ta terre au moment ou tu monteras pour voir la Face du Seigneur, ton Dieu, trois fois par an. » (Exode 34, 23). Le mot «Vultus Tui » sert davantage à exprimer l'expression changeante du visage. Mais l'expression «la Face de Dieu » n'est pas tout à fait synonyme de la «Personne ».
Dans un texte difficile l'expression « la Face de Dieu » semble avoir la même fonction que l'expression « l'Ange de Dieu ». Elle exprimait alors une Présence de Dieu, tout en sauvegardant la majesté divine qui transcende tout ce qui est créé. Ainsi Isaïe 63, 9 cela légitime l'expression « voir la Face de Dieu » (Psaume 42, 3) – mais bien que Dieu soit invisible il a des intentions, il veut entrer en communication avec l'homme, il a donc lui aussi, un Visage qui peut exprimer la bienveillance ou la colère. La Face, le Visage, sont les miroirs du cœur. La Face d'Adonaï, c'est Dieu Lui-même en Visage comme Source de Lumière et dans la communication qu'il en fait. C'est sa présence rayonnante, sa beauté radieuse, c'est le regard qu'Il porte sur ses créatures et qui suscite leur regard quand précisément Il tourne vers elle Sa Face (Psaume 66, 1), car Il la détourne avec colère de qui méprise Sa Face… (Tobie 13, 8).
Conscients de cette transcendance de Dieu, les Israélites admirent longtemps que l'on ne pouvait voir la Face de Dieu sans mourir (Exode 33,20). Rappelons-nous le réflexe d'Isaïe devant la Théophanie du Temple. C'est le fait de notre condition de créature pécheresse. Cette intimité fut refusée à Moïse et à Elie. On ne peut voir Dieu que par derrière (Exode 36, 33,23). Ce désir de voir Dieu, de contempler Sa Face est cependant l'expérience religieuse désirée dans beaucoup de Psaumes. Chercher la Face de Dieu, c'est Le contempler (Psaumes 26, 4 ; 24, 6 ; 105, 4). – « Moi dans la Justice, je contemplerai Ta Face, au réveil je me rassasierai de Ton Visage » (Psaume 17, 17). « Ou fuirai-je devant Ta Face ? » (Psaume 139,7) « De Toi mon cœur a dit, cherche Sa Face. C'est Ta Face, Adonaï que je cherche, ne me cache pas de Ta Face » (Psaume 26, 8). Désirer la voie face à Face, équivaut au désir de l'intimité de la connaissance : tels Moïse et Elie ( 1 Jean 3,2 ; 1 Corinthiens 13, 12).
C'est cette manière de parler en langage biblique qui est à l'origine de cette forme originale de la Présence de Dieu chez les Carmes. Elle est aussi à l'origine de ce désir de voir Dieu pris dans le sens de Le connaître intimement. Mais voici que Dieu prend un visage d'homme. Celui que nul n'a jamais vu est désormais visible. Il a un Visage : « Ce Visage est comme le miroir de Son Ame, Il rayonne la Gloire de Dieu (2 Corinthiens 4,6). A la Transfiguration, devant les apôtres éblouis Il apparaît vraiment comme la Splendeur du Père (Hébreux 1,3) Jésus révèle la Face du Père (2 Corinthiens, 4 ; Colossiens 1, 15).
Pratiquement toutefois la dévotion s'organise, non vers cette partie du Corps de Jésus en général, mais vers l'image du Visage Douloureux et pollué du Christ. Le Visage souillé par les crachats, le baiser de Judas et les soufflets des gardes. Cette Image a une valeur symbolique. C'est même a cause de cette valeur symbolique que la dévotion est légitime. On sait en effet que l'Eglise n'a jamais autorisé une dévotion à une partie du Corps de Jésus. C'est ce qui explique certaines réserves notées dans l'autre partie de l'exposé. (le silence de la dévotion présentée malencontreusement comme une dévotion à une partie du Corps de Jésus). L'Encyclique « Haurietis aquas » (N° 26) a souligné explicitement cette valeur symbolique : « La Face surtout de notre Adorable Sauveur fut le témoignage et comme le miroir le plus fidèle de ces affections qui, émouvant diversement son âme, atteignaient comme dans un reflux de Son Cœur et en activaient les battements… »
La Face du Seigneur est donc le symbole du Christ tout entier sans doute, mais de ses affections surtout ; de ses abaissements et souffrances, et donc de Son Amour Miséricordieux, puisque Sa Rédemption Douloureuse en est le signe principal. (C'est l'intuition de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus). Symbole aussi sans doute de Son Amour méconnu (et c'est l'intuition de Sœur Marie de Saint Pierre). De là on comprend bien de suite les actes suscités par cette dévotion : attention au Mystères Douloureux de Jésus, souci de répondre à Son Amour par un amour plein de confiance et de générosité. Se souvenir de Galates 3,1 : « O Galates sans intelligence, qui vous a ensorcelés ? A vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus Christ en Croix » !
Comme le suggère l'Encyclique, il y a un rapprochement à faire avec la dévotion au Sacré Cœur. Le cas de Sainte Thérèse est du reste très révélateur. Récusant un peu l'aspect de réparation du culte du Sacré Cœur tel qu'il lui était présenté, elle orientait vers la Sainte Face l'attitude qu'aurait pu susciter normalement le culte du Sacré Cœur compris à la lumière de l'Encyclique « Haurietis » ou de la tradition Eudiste. A la Basilique du Sacré Cœur de Montmartre, il y a un rapprochement intéressant également entreces deux formes de cultes à Notre Seigneur. On trouve une statue du Sacré Cœur et, devant, une image de la Sainte Face (le négatif du Saint Suaire de Turin). Fait assez remarquable c'est l'Ancien Testament qui fournit le plus souvent des textes pour guider la dévotion à la Sainte Face.
« J'ai tendu le dos à ceux qui Me frappaient, les joues à ceux qui M'arrachaient la barbe, Je n'ai pas soustrait Ma Face aux outrages et aux crachats » (Isaïe 50,5-6). « Alors que des multitudes avaient été épouvantés à Sa vue. Tant son aspect était défiguré. Il n'avait plus d'apparence humaine. De même des multitudes de nations s'en étonneront ; devant Lui des rois resteront bouche close car ils verront un événement non raconté et observeront quelque chose d'inouï » (Isaïe 52. 14-19). Il s'agit comme on le remarque de textes messianiques. La dévotion à la Sainte Face nous invitant à une attention au Visage de Notre Seigneur nous aide à mieux comprendre le mystère de Son Amour. Le Visage du Christ à l'Agonie qui reflète la générosité de Son consentement à Dieu nous fait découvrir Son Amour Miséricordieux. (Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face) Le Visage de l'Ecce Homo nous invite à répondre à Son Amour, nous aide à mieux comprendre le malheur du péché . Retrouver le Christ aux outrages derrière les visages des pécheurs. Ce fut lagrâce de Rouault. Le Visage du Christ mort, paisible, nous révèle le sens de toute souffrance, la valeur de l'humiliation rédemptrice, la vraie gloire cachée aux yeux du monde. Le Visage du Christ c'est aussi le moyen de nous rappeler en Présence vigilante. Les regards du Christ : regards chargés d'amour et d'attente comme celui qu'Il dut un jour jeter sur Pierre, ou sur Jean au cours de Sa Passion.
Le visage du Christ, c'est enfin le symbole de la grande espérance. Nous avons l'espérance de Le voir un jour face à Face (1 Jean 32 ; Matthieu 5,18) tel qu'Il est, sans intermédiaire, non plus dans la Foi, amis dans la vision bienheureuse et éternelle (Apocalypse 22,3). « Le Trône de Dieu et de l'Agneau sera dressé et les serviteurs L'adoreront, il verront Sa Face et Son Nom sera sur leurs fronts ». La vie éternelle sera si l'on veut la découverte de ce Nom et de cette Face de Dieu. « Nous serons alors illuminés par la Gloire du Christ » (2 Corinthiens 3, 1-8 ; 4, 2-6) « Jesum quem velatus nunc aspicio, oro fiat illud quod tam sitio, ut te revelata cernens Facies, visu beatus tuae gloriae. » D'un point de vue pastoral, on peut noter que la dévotion à la Sainte Face répond à des tendances universelles de la psychologie humaine. Le visage exprime à ce point la personnalité de quelqu'un que voir quelqu'un et Le connaître sont quasiment synonymes. Tant qu'on n'a pas vu quelqu'un on estime ne pas le connaître vraiment. On reconnaît quelqu'un à son visage surtout, on le trouve changé ou non. On dit : votre figure ne me dit rien, ou au contraire je vous reconnais. Socialement il
en est de même. Tout espèce d'identité comporte une photographie. Plus banalement encore on aime avoir les photos de ceux que l'on aime. Pouvoir les regarder, contempler leurs traits. Pour ceux qui se connaissent, le visage exprime tant de choses ! On se comprend, on sait ce que pense l'autre, ses joies, ses peines. Le moindre changement de son visage exprime ses sentiments intimes. Ne pas déchiffrer un visage est une souffrance . Les visages impassibles inquiètent, déconcertent, on les dit impénétrables. Devant les visages des autres races nous éprouvons parfois la gêne de ne pouvoir les déchiffrer. Parmi les sentiments qui s'expriment surtout sur les visages il y a sans doute la joie : un visage rayonnant… mais aussi la tristesse, la souffrance : un visage ravagé. Les regards aussi sont très expressifs. Ils marquent l'attention et aussi les sentiments divers que nous pouvons avoir vis à vis des autres : sympathie, animosité… Le regard mutuel peut signifier la curiosité, l'intérêt, l'intimité ou l'effronterie… Le visage enfin est une réalité en même temps qu'un symbole. On peut se l'imaginer, se le représenter. Il peut avoir une valeur artistique, une valeur humaine… alors que le Nom, el Cœur, le Précieux Sang sont des symboles abstraits difficiles à représenter et qui découragent par avance tout essai artistique.
Actuellement le Visage de Notre Seigneur souffrant tel que nous Le connaissons par le négatif du Saint Suaire de Turin a pratiquement éclipsé les images du Voile de Véronique, dont il faut bien reconnaître que l'authenticité et même la netteté sont plus qu'illusoires. Le cas du Saint Suaire n'est pas réglé et il est permis de mettre en doute son authenticité, mais ce qui est certain c'est qu'il a fourni à la piété chrétienne un visage d'une grande beauté digne de figurer les traits de Notre Seigneur souffrant, mieux que la plupart des artistes n'auraient pu le faire. C'est ce qui explique le succès et l'énorme diffusion des reproductions. Par contre sur le plan pastoral le Voile de Véronique garde une très grande valeur symbolique très touchante. Le geste qu'il soit vrai ou non de Sainte Véronique exprime à sa manière toute l'attitude d'une âme chrétienne face à la souffrance du Christ en Sa Passion.
Cette contemplation suscite un geste de piété et d'amour. C'est un geste spontané et gratuit. C'est un geste plein de délicatesse, une invention du cœur, un geste d'amour. C'est un geste généreux, sans respect humain, c'est un geste du cœur, bien compatissant et délicat et en même temps théologal. Le miracle supposé est aussi plein de sens. C'est le geste du Christ, gratuit, délicat, généreux Lui aussi. A cette femme qui fait de son mieux, qui Lui offre beaucoup plus qu'un verre d'eau, mais qui s'apparente à ces gestes d'amour que le Seigneur a demandé que l'on ait pour le plus petit des siens, Jésus répond en se manifestant, en lui laissant comme don personnel : Son Visage… Et le miracle extérieur est symbole du don de Lui-même, à l'âme chrétienne, symbole de l'impression de Sa ressemblance au plus intime du cœur : seule richesse inaltérable, que personne ne peut ravir. Ressembler au Christ, participer à son mystère, Lui être conforme dans Sa Mort pour participer à Sa Victoire et à Sa Gloire. Là est tout le mystère pascal.
Document mis à diposition par le Centre Spirituel de la Sainte Face de Tours
Consécration à la Sainte Face
O Face Adorable de Jésus ! Puisque Vous avez daigné choisir particulièrement nos âmes pour Vous donner à elles, nous venons mes consacrer à Vous… Il nous semble, ô Jésus, Vous entendre nous dire : « Ouvrez-Moi Mes sœurs, Mes épouses bien-aimées, car Ma Face est couverte de rosée et mes cheveux de gouttes de la nuit. » Nos âmes comprennent Votre langage d'Amour, nous voulons essuyer Votre Doux Visage et Vous consoler de l'oubli des méchants, à leurs yeux Vous êtes encore comme caché, ils Vous considèrent comme un objet de mépris… O Visage plus beau que les lys et les roses du printemps ! Vous n'êtes pas caché à nos yeux… Les Larmes qui voient votre Divin Regard nous apparaissent comme des Diamants Précieux que nous voulons recueillir afin d'acheter avec leur valeur infinie les âmes de nos frères. De Votre Bouche Adorée nous avons entendu la plainte amoureuse ; comprenant que la soif qui Vous consume est une soif d'Amour, nous voudrions pour Vous désaltérer posséder un Amour infini.. Epoux Bien Aimé de nos âmes, si nous avions l'amour de tous les cœurs, tout cet amour serait à Vous… Eh bien ! Donnez-nous cet Amour et venez Vous désaltérer en Vos petit(es) époux(ses)…. Des âmes, Seigneur, il nous faut des âmes… Surtout des âmes d'apôtres et de martyrs afin que par elles nous embrasions de Votre Amour la multitude des pauvres pécheurs. O Face Adorable, nous saurons obtenir de Vous cette Grâce !… Oubliant notre exil sur le bord des fleuves de Babylone, nous chanterons à Vos Oreilles les plus douces mélodies ; puisque Vous êtes la Vraie, l'Unique Patrie de nos cœurs, nos cantiques ne seront pas chantés sur une terre étrangère. O Face Chérie de Jésus ! En attendant le jour éternel où nous contemplerons Votre Gloire Infinie, notre unique désir est de charmer Vos Yeux Divins en cachant aussi notre visage afin qu'ici-bas, personne ne puisse nous reconnaître… Votre Regard voilé, voilà notre Ciel, ô Jésus ! Amen.
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face
(Prière N° 12, Œuvres Complètes, Ed. du Cerf)
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