Spiritualité Chrétienne

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Vie de Sainte Claire par Thomas de Celano

Sainte Claire d'Assise

Sa vie et ses miracles, racontés par Thomas de Celano et complétés par des récits tirés des Chroniques de l'Ordre des Mineurs et du Procès de Canonisation.


Prologue de la Légende de la Séraphique Vierge Claire


La vie et la légende de la séraphique vierge Claire d'Assise, mère ou plus exactement première pierre et fondatrice de l'ordre des Pauvres Dames de Saint-Damien, fut d'abord écrite par le révérend messire Barthélémy, évêque de Spolète. Ce dernier, par ordre du bienheureux pape Innocent IV, se rendit au monastère de Saint-Damien avec messire Léonard, archidiacre de Spolète, messire Jacques, archiprêtre de Trevi, les saints frères Léon et Ange de Rieti, compagnons de saint François, Marc, frère mineur et sire Martin, notaire. Là, il enjoignit à quelques sœurs âgées et de vertu éprouvée de dire sous la foi du serment tout ce qu'elles savaient sur la vie, la vocation et les miracles de Madame Sainte Glaire. Les dites choses furent soigneusement recueillies par le notaire, puis remises au Souverain Pontife par messire Barthélémy. Plusieurs autres faits notables concernant cette Bienheureuse furent également relatés par quelques frères. Le très bon pape Innocent IV étant venu à mourir, messire Raynald, -cardinal et protecteur de l'ordre des Pauvres Dames, lui succéda. Sitôt qu'il eût inscrit au canon des Vierges Madame Sainte Claire, il commanda au saint frère Thomas de Celano, jadis compagnon et disciple de saint François, lequel, par ordre du pape Grégoire IX, avait écrit la première légende du dit, saint de narrer maintenant celle de la glorieuse vierge Claire. En vrai fils de l'obéissance, frère Thomas se mit à l'œuvre; son style est élégant et noble, mais son récit moins complet que celui de messire Barthélémy, évêque de Spolète. Aussi, pour la consolation des dévotes et bien-aimées filles de Madame Sainte Claire, nous donnerons ici  en langue vulgaire la vie de cette bienheureuse, racontée par le susdit Thomas de Celano, en y ajoutant quelques autres faits dignes de mémoire, tirés des chroniques de l'Ordre et de la relation de l'évêque de Spolète, autrement dit de son procès de canonisation. Nous ferons d'abord connaître la lettre adressée par le frère Thomas au Souverain Pontife Alexandre IV en lui soumettant son travail. Elle débute ainsi : « Autres saint Père et Seigneur dans le Christ, Alexandre IV, par la divine Providence Souverain Pontife de la sacro-sainte Église romaine, frère Thomas de Celano se recommande humblement en lui baisant dévotement les pieds. »


Préface de Thomas de Célano


Ici commence le Prologue, ou plutôt la lettre envoyée au Souverain Pontife Alexandre IV sur la vie de la très dévote vierge Claire de la cité d'Assise.


Dans la vieillesse qui talonnait ce monde pour ainsi dire sénile, le regard de la foi se troublait, la marche des bonnes mœurs chancelait, le courage de s'adonner aux œuvres viriles s'affaiblissait ; et, bien plus, à ces débris des temps faisait même cortège la fange des vices. Alors Dieu, ami de l'humanité, suscita du mystère de sa tendresse ce spectacle si nouveau des Ordres religieux, pourvoyant par eux au soutien de la foi et à la discipline, par la réforme des mœurs. Aussi les modernes saints Pères et leurs vrais disciples peuvent dire qu'ils sont devenus la lumière de la terre, les parfaits maîtres de la vérité éclairant la voie droite en ce monde ténébreux. Grâce à eux s'est réalisée cette parole du prophète Isaïe : « Ceux qui marchaient dans les ténèbres voient la lumière. Et parce que la fragilité des sens jetait dans l'impureté un grand nombre de créatures, Dieu suscita la noble et glorieuse vierge Claire afin qu'elle fût le modèle et le guide des autres femmes. Ses vertus méritent bien, très saint Père, qu'en l'inscrivant sur les fastes des saints, tu mettes la lumière sur le chandelier afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. « Nous te connaissons, bienheureux Pape, et nous t'aimons comme un père très cher, un protecteur attentif et zélé de notre Ordre, car nous savons que tu régis et gouvernes avec une sagesse prévoyante la barque de l'Église, sans oublier la petite nacelle de notre pauvre et sainte Congrégation. « Il a plu à ta Béatitude, sans regarder à l'insuffisance de mon style, de me prescrire, non seulement une fois, mais plusieurs, de recueillir les actes et les faits merveilleux de la vie de sainte Claire pour en former sa légende. Cette œuvre, je ne l'eusse jamais entreprise sans l'ordre du Pontife auquel je ne veux pas résister. « Connaissant donc mon incapacité, mais voulant obéir, j'estimai que je ne devais pas me fier à ce que je savais par moi-même, je me réservai des entretiens avec les compagnons de saint François et avec la communauté des vierges du Christ, car je ne songeais pas sans amertume à la présomption de ceux qui ont coordonné et écrit les histoires des saints, sans avoir vu ces derniers ou au moins entendu ceux qui avaient vu leurs actes et leurs œuvres merveilleuses. « Après avoir recueilli beaucoup de témoignages, je me mis au travail, rempli de crainte de Dieu. Et comme la brièveté est agréable à tout le monde, des nombreux détails obtenus, je n'ai donné que quelques-uns. « Je me suis efforcé de les écrire en un style simple, évitant volontairement un langage confus et compliqué, afin que les vierges se délectent dans la lecture de la vie de cette merveilleuse sainte et que la dévotion très pure des personnes humbles et illettrées ne soit pas déçue. « Que les hommes s'étudient donc à suivre les nouveaux disciples du Verbe incarné Jésus-Christ et que les femmes soient conduites vers la béatitude éternelle par la glorieuse vierge Claire. « Et toi, Père très saint, qu'il te plaise d'approuver ce que tu jugeras être sans défaut dans cette œuvre, de supprimer ce que tu considéreras comme inexact et d'ajouter ce qui manque. Je me soumets en tout à ta volonté. Que le Seigneur Jésus-Christ te protège, maintenant et éternellement. Amen. »


Première partie, la vie


Ici commence la Légende de Madame Sainte Claire


Chapitre premier
Comment elle naquit et de quelle lignée.


Une admirable femme,nommée Claire, naquit de parents nobles, en la cité d'Assise. Le père de Claire, messire Favarone, était chevalier ainsi que son grand-père, le magnifique seigneur Offredutio di Bernardino, lequel comptait sept chevaliers dans sa famille, tous hommes nobles, illustres et puissants entre tous ceux d'Assise. Du côté de sa mère également, toute la lignée comptait des chevaliers. La maison de son père était abondamment pourvue en biens. Claire, estimant que sa vie devait correspondre à la noblesse de ses origines, donna, comme on le raconte dans son procès, l'exemple des vertus parfaites. Elle passa dans ce monde de ténèbres comme une lumière brillante, de sorte qu'avec la grâce divine elle put facilement vaincre tous les vices et parvenir victorieuse dans la Jérusalem céleste. Avec le séraphique François, citoyen d'Assise, elle se nourrit maintenant de cette manne très suave, le Verbe incarné Jésus-Christ, époux très fidèle des âmes pures. Par un dessein spécial de la Providence, la mère de cette vierge avait nom Ortulana car elle devait orner le jardin du Seigneur d'une plante très belle et très fertile. En Madame Ortulana les fruits des bonnes œuvres abondaient et sa vie resplendissait de vertus. Quoiqu'elle fût assujettie aux devoirs du mariage et attachée au gouvernement de sa famille, elle ne cessait de s'appliquer avec grand soin aux œuvres de piété et de miséricorde, faisait de généreuses aumônes pour l'amour de Dieu, et quand c'était possible, allait assister dans les églises aux offices religieux. Or, il advint qu'elle éprouva l'ardent désir de voir le Saint-Sépulcre et tous les autres lieux dévots au delà des mers qui sont consacrés par les souvenirs du Dieu fait homme. Avec la permission de son mari, bien accompagnée, elle se mit en route. Après avoir passé la mer, elle entra dans Jérusalem, visita pieusement le Saint-Sépulcre et tous les endroits que Notre-Seigneur avait parcourus, puis, satisfaite, retourna dans sa patrie. Quelque temps après, enflammée de nouveau d'une admirable ferveur, elle alla en pèlerinage à l'oratoire de saint Michel archange et visita aussi l'église des saints apôtres Pierre et Paul et tous les sanctuaires de Rome. Ensuite, elle revint heureuse à Assise où elle demeura en rendant grâce à Dieu avec beaucoup de dévotion des consolations reçues. Que peut-on dire de plus, sinon que l'arbre se connaît à son fruit et que le fruit fait la louange de l'arbre ? Les dons divins abondaient dans les racines de cet arbre afin qu'en ses rameaux se propageassent les fruits de sainteté. Nous racontons ces choses afin que l'on comprenne pourquoi le fruit d'un tel arbre fut rempli d'une si douce saveur. Il plut à Dieu, après ce que nous avons narré, qu'Ortulana devint enceinte et, comme elle approchait du terme, eRe était saisie de peur. Or un jour, comme elle versait d'abondantes larmes devant le crucifix et lui offrait avec recueillement d'humbles prières, suppliant Dieu de la tirer des dangers de l'accouchement, elle entendit une voix lui répondre : « Ne crains rien, car tu enfanteras saine et sauve une lumière qui brillera et resplendira dans tout le monde. » Réconfortée et toute consolée par ces paroles, Ortulana retourna chez elle en rendant grâce à Dieu. Au temps voulu, l'an du Seigneur 1194, alors que siégeait sur le trône de Saint-Pierre messire Gélestin III pape, naquit cette enfant bénie. Sa mère voulut qu'on l'appelât Glaire au saint baptême, dans l'espérance de voir briller, à l'heure choisie par le bon plaisir divin, cette lumière qui devait éclairer la sainte Eglise.


Chapitre 2
Comment vécut Madame Sainte Claire dans la maison de son père.


Dès l'âge le plus tendre, cette douce vierge fit resplendir dans le monde une vie édifiante dont chaque détail rappelait celle des saints. Elle reçut de sa mère ses premières leçons sur la foi. Cette pieuse femme, qui voulait l'instruire elle même de toutes choses, l'éleva dans la crainte de Dieu et dans la pratique de ce qui est bon et vertueux. L'Esprit-Saint prodigua à Claire les dons surnaturels, de sorte que son âme devint un vase très pur et plein de grâce. Elle tendait volontiers la main aux malheureux et cherchait à subvenir avec les richesses de la maison paternelle aux nécessités et besoins des pauvres de Jésus-Christ. Afin que son offrande fût plus agréable à Notre-Seigneur, elle se privait souvent des mets fins et délicats qui lui étaient servis, et, par l'entremise d'une personne discrète, les faisait porter à de pauvres orphelins. A mesure que la bienheureuse croissait en âge, grandissaient dans son cœur la charité, la piété, la compassion, vertus qui lui étaient naturelles, mais que la grâce augmentait grandement. Elle s'adonnait à la prière et il lui arrivait souvent d'être toute remplie de la très suave odeur du Christ béni, son très cher époux. Etant toute petite, comme elle n'avait pas encore de chapelet pour compter ses Pater, elle recueillait une quantité de toutes petites pierres avec lesquelles elle marquait les Pater noster et les Ave Maria. Dans son enfance elle se préoccupait plus des prières vocales que de la prière mentale ; mais à mesure qu'elle croissait en âge, son cœur s'enflammait du divin amour, de sorte qu'elle se mit à goûter la douceur et la suavité des entretiens célestes et elle se livra dès lors à la contemplation bien plus qu'aux démonstrations extérieures. Etant ainsi tout embrasée et attirée par le pur et chaste amour, elle appelait avec un cœur brûlant le vrai et céleste époux Jésus-Christ, lui recommandant sa virginité. Instruite par l'Esprit-Saint, les choses mondaines lui semblèrent dès lors pourriture et mensonge; elle les méprisa donc et tout ce qui était terrestre lui causait peine et ennui. Lorsque Claire eut atteint l'âge de douze ans, ses parents voulurent la marier; ils lui avaient déjà trouvé un très noble époux : mais elle n'y voulut consentir à aucun prix et répondit qu'elle préférait attendre, car elle voulait garder sa virginité à Notre-Seigneur. Elle demeura donc plusieurs années dans la maison de son père, s'effaçant le plus possible ; lorsqu'elle se trouvait avec des personnes spécialement chères, elle parlait des choses de Dieu et ne voulait rien entendre de celles du monde. Elle était très modeste dans sa tenue, ses habitudes, ses paroles, ses actes, ses façons et ses gestes ; en conversant, avec tous, elle était humble, douce et gracieuse. Quoique jeune, elle était pleine de prudence et de sagesse ; son maintien était noble, elle était jolie de visage et la richesse de ses vêtements faisait ressortir sa beauté. Sous ses parures élégantes elle portail secrètement un cilice, et ainsi elle semblait mondaine par le dehors alors que son cœur était rempli de Dieu. Or il advint que les familles nobles d'Assise recherchèrent l'alliance d'une si charmante jeune fille et derechef elle fut demandée à sa mère et à ses parents, car soa père était mort. Tous les siens, jugeant de tels partis conformes à son rang, résolurent de la marier ; ce qu'apprenant, la très pure vierge se prépara à la lutte en priant Jésus-Christ, son cher et unique époux, de lui venir en aide. On la supplia de consentir à prendre un mari, mais Claire résista énergiquement aux prières, comme aux railleries. Lorsque les siens l'eurent longtemps harcelée, elle leur exposa la caducité et la vanité de ce méprisable monde, déclarant qu'elle avait résolu de toujours servir la virginité et qu'elle avait choisi Jésus-Christ pour son époux bien-aimé. A dater de ce jour, rien n'arrêta plus la très douce vierge; son âme chaste et amoureuse aspirait sans cesse au divin époux et la bonne odeur de Jésus-Christ embaumait si bien les lieux où elle se trouvait, qu'ils devenaient comme une chambre aromatique remplie des plus suaves parfums. Quoique cette très humble vierge s'étudiât à cacher ses vertus, elles étaient si nombreuses et d'une telle excellence que les voisins commencèrent à la louer hautement et à dire que sa vie était plus angélique qu'humaine. Tous ceux qui l'approchaient la regardaient comme une sainte et il advint que sa bonne renommée s'épandit dans le peuple; la divine clémence en disposa ainsi pour sa gloire et pour le salut des âmes, car il ne convient pas que la lampe allumée, c'est-à-dire l'âme sainte, soit cachée sous le boisseau, mais il faut la mettre sur le chandelier afin d'éclairer le monde ténébreux.


Chapitre 3
Comment Madame Sainte Claire entra en rapport avec saint François.


En ce temps-là, le bruit que faisait la conversion récente de l'homme de Dieu saint François vint aux oreilles de Claire. Elle apprit qu'il avait embrassé l'état religieux et voulait ramener dans le monde la perfection évangélique. Ayant ouï dire que ce bienheureux Père avait choisi la voie de la vraie et parfaite pauvreté, elle en conçut une grande joie. Remplie de ferveur, elle se proposa de faire comme lui et fut très désireuse de le voir et de l'entretenir. Comme la renommée de la charmante et illustre jeune fille était parvenue également jusqu'à saint François, celui-ci souhaitait vivement delà rencontrer, espérant, avec le secours divin, ravir au monde une aussi noble proie. Et de même que le saint voulait fonder une famille religieuse afin de conduire beaucoup d'âmes au Seigneur après les avoir retirées du royaume terrestre, ainsi Claire, de son côté, aspirait à réunir autour d'elle les vierges qui voudraient la suivre. Or, dans le courant de l'année 1210, un matin de carême, Claire étant allée, avec sa pieuse mère Madame Ortulana et sa sœur Agnès, assister à un sermon de saint François, entendit le séraphique Père prédicateur prononcer avec tant de suavité le très doux nom de Jésus qu'elle fut encore plus embrasée de tendresse, et son cœur en brûla de telle sorte que désormais nulle adversité, nulle tribulation ne lui parurent difficiles à supporter. Elle souffrait tout pour l'amour de Dieu. La parole du bienheureux François revenant sans cesse à son esprit, elle chercha comment elle pourrait le joindre. L'occasion se présenta enfin, par l'entremise d'une bonne et discrète personne qui avait nom Madonna Buona di Gualfuccio. Claire s'entretint donc avec le séraphique Père et lui raconta comment elle avait décidé d'abandonner le monde et de servir Dieu dans la chasteté, en accomplissant toutes choses selon le bon plaisir divin. Ce qu'entendant, le saint fut rempli d'une indicible joie; nonobstant, afin d'éprouver la jeune fille et de l'affermir dans le méprit du monde et d'elle-même, il lui répondit : « — Je ne te crois pas. Si néanmoins tu veux que j'aie foi en tes paroles, tu feras ce que je vais te dire : tu te revêtiras d'un sac et tu iras par toute la ville en mendiant ton pain. » La très fervente vierge retourna chez elle et, comme le lui avait enjoint le bienheureux François, elle s'habilla d'un sac, mit sur sa tête un voile blanc qui lui cachait la figure, sortit à la dérobée de la maison paternelle et s'en alla par la cité, mendiant son pain. Dieu permit que personne ne la reconnût, excepté saint François. Dès lors le saint lui fit de fréquentes visites et Claire, à son tour, se dirigeait vers lui afin de solliciter ses conseils. Pleins de prudence, l'un et l'autre faisaient grande attention à choisir les moments et les lieux convenables pour ces rencontres qui étaient toujours brèves et se passaient à découvert, de telle sorte que personne n'en pouvait murmurer ni concevoir aucun soupçon. Quand la jeune fille sortait de chez elle pour aller vers le saint, elle veillait à le faire secrètement afin de n'être pas vue de ses parents, et elle n'emmenait que sa fidèle compagne, Madonna Buona. Leurs entretiens s'élevaient bien au-dessus des considérations humaines, aussi leurs paroles étaient toutes saintes et bonnes. Non sans raison, il paraissait à Claire que les discours enflammés et les vertus extraordinaires de saint François ne pouvaient procéder de rien d'humain, mais seulement de la grâce et de l'inspiration divines. Le bienheureux, par des paroles vives et efficaces, la poussait à mépriser le monde; il lui démontrait par des raisons très claires et des exemples probants que l'espérance terrestre est sèche et aride et que la beauté apparente du monde est aussi vaine que trompeuse. Les exhortations du saint étaient imprégnées d'une douceur et d'une suavité pénétrantes ; il parlait sans cesse des mystiques fiançailles et des chastes noces avec le céleste époux Jésus-Christ, lequel, pour l'amour et le salut des âmes, se revêtit de chair humaine. Par-dessus tout, il vantait la perle précieuse de la virginité et recommandait à Claire de se conserver sans tache à l'immortel époux. Le séraphique Père embrasa si fortement le cœur de la jeune fille des feux du divin amour, que toutes les choses terrestres lui devinrent détestables. Elle ouvrit tout son cœur, avide de la gloire du Paradis, au bienheureux; elle lui confia qu'elle était toute prête à quitter le monde et à embrasser la vie religieuse dans la sainte virginité et la parfaite pauvreté ; elle lui révéla que, blessée par l'amour divin, elle se sentait toute liquéfiée, brûlée du désir des beautés éternelles et de la possession de l'agneau immaculé Jésus-Christ, son époux désiré. Claire résolut de consacrer son corps au Seigneur comme un temple très pur et s'efforça par la pratique des vertus et des saintes œuvres de parvenir au très haut et très enviable honneur d'avoir Jésus-Christ pour époux. Dans ce dessein, elle répudia la beauté du siècle avec toutes ses vanités et ses plaisirs, les jugeant immondices et boue, car elle avait déjà contemple avec les yeux de son âme les éternelles joies des bienheureux. Elle s'abandonna désormais avec une confiance pleine et absolue à la direction de son père saint François ; elle voulut le tenir toujours, après Dieu, pour son père, son maître et son guide dansées voies intérieures. Elle le choisit pour son très fidèle paranymphe, c'est-à-dire comme celui qui devait préparer ses noces mystiques et l'introduire brillante et parée au lit nuptial si convoité du roi céleste, Notre-Seigneur Jésus-Christ, son époux bien-aimé. Elle s'étudia donc à soumettre son esprit et ses actes aux ordres de son bienheureux père; elle gardait précieusement dans le secret de son âme tout ce qu'il lui disait du doux et amoureux Jésus, et, lorsqu'elle était seule, à l'exemple de la glorieuse Vierge Marie, elle repassait toutes ces choses en son cœur rempli d'amour.


Chapitre 4
De la vocation de Madame Sainte Claire et comment saint François la retira du monde


Le très pieux père de Claire avait hâte de la retirer de ce monde ténébreux afin que le miroir de son âme pure et chaste ne fût pas terni par la poussière terrestre et que son âge tendre et innocent ne demeurât point exposé à la contagieuse infection du siècle. Un jour, près du dimanche des Palmes, la dévote jeune fille, dont le cœur était embrasé de cette flamme divine qui ne cesse d'attiser le désir des chastes et doux embrassements du céleste époux, alla trouver saint François, car elle ne voulait plus rester dans ce monde contaminé et n'aspirait qu'au lit royal de la Croix. Elle lui dévoila de nouveau l'ardente soif de son cœur, lui demandant quel jour et dans quelles conditions elle pourrait entrer en religion. Le très saint père François lui dit de se rendre à l'église, avec les autres femmes, le dimanche matin, jour de Pâques fleuries, bien vêtue et parée pour recevoir les palmes; et que la nuit suivante, vers l'aurore, il l'accueillerait à Sainte-Marie-des-Anges et la consacrerait à Jésus-Christ. Au jour fixé, la pieuse vierge, ornée de ses plus riches atours, resplendissante de grâce et de beauté parmi les autres femmes, entendit la messe à l'église et reçut son rameau des mains du pape Innocent III. Voici comment. Tous les fidèles se pressaient pour que l'évêque leur remît une palme; Claire seule, par timidité et honnêteté, ne bougeait pas de sa place. Le bienheureux pape, la voyant ainsi toute modeste et craintive, eut une inspiration de Dieu, il descendit les marches de l'autel et, avec une bonté toute paternelle, l'aborda, lui tendit une palme et la bénit. La nuit suivante, la pieuse vierge, obéissant à l'ordre de saint François, accompagnée de sa suivante habituelle en qui elle avait pleine confiance, quitta la maison paternelle d'une façon très étonnante. Il ne lui parut pas prudent de sortir par la porte ordinaire, car elle craignait qu'on ne la remarquât et que son pieux dessein ne fût entravé. Elle se dirigea donc vers une autre issue qui était cachée, obstruée de pierres et barrée par de lourdes poutres en bois que plusieurs hommes n'auraient pu remuer sans une très grande peine. Claire, voyant qu'il lui était impossible d'en venir à bout avec ses seules forces, se mit en prières, implorant Jésus-Christ, son époux bien-aimé, pour qu'il daignât lui prêter son très charitable secours et lui permettre ainsi de partir à son service. L'oraison achevée, elle se leva, l'âme toute radieuse, et, seule, avec une vigueur prodigieuse, elle ôta de ses propres mains tous les obstacles : la porte s'ouvrit alors sans faire aucun bruit. — Quand ils s'en aperçurent dans la suite, les gens de la maison s'émerveillèrent, car ils savaient qu'une jeune fille ne pouvait avoir agi de la sorte avec ses propres moyens et qu'il lui avait fallu l'aide du ciel. — La porte ouverte, la très prudente vierge, toute brûlante de l'amour de Jésus-Christ, après une telle marque de la tendresse de son époux bien-aimé, quitta d'esprit et de corps la cité d'Assise, la maison de son père et toute sa famille, et gagna bien vite avec sa compagne la demeure élue de Dieu, la Portioncule, où son saint père François, avec les pauvres Frères Mineurs ses compagnons, l'attendait, en priant pour que Dieu la protégeât et que rien ne l'empêchât de réaliser son dessein. Lorsqu'elle fut arrivée au lieu susdit, près de son séraphique père et des autres Frères très dévots, la glorieuse épouse du Christ fut reçue avec très grande liesse. Entrée dans l'église, elle fut conduite devant l'autel de la Vierge Marie et les Frères se mirent à chanter de très belles hymnes, si bien que cette église, tant à cause des nombreuses lumières que du chant très pieux des Frères, lemblait vraiment un paradis où ne subsistait plus rien de la terre. Avec une admirable ferveur, Claire se dépouilla de ses parures, rejeta tous les ornements du monde et les vaines élégances, quittant ainsi l'obscurité de Babylone pour entrer dans la sainte cité de Jérusalem. Elle reçut, avec un visage joyeux et angélique, les salutaires insignes de la pénitence, c'est-à-dire l'habit religieux. Ceci se passait devant l'autel de la glorieuse Mère de Dieu, Marie, le 19 mars de l'an du Seigneur 1212 ; elle était âgée de dix-huit ans. Lorsqu'elle eut revêtu sa pauvre tunique, saint François tailla les tresses de ses cheveux et lui ceignit la taille d'une grosse corde, puis il posa sur sa tête un voile blanc et un autre noir, fait d'une étoffe rude et grossière. Ensuite, dans les mains de son saint père, Claire fit vœu à Dieu et à la bienheureuse Vierge Marie d'observer toute sa vie l'obéissance stricte, la pauvreté, la chasteté et la perpétuelle clôture — « et si tu observes ces choses, lui dit saint François, je te promets Jésus-Christ pour époux et la gloire dans la vie éternelle ». Puis incontinent, le saint, avec plusieurs Frères et la femme qui avait accompagné Claire, conduisit celle-ci dans le monastère des religieuses noires de Saint-Benoît, lequel était proche et s'appelait Saint-Paul afin qu'elle y demeurât jusqu'à ce que Dieu disposât autrement d'elle, et sa compagne repartit pour Assise. Saint François voulut que Madame Sainte Claire prit l'habit et fondât son Ordre en l'église Sainte-Marie-des-Anges de la Portioncule, car il convenait que, dans la misère de ces temps, fleurit l'Ordre des Pauvres Dames et s'épanouît le lys de la virginité au milieu du sanctuaire de la Vierge, mère de Dieu. C'était là aussi qu'avait commencé l'ordre des Frères Mineurs, à quoi l'on reconnaît que, pour la gloire de Dieu, la Reine du Ciel voulut enfanter l'un et l'autre à la Portioncule.


Chapitre 5
Comment Madame Sainte Claire résista aux assauts de ses parents.


Or, parce que, comme le dit Jésus-Christ dans le saint Evangile, les ennemis de nos âmes sont nos parents selon la chair, il advint, avec la permission de Dieu, que ceux de Claire apprenant sa vocation et son entrée en religion furent enflammés de courroux et blâmèrent la sainte décision et l'acte de la jeune fille. La ville fut bientôt remplie de cette nouvelle qui la mit en rumeur. Les parents de Claire, fort affligés et irrités, se rendirent au monastère de Saint-Paul, avec la ferme résolution de faire renoncer la pieuse enfant à ses desseins et de la retirer de ce couvent par la force, s'ils ne pouvaient y réussir autrement. Etant arrivés, ils employèrent tous les moyens, sans que Dieu leur permît d'aboutir; et d'abord ils cachèrent leur fureur, sous le voile de la flatterie, ils commencèrent à lui dire d'agréables paroles, multipliant les promesses et lui témoignant une grande affection. Puis, ils lut déclarèrent qu'un tel changement d'habitudes provenait de sentiments vils et légers et ne s'accordait point avec la noblesse de ses origines ; ils lui promirent de nombreux présents si elle renonçait à un tel opprobre et soutinrent que c'était pour eux une très grande honte et un déshonneur qu'une fille si riche, si belle et si noble s'abritât dans un lieu aussi pauvre et misérable. On n'avait pas mémoire, ajoutèrent-ils, qu'aucun de leurs ancêtres eût donné l'exemple d'une chose semblable : en conséquence, Claire devait revenir sur sa décision et retourner dans le siècle. La très prudente vierge, reconnaissant que pareil combat lui était suscité par l'ennemi de son salut, repoussa comme un breuvage de mort qui lui faisait horreur les adulations hypocrites et les conseils indignes ; s'appuyant d'une âme virile et fidèle sur Jésus-Christ, elle ne craignait pas les menaces et ne se souciait pas des flatteries. Plusieurs jours durant, elle fut poursuivie d'injures et de supplications, mais elle demeurait inébranlable, répondant que sa résolution n'était pas fondée sur le sable mouvant, mais sur la pierre ferme ; qu'ayant déjà mis la main à la charrue elle entendait continuer le travail, et ne pas retourner en arrière, mais être parfaitement fidèle à la foi qu'elle avait engagée jusqu'à la mort à son époux Jésus-Christ. Elle répétait avec l'apôtre Paul : « Qui pourra me séparer de la charité du Christ ? » Comme on persistait à vouloir l'enlever de force et la reconduire à Assise, Claire mit sa confiance en Dieu et, pour prouver à ses parents que tous leurs efforts étaient vains, s'en alla vers l'autel de la pauvre petite église du monastère, avec une exquise ferveur, tenant de la main droite les nappes de cet autel afin que Dieu l'aidât si on voulait lui faire violence ; elle enleva de l'autre main les voiles de son front et montra sa tête tondue en déclarant que jamais et d'aucune manière on ne pourrait la détacher de l'amour et du service de Jésus-Christ. Ces luttes avaient accru dans le cœur de Claire l'amour de Dieu : plus le combat était violent à l'extérieur, plus son cœur devenait fort au dedans et plus elle se donnait à son Jésus bien-aimé. Ce que voyant, ses parents décidèrent de lui laisser suivre sa vocation sans y apporter d'obstacles. Confus et défaits, ils s'en allèrent, et la vierge victorieuse resta dans le monastère en toute tranquillité ; jamais plus, personne, en aucun temps, ne put l'induire à approcher des choses mondaines. Claire, toujours assoiffée de perfection,après avoir quitté le monde et ses parents selon la chair, aspirait à conquérir l'amour enflammé de Jésus-Christ. Elle trouvait que le monastère de Saint-Paul n'était pas suffisamment retiré pour qu'elle pût vaquer en toute paix à l'oraison. Au bout de peu de temps, son père saint François, avec frère Bernard et frère Philippe, l'en retira et la conduisit dans un autre couvent : Saint-Ange-in-Panzo, aux environs de la ville. Ce couvent qui était alors de l'ordre de Saint-Benoît relève aujourd'hui de celui des Pauvres Dames. Claire n'y demeura guère.


Chapitre 6
Comment la sœur de Madame Sainte Claire, appelée Agnès, se consacra à Jésus-Christ et des persécutions qu'elle souffrit de la part de ses parents.


Il ne serait ni sage ni convenable de passer sous silence la puissance merveilleuse des prières de la glorieuse vierge Claire qui, dès les débuts de sa vocation, engendra une âme à Dieu, et la préserva quand elle l'eut convertie. Alors qu'elle résidait au monastère de Saint-Ange-in-Panzo, sa sœur Agnès, d'une nature tendre et délicate, qui lui était unie non seulement par la chair mais aussi par la pureté de l'âme et qui possédait comme elle la simplicité de la colombe, allait chaque jour la voir afin de demeurer un peu avec elle et de satisfaire sa grande affection pour Madame Sainte Claire. Celle-ci, avec une pieuse et active sollicitude, l'instruisait de l'amour divin et l'encourageait selon son pouvoir à abandonner le monde et à prendre Jésus-Christ pour époux. La pieuse vierge Claire, ayant un très grand désir de voir sa sœur faire ce choix, priait Dieu continuellement de lui octroyer cette faveur, et la plus fervente de ses oraisons était celle-ci : « O très bon Seigneur, père de miséricorde et de pitié, qu'il plaise à ta bonté de permettre qu'il y ait union de volonté à ton saint service entre celles qui dans le siècle furent rapprochées si intimement par la dévotion et la charité. Daigne, Seigneur, récompenser l'affection que me porte ma sœur Agnès, de telle manière que les fausses joies et les vains plaisirs du misérable monde lui paraissent insipides et amers, et que seule ta douceur lui soit suavité et amoureuse saveur, afin que méprisant les noces charnelles, elle n'appartienne qu'à toi, céleste époux, qui es entre tous gracieux et beau. » La divine Majesté acquiesça bientôt à la prière de Claire en inspirant à sa sœur Agnès la vocation si désirée : une nuit, Dieu toucha le cœur de cette vierge de telle sorte que, ne pouvant plus dormir, il lui semblait que mille années s'écoulaient avant qu'il ne fit jour pour lui permettre de courir vers sa sœur et de demeurer avec elle au service de Dieu. Le matin venu Agnès, tout enflammée de l'Esprit-Saint, alla vers la séraphique Claire et lui confia le secret de son cœur, lui disant : « — Ma chère sœur, je suis venue avec la ferme résolution et la volonté de ne plus jamais retourner à la maison, mais de vivre et mourir avec toi au service de Dieu. » A ces paroles, Claire l'embrassa doucement avec grande joie en disant : « — Rendons grâce à Dieu, ma très douce sœur, parce qu'il a éclairé ton cœur et exaucé ce que je désirais et demandais avec tant de sollicitude. Et toi, ma sœur, tu seras bienheureuse pour avoir su accueillir la divine inspiration. » Elle la prit par la main, la conduisit devant l'autel et la recommanda dévotement à Jésus-Christ. Or, il advint qu'après la grâce de cette merveilleuse vocation, il fallut la défendre d'une façon terrible. L'heureuse Agnès, au service de Dieu dans le dit monastère de Saint-Ange-in-Panzo, s'appliquait de tout son cœur, en union avec sa sœur, à suivre les traces de Jésus-Christ. Claire qui avait une plus grande connaissance et possédait davantage le goût des choses divines, instruisait sa sœur et première novice, comme son père saint François l'avait instruite elle-même. Elle la fortifiait afin qu'elle fût persévérante et ferme, sans craindre ni les menaces, ni les railleries, ni même la flatterie, dans les luttes contre sa famille qui ne pouvaient manquer de surgir. Claire confiait Agnès à Dieu, sûre qu'il lui donnerait la victoire comme il la lui avait donnée; ainsi en advint-il. Lorsque la nouvelle fut connue et que les parents d'Agnès apprirent qu'elle s'était enfermée dans le monastère avec Claire et ne voulait plus rentrer chez elle, ils furent remplis de colère; le plus indigné était un de leurs oncles, frère de leur père, qui se nommait messire Monald. Il réunit douze hommes de sa famille, douze forcenés, qui coururent au monastère; sachant bien qu'ils n'en pourraient faire sortir Claire, ils voulaient l'épouvanter afin qu'elle laissât au moins partir Agnès. Cachant leur malice et leurs mauvais desseins, ils simulèrent des intentions pacifiques et lorsqu'ils furent entrés, se tournant brusquement vers Agnès, Monald lui dit : « — Pourquoi et à quelle fin es-tu venue ici ? Allons! vite et sans délai, rentre avec nous à la maison. » Celle-ci répondit que jamais et en aucune façon elle ne se séparerait ni de Jésus-Christ ni de sa sœur. Alors, brutalement, un des cavaliers, pris d'une rage furieuse, se jeta sur elle et, ne cessant de la frapper à coups de poing et de pied, il la prit par les cheveux et s'efforça de la tirer dehors. Les autres la poussaient vers la porte pour la faire sortir, mais, ne réussissant pas, ils la saisirent violemment dans leurs bras et l'emportèrent. La douce enfant, ravie par ces lions cruels et arrachée des bras de son Seigneur sans pouvoir résister, cria de toutes ses forces : « — Belle et très douce sœur, aide-moi et ne me laisse pas enlever de cette façon à mon Seigneur Jésus-Christ. » La très dévote Claire, voyant sa sœur ainsi traitée, et, victime de ces cruels voleurs, entraînée dans la montagne sans qu'elle pût lui prêter secours, se prosterna sur le sol, et, priant avec larmes, se mit à dire : « — O mon Seigneur très bon, je t'en prie, donne à ma douce sœur et ta servante la force et la persévérance de l'âme ; daigne, avec ta vertu toute-puissante, subjuguer et vaincre les forces de ces hommes iniques. » Mais ceux-ci, cruels comme des loups affamés, traînaient cette enfant bénie à travers champs et vallées, par des sentiers sauvages remplis d'épines; ils la tenaient par les cheveux de telle sorte que presque tous lui furent arrachés de la tête, si bien qu'on en trouva plus tard tout le long de la route avec des lambeaux de ses vêtements. Puis, comme elle ne voulait pas marcher, ils la secouèrent sans pitié de leurs poings ou de leurs pieds. Tout son délicat visage était ensanglanté par des égratignures et meurtri par les soufflets. Les coups qu'elle avait reçus la firent défaillir et elle tomba à terre comme morte; ce que voyant, ses ravisseurs voulurent l'emporter de force. Mais le bon Seigneur, qui n'abandonne jamais ni ne laisse périr ceux qui se recommandent à lui avec un cœur pur, fit un grand et stupéfiant miracle. Soudain le corps virginal d'Agnès devint d'un tel poids que tous ces hommes ensemble, maigre leurs efforts, ne purent ni le mouvoir, ni le porter au delà d'une certaine rivière; d'autres, attirés par le bruit, les aidèrent de toute leur énergie, mais ils ne parvinrent pas à soulever ce petit corps. Plus ils étaient, moins ils le pouvaient remuer. Se voyant incapables, essoufflés et fatigués sans résultat, ils commencèrent à railler en disant : « — Celle-là a mangé du plomb toute la nuit, c'est pour cela qu'elle pèse si lourd ! » Alors messire Monald, plein de fureur, leva le bras et donna un grand coup dans le visage d'Agnès, mais Dieu le châtia sur-le-champ, car il lui vint subitement une telle souffrance à la main et au bras, qu'il se mit à crier bien fort : « — Hélas! hélas! que je meure!... » Pendant longtemps cette souffrance persista. Les autres misérables essayèrent encore d'emporter Agnès, mais ils perdaient leurs forces sans que le miracle calmât leur rage pas plus que celle de messire Monald, qui, le bras perclus, criait toujours : « — Hélas! que je meure!... » A la fin de cette lutte, Madame Sainte Claire, qui ne cessait de supplier Dieu d'assister sa chère sœur dans un tel péril, connut que Dieu l'avait exaucée et qu'Agnès était sauvée par ses prières et ses larmes. Elle sortit rapidement du monastère afin de ramener Agnès dans le cloître. Les cheveux qu'on lui avait arrachés de la tête et le sang répandu indiquaient le chemin et conduisirent Claire vers sa sœur quelle trouva gisant à terre presque morte. S'adressant aux ravisseurs, elle leur dit d'une voix forte :« — Oh ! misérables, comment ne craignez-vous pas la sentence de Dieu qui est suspendue sur vos têtes! Croyez-vous donc combattre avec sa puissance, alors que, fussiez-vous mille de plus que vous n'êtes, vous ne pourriez pas remuer cette enfant ! » Puis Claire pria ses parents de se retirer et de cesser désormais leurs tentatives coupables. Ceux-ci, se voyant frustrés par la grâce divine de leurs injustes désirs, s'en allèrent dolents et confus. La bienheureuse vierge vint vers sa sœur et lui prit la main en disant : « — Lève-toi, ma douce sœur, allons servir Dieu dans notre monastère, car Jésus est avec nous. » A ces mots la vierge, victorieuse et le visage radieux, se leva comme si elle n'avait eu aucun mal; elle se réjouissait d'avoir partagé la croix de Jésus-Christ en soutenant pour son amour cette première bataille. Les deux sœurs retournèrent ensemble au moutier, louant et remerciant Dieu qui avait triomphé de ses ennemis. Claire lui demandant comment elle se portait, Agnès répondit que de tous ses maux et innombrables coups de pied ou de poing, par la grâce de Dieu, elle ne sentait rien ou presque rien. Saint François, lorsqu'il eut appris le grand combat d'Agnès et son retour victorieux au monastère, remercia Dieu et alla lui rendre visite avec plusieurs Frères. Puis il lui donna l'habit religieux après avoir tondu le peu de cheveux qui lui étaient restés, et il lui imposa le voile comme à Madame Sainte Claire. Ensuite, il instruisit Agnès sur la sainteté qu'il fallait apporter au service de Dieu. Comme les perfections admirables de cette bienheureuse et les nombreux miracles que Dieu fit par elle ne se peuvent dire en peu de mots, nous nous en tiendrons là pour le moment, et nous allons continuer à narrer l'excellence de la vie et des vertus de Madame Sainte Claire.


Chapitre 7
Comment Madame- Sainte Claire se cloîtra au monastère de Saint-Damien.


Or il ne parut pas à la glorieuse vierge Claire que le monastère de Saint-Ange-in-Panzo fut ce quelle souhaitait. Son âme angélique n'y goûtait pas le parfait repos, car elle ne trouvait pas qu'il fut apte au service de Dieu, mi assez solitaire pour l'oraison. Son père saint François, pensant tout de même, vint avec plusieurs de ses saints compagnons l'en retirer pour la conduire en l'église de Saint-Damien afin qu'elle y demeurât. Là, comme en un port sûr et définitif, Claire jeta l'ancre, y enfermant toute son âme et décidée à ne jamais sortir pour quoi que ce fût. Son cœur ne fut effrayé ni par la solitude du lieu, ni par son austérité, ni par sa pauvreté; il était seulement embrasé de l'amour du divin époux Jésus-Christ ; pour Dieu elle s'enfermait volontairement en cet étroit refuge pareil à une prison. La très douce vierge était alors âgée de dix-huit ans environ ; c'était en l'an du Seigneur 1212, sous le pontificat d'Innocent III, en la sixième année de la vocation de saint François. C'est dans cette église de Saint-Damien que le séraphique François, priant un jour et regardant ardemment avec des yeux remplis de larmes le crucifix, mérita d'entendre la gracieuse voix de Jésus-Christ qui lui dit trois fois : « Va et répare ma maison qui, comme tu le vois, tombe en ruines. » C'est pour la réparation de cette église bénie que ce bienheureux donna ses fatigues et ses sueurs, après avoir offert au pauvre prêtre qui s'en occupait beaucoup d'argent, que celui-ci n'avait pas accepté par crainte du père de François. C'est en ce lieu que le mystique François, éclairé par l'Esprit-Saint, monta un jour sur un mur pendant qu'il réparait l'église et cria en français aux pauvres gens ses voisins: «— Venez et aidez-moi dans l'œuvre de Saint-Damien, car ici viendront beaucoup de saintes femmes qui glorifieront grandement le Père céleste par la perfection de leur vie. » Là aussi le très doux Saint s'était caché, jadis, pour fuir la colère paternelle. En ce pauvre lieu, pareil à une chartreuse bien loin des tempêtes du monde, Claire cela volontairement son corps pour l'amour de son divin époux. Elle peut véritablement être appelée colombe d'argent car, de même que la colombe bâtit son nid dans les murailles, ainsi Claire fit le sien entre les murs de cette pauvre petite église de Saint-Damien et elle y engendra à Dieu une nombreuse famille de vierges. Ainsi fut établi le premier monastère de l'ordre des Pauvres Dames. Claire courut la première dans la voie de la pénitence afin que toutes celles qui suivraient puissent marcher sur ses traces et vaincre comme elle le démon dans les combats contre le monde et la chair. En cet étroit refuge, elle vécut quarante-deux années, brisant sous de dures disciplines le fragile albâtre de son corps virginal. L'église de Dieu était remplie des suaves parfums qui émanaient d'une aussi bonne vie. On peut dire réellement que ce fut une vie glorieuse, lorsque l'on considère les âmes innombrables que la très pure vierge attira à Dieu par ses exemples.


Chapitre 8
Comment se répandit la bonne renommée de Madame Sainte Claire.


Or, il advint que la renommée de Madame Sainte Claire se répandit dans les pays avoisinants ; de toute part d'innombrables femmes, attirées par la bonne odeur de ses vertus, accouraient pour suivre ses traces, être instruites par ses paroles et contempler ses œuvres. Les jeunes filles voulaient, comme elle, garder leur virginité, les veuves allaient lui demander de partager sa vie. Les mariées se gardaient plus chastement. De grandes et nobles dames, méprisant leurs beaux palais, édifiaient de petits cloîtres et d'étroits monastères, répudiaient leur vie brillante, rejetaient leurs richesses et mettaient leur gloire et leur joie à vivre pour l'amour de Jésus-Christ dans la chasteté, les jeûnes et les veilles, macérant leur chair sous la haire et le cilice. Lorsque l'impétuosité et l'ardeur de la jeunesse troublaient ces âmes, elles s'inspiraient de l'exemple de la vierge Claire et sortaient victorieuses des combats charnels. Enfin, des gens mariés, d'un consentement mutuel se séparaient, les hommes pour entrer dans les ordres et les femmes dans un monastère. Les mères exhortaient leurs filles et les filles leur mère, à se vouer au service de Dieu, les sœurs leurs frères et les frères leurs sœurs. Tous, avec une sainte émulation, désiraient servir Jésus-Christ dans un amour fervent. Chacun voulait prendre part à l'angélique vie qui resplendissait dans le monastère de la très pure vierge Claire. D'innombrables jeunes filles qui avaient oui parler d'elle et ne pouvaient quitter le monde pour se faire religieuses, menaient dans la maison de leur père une vie honnête et recueillie. De sorte que Claire enfanta par ses saints exemples tant de fruits de salut qu'elle semblait réaliser cette parole du prophète : « Celle qui n'a pas de mari est devenue plus féconde que celle qui a un époux. »


Chapitre 9
Comment la renommée de Madame Sainte Claire parvint dans les pays lointains.


Pour que la source céleste d'eau vive que Dieu conduisait par sa grâce ne restât pas enclose dans une région aussi restreinte que la vallée de Spolète, la divine Providence la transforma en un fleuve impétueux qui se répandit par toute la terre, et dont le bruit réjouissait l'Église de Jésus-Christ. La nouvelle de si grandes merveilles atteignit en effet les provinces les plus éloignées et beaucoup d'âmes furent gagnées à Notre-Seigneur. Bien que Claire fût recluse en son couvent, la lumière et le rayonnement de sa vie pénétraient partout; sa renommée, semblable au soleil, illuminait le monde entier. Tous les empires et tous les royaumes entendirent parler de ses vertus, édifièrent des monastères. Sa réputation gagna les palais ducaux, les demeures des dames illustres; entra jusque dans les châteaux des reines. Des princesses de haut lignage, faisant taire la fierté de leur sang, s'abaissaient, pour suivre dans l'humilité les traces de la séraphique vierge. Elles transformaient leurs chambres luxueuses en cellules austères et leurs lits moelleux en couches dures, faites de pierres et de sarments; elles recouvraient leurs corps d'âpres cilices. Beaucoup de jeunes filles, même parmi celles qui pouvaient épouser des ducs ou des rois, éprises des vertus de Claire, choisissaient à son exemple une vie de dure pénitence. Celles qui étaient déjà mariées la suivaient selon leurs moyens. Alors, s'élevèrent de tous côtés, dans la montagne et dans la plaine, de célestes édifices qui abritèrent l'ordre des Pauvres Dames. Sous la conduite de la glorieuse sainte, le culte de la chasteté se propagea dans le monde. Cette floraison virginale qu'elle fit éclore embaumait l'Eglise d'un parfum très suave et l'on pouvait mettre sur les lèvres de Claire les paroles de Salomon dans le Cantique : « Entourez-moi de fleurs, environnez-moi de belles et suaves pommes parce que je languis d'amour. » Aujourd'hui l'Eglise est ornée et fleurie des ardeurs de sa virginité; aujourd'hui le grenier est rempli des fruits de sa chasteté et la vigne est travaillée parla sainte Humilité. Maintenant, revenons à notre sujet et regardons ce que fut sa vie.


Chapitre 10
De la sainte humilité qui fut en Madame Sainte Claire.


La dite vierge Claire, comprenant qu'aucun édifice ne se peut élever très haut sans de profondes et solides fondations, et sachant quelle était elle-même le fondement et la première pierre de son Ordre, résolut d'établir le précieux édifice des vertus qui s'y pratiqueraient sur la base très solide de la sainte humilité. Elle promit derechef à son père saint François, comme à Dieu et à la bienheureuse Vierge Marie, la parfaite obéissance à laquelle elle fut fidèle sans jamais dévier. Par humilité, elle résista trois ans aux prières de ses Soeurs et de saint François qui voulaient lui donner, malgré sa grande jeunesse, la charge et le titre d'Abbesse, car elle préférait obéir que commander, et demeurer parmi les servantes du Christ que d'être elle-même servie. Mais au bout de trois ans, contrainte par son séraphique père, elle inclina la tête avec une grande soumission, et, au nom de la sainte obéissance, accepta la charge d'Abbesse, ayant au cœur bien plus de crainte que de joie; il lui semblait que c'était une chaîne bien plutôt qu'une franchise, car une prélature lui paraissait chose vile comme tous les honneurs et, jugeant ne pas la mériter, elle la regardait comme périlleuse. Aussi la vit-on désormais toujours vêtue du plus pauvre habit, la première à servir les autres Sœurs. Si quelquefois elle s'apercevait que la tunique d'une religieuse était plus misérable ou plus rude que la sienne, en toute hâte, elle lui donnait la meilleure et prenait la plus grossière. Il n'y avait pas d'office si humble que la très pure vierge ne choisit pour se rendre utile : ainsi elle présentait fréquemment elle-même aux Sœurs l'eau à laver les mains. Elle restait debout quand les autres se mettaient à table et les servait pendant qu'elles mangeaient. Elle commandait avec grande peine et préférait exécuter toutes choses elle-même ; toutefois, quand il lui fallait ordonner, elle le faisait, doucement et humblement. La «séraphique Claire avait l'âme si noble et si forte qu'elle prodiguait aux malades, avec une humilité joyeuse et prévenante, les soins les plus bas, les lavant, nettoyant leurs lits, leurs vêtements, tout ce qui était nécessaire à leur usage. Elle balayait et lavait l'infirmerie sans se laisser rebuter par aucune ordure. La nuit, elle demeurait auprès des malades pour les soigner, et comme la charité l'accompagnait, en les secourant, elle les réconfortait. Quand les Sœurs rentraient du dehors, elle leur lavait les pieds et les baisait. Or, une fois, ayant lavé ceux de l'une des dites Sœurs, comme elle s'inclinait pour les baiser, celle-ci, prise de confusion, les retira vivement et, sans le vouloir, blessa les lèvres de sa très sainte Mère. A cette vue, la Sœur, tout en larmes et pleine de douleur, voulut se jeter à ses genoux pour lui demander pardon, mais l'humble servante du Christ, sa douce mère sainte Claire, l'en empêcha, la consola par de tendres paroles et, reprenant doucement son pied, le baisa très étroitement sous la plante.


Chapitre 11
De la vraie et sainte pauvreté de Madame Sainte Claire.


Le dénûment de toute chose renferme la pauvreté spirituelle qui est la vraie humilité. Aussi, dès le début de sa vocation, la bienheureuse Claire fit vendre les biens qu'elle tenait de son père par héritage, et, sans rien réserver ni pour elle ni pour son monastère, elle en distribua le prix aux misérables. Ses parents voulaient acheter les dits biens et en offraient plus d'argent que les autres, mais Claire, remplie du divin amour, désormais dénuée de tout, n'y voulut point consentir et ne leur vendit rien, de peur que les malheureux ne fussent lésés. Or donc, quand elle fut déchargée des choses terrestres, elle courut plus légère sur les pas de Jésus-Christ. Elle fit un pacte très doux avec la pauvreté et lui voua un tel amour qu'elle ne voulut rien autre pour elle et ses filles, hormis le doux et amoureux Jésus. Car il ne lui semblait pas possible qu'elles pussent jouir des pierres précieuses et des perles du paradis pour lesquelles elles avaient vendu et donné tout ce qu'elles possédaient, si elles retenaient des biens temporels, source de tant de remords. Elle leur répétait volontiers dans ses admonitions : « — Une compagnie de religieuses est plaisante à Notre-Seigneur quand il y trouve foison de pauvreté et elle ne demeure perpétuellement stable que si elle est fortifiée par la tour très haute de cette vertu. » A ses Sœurs d'autres couvents trop bien logées, elle recommandait de se conformer à la pauvreté de Jésus-Christ que sa mère mit vagir en une crèche, vrai lit de misère, dès qu'il fut né, et qui voulut mourir sur le lit encore plus pauvre de la croix. La pensée de cette vertu lui était si plaisante qu'elle en faisait comme un reliquaire d'or ciselé dont sa poitrine virginale était continuellement parée et qui tenait son cœur enfermé de telle sorte, qu'aucune poussière terrestre ne pouvait arriver jusqu'à son amour. Lorsqu'elle voulut obtenir un titre pour son Ordre, elle pria le pape Innocent III que ce fût celui de Pauvreté, ce dont le pape eut grande joie; et en entendant la sainte, en voyant une si grande ferveur dans cette vierge, il lui répondit que jamais, en aucun temps, la cour romaine n'avait ouï de tels propos, ni reçu demande de semblable privilège. Et pour témoigner son contentement, il écrivit le dit privilège de sa propre main. Or, il advint que le pape Grégoire IX, son successeur, dont les mérites étaient aussi grands que la fonction et qui aimait Madame Sainte Claire, comme un père son enfant, fut effrayé de l'étroitesse et de la sévérité de sa règle. Mû par sa paternelle affection, il dit bénignement à la très pure vierge qu'il voulait adoucir cette rigueur et insista beaucoup, ainsi que l'évêque d'Ostie, protecteur des Pauvres Dames, afin qu'elle consentît à accepter pour son Ordre quelques propriétés que lui-même lui donnerait, à cause de la difficulté de vivre en ces temps sans rien posséder. Mais Claire avait le cœur si fort qu'en aucune manière elle ne voulut céder, de sorte que le Saint-Père lui dit : « — Si tu crains d'accepter à cause de ton vœu de parfaite pauvreté, nous t'en relèverons. » Elle répondit humblement : « — Saint-Père, je ne crains pas pour mon vœu, je sais bien que vous pouvez m'en délier. De mes péchés, je vous prie, absolvez-moi, père très saint, mais je ne désire en aucune façon être dispensée de suivre les traces de mon Seigneur. » Ainsi donc, jamais le Souverain Pontife ni d'autres ne purent doter le monastère qui ne voulait rien posséder, car le privilège de la pauvreté qui lui avait été octroyé l'honorait et il le gardait précieusement. Et parce que la vierge de Dieu, Claire, pour l'amour de Jésus, avait rejeté les choses mortelles, il arriva que le Christ lui vint souvent en aide miraculeusement, ainsi qu'à ses Sœurs, dans les nécessités de la vie. Madame Sainte Claire recevait avec grande allégresse les reliefs et les miettes de pain que les Frères quêteurs lui apportaient: elle était contristée et presque courroucée lorsqu'on lui offrait des pains entiers. Parfois elle réprimandait celui qui les donnait, disant qu'elle préférait les croûtes et les débris, qu'avec un bon pain on était riche. Et que dirai-je de plus ? Elle s'efforçait de se conformer à Jésus-Christ, le pauvre crucifié, par un très parfait dénûment, et ne voulait point que les choses d'ici-bas pussent jamais la distraire de la parfaite imitation de son ami bien-aimé saint François, ou arrêter son vol vers le céleste époux de son âme, le Seigneur Jésus-Christ. Et voici maintenant deux miracles que fit cette amoureuse de la grande pauvreté.


Chapitre 12
Le miracle du pain que Madame Sainte Claire multiplia.


Un jour, à l'heure démanger, il n'y avait plus qu'un seul pain au moutier. Dans une telle détresse, la Sœur dépensière qui se nommait sœur Cécile, de Spello, recourut à sa sainte Mère. Celle-ci lui commanda de partager le pain en deux et d'en envoyer une moitié aux Frères, lesquels allaient au dehors pour les besoins des Pauvres Dames, puis de partager l'autre partie du pain en cinquante morceaux, suivant le nombre des Sœurs qui étaient au monastère, et de déposer sur la table du réfectoire la petite parcelle de chacune. La susdite dépensière répondit : « — O ma Mère, pour que je parvienne à couper cinquante morceaux dans une si petite quantité de pain, il serait nécessaire que Jésus-Christ refit un de ses anciens miracles. » La sainte Mère, avec une grande sécurité et une foi parfaite, répliqua: « — Va, ma fille, et fais en paix ce que je t'ai dit. » L'obéissante et humble Sœur se hâta d'obtempérer au commandement de sa très douce Mère. Celle-ci, dans son affection tendre et maternelle, recourut à son bien-aimé Jésus, le suppliant, avec de doux soupirs, de permettre que la quantité de pain se multipliât dans les mains de la dépensière qui le partageait. Et le pain augmenta en effet de telle façon que chacune en eut à satiété.

Suite

 



26/03/2009
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