Saint Simon Stock
Saint Simon Stock
Général des Carmes
1164-1265
Fête le 16 mai
Saint Simon Stock naquit d'une des plus illustres familles des barons d'Angleterre. Ses parents, non moins distingués par leur piété que par la noblesse de leur origine, obtinrent du ciel, par le mérite de leurs prières, la naissance d'un enfant de bénédiction. La Providence sembla, au reste, vouloir annoncer sa future grandeur en lui donnant dans le sein de sa mère un corps dont les proportions étaient telles, qu'il ne pouvait naturellement venir au monde sans faire perdre la vie à celle qui devait lui donner le jour. Cette pieuse femme, pleine de confiance dans la protection de la très Sainte Vierge, objet ordinaire de sa tendre dévotion et sa ressource dans ses peines, se sentit inspirée de se vouer, elle et son enfant, à la Reine des Anges, pour obtenir par son intercession une heureuse délivrance Bientôt le ciel fut propice aux vœux si ardents de cette mère désolée notre Saint, par le bienfait spécial d'une protection miraculeuse de la divine Marie, vint au monde sans aucun danger pour sa mère. Il naquit l'an 1164, en Angleterre, dans le comté de Kent, au château d'Harford, dont son père était gouverneur, et reçut sur les fonts de baptême le nom de Simon.
Dès le berceau, Simon eût pour la Mère de Dieu la plus tendre dévotion. Il l'exprimait à sa manière, par des signes et des impressions qui, dans un enfant encore à la mamelle, ne pouvaient avoir d'autre principe qu'un mouvement extraordinaire de l'Esprit de Dieu. Sa pieuse mère voulut elle-même lui servir de nourrice elle avait coutume, avant de l'allaiter, de réciter chaque fois à genoux la Salutation Angélique, par sentiment de reconnaissance envers la très Sainte Vierge, à. qui elle ne cessait d'offrir cet enfant chéri, comme l'ayant reçu du ciel par sa protection. Lorsque, par distraction, il lui arrivait d'oublier de s'acquitter de cette pratique de piété, elle trouvait une résistance invincible dans le jeune Simon, qui refusait constamment la mamelle de sa mère, jusqu'à ce qu'elle eût rendu à Marie son hommage accoutumé. Par un prodige semblable à celui qui est rapporté dans la vie du célèbre évêque de Myrrhe, Saint Nicolas, on dit que ce saint enfant s'abstenait de la mamelle de sa mère les jours du samedi et les veilles des fêtes de la très Sainte Vierge tout ce qui pouvait lui rappeler le souvenir de la Mère de Dieu, excitait en lui les saints transports de la joie la plus sensible. On le voyait souvent tressaillir entre les bras de sa mère, lorsqu'elle prononçait le doux nom de Marie; il suffisait de lui présenter une image de la très Sainte Vierge, pour apaiser aussitôt en lui les cris et les mouvements qui agitent ordinairement les enfants de cet âge, lorsqu'ils souffrent quelque douleur. Il n'avait pas encore un an, qu'on l'entendit articuler plusieurs fois distinctement la Salutation angélique avant d'être en état de l'apprendre.
Comme la grâce prévenait en tout, dans cet enfant de bénédiction, l'ordre et le développement de la nature, on eut peu de chose à faire pour son éducation. Il sut lire aussitôt qu'il sut parler, et dès lors, à l'exemple de ses pieux parents, il commença à réciter le Petit Office de la Sainte Vierge, ce qu'il continua tout le reste de sa vie. S'apercevant que son père lisait avec assiduité le Psautier, il lui fit de vives instances jusqu'à ce qu'il en eût obtenu un exemplaire pour son usage journalier. L'empressement avec lequel il lisait ce saint livre, prouva que ce n'était pas le fruit d'une curiosité enfantine, mais plutôt une inspiration du ciel. Notre Saint était si pénétré de ce qu'il lisait, quoiqu'il ne connût pas encore la langue latine, son cœur était tellement embrasé du feu de l'amour sacré que respire de toutes parts ce livre inspiré, qu'on le voyait, après chaque lecture, comme ravi en extase. Il le lisait tous les jours et plusieurs fois le jour, mais à genoux, par respect pour la parole de Dieu, toujours avec un nouveau goût et avec des dehors de piété qui exprimaient ce que son cœur sentait, et par suite ravissait d'admiration les assistants. Ce prodige de grâce et de lumière, dans un enfant de six ans, devint un sujet d'étonnement et de respect pour tous ceux qui le connaissaient et chacun, à la vue de ces merveilles dont ils étaient témoins, se demandait mutuellement, comme autrefois les habitants de la Judée en voyant saint Jean-Baptiste : « Que pensez-vous que sera cet enfant ? »
Le père de Simon Stock voulut diriger lui-même les premières études de son fils. Mais l'enfant, par sa pénétration, se montra bientôt capable de suivre des cours plus élevés; on crut devoir lui faire continuer ses études au Collège d'Oxford. Simon Stock avait à peine atteint l'âge de sept ans il s'appliqua d'abord à l'étude des belles-lettres avec un tel succès qu'il étonna tous ceux qui en furent témoins. Notre Saint fut savant à un âge où les enfants commencent à étudier. Malgré tous ses succès, la science des saints fut toujours beaucoup plus du goût de Simon Stock que la science des hommes. Ses directeurs crurent devoir l'admettre à la participation des Sacrements, dans un âge où le commun des enfants discerne à peine le bien d'avec le mal. A mesure qu'il avançait dans la connaissance de l'amour de Dieu, sa tendre dévotion envers la très Sainte Vierge se perfectionnait et prenait de nouveaux accroissements. Un jour, lisant un traité de l'Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge, il conçut tant d'estime, tant d'amour pour cette parfaite pureté que l'Eglise honore dans Marie, que, poussé par une sainte inspiration du ciel et pressé d'un ardent désir d'avoir quelque ressemblance avec la plus pure des vierges, qu'il regarda toujours comme sa mère, il consacra à Dieu sa virginité. La crainte de souiller la pureté de son âme et de son corps lui faisait éviter avec le plus grand soin les moindres occasions, et même jusqu'aux apparences du péché. Non-seulement il veillait exactement sur tous ses sens, faisant sans cesse comme Job, un pacte avec ses yeux, pour ne jamais fixer ses regards sur un objet dangereux; mais encore il portait la délicatesse de conscience jusqu'à s'interdire toute familiarité même avec les enfants de son âge. Lorsque, dans ses repas, il pouvait échapper à la vigilance de ses parents, des herbes crues, des salades sans apprêt, des légumes, des fruits les plus grossiers avec le pain et l'eau, pris avec mesure, faisaient le plus souvent toute sa nourriture. Si quelquefois il était surpris dans ces pratiques austères, il couvrait sa pénitence du prétexte spécieux que cette sorte de nourriture était plus analogue à son goût et à son tempérament.
Notre Saint ne tarda point toutefois à éprouver, comme un nouveau Joseph, les funestes effets de la jalousie de son frère aîné, qui, épris de l'amour du monde et peu docile aux sages conseils de ses parents, ne voyait qu'avec peine et chagrin l'estime particulière qu'ils avaient pour Simon; il n'entendait qu'avec dépit les éloges que l'on prodiguait de toutes parts cet enfant de bénédiction. Le contraste frappant de la vie mondaine et dissipée du jeune seigneur, avec la vie retirée et la pureté de mœurs de son frère, attirait souvent au premier de durs reproches la vertu, la sainteté du jeune Simon devenait la censure muette et la condamnation de ses désordres il résolut sa perte. D'abord tout fut mis en œuvre pour corrompre l'innocence de cet ange incarné. Mais s'apercevant bientôt qu'il ne gagnerait rien ni sur l'esprit ni sur le coeur de son frère, par les pièges qu'il tendait à son innocence, il eut recours aux efforts de la malice la plus infernale, et suscita une espèce de persécution qui mit sa fidélité à Dieu aux plus rudes épreuves. Tantôt il s'étudiait le tracasser durant ses exercices de piété, tantôt il affectait de jeter du ridicule sur sa manière de pratiquer la vertu, s'efforçant quelquefois de la rendre suspecte à ses parents, osant même taxer de singularité et d'illusion les grâces et les faveurs qu'il recevait du ciel. Il passa enfin des reproches et des calomnies au mépris, à des outrages il alla même jusqu'à le maltraiter. Dieu le permettait ainsi pour faire éclater davantage la vertu extraordinaire de cette jeune plante qui devait fleurir plus tard dans le jardin du Carmel. Redoutant les pièges que tendait déjà à son innocence le monde séducteur, Simon de Stock se sentit fortement inspiré d'abandonner la maison paternelle pour chercher son salut dans quelque solitude écartée. Encouragé, confirmé dans sa résolution par une voix intérieure, qui lui rendait témoignage que désormais Marie lui servirait de mère et de guide dans ce nouveau genre de vie auquel ciel l'appelait, Simon Stock quitta sans regret tous les avantages auxquels il pouvait prétendre dans le monde pour se retirer dans une affreuse solitude où Dieu lui avait préparé une demeure.
Lorsque Simon de Stock dirigea ses pas vers cette solitude projetée, il était à peine âgé de douze ans. Ce fut dans une vaste forêt appartenant aux seigneurs de Toubersville, située dans le comté de Kent, au voisinage d'Oxford, qu'il choisit le lieu de sa retraite. Ayant rencontré dans son chemin un arbre d'une grosseur prodigieuse, dont la cavité lui offrait un asile, il y chercha sa demeure ordinaire, et s'en servit pour se mettre à l'abri des injures de l'air et de la rigueur des saisons. Le creux de cet arbre fut son oratoire il l'orna d'un crucifix et d'une image de la très Sainte Vierge, seuls objets qu'il eût apportés de la maison paternelle avec le Psautier, son livre favori, qui lui servit à chanter dans son désert les louanges du Seigneur et à réciter chaque jour, selon son habitude, le Petit Office en l'honneur de Marie. Enfoncé dans le secret de son désert, le plus souvent caché et comme enseveli dans le creux de l'arbre qui lui servait de retraite, Simon Stock semblait avoir oublié qu'il était revêtu d'un corps mortel et sujet, comme le reste des hommes, aux besoins de la vie. Des herbes crues,.des racines amères, des fruits sauvages que produisait son désert, et l'eau qui y coulait, le tout pris avec mesure après un jeûne des plus rigoureux, voilà quelle était toute sa nourriture. Mais le ciel, attentif aux besoins de son serviteur, tempéra dans la suite cette austérité par le secours de quelques morceaux de pain, qu'un chien, conduit par un instinct miraculeux, lui apportait de temps en temps dans sa retraite, comme faisait autrefois le corbeau que Dieu envoya au saint prophète Elie, pour le nourrir dans sa solitude. Mais le bonheur de cet ange du désert excita bientôt la jalousie de Satan. L'orage de la tentation éclata de toute part; sa conscience alarmée reprochait sans cesse à Simon son départ, comme une imprudence qui pourrait donner lieu. à des soupçons injurieux, peut-être même à des accusations funestes contre son frère à qui on ne manquerait pas d'imputer d'avoir attenté à sa vie, à raison de la cruelle jalousie qu'il avait conçue contre lui. 11 se croyait déjà responsable des rigueurs dont serait capable le courroux de ses parents contre un fils dénaturé, qu'ils regarderaient désormais dans la famille comme un nouveau Caïn et contre tous ceux qui seraient soupçonnés d'être ses complices.
Notre saint triompha de ces premiers artifices de l'ennemi du salut. Satan a recours à de nouveaux stratagèmes il ajoute à des réflexions artificieuses les prestiges les plus frappants. Il affecte pour ainsi dire de telle sorte l'imagination de Simon Stock, et tous ses sens, qu'il lui semble voir et entendre dans son désert sa mère éplorée, lui tenant des propos analogues aux pensées qui agitent son esprit. Ce second artifice fit d'abord la plus vive impression sur l'esprit de Simon Stock. Son cœur fut tellement attendri, qu'il se vit sur le point de succomber à la tentation, trompé qu'il était par les prestiges du tentateur c'est ainsi qu'il l'a déclaré lui-même, dans la suite, à quelques-uns des religieux Carmes il les assurait que, dans cette rencontre, il n'avait échappé à la séduction que par une assistance spéciale de la très Sainte Vierge, qui lui découvrit les pièges que le démon tendait à sa faiblesse et l'en délivra par sa puissante protection. L'esprit superbe redoubla ses efforts il se transforma encore en ange de lumière Simon est livré par l'ennemi du salut à des peines d'esprit, de violents scrupules, de cruels remords, sur les dangers de cette voie extraordinaire dans laquelle il marche, privé qu'il est de la grâce des sacrements, dépourvu de tous les moyens que l'Eglise prodigue sans cesse aux Mêles, tous les jours exposé à mourir dans cette affreuse solitude, sans secours et sans consolations. L'exemple de tant de saints solitaires que Dieu a conduits par la même voie, ranime sa confiance le souvenir des grâces dont le ciel l'a favorisé, pour le confirmer dans sa résolution, le rassure. Tant de fois vaincu, confus de sa défaite, Satan l'attaque de front.
Le souvenir des conversations libres qu'il avait entendues dans la maison paternelle, de la bouche de son frère jaloux de sa vertu l'idée dangereuse des manœuvres dont ce jeune libertin s'était servi pour le séduire les mauvaises pensées, les images infâmes de la volupté criminelle qu'il avait voulu lui inspirer, tout se retrace, tout se présente à son esprit, et tout ce que l'impureté a de plus attrayant attaque son cœur. Ces pensées importunes le suivent partout, son imagination s'échauffe, ses sens sont émus, son âme est troublée. En proie à de violentes tentations, malgré les horreurs de son désert et les saintes rigueurs de la vie la plus austère, Simon Stock se croit déjà coupable. Saintement effrayé des apparences du mal dont il se voit comme environné, il s'empresse de venger sur son corps innocent un péché dont Dieu ne vit jamais en lui la moindre tache. Il déchire sa chair virginale avec de piquantes épines il revêt son corps d'un tissu de ronces et d'orties, pour émousser l'aiguillon de la chair et se défendre, par cette espèce d'armure, des traits enflammés de l'esprit impur. Dans cet état, victime de l'amour de la pureté, Simon Stock ne cesse d'invoquer le saint nom de Marie c'est par la vertu toute puissante de ce nom redoutable à tout l'enfer, qu'il fut, nous dit-il lui-même, délivré de ces horribles tentations c'est par ce moyen qu'il sortit victorieux des combats que le démon lui livra dans son désert. Etranger sur la terre, notre saint vivait avec Dieu seul, dans le détachement le plus universel, le plus parfait et même dans l'oubli de toute créature. Quelques auteurs nous disent que les anges se plaisaient en sa compagnie, et charmaient par leur présence les horreurs de son désert. Il y jouissait, nous dit la Légende de son Office, avec d'autant plus d'abondance, des délices de l'esprit et des douceurs de la grâce, parmi ses fréquentes communications avec Dieu et les esprits célestes, qu'il était entièrement mort à toutes les consolations de la terre et séparé de tout commerce avec le reste des mortels.
C'est dans le moment où Simon Stock recevait le plus de grâces et de faveurs célestes que la Sainte Vierge la favorisa, dans son désert, d'une apparition et dans une révélation expresse lui apprit, de sa bouche sacrée, que Dieu, content des pénitences de sa solitude, voulait qu'il achevât l'ouvrage de sa sanctification en s'unissant aux religieux Carmes et en embrassant leur règle, lorsqu'ils passeraient de la Palestine en Angleterre, pour y fonder des monastères. Mais cette bonne Mère lui dit également qu'il aurait à supporter toutes les contradictions auxquelles l'Ordre des Carmes serait en butte sous sa conduite. Vingt ans s'étaient écoulés parmi les consolations et les rigueurs du désert, lorsque Simon de Stock reçut du ciel, par l'entremise de la divine Marie, des ordres pour ainsi dire formels de quitter sa solitude, pour se mettre en état de remplir les vues de la Providence sur lui, selon le plan que lui en avait tracé la très Sainte Vierge elle-même. Malgré son grand attrait pour la retraite, il obéit à la voix du ciel et revint à Oxford, chez ses parents, reprendre le cours de ses études. Il étudia la théologie avec un soin tout particulier, afin d'être un jour en état de remplir le ministère auquel Dieu le destinait. Aussitôt après son ordination, à laquelle il consentit pour se conformer aux ordres du ciel, il revint de nouveau dans son désert; il ne le quitta entièrement qu'en l'année 1212, c'est-à-dire quinze ans après la révélation que lui fit la très Sainte Vierge, au sujet de l'arrivée des Carmes de la Palestine en Angleterre, pour y fonder des monastères de leur Ordre.
Pendant ce temps, il paraissait quelquefois aux environs d'Oxford, pour instruire les ignorants, réprimer le vice par la force de ses prédications, éclairant les uns par les lumières de sa doctrine toute céleste, animant les autres à l'amour de la vertu par l'exemple de sa vie, travaillant efficacement à la conversion de tous les pécheurs et préparant les voies du Seigneur par les premiers efforts de son zèle. Le différend qui s'éleva, l'an 1207, entre le pape Innocent III et le roi d'Angleterre, dit Jean sans Terre, à l'occasion de l'élection de l'archevêque de Canterbury, devint la source, funeste des plus grands maux pour l'Eglise et pour ce royaume. Les mécontentements que le Pape reçut du roi à ce sujet l'ayant obligé de jeter un interdit général sur toute l'Angleterre, les suites de cet événement portant de toute part le trouble et la désolation, excitèrent le zèle de Simon Stock. Pour donner plus d'efficacité aux prières qu'il adressait au ciel pour la conversion du roi d'Angleterre, notre Saint intéresse la très Sainte Vierge, sa médiatrice, son refuge ordinaire dans les calamités de la vie il lui adresse les vœux de tous ceux qui sont l'objet de sa charité, par une prière courte, mais énergique, qui commence par ces mots « Alma Redemptoris Mater », que quelques auteurs lui attribuent et qu'il paraît avoir composée à cette occasion. Cette prière, dictée par l'esprit de componction, soutenue de la plus vive confiance dans la puissante protection de la Mère de Dieu, eut tout l'effet désiré, récitée qu'elle était avec ferveur par notre Saint et par ceux qu'il avait engagés à se joindre à lui. La colère du ciel se laissant fléchir par les gémissements de l'ardente charité du serviteur de Dieu et par les sentiments de pénitence de ce peuple affligé lorsque toutes choses étaient dans la confusion et dans l'agitation la plus violente, à la cour et parmi le peuple lorsque tout semblait désespéré et qu'il ne paraissait aucune voie d'accommodement, les parties intéressées par des injures réciproques y mettant les plus grands obstacles, lorsqu'on y pensait le moins et que le feu de la guerre s'allumait de toute part, on vit arriver en Angleterre le Légat Pandolfe, envoyé par le Pape Innocent III, pour négocier avec le roi Jean la paix si ardemment désirée. Celui qui tient en main les cœurs des rois, changea tout à coup celui de ce malheureux prince; il se convertit et accepte sans délai toutes les conditions de paix qu'on lui propose.
Tandis que Simon de Stock s'occupait pendant l'interdit à l'ouvre de Dieu, il apprend l'arrivée de deux seigneurs anglais qui, revenant de la croisade, amenèrent avec eux quelques ermites du Mont-Carmel, avec l'intention de leur bâtir un monastère en Angleterre et commencer ainsi leur première fondation dans ce royaume. A cette heureuse nouvelle, notre Saint, qui, d'après l'avertissement de la très Sainte Vierge, les attendait dans un esprit prophétique depuis quinze ans, se hâta d'obéir aux ordres du ciel, en entrant dans l'Ordre des Carmes. Mais, les divisions entre le roi et les seigneurs du royaume, les troubles qui agitèrent encore longtemps l'Angleterre après la levée de l'interdit, empêchèrent alors la fondation projetée (1212) En attendant un temps plus favorable, un de ces pieux solitaires du Mont-Carmel, nommé Raoul Fresburn, Anglais de nation, qui avait encore à sa disposition de grands biens en Angleterre, en employa une partie, de l'avis de Simon de Stock, à former une Solitude dans une forêt de Aylesford au comté de Kent. C'est dans ce lieu que notre Saint se retira, aussitôt que les cellules furent bâties c'est là qu'il reçut l'habit de l'Ordre des mains du bienheureux Alain, alors Prieur de cette solitude. A peine eut-on appris à Oxford l'engagement religieux de notre Saint, que l'Université de cette ville, parfaitement instruite des talents et du rare mérite de Simon de Stock, fit de vives instances auprès des supérieurs de notre Religieux, afin de vaincre la répugnance extrême qu'il avait de paraître au milieu des docteurs mais il se vit obligé de sacrifier l'humilité à l'obéissance. Simon parut de nouveau au collège d'Oxford, et aussitôt on lui décerna le titre de docteur en théologie; son humilité, toujours ingénieuse à se cacher, toujours attentive à se dérober à l'éclat des honneurs, obtint par des instances auprès de son supérieur qu'il lui fût permis de se borner au grade de bachelier en théologie, et aussitôt après il se retira dans sa solitude. Dans l'appréhension qu'on ne fît encore violence à son humilité, et, son attrait pour la vie solitaire le portant sans cesse à s'éloigner de tout ce qui pouvait l'en distraire, il profita d'une occasion favorable que lui présenta la fondation d'une nouvelle solitude au désert de Norwich, dans le pays de Northumberland, par les soins et le zèle du R. P. Raoul Fresburn, qui en fut élu prieur. Aussitôt que cette solitude fut en état de recevoir quelques religieux, Simon Stock, du consentement de son supérieur, s'y retira avec deux ou trois autres solitaires venus du Mont-Carmel.
Saint Brocard, second général latin de l'Ordre des Carmes étant informé des merveilles que la grâce opérait parmi les solitaires de Norwich, et surtout de la ferveur de Simon Stock, voulut l'avoir pour coadjuteur dans le gouvernement de l'Ordre (an 1215). En conséquence, saint Brocard, de l'avis du Chapitre général, nomma Simon de Stock son vicaire, dans toute l'Europe, pour y tenir sa place dans le gouvernement des religieux mais les maisons des Carmes s'étant multipliées en très-peu de temps, donnèrent de l'ombrage au clergé et occasionnèrent bientôt une persécution ouverte qui faillit tout renverser. Satan, jaloux de la piété des Carmes et redoutant les grands avantages que l'Eglise pouvait retirer dans la suite de ces nouveaux établissements, pour le salut et l'éducation de ses enfants, suscita de toute part, contre le Carmel, des hommes animés d'un zèle indiscret qui, faute d'examen, et sous prétexte d'attachement aux lois de l'Eglise, prétendirent que l'on devait supprimer, comme contraire aux décrets du quatrième concile de Latran et attaquer jusque dans ses racines, soit en Orient, soit en Occident, l'Ordre des Carmes, comme un Ordre nouvellement institué et sans règle approuvée par l'Eglise, quoique ces prétentions fussent démenties par des couvents, déjà très-anciens, même en Europe. En pasteur sage, vigilant et fidèle, Simon s'empresse de mettre les enfants de Marie à l'abri des entreprises injustes de ceux qui les persécutent. Le Carmel, par son ordre, réuni dans un même esprit, offre d'abord à Dieu, avant toutes choses, de ferventes prières, pour implorer dans la détresse le secours du ciel et bientôt le ciel se laisse toucher par les larmes et les gémissements de ses enfants; Marie elle-même prend leur défense. Simon Stock envoie des messagers au Pape Honoré III, afin de l'instruire de l'injuste persécution qu'éprouve l'Ordre des Carmes; ce souverain Pontife, après un accueil des plus favorables, évoque à son tribunal la querelle suscitée par leurs adversaires. Il remet aussitôt cette affaire à l'examen de deux commissaires, qui, d'abord séduits parles artifices du démon, intéressés par les manœuvres de quelques membres du clergé, donnèrent occasion, par des délais affectés, à de nouvelles attaques. Mais Honoré III, éclairé d'en haut par une vision miraculeuse, déclare avoir reçu l'ordre de la très Sainte Vierge d'approuver la Règle des Carmes, de confirmer leur Ordre et de les protéger contre les entreprises de leurs adversaires. Convaincu par lui-même de la bonté d'une cause que la Mère de Dieu favorise d'une manière aussi visible, il se hâte d'exécuter les ordres du ciel, par une bulle expresse, dans laquelle il déclare légitime et conforme aux décrets du concile de Latran, l'existence légale, dans l'Eglise, de l'Ordre des Carmes, et les autorise à continuer leurs fondations en Europe. A la réception de cette bulle, les chefs du parti furent humiliés et, selon une ancienne tradition, punis du ciel par un événement tragique. Après une victoire aussi miraculeuse, remportée par le zèle de Simon de Stock sur ses ennemis ligués contre le Carmel, notre saint général, voulant transmettre à la postérité ce miracle authentique de la protection de la très-sainte Vierge en faveur des Carmes, et perpétuer la reconnaissance de ses enfants, établit alors la fête de la Commémoration de la Très Sainte Vierge, que tout l'Ordre célèbre chaque année, le 16 juillet, jour auquel a été fixée plus tard, par l'Eglise, la fête de la Confrérie du Saint Scapulaire.
Cependant le moment semblait arrivé où l'Ordre des Carmes, conformément à la révélation de la sainte Vierge, faite à saint Cyrille, quelques années auparavant, allait être entièrement arraché de la Terre-Sainte, pour être transporté dans des contrées plus favorables. En conséquence, notre Saint reçut l'ordre du bienheureux Alain, alors général des Carmes, de se rendre sur le Mont-Carmel pour y assister au Chapitre général convoqué à l'effet de remédier aux dommages que l'Ordre avait soufferts dans tout l'Orient, par le massacre de ceux qui avaient été immolés par ]e glaive des infidèles. Après une heureuse navigation, il arrive au pied du Mont-Carmel; il envisage avec la joie la plus vive cette sainte montagne où le transportaient depuis longtemps ses vœux et ses désirs. Le Chapitre général de l'Ordre se réunit, et là on mit en délibération l'affaire de l'émigration générale des Frères en Europe. Quelques-uns soutenaient que dans les circonstances présentes, aucun d'eux ne pouvait en conscience quitter la Terre-Sainte, et qu'on ne pouvait même, sans faire tort à la religion, leur permettre de se retirer ailleurs et y fixer leur demeure, enfin qu'ils ne devaient pas éviter la persécution à laquelle le reste des chrétiens qui habitaient la Palestine étaient exposés. Simon de Stock fait sentir tous les inconvénients de l'avis proposé et la nécessité indispensable de suivre le sentiment contraire, fondé sur les règles de la prudence chrétienne. Il déclare que c'est une conduite louable de fuir la persécution, de peur de perdre la foi, et un très-grand mal d'exposer sa foi au danger de la persécution, sans un ordre exprès du ciel, selon cette maxime de l’Évangile : « Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans l'autre ». La dispersion générale fut décidée. Bientôt il n'y eut plus de sûreté ni sur terre ni sur mer; les Sarrasins jetèrent partout la terreur et l'effroi, par les cruautés qu'ils exerçaient contre les chrétiens. Plusieurs religieux, sur le Carmel et ailleurs, périrent sous le glaive pour le nom de Jésus-Christ; ceux qui échappèrent à la cruauté de ces barbares se réfugièrent dans la ville de Ptolémaïde où l'armée chrétienne avait réuni toutes ses forces. Simon Stock, par une conduite particulière de la divine Providence qui le destinait à un autre genre de martyre, se trouva heureusement du nombre des refuges.
Peu de temps après, les sources d'eaux de Ptolémaïde ayant été empoisonnées par la malice des infidèles, l'armée chrétienne, avec les habitants de cette ville et tous ceux qui s'y étaient réfugiés se virent sur le point de périr mais le ciel veillant partout à la conservation du nom chrétien, inspira aux chefs de l'armée de donner à Simon Stock et à ses religieux un corps de troupes pour les ramener et les protéger sur le Mont-Carmel, dans l'espérance de trouver une ressource efficace dans les eaux de la fontaine d'Elie, qui, selon une ancienne tradition du pays, tarissait, par un miracle du ciel, toutes les fois que les religieux étaient forcés, par la violence des infidèles, de quitter cette sainte montagne, et, par un nouveau miracle, laissait couler ses eaux en abondance à leur retour, aussitôt qu'ils s'étaient mis en prières. Le miracle eut lieu en effet, au grand contentement de l'armée chrétienne, qui par ce secours tout divin reprit ses forces et se vit bientôt en état de résister à ses ennemis. Après cette merveille, dont Simon Stock fut le témoin et le coopérateur, par la ferveur de ses prières, le Carmel, protégé qu'il était par l'armée chrétienne, recouvra aussitôt sa tranquillité, et notre saint en profita pour y prolonger son séjour car il ne pouvait alors s'exposer en mer, à cause de la persécution des infidèles. En attendant un temps. plus favorable pour s'embarquer, il se livra entièrement selon son attrait aux douceurs de la contemplation. Attira par un mouvement de l'Esprit de Dieu, il se renferma seul dans un grotte du Mont-Carmel, où, selon une constante tradition, rapportée par plusieurs auteurs, il mena, durant l'espace de six ans, une vie toute angélique, sans aucune espèce de communication avec le reste des mortels, n'ayant de conversation qu'avec Dieu, et souvent favorisé des apparitions de la très Sainte Vierge, qui chaque jour le nourrissait d'une, manne miraculeuse apportée du ciel.
Le temps marqué par les décrets de la Divine Providence touchait à ses termes, et Dieu voulait accomplir, par le ministère de Simon Stock, le grand ouvrage de la propagation de l'Ordre des Carmes. en Europe. Il y avait six ans que notre Saint menait une vie d'anachorète sur le Carmel, lorsqu'il apprit que quelques seigneurs anglais, après avoir accompli le voeu de servir en Terre-Sainte, se disposaient à faire voile pour l'Angleterre. Conduits par la main de Dieu, ils vinrent lui proposer de le recevoir sur leur bord avec tous les religieux qui voudraient le suivre il accepta leur offre. Alors, le Bienheureux Alain, général de l'Ordre, ne voyant presque plus de ressource. pour se maintenir dans la Terre-Sainte et sans espérance de pouvoir rétablir la plupart des monastères, déjà ravagés par les infidèles, dans la Palestine, donna un libre cours à l'émigration des religieux déjà commencée. Après avoir pourvu à la sûreté et à la tranquillité de ceux qui voulurent demeurer en Palestine, en leur laissant le Père Hilarion comme vicaire, il s'embarqua avec on grand nombre de religieux parmi lesquels se trouvait Simon Stock. Malgré les dangers d'une mer pleine d'écueils et les continuelles attaques des infidèles ils abordèrent heureusement en Angleterre, d'où cette religieuse colonie venue du Carmel se dispersa dans, les différentes solitudes et monastères déjà fondés dans ce pays. Le général, suivi de Simon de Stock, se retira au monastère de Aylesford, l'un des plus grands des deux monastères nouvellement bâtis par les pieuses libéralités de quelques anglais. Instruit des progrès de l'Ordre en Europe, depuis l'émigration générale des religieux, le Bienheureux Alain, après avoir examiné l'état actuel des affaires de l'Ordre, forma dès lors le dessein de laisser à Simon de Stock le soin de terminer une entreprise dont les heureux commencements et le progrès pour ainsi dire miraculeux annonçaient de toutes parts son habileté pour le gouvernement. Il convoqua, en conséquence, le Chapitre général de son Ordre, l'année suivante (1245) c'est le premier qui ait été tenu en Europe. Cette assemblée respectable, composée de tous les supérieurs de l'Ordre, ayant appris le dessein du général, l'adopta sans peine, et après avoir reçu sa démission, élurent d'une voix unanime Simon Stock général de l'Ordre. Notre Saint avait alors quatre-vingts ans. Sous le gouvernement de Simon Stock, l'Ordre reçut un accroissement considérable, et un grand nombre de fondations eurent lieu en France. Elles s'y multipliaient, grâce surtout l'estime que le roi saint Louis témoignait aux religieux depuis qu'il les avait connus en Terre-Sainte. Le pieux monarque avait été si frappé de la vie angélique que les solitaires menaient au Carmel, où il les visita, qu'il s'empressa de faire un riche présent à la France en y propageant les religieux Carmes qu'il y avait amenés.
La paix dont jouissait le Carmel ne fut pas d'abord universelle, protégé qu'il était par le Saint-Siège, et malgré le zèle de Simon Stock. Depuis deux ans, l'Ordre des Carmes avait été solennellement reconnu Ordre Mendiant, mais cette reconnaissance n'avait nullement arrêté la fougue de ses ennemis. Aux religieux des autres Ordres s'étaient joints les prêtres séculiers et à tout prix on réclamait la suppression de ces orientaux, aux usages inconnus jusqu'alors, aux prétentions trop belles pour qu'on ne leur en, fit pas un crime. Malgré son abandon filial aux décrets de la Providence, Simon ne cessait de répandre sa douleur aux pieds de Marie. A cet effet, il composa l'antienne Flos Carmeli, qu'il récitait tous les jours, et dont voici un extrait : « Fleur du Carmel, Vigne odoriférante, Splendeur des cieux, Vierge Mère étonnante, Douce Etoile des mers; ô lys sans tache et plus pur que la neige, donne au Carmel un nouveau privilège Calme tes flots amers ». Après quelques années de supplications et de prières, de soupirs et de larmes, il a la consolation d'être exaucé d'une manière surprenante sa prière, comme celle du Prophète Elie, ouvre les cieux et en fait descendre la Reine des anges. Marie signale, dans une célèbre vision, sa bonté et sa puissance en faveur de Simon Stock elle vient à son secours par le bienfait singulier d'un scapulaire miraculeux qu'elle lui donne comme un signe de sa protection; signe précieux qui, depuis plusieurs siècles a été jusqu'à nous une source des plus grandes merveilles et de toutes sortes de bénédictions, soit en faveur du Carmel, soit en faveur de ceux qui en sont revêtus. Laissons parler le Père Pierre Swayngton, compagnon, secrétaire et confesseur du Saint. « Le Bienheureux Simon, dit-il, cassé de vieillesse, affaibli par l'austérité de sa vie pénitente, passait très-souvent les nuits en prières, gémissant dans son cœur des maux dont ses frères étaient affligés. Il arriva qu'un jour étant en prières, il fut comblé d'une consolation céleste, dont il nous fit part, en communauté, comme il suit : « Mes très chers frères, Béni soit Dieu, qui n'a pas abandonné ceux qui mettent en lui leur confiance et qui n'a pas méprisé les prières de ses serviteurs. Bénie soit la, très Sainte Mère de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, se ressouvenant des anciens jours et des tribulations dont le, poids a paru trop lourd et trop accablant à quelques-uns d'entre vous (ne faisant pas assez d'attention que ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, doivent s'attendre à souffrir la persécution), vous adresse aujourd'hui, par mon ministère, des paroles de consolation, que vous devez recevoir dans la joie du Saint-Esprit. Je prie cet Esprit de vérité qu'il dirige ma langue, afin que je parle convenablement, et que je manifeste avec la plus exacte fidélité l'oeuvre de Dieu, et la faveur que nous avons reçue du ciel. Lorsque j'épanchais mon âme en la présence du Seigneur, moi qui ne suis que cendre et poussière, et que je priais avec toute confiance la Vierge sainte, ma Souveraine, que puisqu'elle avait daigné nous honorer du titre spécial de Frères de la Bienheureuse Vierge Marie elle voulût aussi se montrer notre Mère, notre protectrice, en nous délivrant de nos calamités, et en nous procurant de la considération et de l'estime, par quelque marque sensible de sa bienveillance, auprès de ceux qui nous persécutaient, lorsque je lui disais avec de tendres soupirs : « Fleur du Carmel, Vigne fleurie, splendeur du Ciel, ô Mère Vierge incomparable ô Mère aimable et toujours Vierge, donnez aux Carmes des privilèges de protection, Astre des mers » ; la Bienheureuse Vierge m'apparut en grand cortège, et tenant en main l'habit de l'Ordre, elle me dit : « Reçois, mon cher fils, ce scapulaire de ton Ordre, comme le signe distinctif et la marque du privilège que j'ai obtenu pour toi et les enfants du Carmel c'est un signe de salut, une sauvegarde dans les périls et le gage d'une paix et d'une protection spéciale jusqu'à la fin des siècles. Ecce signum salutis, salus in periculis. Celui qui mourra revêtu de cet habit sera préservé des feux éternels ». Et comme la glorieuse présence de la Vierge sainte me réjouissait au-delà de tout ce qu'on peut se figurer, et que je ne pouvais, misérable que je suis, soutenir la vue de sa majesté, elle me dit, en disparaissant, que je n'avais qu'à envoyer une députation au pape Innocent, le vicaire de son Fils, et qu'il ne manquerait pas d'apporter des remèdes à nos maux ». (16 juillet 1251).
Quelque magnifique que fût la première promesse, ce n'était encore là qu'une partie de ce que Saint Simon avait demandé. Pour l'exaucer pleinement, la sainte Vierge fit une seconde promesse en faveur des religieux Carmes, et des confrères du Scapulaire, et ce fut cette fois au pape Jean XXII. Ce souverain Pontife, voyant que l'empereur Louis V de Bavière travaillait de longue main à introduire le schisme dans ses Etats, en fut très affligé il adressa, avec plus de ferveur que jamais, des prières au Seigneur, pour qu'il voulût détourner les maux dont l'Eglise était menacée. Un jour, s'étant levé de grand matin pour faire oraison, selon sa coutume, et sa trouvant à genoux dans une sorte d'extase, la Reine des cieux, consolatrice des affligés, lui apparut, entourée de lumière, portant l'habit des Carmes, et lui ordonna de confirmer l'Ordre du Carmel, d'accepter et de ratifier, sur la terre, les grâces et les privilèges que son Fils lui avait accordés dans le ciel. Le Pape, obéissant aux ordres de la sainte Vierge, expédia, le 3 mars 1322, la bulle, dite Sabbatine, aux termes de laquelle la sainte Vierge s'engage à délivrer du purgatoire les enfants du Carmel le samedi qui suivra leur mort.
Reprenons notre récit L'apparition de la sainte Vierge à Simon Stock fut bientôt publiée partout où les Carmes étaient déjà établis. Elle devint authentique par une foule de merveilles qui s'opérèrent de toute part, et ainsi imposa silence aux adversaires du Carmel. Ils commencèrent peu à peu à regarder d'un œil plus favorable des religieux aussi privilégiés plusieurs même, dans la suite, s'empressèrent de participer à cet insigne privilège, dont Marie avait favorisé son Ordre. L'Ordre des Carmes se multiplia si prodigieusement sous la conduite de notre saint, que peu d'années après sa mort, vers la fin du XIIIe siècle, selon la remarque de Guillaume, archevêque de Tyr, cet Ordre comptait déjà jusqu'à sept mille cinq cents monastères ou solitudes, remplis d'un très grand nombre de religieux, que le même auteur porte au nombre de cent quatre-vingt mille. Ne voulant plus vivre que pour consommer l'œuvre de Dieu qui lui a été confiée, Simon prend la généreuse résolution de consacrer le peu de forces qui lui restent à faire la visite générale des monastères de son Ordre, désirant voir de ses propres yeux, avant sa mort, les merveilles que Dieu avait opérées en faveur du Carmel. L'Europe vit avec admiration ce saint vieillard, déjà parvenu à une extrême vieillesse, courbé sous le poids des années, exténué par les rigueurs de la vie la plus austère, et n'en diminuant rien, même durant le cours de ses voyages, parcourir avec un courage infatigable les monastères de son Ordre. Ce fut durant le cours de cette visite générale, que Simon de Stock dota grand nombre de villes de ferventes communautés de Carmes, telles que Bruxelles, Liège, Malines, Gand, Utrecht, Anvers, en Belgique Perth, en Ecosse Kildare, en Irlande, etc. C'est aussi dans ce voyage qu'il établit en divers endroits (à Bordeaux en particulier) la Confrérie du Saint Scapulaire. Le saint général eut cela de particulièrement admirable, qu'il conserva toute sa vigueur morale jusqu'à sa bienheureuse mort, et l'on ne se doute peut-être pas que les œuvres dont nous venons de parler, sont celles d'un homme qui avait dépassé sa quatre-vingt-dixième année. Simon Stock arriva à Bordeaux au commencement de l'an 1265 c'est là qu'il termina ses visites et finit ses jours par une mort précieuse aux yeux de Dieu, en prononçant ces paroles que l'Eglise a ajoutées à la Salutation angélique : « Santa Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatoribus, nunc et in hora mortis nostrae. Amen », se montrant, par cet hommage, jusqu'à son dernier soupir, un digne frère et enfant de la bienheureuse Vierge Marie. (16 mai 1265.)
Les épisodes suivants de la vie de saint Simon ont servi de thème aux artistes dans les représentations qu'ils en ont données 1° La nature, docile aux ordres de Simon, renverse ses lois. Pour confondre la calomnie, à sa prière, des poissons cuits, qu'on lui présente pour surprendre sa frugalité, reprennent la vie et le mouvement, rendant témoignage, par cette merveille, à l'esprit, de pénitence qui anime le serviteur de Dieu. 2° Afin de rendre gloire à Dieu et confondre l'enfer, et comme pour glorifier la sainte Eucharistie, il fait le signe de la croix sur l'eau, qui, par un artifice diabolique, avait été substituée au vin préparé pour le saint sacrifice de la messe, et aussitôt l'eau est changée en vin. 3° La sainte Vierge lui apparaît et lui remet le scapulaire; près de lui sont des âmes, du purgatoire au milieu des flammes.
Reliques et cultes de Saint Simon Stock
Simon Stock fut enterré, selon la recommandation expresse qu'il en avait faite, à la porte de l'église du couvent des Carmes de Bordeaux, situé dans la rue et près les anciens fossés de ce nom. Mais Dieu, pour récompenser l'humilité de son serviteur, rendit aussitôt son tombeau glorieux par divers prodiges, et en particulier, par une lumière miraculeuse que l'on vit, durant plusieurs jours, rejaillir de ce tombeau. La chambre qu'avait habitée notre Saint, durant son séjour à Bordeaux, fut érigée en chapelle l'année suivante par ordre de l'archevêque, Pierre de Roncevaux, on y transporta ses précieuses reliques, avec solennité, et, en vertu de cette cérémonie, selon l'usage du temps, sans autre formalité, on lui déféra les honneurs de la canonisation il fut permis, des lors, de l'honorer d'un culte public, dans la ville de Bordeaux et dans toute l'étendue du diocèse.
Vers l'an 1276, le culte de saint Simon Stock fut confirmé par l'autorité du Saint Siège. Depuis la mort de saint Simon Stock, il s'est fait, à différentes époques, une ample distribution de ses reliques aux diverses églises de l'Ordre, soit en France, en Espagne, en Allemagne, en Flandre, etc. Le R. P. Guillaume Costallo, prieur des Carmes de Bordeaux, donna, en 1423, un bras de Saint Simon Stock aux Carmes de Gand; mais, dans les troubles excités par les hérétiques, en 1578, cette précieuse relique disparut avec tous les autres trésors de l'église. A la même époque, d'autres reliques du Saint, conservées jusqu'alors dans les églises de Cologne et de Bruges, en Flandre, eurent le même sort. On conservait cependant avec vénération, dans l'église des Carmes, à Valenciennes, un doigt de la main droite de saint Simon cette précieuse relique, échappée à la fureur des hérétiques, a été, depuis 1506 jusqu'en 1578, l'instrument de plusieurs miracles, et dans ce même lieu, on bénissait aussi des pains, sous l'invocation de saint Simon Stock, lesquels, souvent, ont été l'occasion de plusieurs guérisons miraculeuses.
Jusqu'en 1595, on vit fréquemment des pèlerinages au tombeau de saint Simon Stock, surtout des différentes contrées de la France et de l'Espagne, soit pour honorer ses reliques, soit pour implorer le secours de sa puissante protection auprès de Dieu. Parmi ces pèlerins, il s'est trouvé quelquefois des hommes d'un grand mérite, remarquables par leur piété et leur doctrine; Dieu aussi a souvent exaucé leurs vœux et récompensé leur foi par des guérisons miraculeuses. Ces pèlerinages cessèrent insensiblement lorsqu'on commença à distribuer dans les différents endroits de ces deux royaumes, quelques portions de ces précieuses reliques.
Le tombeau de Simon Stock fut ouvert en l'année 1595, à l'occasion du voyage d'un célèbre docteur de Salamanque, religieux Carme, d'Espagne, qui était venu à Bordeaux visiter les reliques du saint. Il demanda aux supérieurs et en obtint une relique très-précieuse savoir, l'os d'une jambe, pour l'église du couvent des Carmes de Salamanque, et une des e&tes pour l'église des Carmes de Valence ces deux reliques ont toujours été en grande vénération en Espagne. En France, l'église du couvent des Carmes d'Orléans fut enrichie, vers le même temps, d'une des cotes de saint Simon Stock on la conservait dans un précieux reliquaire, que l'on portait processionnellement tous les ans dans la ville, la seconde fête de la Pentecôte. En 1617, les religieuses Carmélites du monastère de Paris obtinrent aussi quelque portion des reliques de notre Saint, à la sollicitation de M. Marc-Antoine de Gourgues, premier président du Parlement de Bordeaux.
Après ces distributions, on renferma tout ce qui restait Bordeaux du corps de saint Simon de Stock dans une chasse en bois de cyprès, pour la placer sur l'autel, dans sa chapelle. Aux jours, néfastes de 93, des personnes sûres cachèrent les vénérables reliques, et lorsque Mgr d'Aviau ordonna que la confrérie du Saint-Scapulaire serait transférée à la Cathédrale Métropolitaine Saint André de Bordeaux, on y porta les ossements du Saint religieux, dont l'authenticité fut soigneusement constatée. Puis, le même prélat obtint de Pie VII, en 1820, que la fête de saint Simon Stock, déjà autorisée par Nicolas III (1277-1280), serait élevée au rite double et de précepte pour le diocèse de Bordeaux...
Nous n'avons pas l'intention de raconter ici le rétablissement des Carmes en France disons seulement que cinq ans après leur apparition dans la ville de Bordeaux (1846), M. l'abbé Dudouble, arehiprêtre de la Primatiale, remit au R. P. Louis de Gonzague du Très Saint Sacrement, ancien Provincial de l'Ordre, pour le Noviciat du couvent des Carmes, une relique extraite de la chasse de saint Simon de Stock. Le couvent des Carmes, à Londres, possède aujourd'hui la plus grande relique qui existe de saint Simon Stock, un os du tibia, ce qui est parfaitement juste, puisque cet illustre Carme était Anglais. La translation de cette relique eut lieu le 16 mai 1864, jour de la fête du Saint, patron de l'église et du couvent. Le Cardinal Archevêque de Westminster présida en personne la cérémonie.
(Actuellement, la châsse de Saint Simon Stock se trouve toujours sous l'autel de la Chapelle Notre Dame du Mont Carmel, en la Cathédrale Saint André de Bordeaux. NDLR).
Texte extrait des Petits Bollandistes, Volume V, Mgr Paul Guérin, Paris, librairie Bloud et Barral, 1876
Prière
Dieu qui avez appelé Saint Simon Stock à Vous servir parmi les Frères de Notre Dame du Mont Carmel, accordez-nous, par son intercession, de ne vivre que pour Vous et de travailler au Salut de tous les hommes. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.
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