Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Saint John Fisher (2e partie)

Saint John Fisher, 2e partie

Exhortation Spirituelle


écrite par John Fisher, Evêque de Rochester, à sa soeur Elisabeth, quand il était prisonnier à la Tour de Londres. Ouvrage très nécessaire et convenable pour tous ceux qui veulent mener une vie vertueuse, et aussi très propre à les avertir d'être toujours prêts à mourir. L'auteur est censé écrire sous la menace d'une mort soudaine.


« Ma soeur Élisabeth, quand l'âme est inerte, sans vigueur de dévotion, sans goût pour la prière ni pour toute autre bonne oeuvre, le remède le plus efficace est de l'exciter et de l'animer, par une féconde méditation, à Vivre une vie bonne et vertueuse. Voilà pourquoi j'ai écrit à votre intention la méditation qui suit. Je vous prie, par égard pour moi, et en vue même du bien de votre âme, de la lire dans les moments où vous vous sentirez plus appesantie et lente aux bonnes oeuvres. C'est une sorte de lamentation, de plainte douloureuse, au sujet d'une personne qui a rencontré prématurément la mort, comme il peut arriver à toute créature, car nous n'avons là-dessus, dans notre vie terrestre, nulle assurance.


« Si vous voulez tirer quelque profit de cette lecture, il vous faut observer trois règles. D'abord, lisant cette méditation, représentez-vous du mieux possible l'état d'un homme ou d'une femme soudain emporté et ravi par la mort ; imaginez ensuite que vous êtes pareillement remportée et qu'il faut sur-le-champ que vous mouriez, que votre âme quitte cette terre, abandonne votre corps mortel, pour ne jamais revenir faire satisfaction. En second lieu, ne lisez jamais cette méditation, que seule, toute seule, secrètement, là où vous y pourrez donner le plus d'attention, dans le moment du plus grand loisir, quand vous ne serez pas empêchée par d'autres pensées ou par quelque autre occupation. Si vous la lisez d'autre façon, elle perdra immédiatement la vertu et le pouvoir d'exciter et d'émouvoir votre âme quand vous désireriez le plus qu'elle fût émue. Enfin, quand vous aurez l'intention de la lire, il faudra d'abord élever votre esprit vers Dieu tout-puissant, et le prier que, par l'aide et le secours de sa grâce, cette lecture puisse créer en votre âme une vie bonne et vertueuse, selon sa volonté ; puis il faudra dire : Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina. Gloria Patri etc. Laus tibi Domine Rex æternæ gloria. Amen. »


« Hélas ! hélas ! je me vois injustement entraîné ; tout soudainement la mort a fondu sur moi ; le coup qu'elle m'a porté est si rude et si douloureux que je ne saurais longtemps l'endurer. Ma dernière heure est venue, je le vois bien ; il me faut quitter maintenant ce corps mortel ; il me faut maintenant abandonner ce monde pour n'y jamais revenir. L'endroit où j'irai, l'habitation que j'aurai ce soir, la compagnie que je rencontrerai, le pays qui m'accueillera, le traitement que j'y recevrai, Dieu le sait, mais moi je ne le sais pas. Serai-je damné en l'éternelle prison de l'enfer, où les souffrances sont sans fin et sans nombre ? Quelle douleur sera celle des hommes damnés pour l'éternité ! car ils endureront les plus rudes douleurs de la mort et souhaiteront de mourir, et pourtant ne mourront jamais. Il me serait très pénible de reposer toute une année, sans interruption, sur un lit, fût-ce le plus moelleux ; combien donc il sera pénible de demeurer dans le feu le plus cruel tant de milliers d'années qui ne finiront pas ; d'être en la compagnie des démons les plus horribles, pleins de noirceur et de malice ! Oh ! quelle misérable créature je suis ! car j'aurais pu ordonner ma vie, par l'aide et la grâce de mon maître Jésus-Christ, en sorte que cette heure-ci eût été pour moi l'objet d'un grand désir et de beaucoup de joie . Beaucoup de saints ont désiré joyeusement cette heure, parce qu'ils savaient bien que par la mort leur âme serait transportée dans une vie nouvelle la vie de joie et de bonheur sans fin, transportée des entraves et de l'esclavage de ce corps périssable à une liberté véritable , parmi les compagnies célestes ; enlevée aux malheurs et aux douleurs de ce monde misérable, afin de demeurer là-haut avec Dieu dans la consolation qui ne peut se concevoir ni s'exprimer. Ils étaient assurés de recevoir les récompenses que Dieu tout-puissant a promises à tous ceux qui le servent fidèlement. Et je suis certain que si je l'avais servi fidèlement jusqu'à cette heure, mon âme aurait eu sa part de ces récompenses. Mais, malheureux que je suis, j'ai négligé son service, et maintenant mon coeur se consume de chagrin à la vue de la mort qui vient, et de ma paresse et négligence. Je ne songeais pas que je dusse être si soudainement pris au piège ; mais voici que la mort m'a surpris, m'a enchaîné à mon insu, m'a accablé de sa puissance, tellement que je ne sais où chercher de l'aide ni où trouver quelque re-mède. Si j'avais eu le loisir et le temps de me repentir et d'amender ma vie de moi-même, et non contraint par ce coup soudain, mais aussi pour l'amour de Dieu, j'aurais pu alors mourir sans terreur, quitter la terre et les innombrables misères de ce monde avec joie. Mais comment pourrais-je penser que mon repentir vient maintenant de ma propre volonté, puisque j'étais avant ce coup si froid et si négligent dans le service du Seigneur mon Dieu? Comment pourrais-je penser que j'agis par amour pour lui et non par crainte de son châtiment? car, si je l'avais véritablement aimé, je l'aurais servi jusqu'ici avec plus de promptitude et de diligence. Il me semble bien que je ne rejette ma paresse et ma négligence que contraint et forcé. Si un négociant est contraint par une grande tempête de jeter ses marchandises à la mer, il n'est pas à supposer qu'il le ferait de son propre mouvement sans être contraint par la tempête. Ainsi ferais-je : si cette tempête de la mort ne s'était pas levée contre moi, je n'eusse sans aucun doute pas rejeté ma paresse et ma négligence. Oh ! plût à Dieu que j'eusse maintenant quelque répit et un peu de temps pour me corriger librement et de plein gré !


« Oh ! que ne puis-je supplier la mort de m'épargner un temps I mais ce ne sera pas, la mort n'écoute pas les prières; elle ne veut aucun délai, aucun répit. Quand même je lui donnerais toutes les richesses de ce monde, quand même mes amis tomberaient à genoux et la prieraient pour moi, quand même mes amis et moi pleurerions (s'il était possible) autant de larmes qu'il est de gouttes d'eau dans les mers, nulle pitié ne l'arrêterait. Quant le temps m'était donné, je n'ai pas voulu le bien employer ; si je l'avais fait, il aurait à présent plus de prix pour moi que les trésors d'un royaume. Mon âme eût été maintenant revêtue d'innombrables bonnes oeuvres, qui m'enlèveraient toute honte en la présence du Seigneur mon Dieu, devant qui je vais bientôt paraître, misérablement chargé de péchés, à ma confusion et à ma honte. Mais, hélas ! j'ai négligemment laissé passer mon temps, sans considérer de quel prix il ,était, ni quelles richesses spirituelles j'aurais pu acquérir, si j'avais seulement dépensé quelque soin et quelque étude. Sans aucun doute toute action bonne, quelque petite qu'elle soit, sera récompensée par Dieu tout-puissant. Une gorgée d'eau donnée pour l'amour de Dieu ne restera pas sans récompense, et qu'y a-t-il de plus facile à donner que l'eau ? De même des paroles et des pensées les plus infimes. Oh ! que de bonnes pensées que de bonnes actions, que de bonnes oeuvres ne peut-on pas concevoir, dire et faire en un jour ! Et combien plus en une année tout entière ! Hélas ! quand je songe à ma négligence, à mon aveuglement, à ma coupable folie qui savait bien tout cela, et n'a pas voulu l'exécuter en effet ! Si tous les hommes vivant en ce monde étaient présents ici pour voir et connaître dans quelle condition périlleuse je me trouve, et comment j'ai été surpris par l'assaut de la mort, je les exhorterais à me prendre tous en exemple, et, tandis qu'ils en ont le loisir, à ordonner leur vie, à abandonner toute paresse et toute oisiveté, à se repentir de leurs fautes envers Dieu, et à déplorer leurs péchés, à multiplier les bonnes oeuvres, et à ne laisser point passer de temps stérilement.


« S'il plaisait au Seigneur mon Dieu que je vécusse un peu plus longtemps, j'agirais autrement que je n'ai fait auparavant. Je souhaite d'avoir du temps, mais c'est bien justement qu'il m'est refusé. Quand je pouvais l'avoir, je n'ai pas voulu le bien employer et je ne puis plus l'avoir. Vous qui possédez ce temps précieux et le pouvez employer à votre gré, usez-en bien ; ne le gaspillez pas, de peur que, lorsque vous désireriez le posséder, il vous soit refusé comme il m'est maintenant refusé. Mais maintenant je me repens douloureusement d'une grande négligence ; je déplore de tout mon coeur d'avoir si peu considéré .la richesse et le profit de mon âme, et d'avoir eu un souci excessif des consolations et des vains plaisirs de mon misérable corps. O corps périssable, chair puante, terre pourrie, que j'ai servi, aux appétits de qui j'ai obéi, dont j'ai satisfait les désirs, voici que tu parais maintenant sous ta forme véritable. L'éclat des yeux, la vivacité de l'oreille, la promptitude de tous les sens, ta rapidité et ton agilité, ta beauté, tu ne les possèdes pas de toi-même : ce n'est qu'un prêt temporaire.


« De même qu'un mur de terre dont la surface est peinte, pour un temps, de belles et fraîches couleurs, et en outre dorée, semble beau à qui ne voit pas plus à fond que l'artifice extérieur, mais lorsque la couleur s'écaille, et que la dorure tombe, ce mur apparaît tel qu'il est, la terre se montre telle quelle au regard ; de même en sa jeunesse mon corps misérable semblait frais et vigoureux ; sa beauté extérieure m'abusait ; je ne songeais pas quelle laideur se cachait au-dessous, mais maintenant il se montre dans sa vérité. Maintenant, ô mon corps misérable, ta beauté s'est évanouie ; elle a disparu ; ta vigueur, ta vivacité, tout s'en est allé ; voilà que tu as repris ta vraie couleur terreuse ; te voilà noir, froid, lourd, comme une motte de terre ; ta vue se trouble, ton oreille s'affaiblit, ta langue hésite dans ta bouche, tu suintes partout la corruption ; la corruption a été ton commencement dans le sein de ta mère, et tu as persévéré dans la corruption. Tout ce que tu reçois, quel qu'en soit le prix, tu le tournes en corruption ; rien ne vient jamais de toi qui ne soit corruption, et maintenant tu retournes à la corruption ; te voilà devenu ignoble et vil, tandis que tu avais bonne mine autrefois. Les beaux traits n'étaient qu'une peinture ou une dorure posée sur un mur de terre, qui est couvert au-dessous d'une matière ignoble et puante. Mais je ne regardai pas plus avant ; je me contentai de la couleur extérieure, et j'y trouvai une grande volupté. Tout mon travail et tout mon soin allaient à toi, soit pour te parer d'habits de diverses couleurs, soit pour satisfaire ton goût des spectacles agréables, des sons délicieux, des odeurs exquises, des contacts moelleux, soit pour te donner de l'aise et quelque temps de tranquille repos dans le sommeil ou autrement. Je m'assurai la possession d'une habitation aimable, et, afin d'éviter en tout le dégoût, aussi bien dans le vêtement, le manger et les boissons que dans l'habitation, j'imaginai des variations nombreuses et diverses, pour te permettre, fatigué de l'une, de jouir de l'autre. C'était là mon étude vaine et blâmable, l'étude où mon esprit s'appliquait de lui-même ; voilà à quoi je passais le plus grand nombre de mes jours. Et pourtant je n'étais jamais longtemps satisfait, mais je murmurais et je grondais sans cause à tout moment. En quoi m'en trouvé je mieux maintenant ? Quelle récompense puis-je attendre pour un long esclavage ? Quels grands profits recevrai-je de mes soucis, de mon travail et de mes soins ? Je ne m'en trouve aucunement mieux, mais bien pire ; mon âme s'est emplie de corruption et d'ignominie, la vue en est maintenant très horrible. Je n'ai d'autre récompense que le châtiment de l'enfer éternel ou au moins du purgatoire, si je puis échapper aussi aisément. Le profit de mon labeur c'est les soucis et les chagrins qui m'environnent ; n'ai-je pas le droit de penser que mon esprit s'est bien occupé en cette activité mauvaise et stérile ? N'ai-je pas fait bon usage de mon travail, en le soumettant au service de mon corps misérable ? Mon temps n'a-t-il pas été bien employé dans ces soins médiocres dont il ne reste maintenant nulle consolation, mais chagrin et remords ?


«Hélas, j'ai entendu bien souvent dire qu'il convenait à ceux qui doivent être damnés, de se repentir de tout leur coeur, et de concevoir plus de douleur de leur inconduite qu'ils n'ont jamais eu de plaisir. Pourtant il ne faudrait pas qu'ils eussent besoin de ce repentir, alors qu'un peu de repentir conçu à temps les aurait pu décharger de toutes leurs douleurs. Voilà ce que j'ai entendu dire, et ce que j'ai lu bien souvent ; j'y donnai peu d'attention ou de réflexion, je m'en suis aperçu, mais trop tard j'en ai peur. Je voudrais que par mon exemple tous se gardassent, grâce au secours de Dieu, des dangers où je suis à présent, et se préparassent pour l'heure de la mort mieux que je ne me suis préparé. Que me vaut maintenant la chère délicate et les boissons que mon misérable corps absorbait insatiablement ? Que me vaut la vanité ou l'orgueil que j'avais de moi-même, pour le vêtement ou toute autre chose qui m'appartenait ? Que me valent lés désirs et les voluptés impures et viles d'une chair corrompue : un grand plaisir paraissait s'y trouver, mais en réalité, le plaisir du pourceau qui se vautre dans la fange. Maintenant que ces plaisirs sont évanouis, mon corps n'en est pas mieux, mon âme en est beaucoup plus mal ; rien ne me reste que du chagrin et de la souffrance, et mille fois plus que je n'eus jamais de plaisir. Corps impur qui m'as conduit à cette extrémité de malheur, corruption immonde, sac plein de fumier, il faut maintenant que j'aille rendre des comptes de ton impureté : je dis ton impureté, car elle vient toute de toi. Mon âme n'avait nul besoin des choses que tu désirais ; de quel prix étaient pour mon âme immortelle le vêtement, le manger ou le boire ? l'or ou l'argent périssables ? les maisons ou les lits ou toutes choses de ce genre ? Toi, ô corps périssable, comme un mur de boue, tu exiges tous les jours des réparations et comme des replâtrages de viande et de boisson, et la défense du vêtement contre le froid et le chaud ; pour toi j'ai pris tout ce souci et j'ai fait tout ce travail, et pourtant tu m'abandonnes dans le plus grand besoin, alors qu'il faut que le compte soit fait de toutes mes fautes devant le trône du plus redoutable des juges. C'est le moment où tu m'abandonnes : celui du terrible danger. De nombreuses années de délibération ne suffisent pas pour rendre mes comptes devant un si grand juge, qui pèsera chaque parole, même de nulle importance, qui a jamais traversé mes lèvres. De combien de vaines paroles, de combien de pensées mauvaises, de combien d'actes n'ai-je pas à répondre, qui, par nous comptés pour rien, seront jugés avec la dernière gravité devant le Très-Haut ! Que faire pour trouver de l'aide en cette heure de danger extrême ? Où chercher du secours, une consolation quelconque ? Mon corps m'abandonne, mes joies s'évanouissent comme une fumée, mes biens ne m'accompagnent pas. Il faut que je laisse derrière moi toutes les choses de ce monde ; si je dois trouver quelque consolation, ce ne sera que dans les prières de mes amis, ou dans mes bonnes actions passées. Mais pour ces actions bonnes, qui me serviraient devant Dieu, elles sont. en bien petit nombre : car elles auraient dû être faites seulement par amour pour lui. Et moi, quand mes actions étaient bonnes par nature, en insensé je les gâtais. Je les accomplissais par égard pour les hommes, pour éviter de rougir devant le monde, par complaisance pour moi-même, ou par crainte d'être châtié. Bien rarement j'ai fait une bonne action avec cette pureté et cette droiture qui auraient été convenables. Mes fautes, mes actes impurs, ceux-là qui sont abominables, honteux, je n'en sais pas le nombre ; pas un jour dans toute ma vie, pas même une heure, j'en suis sûr, je ne me suis assez sincèrement ouvert à la volonté de Dieu ; en grand nombre au contraire, actions, paroles, pensées, m'ont échappé contre mon gré. Je ne puis que bien peu me fier sur mes actions. Quant aux prières des amis que je laisserai derrière moi, il en est beaucoup qui en auront tout autant besoin que moi, si bien que si leurs prières leur sont de quelque utilité, elles ne peuvent profiter à nul autre. Et puis, il y en aura de négligents, d'autres m'oublieront. Cela n'est d'ailleurs point surprenant : qui donc aurait, dû être pour moi le meilleur des amis, sinon moi-même ? Et moi qui plus qu'homme au monde aurais dû agir pour mon propre bien, je l'oublie pendant ma vie ; qu'y a-t-il de surprenant à ce que les autres m'oublient après ma mort ? Il est d'autres amis, dont les prières peuvent se-courir les âmes, comme les bienheureux saints du ciel, qui se souviendront 'certainement de ceux qui les ont honorés sur la terre. Mais je n'avais de dévotion spéciale que pour quelques-uns, et ceux-là même, je les ai si mal honorés, et je les ai si froidement priés de me secourir, que j'ai honte de leur demander de l'aide à présent ; j'aurais bien voulu les honorer et recommander ma pauvre âme à leurs prières, en faisant d'eux mes amis particuliers ; mais la mort m'a tellement surpris qu'il ne me reste d'autre espoir que dans la pitié du Seigneur mon Dieu, en qui je me confie, en le suppliant de ne pas considérer mes mérites, mais sa bonté infinie et sa pitié surabondante. Mon devoir aurait été bien plutôt de me rappeler cette heure terrible, j'aurais dû avoir ce danger toujours devant les yeux, j'aurais dû faire tout le nécessaire pour me trouver mieux préparé contre l'approche de la mort, car je savais qu'elle viendrait enfin, bien que je ne susse pas quand, où, ni comment. Je savais que l'heure, l'instant, lui étaient indifférents et dépendaient d'elle. Pourtant, par une folie à jamais déplorable, malgré ces incertitudes, je n'ai rien fait de ce qu'il fallait. Souvent je me suis prémuni avec le plus grand soin contre de petits dangers, parce que j'imaginais qu'ils pourraient se produire ; ils ne sont pas venus cependant. C'étaient, en outre, des riens en comparaison de celui-ci : combien plus d'étude et de travail j'aurais dû dépenser en vue de ce danger si grand, qui devait certainement m'arriver un jour ! Il ne pouvait pas être évité, et j'aurais dû me préparer contre lui. Notre bonheur en dépend tout entier ; car si un homme meurt bien, il ne manquera après sa mort de rien qu'il puisse désirer, tous ses souhaits se trouveront pleinement satisfaits. Et s'il meurt mal, aucune préparation faite auparavant ne lui servira de rien.


« Mais la préparation à la mort mérite plus de soin que toute autre, parce qu'elle est utile, même sans les autres, et que, sans elle, toutes les autres sont vaines. O vous qui pouvez vous préparer en vue de l'heure de la mort, ne différez pas de jour ainsi que j'ai fait. Car j'ai eu souvent la pensée et l'intention de me préparer à quelque moment; néanmoins, sous les plus infimes prétextes, je les ai remises à plus tard, me promettant cependant de le faire alors ; mais quand le moment était venu, une autre affaire se présentait, et ainsi j'allais de délai en délai. Tellement qu'à présent la mort me presse ; mon intention était bonne, l'exécution a fait défaut. Ma volonté était droite, mais sans efficacité ; mes intentions louables, mais infructueuses. C'est l'effet de délais fréquents : jamais je n'ai exécuté ce que j'ai voulu faire. Ne différez donc pas, comme je l'ai fait ; avant tout, assurez-vous ce qui doit être votre principal souci. Ni la construction des collèges, ni la prédication d'un sermon, ni le don des aumônes, ni aucun autre travail ne vous servira sans cela. Préparez vous-y donc en premier lieu, et devant toutes choses ; point de retard d'aucune sorte ; si vous différez, vous vous abuserez comme je me suis abusé.


« J'ai lu, j'ai entendu dire, j'ai moi-même su que beaucoup ont été déçus comme je le suis. J'ai toujours pensé, toujours dit, et toujours espéré que je prendrais mes sûretés, et ne me laisserais pas surprendre par la soudaine venue de la mort. Néanmoins m'y voilà pris, me voilà entraîné dans le sommeil, sans préparation. Et cela dans le temps où je pensais le moins à sa venue, où je me croyais au plus haut degré de santé, dans la plus grande occupation au milieu de mes travaux. Donc ne différez pas davantage, ne mettez pas trop de confiance en vos amis, mettez votre confiance en vous-mêmes tandis que vous en avez le temps et la liberté, et avisez pour vous-mêmes alors que vous le pouvez. Je vous conseille de faire ce que moi-même je ferais avec la grâce de Dieu mon maître si son désir était de me maintenir plus longtemps en vie. Regardez-vous comme morts, et imaginez que vos âmes sont au Purgatoire, et qu'elles y doivent demeurer jusqu'à ce que leur rançon ait été complètement acquittée, par de longues souffrances en ce lieu-là, ou par des suffrages accomplis ici-bas par quelques amis particuliers. Soyez votre propre ami, accomplissez ces suffrages pour votre âme, prières, aumônes, ou quelque autre pénitence. Si vous ne voulez pas faire cela de toutes vos forces et de tout votre coeur pour votre âme, ne comptez pas qu'un autre le fera pour vous, et, le faisant pour vous-mêmes, cela vous sera mille fois plus profitable que si toute autre personne le faisait. Si vous suivez ce conseil et l'exécutez, vous serez pleins de grâce et de bonheur ; sinon vous vous repentirez sans doute, mais trop tard. »

 



17/02/2009
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