Saint Hilarion 2e partie
Saint Hilarion, suite
Hilarion craignant d'avoir à rencontrer la même affluence qu'en Sicile s'enfuit de nuit dans une chaloupe, et deux jours après, ayant rencontré un vaisseau marchand, il prit la route de Chypre. Des pirates donnèrent la chasse à ce vaisseau sur deux grandes flûtes très légères et qui avaient double rangs de rames. Tous les compagnons d'Hilarion commencèrent à trembler, à pleurer leur malheur, à courir ça et là, et à préparer leurs rames. Et ils allaient coup sur coup dire au vieillard que les pirates étaient proches, que leur perte était certaine, que leur malheur était assuré. Lui, les regardant de loin se mit à sourire et se tournant vers ses disciples leur dit : "Gens de petite foi, pourquoi avez-vous peur ? Ceux qui vous font ainsi trembler sont-ils en plus grand nombre que l'armée de Pharaon, dont par la Volonté de Dieu il ne resta pas un seul survivant ?" Pendant qu'il parlait ainsi, les pirates avançaient toujours et maintenant, ils n'étaient plus qu'à un jet de pierre. Alors Hilarion, debout sur la proue du vaisseau étendit la main sur eux et leur dit : "Contentez-vous d'être venus jusqu'ici !" Ô merveilleux effet, et presqu'incroyable de la foi ! Leurs barques commencèrent soudain à reculer et tout l'effort des rames devenait vain. Les pirates ne comprenaient pas pourquoi ils retournaient ainsi en arrière et malgré leurs efforts pour aborder le vaisseau d'Hilarion, ils furent reportés au rivage beaucoup plus vite qu'ils n'en étaient venus.
Lorsqu'ils arrivèrent à Paphos, que les poètes ont rendue si célèbre et qui par plusieurs tremblements a été réduite en un tel état qu'on ne voit plus maintenant que ses ruines, ils s'établit à deux milles de là avec une extrême joie de ce que n'étant connu de personne, il y avait passé quelques journées en repos. Mais vingt jours n'étaient pas encore accomplis que tous ceux de l'île qui étaient possédés des démons, commencèrent à crier qu'Hilarion, serviteur de Jésus Christ était venu et qu'ils devaient se hâter d'aller le trouver. Ce bruit courait à Salamine, à Curie, à Lapete et dans toutes les autres villes et plusieurs précisaient qu'ils savaient bien quel était Hilarion et que c'était un véritable serviteur de Dieu, mais qu'ils ignoraient où il était. Au bout de trente jours ou un peu plus environ deux cents personnes, hommes et femmes, s'assemblèrent auprès de lui. Alors fâché de ce que les démons ne pouvaient le laisser en repos, devenant plus cruel que de coutume contre ces malins esprits, et comme s'il eût voulu se venger d'eux, il les persécuta de telle sorte qu'il les contraignit, à force de prières, à sortir des corps de ces misérables, les uns sur-le-champ les autres au bout de deux jours et tous généralement avant que la semaine fût passée.
Il demeura là deux ans avec la continuelle pensée de s'en-fuir; il envoya Hésychius en Palestine, avec ordre de retourner au printemps pour visiter ses frères et voir les ruines de son monastère. Après son retour, il habita dans une contrée de l'Égypte appelée Bucolia parce qu'il n'y a pas un seul chrétien et qu'elle est seulement habitée par une nation barbare et farouche, mais Hésychius lui conseilla de se retirer plutôt dans le lieu le plus écarté de l'île où ils étaient et ayant pour cela tout visité avec beaucoup de soin et de temps, il le mena à douze milles de la mer, dans des montagnes fort reculées et très rudes, où l'on pouvait à peine monter en se traînant sur les mains et sur les genoux. Saint Hilarion y étant arrivé et considérant ce lieu comme profondément solitaire, vit qu'il était environné d'arbres de tous côtés, qu'il y avait de l'eau, un jardin fort agréable et quelques arbres fruitiers et que, tout près, était un très ancien temple d'où on entendait nuit et jour les voix d'une multitude de démons (ce qui lui donna beaucoup de joie, voyant par là qu'il aurait si près de lui des ennemis à combattre). Il y demeura cinq années, Hésychius l'allant souvent visiter et il était très heureux de ce que la difficulté de sa retraite empêchait les visiteurs de venir l'importuner.
Un jour pourtant, au sortir de son petit jardin, il vit un homme paralytique de tout le corps couché par terre devant la porte; sur quoi ayant demandé à Hésychius qui il était et comment il avait été amené là, il lui répondit qu'il avait été régisseur de cette petite métairie et que le jardinet où ils étaient lui appartenait. Alors, le saint se mit à pleurer et tenant la main à ce pauvre malade, lui dit : "Je te commande au Nom de Jésus Christ de te lever et de marcher !" Il n'avait pas encore achevé de prononcer ces paroles, que toutes les parties du corps de cet homme étant déjà fortifiées, il se trouva en état de se pouvoir lever et de se tenir debout. Ce miracle ayant été su, plusieurs personnes qui avaient besoin de l'assistance du saint, surmontèrent la difficulté d'aller vers lui par ces chemins inaccessibles et tous les habitants d'alentour travaillaient avec soin à prendre garde à ce qu'il ne s'échappât point. Car le bruit s'était répandu parmi eux qu'il ne pouvait demeurer longtemps en un même lieu, ce qu'il ne faisait ni par légèreté, ni par une impatience et une inquiétude puérile, mais parce qu'il fuyait l'honneur et l'importunité des visites, ayant toujours aimé le silence et une vie inconnue aux hommes.
Étant arrivé à l'âge de quatre-vingts ans, pendant une absence de Hésychius, Hilarion sentit approcher la fin de sa vie. Il écrivit à son disciple une petite lettre qui était comme son testament, par laquelle il lui laissait toutes ses richesses qui consistaient en un livre des évangiles, le sac dont il était revêtu, une cape et un petit manteau. Plusieurs hommes de grande piété vinrent le visiter, sachant qu'il était malade et principalement parce qu'ils lui avaient entendu dire qu'il serait bientôt délivré de la prison de son corps pour aller à Dieu et passer à une meilleure vie. Une sainte femme au gendre et à la fille de laquelle il avait sauvé la vie, vint aussi assister à ses derniers moments. Il les conjura tous de ne pas garder son corps après sa mort, mais de l'enterrer à l'heure même dans ce petit jardin, vêtu comme il était, avec sa haire, sa cape et son saye. Il avait encore un peu de chaleur, et bien qu'il ne lui restât rien d'un homme vivant que le sentiment, il disait encore, tenant les yeux tout ouverts : "Sors, mon âme, que crains-tu ? Sors mon âme, de quoi as-tu peur ? Tu as servi Jésus Christ pendant soixante-dix ans, et tu crains la mort ?"
En achevant ces paroles, il rendit l'esprit et à l'instant il fut mis en terre. Le saint homme Hésychius, ayant appris cette nouvelle en Palestine, vint à Chypre et feignait de vouloir demeurer dans le même petit jardin par dévotion à l'égard de son maître afin d'ôter tout soupçon aux habitants. Mais lorsqu'il fut sûr de n'être pas observé, il déroba son corps avec un très grand danger de sa vie, et le porta à Maïuma où avec tous les moines et les habitants des environs qui l'accompagnaient par grandes troupes, il l'enterra dans son ancien monastère. Sa haire, sa cape et son petit manteau étaient encore dans le même état que lorsqu'il mourut, et tout son corps aussi entier que s'il eût été vivant, ré-pandit une odeur si excellente qu'il semblait qu'il eût été embaumé avec des parfums précieux.
Je crois ne devoir point oublier à la fin de cette histoire de rapporter quelle fut la dévotion de Constance, cette très sainte femme dont j'ai parlé. Ayant appris que le corps d'Hilarion avait été transporté en Palestine, elle rendit l'âme à l'instant, témoignant ainsi, même par sa mort, son véritable amour pour ce grand serviteur de Dieu sur le sépulcre duquel elle avait pris l'habitude de passer les nuits entières sans fermer les yeux et en lui parlant comme s'il eût été présent afin qu'il l'assistât en ses prières. Il y a encore aujourd'hui une très grande contestation entre les habitants de la Palestine et ceux de Chypre : les uns soutiennent qu'ils ont le corps et les autres qu'ils ont l'esprit de saint Hilarion, car ce saint fait tous les jours de grands miracles dans l'une et l'autre de ces provinces, mais principalement dans le petit jardin de Chypre, peut-être parce qu'il a plus aimé ce lieu-là qu'aucun autre.
Texte de saint Jérôme
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