Saint Alexis d'Ugine 2
Saint Alexis d'Ugine
1867-1934
Fête le 22 août
Ugine, 22 août 1956. Suite à un décret municipal récemment paru portant sur la suppression du vieux cimetière, des fossoyeurs procèdent à des exhumations dans le cimetière communal. Le père Philippe Chportak, alors recteur de la paroisse Saint-Nicolas-le- Thaumaturge, décide donc de faire transférer les restes mortels d’un de ses prédécesseurs l’archiprêtre Alexis Medvedkoff, retourné à Dieu vingt-deux ans auparavant, dans le nouveau cimetière mis à disposition par la commune. La tombe du père Alexis, semblable à toutes les autres avec sa simple croix de bois, allait faire luire au grand jour la réalité de la sainteté de celui qu’elle renfermait : après quelques coups de pioches donnés, les ouvriers municipaux furent retenus par une « force inconnue », selon leur témoignage, les empêchant de continuer plus avant leur besogne. Stupeur que la leur en découvrant, au lieu d’ossements présumés, le corps intact du prêtre qu’ils avaient jadis, peut-être, croisé maintes et maintes fois dans les rues de la petite ville, avec son apparence frêle et ses attitudes simples mais toujours aimables. Le connaissaient-ils vraiment ? Croyaient-ils le connaître tout comme la colonie russe d’Ugine désormais ancrée dans cette cité savoyarde ? Qui était réellement le Père Alexis ?
Le 1er juillet 1867, Alexis naquît dans le village de Fomistchevo (district de Viazma), son père, le père Jean Medvedkoff, simple prêtre de campagne mourut quelques temps seulement après la naissance de son fils. Malgré privations et pauvreté, le jeune Alexis put bénéficier de l’éducation classique, dispensée alors aux enfants du clergé : l’école ecclésiastique, puis le séminaire (à Saint-Pétersbourg) qu’il termina laborieusement en 1889… n’étant pas spécialement doué pour les études, il faut le dire, mais avec le vif désir, formulé devant Dieu, d’embrasser le sacerdoce à la suite de son père. Cependant la situation économique familiale était telle que le jeune Alexis se devait de subvenir aux besoins de sa mère. Il se mit donc en quête d’un service ecclésial rémunéré, ce qu’il obtint après maintes démarches, en tant que lecteur ordonné en l’église, dédiée à la sainte mégalomartyre Catherine, sur l’île Vassilevsky à Saint-Pétersbourg. Peu de temps après, il épousa celle qui allait le suivre, pour un temps seulement, dans ses labeurs pastoraux et ascétiques. Toujours animé de son ardent désir du sacerdoce, joint à la conscience aiguë de son indignité, il entreprit de rendre visite au père Jean Serguieff à Kronstadt pour s’ouvrir à lui et recevoir quelque parole sainte quant à l’orientation de son avenir. Les deux hommes s’entretinrent, se comprirent et la réponse du futur saint Jean de Kronstadt ne se fit pas attendre : « C’est une bonne chose que tu aies la crainte de Dieu, va, et demande l’ordination sacerdotale »… ce qu’il fit, en bon disciple fidèle et obéissant, auprès du métropolite de Saint-Pétersbourg et de Ladoga. L’ordination diaconale du 24 décembre 1895 fut suivie, deux jours plus tard, par celle, tant désirée, du sacerdoce. Dès le 2 janvier 1896, il se trouva affecté à la paroisse dédiée à la Dormition de la Mère de Dieu située à Vrouda (district de Yambourg, province de Saint-Pétersbourg) ; il y restera vingt-trois ans durant.
Cette paroisse était des plus pauvres et devait desservir les quelques treize bourgs alentours, rassemblant en tout environ 1500 âmes sous la responsabilité et l’autorité du jeune prêtre. Le travail pastoral ne manquait pas : enseignement catéchétique tant à l’école paroissiale, qu’à celle du district, sans oublier les deux écoles paroissiales relevant de la maison d’éducation de Saint-Pétersbourg, mais aussi, présence réconfortante aux paysans, aux paroissiens… tout simplement au peuple de Dieu. Le père Alexis, toujours scrupuleusement fidèle à l’exigence de sa conscience sut se montrer durant toutes ces années un pasteur aimant et ferme, puisant à la source de l’Evangile et dans l’enseignement des saints Pères (dont il lisait les œuvres la nuit en guise de préparation de ses homélies). A cause de la pauvreté de la paroisse, outre son travail pastoral, le père Alexis devait labourer, moissonner, battre etc. 1917 survint avec sa terrible Révolution…
Les bolcheviques s’emparèrent alors du prêtre à qui il était reproché sa fidélité à la foi orthodoxe et son amour du Christ. Jeté dans les geôles de la Tchéka, il fut battu et torturé à tel point que son visage en gardera dès lors les marques, le nerf facial ayant été atteint. Il fut condamné à être fusiller, mais, fut finalement libéré, grâce à l’intervention de sa fille aînée, qui s’offrit en otage pour lui. Cette époque marqua un tournant dans la vie du père Alexis ; en 1919 la difficile période de l’exil débuta dans un premier temps en Estonie comme bon nombre de ses compatriotes, période qui verra le retour à Dieu de son épouse (en 1929), le laissant seul avec ses deux filles. Plusieurs durs travaux se succédèrent pour lui : dans un premier temps un poste d’ouvrier dans une mine de schiste puis, dans un second temps, un poste de gardien de nuit, ce qui ne l’empêcha pas de célébrer la Divine Liturgie dans un village voisin du sien, Kothla-Iarvé, où il fut nommé prêtre surnuméraire. Père Alexis l’avait bien compris, cette situation était provisoire. Dans le courant de l’année 1929, il formula une demande auprès de métropolite Euloge (Guéorguievsky) qui l’accepta au sein de son clergé et le fit venir en France, en le nommant recteur de la petite église Saint-Nicolas d’Ugine (Savoie – France) le 15 décembre de cette même année après un bref passage en la Cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de Paris.
Ugine ? Depuis 1923 une première vague de ressortissants russes s’y installe, suivie d’une plus importante en 1929 du fait des offres d’emploi nombreuses proposées par l’usine de métallurgie de la ville. Beaucoup de Russes s’y établirent de manière définitive et peu à peu leur vie s’organisa avec, au cœur, l’église Saint-Nicolas ! Son histoire commença dès 1924, soit moins d’un an après l’arrivée du premier contingent de Russes (pour la plupart d’anciens militaires et cosaques) par la demande faite de disposer d’un lieu de culte, adressée à monsieur Paul Girod, fondateur de l’usine. Dans le courant de cette même année, un simple hangar de bois (sur lequel sera apposé par la suite un petit bulbe bleu à étoiles d’or surmonté de la croix à huit branches) leur fut concédé le long de la route nationale proche de l’usine. Consacrée en 1927, la même simplicité régnait tout autant à l’intérieur puisque ce n’est qu’en 1935 que la paroisse naissante put se doter d’une iconostase digne de ce nom, provenant de la chapelle de l’église d’un bateau de la marine marchande du tsar, désarmé par les bolcheviques et amarré à Marseille… iconostase que le père Alexis n’aura jamais connue, se contentant de tentures tendues du sol au plafond sur lesquelles étaient apposées les icônes adéquates !
Pour le père Alexis, la vie matérielle s’améliora considérablement ; l’usine lui fournissait gratuitement le logement et le charbon nécessaire au chauffage, et, lui versait un salaire convenable que la paroisse complétait mais qu’il s’empressait de distribuer aux plus nécessiteux, qu’ils soient Russes, orthodoxes ou non ! Ses relations avec la communauté russe furent certainement l’épreuve la plus douloureuse qu’il eût à vivre ; il n’était guère apprécié car tous ne surent pas discerner l’extrême humilité de son caractère. Calomnies et plaintes, adressées au métropolite Euloge (comme nous le verrons par la suite), ne firent pas fléchir celui-ci qui confirma le père Alexis dans sa charge, le proposant comme exemple à suivre en cette vie exilée où régnait déjà la désunion et l’opposition des idées ecclésiales et politiques. Chacun essayait d’influencer le père Alexis, le montant contre d’autres. Il est important de souligner que père Alexis ne sut pas véritablement s’adapter à cette vie d’exil, mais loin de se décourager, il porta sa croix tentant par tous les moyens, en premier par son humilité, de constamment apaiser les cœurs et les esprits de son nouveau troupeau. Le père écoutait patiemment, les yeux fermés, la tête inclinée, immergé dans une prière qui n’était ni feintise ni fanfaronnade. Mais dès lors que les conversations se tournaient vers Dieu et l’Eglise, notre pasteur s’animait et y participait avec joie ! Participation non moins plénière dans les célébrations liturgiques auxquelles il apportait la plus grande rigueur et le plus grand soin. Son souci majeur étant l’accomplissement de la Divine Liturgie, il fut aidé en cela par son maître de chapelle (Leontii Ivanovitch Tchaplenko) qui, par sa présence, sa disponibilité (il ne travaillait pas) et sa connaissance profonde du typikon, lui permettait d’officier en semaine (au préalable, il mettait un point d’honneur à une rigoureuse préparation et un déroulement calme et recueilli de la proscomédie qu’il commençait très tôt le matin). En revanche, c’est la plupart du temps seul, après la liturgie, qu’il restait à l’église pour prier et pour célébrer les panykhides pour le repos de l’âme de ses enfants spirituels.
De caractère doux, il s’efforçait, de diverses manières, d’être pour tous source et cause de paix, quelles que soient les conditions sociales, les orientations politico-ecclésiales de ses ouailles. A la suite de Son Maître, il répondait toujours aux offenses par un silence empreint d’humilité, véritable force pour celui qui sait voir avec le « regard du cœur ». Sa connaissance de l’Ecriture et des Pères était telle que peu importaient les sujets de conversations auxquels il prenait part – et ce dans tous les domaines qui l’intéressaient : arts, littérature, sciences etc. - il n’avait de cesse d’argumenter et de les illustrer par des citations toujours bien choisies et appropriées. Il avait pour « leitmotiv », dirons-nous, la joie qui résulte de l’accomplissement fidèle des commandements du Christ. Particulièrement bienveillant avec les enfants, il faisait siennes les paroles du Christ dites aux apôtres : « Laissez venir à moi les petits enfants » et leur inculquait par sa pédagogie, qui n’avait d’égale que son amour pour Dieu, les bases qui leur serviraient dans leur vie de chrétiens. Mais plus que par la parole, c’est par l’exemple d’une vie simple, vérifiée au quotidien par le creuset de la patience et du non-jugement, qu’il prêchait. Dans la mémoire collective, il a laissé le souvenir d’un homme honnête, loyal, droit, travailleur acharné, et de surcroît, empli de modestie. Parfois à la limite de la misère, il savait ne rien demander mais tout attendre de Dieu sans rechercher le moindre avantage. Pasteur miséricordieux envers ceux qui le blessaient, il retournait toute difficulté à Dieu par la prière, se remettant à Sa Sainte volonté et obtenait toujours la réponse adéquate, au moment où il le fallait… jamais avant ! Sans doute a-t-il usé de cette « méthode » à une certaine époque, face à son conseil paroissial composé de personnes… difficiles, pour la plupart issues de l’armée et ayant l’habitude du commandement ! Or, l’Eglise n’étant pas un régiment ou une entreprise à diriger, le conseil dut comprendre qu’il n’avait pas les pleins pouvoirs dans la paroisse et qu’il fallait se mettre à suivre les règles ecclésiales et la conscience de leur recteur ! Père Alexis fut ferme et estimait ne pas avoir le droit de céder sur les questions concernant uniquement l’église, lorsqu’il discernait que les exigences du conseil contrevenaient aux règles (intransigeance que certains qualifieront de « monastique »). Réunions souvent houleuses (et ce, antérieurement à l’arrivée du père Alexis), il se voyait parfois contraint de clore les discussions sans que telle ou telle décision à l’ordre du jour n’ait été prise.
Tout ceci amena un petit groupe de mécontents à se former (allant même jusqu’à le harceler en pleine célébration liturgique) et à présenter une plainte au métropolite Euloge qui convoqua le père Alexis. Dès cet instant, la majeure partie des fidèles se mobilisa en faveur de leur archiprêtre en adressant à leur tour une lettre au métropolite et exprimant tout leur soutien dévoué et obéissant au père Alexis. Un délégué de ce groupe accompagna le père à Paris, où ils furent reçus par le vénérable hiérarque pour une entrevue visant à tirer cela au clair. Lorsque le métropolite constata que les détracteurs étaient quatre fois moins nombreux que les défenseurs, il en tira ses conclusions en faisant établir un nouveau conseil paroissial à Ugine et tout rentra dans l’ordre. En juillet 1934, le père Alexis, épuisé par tant d’années de labeurs, d’épreuves physiques et spirituelles, tomba gravement malade et l’hospitalisation s’avéra nécessaire. Transporté à l’hôpital d’Annecy, on diagnostiqua un cancer de l’estomac en voie de se généraliser. Père Alexis fut alors placé dans un service commun, dans une petite chambre réservée aux grands malades, ce qui lui permettait de s’adonner plus facilement à la prière grâce à laquelle il obtint de Dieu la certitude que sa fin terrestre était proche.
Au vu de la situation humainement critique du père Alexis, les visites se firent de plus en plus nombreuses. Il s’entretint avec tous et exhortait les uns et les autres à mener une vie conforme aux commandements évangéliques leur conseillant, comme ultime testament spirituel, le jeûne et l’abstinence, mais surtout la prière. Craignant une fin subite, il fit appel à son confesseur habituel pour le sacrement de pénitence, auquel il s’était dûment préparé, et pour la communion aux Saints Dons. Par la suite il manda auprès de lui tous ceux qui l’avaient calomnié quelques temps auparavant, afin de leur demander personnellement pardon se considérant lui-même comme fautif de tout. Implorant Dieu de le pardonner de n’avoir pas accompli tout ce qu’il aurait dû faire en tant que pasteur, il bénit une dernière fois ses paroissiens.
La veille de sa mort, aux dires de ses voisins de chambre, le père Alexis chanta à haute voix des « chants religieux » et le 22 août 1934, au petit matin, il rendit son âme à Dieu. Le décès constaté par le médecin légiste, il fut ordonné la mise en bière immédiate du corps de peur d’une décomposition très rapide due à la généralisation du cancer et aux fortes chaleurs estivales. A l’unanimité, tous les paroissiens souhaitèrent que la dépouille mortelle de leur pasteur soit transférée et inhumée à Ugine ; on collecta pour cela des fonds et tous les Russes – de quelque juridiction qu’ils appartinssent – assistèrent fervents et émus au service des funérailles. Le père Alexis fut d’abord enterré dans une sépulture provisoire et gratuite et peu de temps après le nouveau recteur de la paroisse (le père Jean Popoff) acheta une concession trentenaire et y fit inhumer le père Alexis… premier transfert au cours duquel le cercueil resta trois jours durant dehors sans que celui-ci ne soit ouvert.
En 1956 – comme nous l’avons explicité plus haut – on procéda à ce qui devait être la dernière exhumation /réinhumation du père Alexis. Le corps fut donc trouvé intact comme s’il eût été enterré deux jours auparavant : aucune altération si ce n’est la décomposition du cercueil même, les vêtements sacerdotaux tout de brocard or et blanc et l’évangéliaire étaient eux aussi en parfait état de conservation. Un miracle avait bel et bien eût lieu : comment expliquer « rationnellement » que la dépouille d’une personne décédée d’un cancer généralisé et vouée à une décomposition rapide et certaine soit incorrompue ?
Tout ceci se passa en août et, comme la nouvelle sépulture n’était pas encore prête, le corps dut rester à la surface durant encore trois jours sans que le corps ne subisse aucun dommage. Le jour de la nouvelle inhumation, le père Philippe Chportak, qui succéda au père Jean Popoff, fit un rapport détaillé et circonstancié de la situation au métropolite Nicolas, exarque du Patriarche de Moscou. Quelques temps plus tard, l’archiprêtre Paul Poukhalsky de l’église du Monastère de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu (Bussy-en-Othe) lut un article relatif au père Alexis et obtint la bénédiction du métropolite Vladimir (Tikhonitsky) de faire transférer le père Alexis jusqu’à la crypte de l’église de la Dormition-de-la-Mère-de-Dieu de Sainte-Geneviève-des-Bois pour une inhumation définitive, lequel métropolite prit un soin particulier aux plus menus détails concernant l’acheminement du corps vers sa dernière demeure. Le 30 septembre, les ouvriers du cimetière d’Ugine (profitant d’une courte absence du père Philippe !) réouvrirent le cercueil et constatèrent le toujours parfait état de conservation de la dépouille du prêtre avec plusieurs témoins à l’appui. Le 3 octobre, en présence des représentants du métropolite Vladimir, du secrétaire de l’Administration diocésaine et de la moniale Théodosie du Monastère de Bussy-en-Othe, le père Paul célébra en l’église d’Ugine une panikhide à la mémoire du père Alexis. Bien que ce fut un jour de semaine, il s’avéra qu’une nombreuse assistance était présente grâce à une grève décidée ce jour-là précisément dans l’usine Uginoise (clin d’œil du père Alexis ?!). Dans la soirée de ce même jour, le convoi funéraire arriva à Sainte-Geneviève-des-Bois. Le vendredi 4 octobre, l’évêque Méthode (Kulman) concélébra avec le clergé venu de Paris une liturgie des défunts, suivie d’une panykhide en présence du clergé des trois juridictions russes. Le cercueil fut placé dans la crypte de l’église de la Dormition-de-la-Mère-de-Dieu à Sainte-Geneviève-des-Bois.
Destin post-mortem exceptionnel en apparence, pour ceux qui ne vivent pas de la vraie foi, que celui de cet humble pasteur de Dieu. Puissions-nous vivre nous aussi de son exemple, lui qui, de par sa vie et jusqu’après sa mort, n’a eu de cesse de rassembler – par sa prière, son ascèse, sa conscience ecclésiale divinement éclairée, son non-jugement et sa sainteté – les orthodoxes russes en France douloureusement fractionnés et faire nôtre la prière du Christ à la veille de sa crucifixion : « Que tous soient UN, pour que le monde reconnaisse que Tu m’as envoyé ». Ne manquons pas, simples fidèles que nous sommes, de venir nous incliner sur sa tombe et faisons alors monter cette prière au Seigneur : « Pasteur de Dieu Alexis, intercède pour nous ! »
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