Marie des Vallées 2e partie
Marie des Vallées, 2e partie
Marie des Vallées, prophète
Les visions de Marie des Vallées
Les visions de Marie ne sont jamais extérieures, mais toujours intérieures. Ses visions sont, soit intellectuelles, lumière surnaturelle infuse en son esprit; soit en partie imaginaires et en partie intellectuelles. Les images qui se présentent à elle ne sont pas forgées par son imagination, mais lui sont envoyées comme un reflet de l’invisible et éternelle réalité venue se fixer sur la plaque sensible de la conscience en éveil. Les représentations imaginaires sont fugitives; les visions divines sont permanentes: elle ne sont pas reléguées par la mémoire. Cependant comme il est difficile aux hommes de faire la part des choses, Marie doutait souvent de ses visions, ce qui pour le Père Jean Eudes, était un signe de leur crédibilité. Le 21 septembre 1654, durant le mal de cœur, Marie a la vision de la nature humaine pécheresse, représentée sous la forme d’une créature monstrueuse, spectacle insoutenable qui fut de brève durée quoique d’une grande intensité. Marie se vit couverte de bêtes immondes représentant le péché. Ces bêtes immondes vinrent se promener sur son corps et y élire domicile en telle quantité qu’elle se sentit comme entièrement convertie en ces bêtes répugnantes. Mais le 26 septembre, tous ces cauchemars furent anéantis.
Marie des Vallées prophète
Marie fut chargée, pour son temps, de missions particulièrement difficiles, notamment la lutte contre la sorcellerie et ses conséquences. Il semble que Marie fût également investie d’une tâche plus délicate: faire prendre conscience au corps ecclésiastique et aux consacrés de leurs graves défaillances. Enfin, la situation de l’Église et l’abandon du peuple chrétien, au XVIIè siècle, étant très comparables à ce qui se passe de nos jours, on est en droit de se demander si Marie des Vallées n’avait pas été aussi un prophète pour notre temps.
À l’attention du clergé
Les défaillances du corps ecclésiastique sont les plus grandes douleurs que connaissent Jésus et le monde, même si le monde n’en a pas conscience. Les mystiques sont souvent choisis par Dieu pour mettre le doigt sur les plaies ainsi mises en évidence, afin qu’il pût y être porté remède: tâche éminemment difficile et redoutable! Pour ce faire, Marie regrettait les négligences des personnes consacrées et les abus dont, à l’époque, elles étaient bénéficiaires: accumulation des bénéfices, enrichissement personnel avec les biens de l’Église, courses aux charges lucratives, manquements aux règles religieuses... Par la voix de Marie, Jésus a parfois des mots très durs: “Ils seront jugés plus sévèrement que les autres. Ceux qui manquent à leur mission seront punis pour tous, pour le peuple, pour les nobles et les magistrats (ou officiers de justice); les nobles et les hommes de justice seront punis pour le peuple, les gens du peuple ne le seront que pour eux-mêmes. Des malheurs sont prêts à tomber sur l’Église, car il y a plus de justice parmi les soldats qu’entre les prêtres, et de toutes les conditions du monde, ce sont eux qui peuplent mieux les enfers. Les évêques devront répondre de toutes leurs ouailles d’une manière prodigieusement exacte.” Marie prie beaucoup pour les ecclésiastiques et les évêques. Jésus lui fait parfois des remarques presque insoutenables. Un jour, alors qu’elle priait pour un évêque et un prêtre, Jésus les lui montra “sous la figure d’une poire molle et d’une pomme à demi-pourrie. Lui ayant demandé si elle digérerait bien cette poire, elle lui dit que oui. – C’est que vous avez l’estomac bon!” lui répondit Jésus. Jésus montre souvent aussi la blessure qui afflige profondément son Cœur. Le 14 janvier 1645, Jésus dit à Marie: “J’ai un anneau au doigt qui me blesse, je le jetterai au feu.” Peu après Jésus précisa: “Cet anneau, c’étaient les ordres religieux qui seront purifiés au feu de la tribulation...”
Quel est le chemin pour aller à Dieu ?
Quel est le chemin le plus court pour aller à Dieu? Jésus répond à Marie des Vallées: c’est “demander, donner, recevoir, c’est-à-dire donner sa vie humaine, recevoir la vie divine, et demander hardiment et toujours le salut du prochain.” Car pour les âmes totalement données à Dieu, seul le salut des âmes doit compter. Ce sont aussi les préceptes que la Vierge Marie lui donnait: “Avoir pour Dieu un cœur d’enfant, pour le prochain un cœur de mère, et spécialement pour ses plus grands ennemis (les sorciers), et pour elle-même un cœur de juge sévère.” La sainte Vierge disait aussi “que le plus grand témoignage d’amour qu’on pouvait donner à son Fils était d’aider au salut des âmes.” Quant à la lumière que reçoivent certains docteurss, “il faut la mettre comme un flambeau qu’on voudrait garantir du vent, dans la lanterne de la vraie humilité, qui a son siège dans la mémoire, afin que, se souvenant de son néant, elle s’y préserve de la vanité. La charité, voyant cela, viendra dans la volonté et l’embrasera de son amour...”
Marie des Vallées, prophète des temps futurs
On a vu ci-dessus qu’au XVIIe siècle toutes les prophéties anciennes étaient rééditées et remises en honneur. Ces prophéties exprimaient, dans leur ensemble l’aspect de la justice de Dieu vengeresse. La prophétie d’Olivarius le prouve qui déclare: “Il y aura un moment si affreux que l’on se croira à la fin du monde. Les éléments seront soulevés. Ce sera comme un petit jugement... Ce bouleversement sera général, et pas seulement pour la France... Paris sera détruit... À la suite de ces événements, la révolution sera consommée. Alors le triomphe de l’Église sera tel qu’il n’y en a jamais eu de semblable.” Sous la dureté apparente de ces paroles, Marie des Vallées laisse poindre la joie de la communion universelle. Ainsi, Marie annonce un déluge de feu”, mais il s’agit du feu du Saint-Esprit: “Le troisième déluge, c’est le déluge du Saint-Esprit qui sera un déluge de feu, mais il sera triste parce qu’il trouvera beaucoup de résistance et quantité de bois vert qui sera difficile à brûler.” Ou encore, d’après le moine de Barbery: “Notre Seigneur lui a dit (à Marie des Vallées) qu’un temps viendra auquel Il fera pleuvoir un déluge de grâces sur toute la terre, etc... et qu’Il donnera de très beaux vases d’or à l’Église, ce qui est la figure des bons pasteurs dont elle sera ornée et enrichie pour lors. Pour la conversion générale, tous les amis de Dieu à la fois se répandront sur la terre pour faire le siège des âmes.” Qui sont-ils ces amis de Dieu? Gaston de Renty rapportant les paroles de Marie, précise: “Ce seront de grands martyrs quoique les bourreaux ne les touchent point, mais ils seront martyrs de l’Amour divin. Ce sera le divin Amour qui les martyrisera. Ils seront brûlés dans la fournaise de l’Amour et ils seront plus grands martyrs que quantité d’autres des premiers martyrs qui souffrirent le martyre par l’espérance des couronnes et de la gloire, mais ceux-ci ne regardent point la récompense mais la seule gloire de Dieu.” Et c’est la Sainte Vierge qui soutiendra les forces de ces fidèles en ces terribles combats. Certains commentateurs ont dit que Louis-Marie Grignion de Montfort avait repris les prophéties de Marie des Vallées, comme le prouvent d’ailleurs aisément les lignes suivantes du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge: “J’ai dit que cela arriverait particulièrement à la fin du monde, et bientôt, parce que le Très-Haut avec sa Sainte Mère, doivent se former de grands saints qui surpasseront autant en sainteté la plupart des autres saints que les cèdres du Liban surpassent les petits arbrisseaux, comme il a été révélé à une sainte âme, (Marie des Vallées) dont la vie a été écrite par Mr de Renty.”
Les mimes de Marie des Vallées
Les grands prophètes, comme Jérémie, ont parfois été conduits par l’Esprit à mimer leurs prophéties. À Marie des Vallées aussi, le Seigneur a demandé de mimer certaines scènes pour faciliter la compréhension de ses enseignements. Ainsi, un jour, le Christ demanda à Marie de porter une chemise et de la garder durant treize semaines, jusqu’à ce qu’elle soit pleine de crasse et infestée de vermine. Cette chemise sale, c’est l’état dans lequel se trouvent les hommes pécheurs. Ensuite, le Christ ordonna à Marie de brûler cette chemise souillée: les flammes la détruiront comme sera détruit le péché du monde lors de la grande tribulation, par le feu du Ciel.
Que sera ce déluge de feu ?
Les visions de Marie nous le révèlent, car ces visions sont toujours expliquées, au moins en partie, pour ce qui est des choses qu’elle doit connaître immédiatement. Ainsi, un jour, elle vit de nombreuses étincelles venant d’un feu. Ces étincelles “s’éparpillaient et tombaient en terre... puis se ramassèrent comme en forme de plusieurs essaims d’abeilles, qui donnaient de la terre au ciel...” Voici l’explication de ce mystère: “ Le feu, c’est le feu de la haine du péché... qui attaque le péché pour l’anéantir. Le bois dont il se nourrit, c’est la charité divine, la fumée, les prières qu’elle (Marie) fait pour sa destruction... L’éparpillement des flammèches se fera, quand Dieu sait, pour aller exciter les âmes particulièrement à la haine du péché.” Nous devons donc nous préparer aux grandes tribulations: “Notre Seigneur et la Sainte vierge lui ont dit plusieurs fois qu’il viendra une grande et horrible affliction par laquelle ils anéantiront tous les péchés de la terre, en comparaison de laquelle toutes les afflictions de ce temps ne sont rien.”
Mais la Miséricorde de Dieu est à l’œuvre
L’épuration par le feu est nécessaire. Dieu veut rénover sa création; c’est l’Œuvre de sa Miséricorde: “Ce sera ma Miséricorde qui exercera tous les châtiments qui arriveront alors, mais on ne la connaîtra point pour telle, car elle sera revêtue de justice.” Les âmes sont le Cœur de Notre Seigneur. Il les veut toutes. Et au cours d’une vision, Jésus déclara à Marie “qu’Il en (de l’abîme du péché) retirerait toutes les âmes au temps de la conversion générale.” Et l’un des démons dont elle était encore possédée en 1651, cria avec rage: “La délivrance est prochaine et quand nous en sortirons, nous ferons un grand signe.” Personne ne connaît ce signe, car c’est un arrêt du ciel, excepté l’exorciste à qui Marie fut contrainte de le confier. Gaston de Renty écrit, à ce propos: “Notre Seigneur lui dit que cet arrêt portait que les magiciens et les sorciers étaient condamnés à être possédés des diables dès lors qu’elle (Marie des Vallées) serait délivrée... Peu après, elle le dit en secret (la teneur du signe) à l’un des exorcistes, et tout aussitôt elle eut liberté de communier.” Cet exorciste, c’était Saint Jean Eudes. Oui, la Miséricorde de Dieu est à l’œuvre: en 1645 la Vierge Marie annonce à Marie des vallées: “La divine volonté a prononcé l’arrêt de mort contre le péché. Il ne reste plus qu’à l’exécuter.” En avril 1650, Jésus lui dit encore : “Ce qui afflige et fait trembler vos démons (ceux dont Marie était possédée) c’est qu’on leur demande de détruire leur ouvrage.” La conversion générale est proche ; un feu de joie universel comblera l’univers entier sous l’égide de l’homme réconcilié dans l’embrasement des cœurs au Feu de l’Amour divin. Et la terre sera peuplée de saints. Cette régénération sera l’œuvre des martyrs et de toutes les victimes de l’Amour. Après la grande tribulation, la terre sera peuplée de saints !!! Ce sera le Règne du Christ-Roi, le Règne de Dieu
Les lieux de la vie quotidienne de Marie des Vallées
Les lieux de sa vie quotidienne
Dès que commencèrent les exorcismes, Marie fut recueillie par Mgr de Briroy, évêque de Coutances, afin de la protéger. Elle passait la nuit seule, dans une chambre de l’évêché, et, dans la journée, elle était employée comme domestique à gages: elle tenait le ménage de deux prêtres, les Pères Potier et Lerouge, qui logeaient dans une petite maison proche de l’évêché. Le Père Lelièvre, s’inspirant des manuscrits en sa possession, fait de Marie des Vallées, à cette époque, le portrait suivant: ”C’était une femme d’une trentaine d’années, grande, forte, digne, majestueuse même, plutôt sévère. Son costume est simple et très net: une collerette blanche en son couvre-chef de toile fine, un corset et un cotillon de droguet solide tirant sur le violet sombre, un tablier vert foncé, des souliers plats. Son maintien est énergique, le fond de ses traits très doux révèle à l’observateur des traces de souffrances intimes peu ordinaires. De son regard vif et pénétrant, elle a vite fait de sonder le visiteur et de connaître le motif qui l’amène. Il semble même qu’elle lise jusqu’au fond de l’âme ses dispositions. Le simple curieux est éconduit. Celui qui vient au Nom de Dieu apporter un sujet d’édification ou demander un conseil est accueilli avec la plus extrême bienveillance.” Quand Marie a terminé son service, elle se tient dans la petite pièce qui lui sert de cuisine, et elle file ou elle tisse. Elle compose également, sur des airs populaires, des cantiques et des complaintes. C’est dans ces lieux paisibles que s’accomplit l’action salvatrice de Marie. Les deux prêtres, les Pères Lerouge et Potier seront les seuls témoins de certains phénomènes spirituels, notamment de la flamme bleue qui descendit sur la tête de Marie quand Dieu lui fit savoir que sa requête pour les pécheurs était acceptée, et que le cycle de son mal de douze ans allait commencer.
L’entourage de Marie des Vallées
Marie n’était pas isolée; elle voyait venir à elle de nombreux ecclésiastiques, des contemplatifs, des personnalités du royaume de France, et des gens du peuple. Toutes les couches de la société venaient à elle, afin de recevoir ses avis et ses conseils. Beaucoup d’ecclésiastiques et d’évêques soutinrent Marie dans sa mission, dont Mgr Nicolas de Briroy, ou Mgr Léonor de Matignon qui avait été nommé évêque de Saint Lô à l’âge de 21 ans. Mgr de Matignon, qui œuvra vigoureusement pour la formation des prêtres et la rénovation de l’esprit chrétien dans le peuple, consultait fréquemment Marie au sujet des problèmes épineux qu’il rencontrait dans sa charge, car il lui faisait pleinement confiance. Des Capucins, des Jacobins, des Augustins, au moins un Père jésuite, le Père de Saint Jure, sollicitèrent ses conseils: “Des religieux pénitents du Tiers-Ordre régulier viennent de Paris... De leurs entretiens et du résultat de leurs visites nous savons quelque chose par les lettres de Mère Mechtilde du Saint Sacrement, de Frère Luc, et plus tard de Monsieur Boudon, archidiacre d’Évreux.” Le Père de Saint Jure, exorciste, suivra Marie et confiera à Saint Jean Eudes et à Gaston de Renty, qu’il avait eu des preuves de la sainteté de Marie. Le Père Cotton, qui fut le confesseur des rois Henri IV et Louis XVIII, et dont le discernement était très apprécié, tint des propos comparables.
Qui était vraiment Marie des Vallées ?
L’énigme Marie des Vallées
Marie des Vallées, illettrée, apprit à lire par obéissance, avec une rapidité déconcertante... Peut-être son Seigneur désirait-Il qu’elle lise les ouvrages qu’Il lui indiquerait, comme, par exemple, ceux de Benoît de Canfeld, franciscain anglais venu en France, et qui eut une large audience dans les milieux spirituels de son siècle, ou encore l’ouvrage du dominicain, Thomas Deschamps, Le jardin des Contemplatifs parsemé de fleurs d’amour divin. Thomas Deschamps vouait un véritable culte à la Volonté de Dieu, ce qui ne pouvait que plaire à Marie. Saint Jean Eudes qui connaissait bien Marie des Vallées et qui était imprégné de son esprit, la décrit ainsi: “Elle avait des dons étonnants, un esprit clair, prompt à la synthèse, une imagination vive et colorée, des tournures frappantes, un rythme sûr...” On a dit que l’œuvre monumentale de Saint Jean Eudes, Le Cœur admirable, était imprégnée des paroles et du style de Marie des Vallées. Ce qui est certain c’est qu’elle fit des prophéties dont beaucoup se réalisèrent de son vivant. Elle connaissait les pensées secrètes d’autrui et l’état des consciences, voyait à distance, et prévoyait même les fautes de ses proches, et les avertissait.
La mystique
Marie des Vallées fut une grande mystique, “victime” de l’Amour du Seigneur qui s’exprimait à travers elle. Cela faisait dire à Saint Jean Eudes que Marie était “une personne dont les paroles sont des charbons ardents qui embrasent le cœur de ceux qui les entendent et qui leur font dire: ’Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous quand il nous parlait?’(Luc 24, 32).” Selon Marikka Devoucoux, les visions de Marie étaient “comme les gravures successives d’une Histoire dont nous devons reconstituer les légendes... Elles nous renvoient au travail d’amour et de contemplation... auquel l’esprit s’applique comme à une tâche sacrée qui nous plonge dans l’infini et dans l’éternelle activité de la divinité.” Marie ne supportait pas la tiédeur de ceux qui l’approchaient. Leur inconscience suscitait en elle des réactions parfois violentes. Axée uniquement sur Dieu, Marie s’élevait contre les modes du temps et l’attitude des prêtres ou des fidèles qui célébraient ou suivaient la Messe sans s’y intéresser vraiment. Sa pensée spirituelle était très simple, essentiellement orientée vers la liturgie, dont elle vivait le temps avec une grande intensité. Notons enfin que Marie avait deux grandes dévotions: le Rosaire, et le Psautier. Pour ses contemporains, amis ou ennemis, Marie des Vallées fut une énigme. On venait auprès de Marie pour trouver du réconfort, des conseils. Ses ennemis ne pouvant la combattre ouvertement tant sa vie était inattaquable, multipliaient les insinuations méprisantes ou calomnieuses. C’est que Jésus souhaitait que la mission de Marie restât cachée comme le fut sa mission à Lui, Jésus, quand Il subissait sa Passion et mourait sur la Croix. Devait-elle être ignorée, pendant trois siècles, comme Jésus “ le fut pendant trois jours, au sépulcre ?” On peut se le demander, car il semble que parfois, le voile qui la cachait commence maintenant, quoique discrètement, à se soulever. Trois siècles ont passé... Jésus avait dit à Marie qu’Il “se servirait d’elle comme d’un linge pour essuyer les péchés du monde.” Aujourd’hui, alors qu’on commence à redécouvrir Marie des Vallées, on se demande toujours: mais qui était Marie des Vallées ? Saint Jean Eudes, son Directeur spirituel, témoigne de la profonde humilité de Marie, et sa ”très candide simplicité”. Et pourtant elle possédait comme une sorte de puissant magnétisme naturel et elle exerçait, peut-être sans même le savoir, un grand ascendant sur tous ceux qui l’approchaient. Marie portait, avec le Christ, la souffrance du monde: pourtant elle n’était pas triste dans sa vie de tous les jours. Affrontée aux plus profondes ténèbres, elle restait sereine et pacifique. Sa lucidité était exceptionnelle, elle avait une grande connaissance du mal, et elle ne cessait de réconcilier ceux qui ne voulaient plus se connaître. Sa patience était immense, sa loyauté implacable: cela lui vaudra de très nombreux ennemis. Illettrée, elle se révélait étonnamment cultivée: un de ses biographes, Émile Dermenghem, écrivit en 1926 : “Cette illettrée a un sentiment étonnant de la métaphysique et de la déduction, un esprit de synthèse unie à la plus colorée des imaginations... Elle va, comme toujours, droit au centre.”
L’humilité de Marie des Vallées
Gaston de Renty écrit au sujet de Marie des Vallées: “Le mystère dont elle porte l’impression la tire d’avec nous présentement, elle nous sera une Idée de notre Jésus avec lequel, ayant vécu si souffrante, elle sera vivante et rayonnante! Il y a des personnes que Dieu veut tenir dans l’obscurité, c’est pourquoi son état ne fait point de peine, puisque sa vie a été consommée en vertu parmi les peines. Il faut des créatures qui honorent tous les états de Jésus, sa mort (celle de Jésus) n’a pas été reconnue sainte de beaucoup.” Cette lettre est une confirmation de la stigmatisation de Marie.
Les enseignements de Jésus
Marie restait toujours d’une humilité profonde, car l’humilité ouvre à l’obéissance. Un jour le Seigneur lui dit que “l’obéissance était un bon orfèvre qui connaissait bien l’or, et que ceux qui la prenaient avec eux... ne se tromperaient jamais au choix de la monnaie, mais bien seulement les propres volontaires.” L’humilité donne aussi la patience, et la patience aide à supporter les cinq degrés de la pauvreté : 1-Se dépouiller des richesse, 2-des honneurs, 3-de tous les dons et grâces sensibles et tous ses mérites propres adonnés aux bonnes œuvres pour cette vie et l’autre, 4-Se dépouiller de soi-même et ne posséder que l’amour de Dieu et du prochain. 5-Le 5e est fait par Dieu même qui est ineffable. Il existe aussi trois sortes de silence que Jésus expose à Marie en 1646. Le silence : 1-De la langue, ni bon ni mauvais en soi ; 2-Des passions et des désirs, qui est très bon et qui conduit à la haute perfection; 3-De l’amour divin, c’est-à-dire quand il règne dans l’âme. Quand elle est établie dans les vertus, l’âme peut accéder par quatre degrés, à la parfaite union avec le Christ: la communion, l’union, la transformation, la déification. 1-La communion est la parfaite conformité à la Volonté de Dieu... C’est quand on est en la grâce de Dieu. 2-L’union est l’agonie de l’âme, laquelle cause la retraite de l’entendement et de la mémoire dans le néant. Mais la volonté vit encore. Union est plus que communion, car c’est alors qu’on est uni à Dieu plus fortement. 3-Dieu explique à Marie cet état: elle est comme un roi mort qui n’est non plus touché de se voir dans son cloaque que dans un trône... Transformation est lorsqu’on est tellement uni à Dieu, qu’il est très difficile d’en être séparé, comme il serait très difficile de séparer l’eau qui est mêlée dans le vin. 4-C’est en cela que gît la perfection la plus sublime, car l’âme n’a plus de choix et est morte. C’est ici la mort mystique et le vrai anéantissement. Déification, c’est lorsqu’on est tellement anéanti et lorsqu’il n’y a plus que Dieu et nous, ce qui ne s’accomplit point parfaitement que dans le ciel. Dieu veut que nous n’ayons d’autre volonté que la sienne. Ces paroles peuvent sembler dures, voire redoutables, mais il convient de les resituer dans les mentalités de l’époque où elles ont été dites puis écrites. Il faut aussi se référer aux exigences que Jésus impose à certains grands mystiques. D’ailleurs Marie précise: “Nous ne pouvons bien coopérer avec Dieu que si nous sommes entièrement anéantis, et s’il n’y a plus que Dieu en nous: c’est un ouvrage qui n’appartient qu’à l’Amour divin tout seul.”
Dieu nous veut dans sa Lumière, et la souffrance est le nécessaire crucifiement par lequel Il nous ramène au centre de son rayonnement : La chose la plus précieuse et la plus belle, c’est la Croix. La souffrance multiplie la force d’amour de celui qui aime, pratiquement à l’infini. Cependant, la lente transformation de la souffrance en amour et en lumière, ne se réalise pas dans les transports extatiques, mais dans l’imperceptible déchirement de la nature humaine qui sent ses forces se diluer dans une étrange lassitude physique, laquelle désole le corps. Et s’il est donné à quelqu’un de vivre un tel état, c’est à la condition de s’abandonner totalement à l’action de Dieu, souvent déconcertante. Aucune souffrance ne fut épargnée à Marie des Vallées, pas même l’épreuve du doute : “Elle était toujours dans l’incertitude et dans la crainte d’être trompée car, lorsque Notre Seigneur lui parlait, elle voyait clairement et assurément que c’était Lui, néanmoins, sitôt que cela était passé, elle demeurait dans la crainte et l’incertitude et elle n’avait point de créance assurée à toutes les choses qui lui étaient dites.”
Après la mort de Marie des Vallées
Marie des Vallées et ses amis
Pendant toute sa vie, Marie des Vallées avait été un signe de contradictions. Après sa mort les passions ne s’apaisèrent pas. Ses amis, frères de mission, et ses défenseurs continuèrent à être persécutés. Nombreux étaient ceux qui venaient prier sur sa tombe, à Coutances. On peut citer, parmi beaucoup d’autres: M. de Bernières, Saint Jean Eudes, Mme de Camilly et Mme d’Acqueville... Certains, comme Mr Langry ont souhaité – et obtenu – reposer près d’elle après leur mort. De nombreux jésuites défendirent sa mémoire. On la vénérait dans de nombreux couvents. On se partageait aussi ses reliques, et spécialement les linges tachés de son sang. Mais les ennemis se firent de plus en plus bruyants, et les attaques, toujours plus perfides... Pourtant les miracles se multipliaient. D’étonnantes guérisons ont été signalées et répertoriées. Marie demeurait vivante dans les mémoires amies, et on la sollicitait souvent pour obtenir des grâce spirituelles. Les exemples foisonnent et il serait trop long de les rapporter ici. C’est que Marie restait toujours présente, attentive aux besoins de ceux qu’elle avait aidés durant sa vie terrestre. Dans cet ordre d’idée, il est difficile de passer sous silence ses relations avec Mère Mechtilde du Saint-Sacrement. Le Père Lelièvre, biographe de Marie des Vallées, écrit: “Pendant près de quinze ans, la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement a correspondu avec la sœur Marie, non sans grand profit pour son âme et pour ses fondations. On ne saurait dire toutes les grâces et les lumières qu’elle a eues par elle dans ses nombreuses épreuves. Elle lui reste fidèle jusqu’à sa mort.” Ainsi, vers 1656-1657, après la mort de Marie des Vallées, Mère Mechtilde écrivait à M. de Bernières qui lui demandait son sentiment: “J’ai fait entendre à ce bon père que Dieu ne m’avait point établie dans l’Église pour porter jugement de ses œuvres profondément cachées comme celle en question, mais qu’il m’imposait une loi de les révérer dans sa lumière et d’attendre avec humilité et patience le moment qu’Il a choisi pour découvrir les merveilles de sa grâce et de son amour.” Dans une autre lettre, Mère Mechtilde conseillait: “Comme la bienheureuse Marie des Vallées fait quantité de miracles, je la prie, et vous aussi, d’y avoir recours...”Mère Mechtilde transmet à ses filles les enseignements de Marie sur la méditation, la contemplation, l’oraison... Elle exhorte une de ses religieuses à pratiquer l’humilité dans le sillage de Marie des Vallées. Elle rappelle la manière préconisée par Marie d’effectuer chaque action, unie à Dieu.
Des apparitions étranges
Une carmélite, Mère Angélique de la Providence, avait souvent des apparitions de saints: Saint Élie, Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne... Pendant près d’un an elle bénéficia de la présence de Saint Jean de la Croix. “Mais, raconte l’auteur de sa biographie, dans ses soufrances, elle fut assistée d’une grande servante de Dieu et de son Immaculée Mère, nommée Marie des Vallées qui est morte après quarante sept années de peines terribles qu’elle a souffertes avec une patience héroïque, et d’autre part ayant mené une vie innocente et pratiqué les vertus dans un éminent degré...”
Marie des Vallées, et les missions françaises au Canada
On le sait peu, Marie des Vallées – comme d’ailleurs Gaston de Renty – fut très proche, par ses prières et ses souffrances offertes, de l’évangélisation de la Nouvelle France. Dans La vie de Mgr Laval, on trouve ce paragraphe: “Mgr de Montmorency-Laval, le premier évêque du Québec, avait reçu de Marie (des Vallées) des lumières surnaturelles sur sa sanctification personnelle et son futur apostolat. Aussi, une fois sacré, (évêque) voulut-il, avant de s’embarquer, revenir prier sur la tombe de Marie. Il sollicita de Saint Jean Eudes des morceaux de linge trempé de son sang et quelques objets. Dans la suite il s’en servit pour obtenir des guérisons et la délivrance de certains possédés.” Autre fait étonnant : la jeune Catherine Simon de Longpré, onze ans, rencontre saint Jean Eudes qui prêche une mission à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Au cours de cette mission, elle reçoit de Marie des Vallées l’assurance qu’elle est appelée par Dieu. Elle entre à 14 ans chez les Augustines Hospitalières de Bayeux, puis part au Canada. C’est là, sur cette terre devenue sa deuxième patrie, qu’elle voit souvent, en apparition, Marie des Vallées et saint Jean de Brébeuf, récemment martyrisé par les Iroquois. Ces apparitions se renouvelèrent pendant plus d’un an.
L’oubli
Curieusement Marie des Vallées est tombée dans l’oubli. Le Père Lelièvre écrit: “Petit à petit, la nuit se fait: St Jean se couche dans la tombe... La prière cesse, les faveurs se raréfient, les souvenirs s’obnubilent... C’est la timidité, puis la gêne, puis la défiance, presque la honte, enfin, qui s’emparent des historiens. Ceux-ci n’osent plus guère associer ces deux noms (Saint Jean Eudes et Marie des Vallées) qui rappellent deux âmes si unies, si dévouées l’une à l’autre. Ils redoutent de parler, comme d’un écueil dangereux, comme d’une épreuve pénible et compromettante pour la mémoire du saint, de sa rencontre avec une âme si extraordinaire et si méconnue. Bientôt, c’est l’oubli, c’est le silence du tombeau qui enveloppe la disparition et la mémoire de la sainte de Coutances.”
Et pourtant!...
Pourquoi cet oubli ? Pourquoi ce silence sur une âme, certes controversée, mais cependant réellement sainte. Pourtant, les miracles, discrets, continuèrent jusqu’au XXe siècle. Ainsi on signale: Le 14 novembre 1922, la guérison d’une religieuse de Notre-Dame de la Charité à Marseille. Le 13 septembre 1925, le blanchiment miraculeux de cinquante robes de religieuses irrémédiablement tachées, et irrécupérables. Le 23 novembre 1927, la guérison d’un prêtre malade depuis 1908. L5 mars 1929, la guérison d’un enfant de dix ans et demi. Le Seigneur se réserverait-Il Marie pour d’autres temps, le nôtre, peut-être ?
Marie des Vallées, Saint Jean Eudes et Gaston de Renty
Marie des Vallées et Gaston de Renty
Gaston de Renty voulait, dans sa jeunesse, devenir chartreux. Ses parents, et Dieu en avaient disposé autrement et Gaston accepta de fonder une famille... Durant la période qui nous occupe: années 1627 et suivantes, la Normandie est durement éprouvée: soulèvements populaires, pestes... Gaston de Renty, qui a cependant choisi l’Unique nécessaire, vient de s’engager dans le renoncement total, tout en restant dans le monde: il est marié et a quatre enfants. Mr de Renty connaît M. Vincent, et, de l’union de leurs âmes naquit la grande œuvre de Gaston de Renty: la Compagnie du Saint-Sacrement, créée officiellement par Vincent de Paul et un laïc. Gaston de Renty y sera admis en 1639: il a vingt huit ans. À partir de 1640, Gaston de Renty, supérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement, se voit confier la direction spirituelle de dames pieuses de la noblesse. La Compagnie de Caen sera fondée par Gaston lui-même en 1642. En feront partie, entre autres, M. de Bernières-Louvigny, le Père Hyacinthe Chalvet, dominicain, la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, fondatrice des Bénédictines adoratrices du Saint-Sacrement, saint Jean Eudes, Mgr d’Angennes, évêque de Bayeux, ainsi que Mgr Cospéan, évêque de Lisieux. Gaston de Renty, présent sur ses terres normandes, connaissait l’existence de Marie des Vallées par l’intermédiaire de sœur Marie du Saint-Sacrement, du Carmel de Pontoise, dont la prieure, Mère Jeanne de Jésus, était la sœur du chancelier Séguier. Mais il ne l’avait jamais rencontrée. De son côté, saint Jean Eudes l’incitait à entrer en relation avec elle. Ce qui se fit en novembre 1641. Ce jour-là, à l’église où elle priait, Marie demanda à la Sainte Vierge :
– Qui est celui-ci ?
– C’est celui que je vous avais promis. Ouvrez-lui votre cœur, c’est le bon enfant. Il est à moi: je vous l’associe avec ceux qui vous sont venus voir.
Dès lors, des relations étroites s’établirent entre Jean Eudes, prêtre, Gaston de Renty, et Marie des Vallées, laïcs tous les deux. En 1642, peu après la mort de la Sœur Marie du Saint-Sacrement du Carmel de Pontoise, Gaston retourna en Normandie. Il rencontra Marie des Vallées et entreprit un Mémoire sur ses révélations. Ce mémoire, qui témoigne de l’influence qu’eut sur lui Marie des Vallées, il le remettra, avec beaucoup de recommandations de discrétion et de prudence, à la supérieure du Carmel de Beaune.
Gaston avait mis dans ce Mémoire, outre les visions de Marie des Vallées, sa foi, son espérance en la Rénovation de l’Église, et la manifestation imminente du Royaume sur la terre. Il écrit :
“Ce livre, dans lequel vous verrez la conduite d’une âme beaucoup souffrante (sic) et qui vous dira des nouvelles de l’Enfer.” Et il poursuit: “Il est vrai que cette conduite est si extraordinaire que peu de personnes sont capables de la recevoir; c’est pourquoi vous la communiquerez à celle qu’il vous plaira de la maison...”
Un peu plus tard, Gaston de Renty écrit à la même personne: “Je crois que le petit écrit vous servira particulièrement pour vous montrer que la raison de nos maux est dans l’immortification de notre nature et que c’est là le siège de l’ennemi...” En juin et juillet 1646, saint Jean Eudes prêche, à sa demande, une mission sur les propres domaines de Gaston de Renty, au Bény-Bocage, en Normandie. Gaston de Renty y assiste, entouré de son épouse et de ses enfants, du 25 au 29 juillet. Marie des Vallées est venue passer ces quatre jours en leur compagnie. Elle s’entretiendra longuement avec Gaston de Renty. Rendant compte de cette visite à Mère Élisabeth, de Beaune, Gaston de Renty écrit, au sujet de Marie: “... Elle est un trésor en la terre. Il faut de telles colonnes en divers cantons du monde pour supporter le faix des iniquités du siècle et lui prolonger la durée jusqu’à l’accomplissement du nombre des élus.” (Lettre 130) Renouveler l’esprit du christianisme, c’est la mission de Marie des Vallées, qui, tout comme Gaston de Renty ne peut que constater l’état impressionnant de délabrement de l’Église et de l’état ecclésiastique à cette époque. Mais, inévitablement, de grandes épreuves vont accabler Gaston de Renty : campagne de calomnies et douloureux procès intentés contre lui par sa propre mère. Selon le modèle vécu par Marie des Vallées, la Confrérie du Saint-Sacrement sera appelée à vivre l’effacement total de la personnalité devant la personne divine. Ses membres sont invités à s’anéantir au point qu’il ne reste plus rien d’eux, à la manière de l’hostie consacrée dont le pain n’est que l’apparence visible, le revêtement extérieur. Quand on sait combien les Messieurs du Saint-Sacrement ont été décriés, calomniés, méprisés, etc,.. on comprend la réalité de ces paroles et l’héroïsme qu’impliquait un tel engagement.
Marie des Vallées et saint Jean Eudes
Jean Eudes est né en 1601 à Ri (près d’Argentan) dans le diocèse de Séez. Il est ordonné prêtre à Paris le 20 décembre 1625, et entre à l’Oratoire où il restera pendant près de vingt ans. Il se donne corps et âme aux missions d’évangélisation du peuple. C’est au cours de l’épidémie de peste de 1631, alors qu’ils soignaient les pestiférés, que Jean Eudes et Gaston de Renty se rencontrèrent. Gaston de Renty a vingt ans ; Jean Eudes, trente. Le 26 octobre 1640, Jean Eudes est nommé supérieur de l’Oratoire de Caen. C’est en 1641 qu’il fit la connaissance de Marie des Vallées, et, à la demande de Mgr de Matignon, assura sa direction spirituelle. Se souvenant de cette période, Jean Eudes écrit: “En cette même année 1641, au, mois d’août, Dieu me fit une des plus grandes faveurs que j’aie jamais reçues de son infinie Bonté; car ce fut en ce temps que j’eus le bonheur de commencer à connaître la Sœur Marie des Vallées, par laquelle la divine Majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées. Après Dieu, j’ai l’obligation de cette faveur à la T.S.Vierge Marie, ma très honorée Dame et ma très chère Mère, dont je ne pourrai jamais assez la remercier.” Mais cette insigne grâce de Dieu fut accompagnée de douloureuses persécutions de la part de ses confrères. Une étroite collaboration s’établira entre lui et Marie des Vallées, notamment lors de ses fondations. En effet, Jean Eudes quitta brusquement l’Oratoire en mars 1643. Il semble que certaines orientations prises par les supérieurs de l’Oratoire l’aient incité à prendre cette décision. Par ailleurs, il voulait se consacrer à ses nouvelles fondations. Marie des Vallées prit très à cœur la fondation de l’Ordre de Notre-Dame de la Charité destiné aux filles repenties. En 1644, la Ste Vierge donna même à Marie les instructions pour le costume des religieuses. Après cette fondation, le 23 mars 1643, Jean Eudes entreprit la fondation de la Congrégation de Jésus et de Marie, dite aussi: la Société des prêtres du séminaire de Jésus et de Marie, pour les missions et les séminaires. Marie des Vallées disait que c’était le Christ Lui-même qui avait inspiré ce projet et qu’il serait fondé sur Lui, “sur la grâce, la divine Volonté, et la Croix.” En juin 1646, Jean Eudes et ses missionnaires prêchent une mission sur les terres de Gaston de Renty, au Bény-Bocage. Gaston de Renty décrit le déroulement de cette mission : “Outre sa grâce et sa puissance sur les peuples, il assemble deux fois la semaine les ecclésiastiques pour leur faire des conférences de leur saint état et de ce qu’il requiert, où ils abondent de toutes parts... Il assemble la noblesse un jour la semaine, pour les porter à user saintement de leur condition qui leur a été donnée de Dieu, pour être son bras dans les besoins de son service; et il minute de lier les plus disposés sous de petits règlements dressés à cette fin, pour les assembler une fois par mois, d’où il résulterait un grand fruit... pour renouveler l’esprit du christianisme.” Cette mission de la noblesse, Notre Seigneur, par Marie des Vallées la confirmera à Gaston de Renty, en lui expliquant le sens du chapelet que Marie, la Sainte Vierge, lui avait donné quatre ans auparavan : “Il m’a donné sa noblesse temporelle en quittant le monde pour l’amour de Moi. Je lui ai donné ma noblesse spirituelle qui est l’amour et la charité. L’amour et la charité sont une clef qui ouvre le chemin que j’ai marché en cette vie... Dans ce chemin, l’amour divin consomme l’âme en elle-même et la transforme en Dieu; il l’anéantit et la déifie et n’y demeure que Dieu seul vivant et régnant. Voilà la dignité et la fin de la noblesse que je lui ai donnée.” Le 2 août 1646, deux jours après la fin de la mission, Gaston de Renty écrit à un ami : “... Il faut rendre cet honneur au Père Eudes de le tenir comme un admirable et extraordinaire organe de Dieu pour le ministère où Il l‘a appelé. On ne peut résister à des vérités dîtes si nûment, si saintement et si fermement... Il y avait plus de douze mille personnes le dernier jour ! Toute une montagne en était couverte.”
La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus
On a souvent remarqué que, lorsque le Seigneur veut accomplir une grande œuvre, Il se suscite des saints qui, souvent “vont” par paires. La liste est longue de ces couples étonnants, religieux et parfaitement chastes, presque toujours de grands mystiques. Ils se voyaient peu et étaient parfois séparés par de longues distances, mais, grâce à la prière et aux sacrifices de l’un, l’autre a pu réaliser l’œuvre que le Seigneur attendait de lui. On peut citer entre autres, pour mémoire : saint François et sainte Claire, Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et Louise de Marillac, Monsieur Olier et Agnès de Langeac, Louis-Marie Grignion de Montfort et Marie-Louise Trichet, sainte Marguerite-Marie et saint Claude la Colombière, etc... On a parfois l’impression que saint Jean Eudes et Marie des Vallées ont constitué l’un de ces couples privilégiés de saints chargés d’une mission redoutable. Il existe, en effet, entre saint Jean Eudes et Marie des Vallées une étroite concordance de pensée. L’un était le directeur spirituel de l’autre à qui il demandait souvent conseil... Dans cette optique, on peut se demander si la naissance du culte au Sacré-Cœur de Jésus, inspirée à saint Jean Eudes, n’aurait pas été également confiée à Marie des Vallées ? Dieu seul le sait. Quoiqu’il en soit, quelques faits sont révélateurs: 1641, saint Jean Eudes rencontre Marie des Vallées. Cette même année, il fonde l’Ordre de Notre-Dame de la Charité, et la voue au Cœur de Marie qui n’a qu’un Cœur avec son divin Fils. Saint Jean Eudes raconte une vision de Marie à cette époque : “Notre Seigneur lui a dit qu’Il avait institué la fête du Cœur de la Vierge et qu’Il châtierait ceux qui s’y opposeraient. Elle dit aussi qu’Il lui dit que c’était la fête de son Cœur.” C’est clair : c’est le Christ Lui-même qui est l’Auteur du culte rendu au Cœur de sa Mère. Et le Cœur de la Mère annonce le Cœur du Fils. (Mystère contenu dans le mystère de l’Incarnation) 1643, Saint Jean Eudes fonde la Congrégation de Jésus et de Marie, plus connue sous le nom d’Eudistes, et la Société des enfants du Saint Cœur de la Mère Admirable dans laquelle entrera Marie des Vallées. D’aucuns pensent que ces fondations de Jean Eudes auraient été fortement encouragées par des révélations confiées à Marie des Vallées, par saint Jean et la Vierge Marie. En fait, la congrégation de Jésus et de Marie est dédiée au Saint Cœur de Jésus et de Marie. 1648, à Autun, Jean Eudes célèbre la fête du Cœur de Marie pour laquelle il a composé l’Office. 1652, 8 février, pendant la messe, au cours d’une vision, Jésus dit à Marie des Vallées : “Voilà notre Cœur; c’est celui de ma Mère, mais c’est le vôtre aussi, car enfin, Moi, ma Mère et vous, nous n’en avons qu’un que voilà.” Le 3 juillet 1652, une chapelle dédiée au Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, est élevée chez les Pères Eudistes. Elle fut achevée en septembre 1655, et Marie des Vallées fut la marraine de la cloche avec Mr de Bernières. 1656, le jour de l’octave de la fête du Saint Rosaire, dans une vision, le Christ annonça à Marie qu’Il avait trois Cœurs : le premier est l’amour et la charité qui m’ont fait descendre du Ciel en mon Incarnation ; le deuxième qui procède du premier est ma Passion ; et le troisième, qui procède du second est le Saint-Sacrement.” 1668, les deux cultes, au Cœur de Jésus et au Cœur de Marie deviennent distincts. L’Office du Cœur de Jésus est composé par saint Jean Eudes. Marie des Vallées n’est, alors, plus sur cette terre, mais Jean Eudes doit se souvenir de la promesse de Jésus pour son Église, promesse confiée à Marie des Vallées dans une vision : Je veux lui donner trois choses singulières : 1°C’est une bague enrichie d’une pierre précieuse qui sera d’aimant attirant le fer, 2°ce sera mon Cœur, 3°la connaissance des Écritures et d’un sens qu’elle n’a pas connu. Étonnante et incomparable promesse! Inutile de dire qu’elle déchaîna des montagnes de passions: c’est au sein même de l’Église que se manifestèrent les plus grands obstacles contre ce culte pourtant demandé par Jésus Lui-même. Chose étonnante: les adversaires engloberont dans une même vindicte Marie des Vallées, saint Jean Eudes, sainte Marguerite-Marie et saint Claude la Colombière. 1670, saint Jean Eudes célèbre la fête du Sacré-Cœur de Jésus à Rennes, avec l’autorisation de Mgr de Vieuville. 1671, Marguerite-Marie entre à la visitation de Paray-le-Monial. 1672, saint Jean Eudes ordonne à ses Congrégations et Instituts, la célébration de la fête du Cœur de Jésus. Le 29 juillet, il écrivait à ses frères : “... nous n’avons jamais eu l’intention de séparer deux choses que Dieu a unies si étroitement ensemble, comme sont le Cœur très auguste du Fils de Dieu et celui de sa bénite Mère. Au contraire, notre dessein a toujours été, dès le commencement de notre congrégation, de regarder et d’honorer ces deux aimables Cœurs comme un même Cœur, en unité d’esprit, de sentiment, de volonté et d’affection, ainsi qu’il paraît manifestement en la salutation que nous disons tous les jours au Divin Cœur de Jésus et de Marie, comme aussi en l’oraison et en plusieurs autres endroits de l’office et de la messe que nous célébrons en la fête du Cœur Sacré de la même Vierge... Mais la divine Providence... a voulu faire marcher la fête du Cœur de la Mère avant la fête du Cœur du Christ, pour préparer les voies dans les cœurs des fidèles à la vénération de ce Cœur adorable, et pour la disposition à obtenir du Ciel la grâce de cette seconde fête, par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la première.” Signalons pour mémoire : 1673, première vision de Marguerite-Marie. 1674, la fête du Sacré-Cœur est célébrée par les Bénédictines du Saint-Sacrement, à Montmartre, à Paris, avec l’Office composé par saint Jean Eudes. Le pape Clément X approuve les Congrégations et les Instituts de saint Jean Eudes.
Nota : Le 4 janvier 1903, Léon XIII reconnut solennellement que saint Jean Eudes était l’auteur du culte liturgique des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie. À cette occasion il fit allusion “à la Sainte de Coutances.” Le 11 avril 1909, le pape Pie X nomme Jean Eudes, ”père, docteur et apôtre de la dévotion aux Sacrés-Cœurs.” Marie des Vallées fut vraiment le prophète du Règne du Sacré-Cœur. Elle en paya le prix ; il convient donc de lui rendre l’hommage qui lui est dû, après trois siècles d’oubli. Tout le monde ne comprenait pas ainsi la mission de saint Jean Eudes. Aussi, jalousie ou sottise, les Pères de l’Oratoire manifestèrent-ils leur opposition constante aux œuvres du Père Eudes, allant jusqu’à empêcher l’établissement à Caen de sa congrégation. Et les actions de certains ecclésiastiques ne cessèrent jamais. Pire, les chanoines de Bayeux tentèrent même de le faire accuser de jansénisme!!!
Et maintenant ?
Qui, aujourd’hui, connaît Marie des Vallées ? Ce n’est que très récemment qu’une historienne, Marikka DEVOUCOUX s’est penchée sur cette vie hors norme, mais se situant comme en filigranes derrière ce que l’on appelle l’École française de spiritualité. Car force est de constater que dès la fin du XVIIe siècle, une chape de silence — voire de méfiance — s’est étendue sur Marie des Vallées. Contemplant cette chape, on ne peut s’empêcher de penser à cette même chape qui déroba à nos regards l’œuvre de Sainte Gertrude d’Helfta, pendant près de trois siècles, et le Traité de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, pendant cent cinquante ans. Pourtant, au long des siècles, quelques personnes ont encore osé parler de la sainte de Coutances. On peut citer le Père J. L. Adam qui n’hésite pas, en 1893, à en faire mention, ainsi que Mgr Germain qui eut le courage de préfacer l’ouvrage du Père Adam. Mgr Germain écrivit à l’auteur : “En publiant la vie de la sœur Marie de Coutances vous rendez à l’histoire diocésaine un service dont je vous suis particulièrement reconnaissant. Il était temps de faire revivre cette humble fille descendue dans la tombe depuis plus de deux siècles. Il était opportun de présenter à notre époque ruinée par le rationalisme et le sensualisme, cette vie qui peut se résumer en trois mots: foi, pénitence et amour...” Le successeur de Mgr Germain, Mgr Guérard, interviendra lors de la procédure de béatification de saint Jean Eudes. Il écrivit : “Il est certain que pendant sa vie, la pieuse sœur Marie des Vallées, dite avec raison, la sainte de Coutances, a joui dans le pays d’une réputation de sainteté que n’ont pu détruire les calomnies amoncelées contre elle par les jansénistes et autres esprits mal intentionnés.” Mgr Guérard s’efforça de faire sortir Marie de l’oubli en faisant rechercher ses restes. Des fouilles furent entreprises. On trouva le corps, et le cercueil fut discrètement porté à la cathédrale, le 7 août 1919. Mgr Guérard aurait voulu honorer Marie par une cérémonie solennelle; il dut y renoncer face aux détracteurs.
Les amis de Marie des Vallées en ont dit, c’est normal, beaucoup de bien. Ainsi, Saint Jean Eudes et Gaston de Renty dont il a été longuement question plus haut. Mais il a semblé intéressant de rapporter d’autres témoignages. Ainsi le Père Adam écrit : “Marie des Vallées a exercé une douce et bienfaisante influence, non seulement dans le diocèse de Coutances, mais encore dans la Normandie tout entière et dans la Nouvelle France d’Amérique, le Canada.” Le Père Henri-Marie Boudon, archidiacre d’Évreux, connu par son admira
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