Spiritualité Chrétienne

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La servante de Dieu Luisa Piccarreta 02 Suite II

La Servante de Dieu Luisa Piccareta, suite  (2e partie)

La sonnette de la discorde

Rosaria, copropriétaire de biens avec le reste de notre famille, avait pratiquement renoncé à la moitié de ses revenus qui, à l'époque, représentaient une somme non négligeable, car nous étions une famille nombreuse. Six enfants, tous étudiants. Elle venait presque tous les jours prendre ses repas chez nous et se sentait maître à bord. Il faut dire que son aide était très précieuse. Elle faisait le ménage, participait à la cuisine, préparait la table et aidait à débarrasser avant de s'en aller.

Ma mère étant enseignante et nous tous étudiants, il était difficile pour nous de nous occuper de la maison. Son aide n'en était donc que plus appréciée. D'ailleurs, lorsque ma tante avait un empêchement, ce qui était rare, c'était la panique et le désordre total à la maison. Je me souviens qu'à chaque fois que nous rentrions de l'école, ma tante nous attendait sur le pas de la porte. Elle nous envoyait nous laver les mains et nous obligeait à faire le signe de croix avant de commencer le déjeuner. Mais elle était parfois bizarre et nous nous mettions à chuchoter sur son compte, ma mère surtout. Son comportement, que nous jugions insolent, provocateur, nous agaçait. On trouvait qu'elle jouait trop à la maîtresse de maison. Mais cela venait aussi de son caractère fort et détaché qui, difficilement, se laissait aller aux confidences.

Sa présence créait une certaine tension dans la maison. Tout le monde faisait attention à son langage, et il était très rare qu'elle satisfasse nos désirs; elle ne nous faisait jamais de cadeaux et ne nous donnait jamais d'argent. Elle se rendait disponible uniquement lorsque nous émettions le désir d'aller nous confesser ou d'aller à l'église, en l'occurrence pour les Vêpres auxquelles elle-même ne manquait jamais d'assister. Elle fréquentait en général la paroisse Sainte-Marie-la-Grecque, s'agenouillant toujours dans un même petit coin de la chapelle du Saint-Sacrement. D'ailleurs, lorsque quelqu'un de chez nous avait besoin d'elle, il fallait d'abord aller voir si elle était chez Luisa, puis à la paroisse où l'on était sûr de la trouver. Dans son petit coin habituel, en train de prier.

Un jour je lui dis: "Tu n'as pas mal aux genoux?". Le sourire aux lèvres elle me dit: "C'est ici que Luisa s'agenouillait lorsqu'elle pouvait se rendre à l'église. C'est ici que Luisa parlait avec Jésus". Son comportement étrange nous agaçait et, à la maison, les réflexions à son égard ne manquaient pas. Les causes de nos disputes, surtout entre ma tante et ma mère, étaient les suivantes: Souvent, alors que nous nous trouvions encore à table, ma tante se levait, enfilait son manteau et sortait à toute vitesse. D'autres fois, alors que nous discutions de choses importantes concernant notre famille, elle coupait la conversation et s'éclipsait. Son attitude nous laissait tous sans voix car il n'y avait aucune explication logique à cela. Aussi ma tante Rosaria fut-elle considérée comme fausse et hypocrite, ma mère attribuant son comportement à de l'orgueil. Seul mon père, qui aimait vraiment beaucoup sa sœur, maintenait un certain équilibre. Il lui trouvait toujours des excuses, provoquant la colère de ma mère, piquée de voir qu'il accordait aussi peu d'attention à ce qu'elle disait sur le compte de ma tante.

Nous, les enfants, nous faisions corps avec notre mère. Ma tante Rosaria, que nous considérions comme la brebis galeuse de la famille, était victime de nos sarcasmes. Au point même que notre mère finissait par intervenir, freinant notre emportement qu'elle jugeait peu correct. Car malgré tout, ma mère avait beaucoup d'estime pour notre tante. Elle nous reprenait en disant: "N'oubliez pas que votre tante reste une âme consacrée". Mais ce qui nous choquait le plus dans tout cela était que, le lendemain, tante Rosaria se présentait chez nous comme si de rien n'était, ignorant les demandes d'explications de ma mère. Devenu prêtre, j'ai voulu demander à ma tante, désormais très âgée et vénérée par toute la famille, les raisons de son comportement. Elle me déclara: "Tu veux vraiment le savoir? Tu y tiens vraiment?". "Oui", lui répondis-je.

Et elle commença à parler: "Je souffrais terriblement de toutes ces incompréhensions, mais elles étaient pour moi des épreuves auxquelles le Seigneur me soumettait pour être digne de rester auprès de Luisa et de prendre soin d'elle. Luisa restait des heures entières à prier. Lorsque je comprenais qu'elle avait besoin de rester seule, je me levais et quittais mon travail de dentelle. Sans avoir besoin qu'elle me le dise, je prenais son fuseau des mains et le déposais sur la table. Puis je faisais sortir tout le monde de la pièce et refermais les petits rideaux de son lit. Je fermais ensuite la porte de sa chambre et nous nous remettions à travailler en silence dans la pièce d'à côté. Les heures s'écoulaient doucement. Quant sa petite cloche se mettait à sonner, je me levais et entrais dans sa chambre, rouvrais ses petits rideaux et lui redonnais son fuseau. Ainsi tout le monde, en rentrant, l'aurait retrouvée telle qu'ils l'avaient quittée, c'est-à-dire absorbée dans son travail. Le matin aussi, alors que j'étais encore au lit, moi seule entendais la clochette, certaines fois vers trois heures ou quatre heures du matin. Angelina, sa sœur, qui m'entendait me lever, bougonnait dans son sommeil. Entrée dans la chambre de Luisa, je la trouvais comme morte, immobile. Alors j'ajustais ses cheveux, ramassais ses oreillers qui étaient tombés par terre et les lui remettais derrière le dos. Mais Luisa ne s'y appuyait jamais. Ils ne lui servaient qu'à combler le vide qui séparait son dos du montant du lit. Après avoir fini de m'occuper d'elle, j'allais préparer l'autel pour la messe. Lorsque le prêtre arrivait pour la célébration, je ne faisais entrer que lui dans la pièce. Il lui faisait un signe de croix sur le corps et la rappelait à la vie. Luisa redevenait alors normale et toutes les autres personnes pouvaient alors entrer et suivre la messe, y compris l'immanquable enfant de chœur. Luisa, en pleine extase, suivait la messe avec grande ferveur, parlant parfaitement le latin. Après la communion, tous s'en allaient, laissant Luisa dans le recueillement et la prière. Ses actions de grâce pouvaient durer quelques heures. Puis vers neuf heures du matin, les gens commençaient à sonner à la porte. Alors nous entrions dans sa chambre et commencions notre travail de broderie. Je travaillais aux côtés de Luisa , utilisant les mêmes fils, les mêmes fuseaux et les mêmes épingles. Je corrigeais également ses travaux, tirant les fils qu'elle n'avait pas la force de tirer, gênée par la souffrance de ses mains portant les stigmates".

Je l'interrompis aussitôt pour dire: " Mais je n'ai jamais vu de stigmates sur ses mains!".Elle me répondit: "Bien sûr que non. Elles étaient internes. Seulement moi et quelque autre personne les avons vues. Ses confesseurs, les soeurs Cimadomo et, me semble-t-il, sa nièce Giuseppina. En effet, si l'on prenait la main de Luisa et qu'on la mettait face au soleil, le trou interne était visible. Il m'arrivait souvent d'entrer la nuit dans sa chambre et de la trouver pleine de sang; sa tête et son visage aussi: on aurait dit un crucifié. La première fois j'étais très impressionnée, car je la croyais morte. Alors je courrais chercher des serviettes pour l'essuyer mais, à mon retour, elle n'avait déjà plus rien. Le sang avait disparu, sauf sur les draps. Il n'y avait plus rien. Ce phénomène se produisait deux ou trois fois par an".

" Mais toi - m'exclamais-je- en as-tu déjà parlé?". "Non, me répondit-elle, le seul à être au courant était Don Benedetto Calvi. Mais il m'interdisait d'en parler. Il menaçait de me refuser l'absolution s'il apprenait que je l'avais raconté à quelqu'un. Tu es le seul à le savoir et j'espère que Luisa ne le prendra pas à mal". Puis elle marqua une pause avant d'ajouter: "Je t'en supplie, ne le raconte à personne". J'eus l'impression qu'elle regrettait de me l'avoir dit. C'était en effet la première fois qu'elle en parlait. Ce phénomène est l'un des nombreux phénomènes jusqu'ici méconnus de la vie de Luisa.

Au bout d'un bon moment, ma tante reprit:" Généralement Luisa ne travaillait que pour les églises. Elle confectionnait des nappes pour les autels, des chemises et des cottes pour les prêtres. Parfois elle se mettait à prier, et ça durait longtemps. Elle brodait des couvre-lits pour les jeunes ménages. Luisa avait un faible particulier pour la sanctification des familles, ainsi beaucoup de jeunes époux se rendaient chez elle pour lui demander des conseils. Que de bien a-t-elle fait autour d'elle et que de familles a-t-elle sauvées de la misère! Quant à moi je sortais quand Luisa s'enfermait dans ses prières. A mon retour, elle sonnait sa petite clochette pour me tranquilliser. Lorsque j'avais besoin de m'éloigner quelques jours, c'est ma nièce Giuseppina qui prenait la relève. Mais il m'arrivait parfois de me trouver un peu plus loin, à la maison, à l'église ou chez une de mes amies, et que j'entende sa clochette; alors j'interrompais tout, même le déjeuner, pour me précipiter chez elle. D'où mon comportement, ce comportement que tout le monde trouvait étrange, et pas seulement ma famille, mais tant d'autres gens aussi. Or, je ne pouvais donner d'explications, car j'étais la seule à entendre le son de clochette; et si je l'avais dit aux autres, tout le monde m'aurait pris pour une folle, pour une visionnaire. J'ai donc choisi de me taire et lorsqu'on me demandait pourquoi je me comportais ainsi, j'essayais toujours de changer de sujet, en faisant semblant de ne pas entendre. Tout ceci me faisait très mal. Et souvent, après une course folle jusqu'à chez elle, je trouvais Luisa encore en train de prier".

Je lui demandai: "Et qui appuyait sur la sonnette?". "ça je ne sais pas!" me répondit-elle. "Et Luisa que disait-elle?" "Rien!" "Et toi que faisais-tu?" "Je m'agenouillais au pied de son lit et priais". "Tu ne remarquais rien durant sa prière? On raconte que, très souvent, Luisa était suspendue dans les airs. C'est vrai?" "Je n'ai pas le droit de parler de ça. Luisa me l'a toujours interdit. Seul son confesseur était au courant de tout. Il était le dépositaire de tous ces phénomènes extraordinaires. Elle, Luisa, faisait toujours semblant de rien et nous interdisait d'en souffler mot. Tout devait être soumis à l'autorité du prêtre qui était le seul à pouvoir dire si tel ou tel phénomène pouvait être divulgué. Luisa ne faisait rien et n'écrivait rien sans l'autorisation de son confesseur. Elle était tellement soumise à l'autorité de l'Eglise, que rien ne devait se savoir ni être écrit ou divulgué sans le consentement de cette dernière. C'est dans cette ligne que nous pourrons tout savoir sur le compte de Luisa; tout est enregistré dans ses écrits". Et moi d'ajouter: "Mais ses écrits ne peuvent tout dire sur sa vie, car la vie de Luisa est beaucoup plus complexe". "Cela est vrai - me répondit-elle - je pourrais dire tant de choses que personne ne sait".

"Et pourquoi est-ce que tu t'obstines tant à ne rien dire?". " Si Luisa avait tenu à ce que les gens le sachent, elle les aurait écrites ou l'Eglise lui aurait ordonné de les écrire; il est clair que certains phénomènes auxquels quelques personnes et moi-même avons assisté ne sont pas utiles à la sanctification des âmes. Le Seigneur a permis que tout ce qui est utile pour l'Eglise et pour les âmes soit connu. Le reste ne sert pas. En parler me donnerait l'impression de violer l'intimité qui s'était créée entre Dieu et Luisa. Les hommes ne comprendraient pas. Le message que Luisa a laissé derrière elle va au-delà même de sa personne. Elle voulait que l'honneur et la gloire soient entièrement pour le Seigneur et que sa propre personne disparaisse dans le néant. C'est pourquoi elle aimait la solitude, le silence. Elle ne voulait en aucun cas que les gens vénèrent sa personne. Cela l'agaçait énormément. Car elle se considérait une pauvre malade qui avait besoin de tout. Moi et quelques autres savions parfaitement que Luisa n'avait besoin de rien. Nous devions être les gardiens de son mystère. Que de fois ai-je trouvé notre Luisa toute prête, bien arrangée, l'autel déjà dressé pour la messe, les cierges allumés". "Comment est-ce possible vu que cela faisait plus de soixante ans que Luisa ne posait plus le pied par terre? Mais es-tu sûre de ce que tu dis?". "Absolument! Car j'étais la seule à entrer dans sa chambre". "Mais tu ne t'es jamais posé de questions?" "J'ai pensé que des Anges la servaient, surtout son Ange gardien, pour qui elle avait beaucoup de dévotion. Sa chambre était souvent toute parfumée". "Et les autres, le sentaient-ils ce parfum?" "Oui, tous ceux qui assistaient à la messe. Je me souviens qu'une fois, Don Cataldo De Benedictis, venu célébrer la messe en l'absence de son confesseur, me dit: `Ne parfumez pas cette chambre sinon je vais sortir de la pièce avec la tête qui tourne'. Mais moi j'avais beau dire que personne n'avait mis de parfum il ne me croyait pas". "C'est vrai que Luisa rejetait tout ce qu'on lui donnait à manger?". "Oui. Peu de gens connaissent ce phénomène car Luisa devait vivre uniquement de la Volonté de Dieu. Mais beaucoup n'y croyaient pas et pensaient qu'elle avalait bien quelque chose.". "Moi aussi je l'ai vu, et plus d'une fois, lorsque je venais te voir chez elle". "Alors que veux-tu savoir de plus? Il est vrai qu'à l'époque il y avait beaucoup de misère et que cela faisait beaucoup de gâchis. Je l'ai d'ailleurs fait remarquer à Luisa, même si à vrai dire ce qu'elle mangeait était l'équivalent d'un repas pour bébé. Et sa réponse fut: `Nous faisons acte de soumission'. En effet, ses confesseurs étaient intransigeants sur ce point, durs et inflexibles. Il me semble qu'il y avait un ordre précis de l'Evêque. Une fois le confesseur me dit d'une voix forte: Elle doit manger tous les jours et tout le monde doit le savoir, autrement ils mettront des gardes à sa porte comme ils l'ont fait pour Teresa Newmah, et les journaux feront plein de tapage". "Mais elle buvait de l'eau ou d'autres boissons?" "Moi je ne lui ai jamais donné d'eau à boire; elle ne buvait que du sirop d'amande amère que les sœurs Cimadomo lui apportaient. Ta sœur Isa aussi en préparait quelquefois. Elle se procurait les amandes chez la tante Nunzia". "Mais les amandes amères ne contiennent-elles pas du poison? Et avec le temps, ne créent-elles pas de problèmes à notre organisme?". "Je ne le sais pas, mais je peux te dire en mon âme et conscience que c'était la seule boisson qu'elle arrivait à boire sans la recracher". "Il y avait au moins du sucre dedans?" "Non - me répondit-elle - et maintenant ça suffit. J'ai dit tout ce que je pouvais dire et ce que tout le monde savait d'ailleurs". "Mais moi je voudrais en savoir un peu plus." "Non! Ce n'est que de la curiosité. Si Luisa le veut, je te dirai tant d'autres choses. C'est alors moi qui t'appellerai". Ainsi s'acheva mon entretien avec la tante Rosaria, le 15 octobre 1970.

Une parfaite brodeuse

Tante Rosaria, malgré ses doigts mutilés, devint une excellente brodeuse, sous l'œil émerveillé de son entourage. Elle perfectionnait les ouvrages de Luisa et, ayant pris la tête des cours, apprenait aux jeunes filles à broder. A la mort des parents de Luisa, c'est elle qui gouverna la maison. Sa présence était devenue indispensable: c'est elle qui recevait les commandes et concluait les contrats de travail. Mais elle ne disait à personne quelles étaient les broderies de Luisa, la Servante de Dieu ne voulant en aucun cas que son travail puisse faire l'objet d'une attention ou d'une admiration particulière. A la mort de Luisa, Tante Rosaria perpétua la tradition que Luisa avait rendue florissante. Le fait que ma tante Rosaria soit devenue une excellente brodeuse était considéré comme un miracle permanent par tout le monde. Car, avec une infirmité comme la sienne, la réalisation d'un travail aussi délicat que la dentelle aux fuseaux aurait dû être impossible. Pour des ouvrages qui pouvaient valoir des millions - vu les années de travail nécessaires - elle demandait des sommes très modestes. Et nous, ses neveux, nous nous en plaignions. Mais elle nous répondait: "l'argent compte peu. L'essentiel est de pouvoir vivre". Tante Rosaria nous racontait qu'elle avait reçu de Luisa l'interdiction la plus stricte de recevoir de l'argent. Et si quelqu'un avait le malheur d'envoyer de l'argent par la poste, ce argent repartait immédiatement d'où il venait. Luisa affirmait que ce qu'elle possédait était déjà trop pour elle et qu'elle n'avait besoin de rien. Son peu d'argent suffisait tout juste à couvrir les frais d'entretien de ma tante Rosaria et de sa sœur Angelina. Très caractéristique fut la réponse que la Servante de Dieu lança au Bienheureux Annibale venu lui remettre ses droits d'auteurs pour la publication de ses œuvres: "Moi je n'ai aucun droit - dit-elle en refusant l'argent qu'il lui offrait - car ce qui est écrit n'est pas à moi".

Les plaies mystérieuses

En 1940 environ, sans ressentir de souffrance, ma tante Rosaria, femme robuste et pleine de santé, commença à avoir des plaies qui, avec le temps, devenaient toujours plus grosses et plus purulentes. Les plus visibles étaient les deux grosses plaies, semblables à deux gros furoncles, positionnées sous le menton. Ces plaies suppuraient sans arrêt, au point que quelques gouttes finissaient toujours par tomber dans son assiette pendant que nous déjeunions. Assez dégoûté, j'essayais de me lever de table, mais, ma mère, pour alléger l'atmosphère, m'en empêchait en me retenant pas la main ou en me pinçant légèrement le bras. Tante Rosaria étant copropriétaire des biens de famille, elle venait souvent prendre ses repas chez nous. Ses plaies, répandues sur tout le corps, notamment sur sa poitrine et ses épaules, étaient soigneusement pansées par ma mère qui l'exhorta à aller trouver un spécialiste de Bari pour une consultation. Mais un jour, à la stupeur générale, ma tante se présenta à table complètement guérie. A l'endroit des plaies, il ne restait plus que de petites cicatrices. Personne ne fit de commentaires, si ce n'est mon père lorsque ma tante s'en alla. Se souvenant d'épisodes passés et récents, il s'exclama: "Cette femme nous a toujours fait voir quelque chose de nouveau". Mon père avait lui aussi une grande dévotion pour Luisa la Sainte. Sur son lit de mort, il voulut serrer sa chemise contre son cœur. Cette même chemise que revêtira ma mère au moment de monter aux cieux. Mais qu'était-il arrivé à ma tante? Voici ce qu'elle me raconta durant l'une des visites que je lui rendais régulièrement alors que j'étais vice-curé à la paroisse du couvent de Barletta:

Ma tante, sur l'insistance de ma mère, se rendit à Bari pour une visite chez un dermatologue. Le diagnostic fut terrible. "Chère Mademoiselle - lui dit le médecin - ces plaies sont cancéreuses. Elles se répandront sur tout votre corps. Vous avez une sorte de lèpre. Une maladie très rare". Vous pouvez imaginer l'état d'âme de ma tante en entendant ces mots. Après avoir erré plusieurs heures dans les rues de Bari, elle retourna le soir chez Luisa. Se défoulant avec la Servante de Dieu, elle lui dit d'une voix irritée: "Je suis toujours avec toi et tu permets certaines choses? Moi je n'ai pas d'enfants qui peuvent prendre soin de moi". Luisa la laissa parler puis lui dit:"Rosaria, Rosaria... tu as fait le tour de tous les médecins mais tu as négligé le seul et unique vrai médecin". A ces mots, ma tante attrapa tous ses médicaments, gazes et coton, et les jeta du haut du balcon (cet épisode eut lieu dans la maison qu'elles habitaient jadis dans la via Maddalena). Puis elle dit: "Maintenant je m'en remets à Notre Seigneur et à tes prières". Avant d'aller se coucher, Luisa l'appela, la fit agenouiller au pied de son lit et, ensemble, elles prièrent un long moment. Après quoi, ma tante partit se coucher. Elle dormait dans un grand lit avec Angelina. Durant cette nuit-là, tante Rosaria sentit un certain bien-être envahir tout son corps. Le lendemain, à son réveil, elle s'aperçut que toutes ses plaies avaient séché. Il n'y avait plus que de légères croûtes; des croûtes qui s'en allèrent au fil de la journée. Elle était parfaitement guérie. La rumeur du miracle se répandit, mais personne n'osait en parler ouvertement, sachant tous que Luisa y était pour quelque chose. Car Luisa ne voulait absolument pas que l'on attribue ces phénomènes à sa personne. "Je ne suis pas capable de faire des miracles, c'est Notre Seigneur qui les fait", affirmait-elle. Raison pour laquelle aucun épisode extraordinaire qui eut lieu grâce à son intervention ne fut proclamé. Mais le bruit circulait, en silence.

Le Padre Pio, Luisa Piccarreta et Rosaria Bucci

Luisa Piccarreta et le Bienheureux Padre Pio da Pietrelcina se connaissaient depuis longtemps sans jamais s'être rencontrés, car Luisa était toujours assise au lit et Padre Pio enfermé dans le couvent des Pères Capucins de San Giovanni Rotondo. Spontanément nous nous demandons alors comment se sont-ils connus? C'est difficile à savoir. Une chose est sûre, c'est qu'ils se connaissaient et qu'ils s'estimaient. Ma tante raconte que Luisa parlait avec respect et vénération du Bienheureux Padre Pio. Elle le définissait: "un véritable homme de Dieu" qui avait encore beaucoup à souffrir pour le bien des âmes.

Vers 1930, arriva chez Luisa un personnage envoyé personnellement par Padre Pio. C'était un converti, Federico Abresch. Ce dernier s'entretint longtemps avec Luisa. Ce qu'ils se dirent, nous ne le savons pas, mais une chose est sûre c'est que ce Federico devint un apôtre de la Volonté Divine. Il venait régulièrement rendre visite à Luisa avec laquelle il entretenait de longues conversations. Lorsque son fils reçut sa première communion des mains de Padre Pio, il fut vite conduit au chevet de Luisa qui - à ce que l'on raconte - lui aurait prédit le sacerdoce. L'enfant de jadis est aujourd'hui un prêtre. Il travaille à Rome au sein de la Congrégation pour les Evêques sous le nom de Mgr Pio Abresch. Lorsque Luisa fut condamnée par le Saint Office et que ses œuvres furent mises à l'index, Padre Pio lui envoya un message, par l'intermédiaire de Federico Abresch: "Chère Luisa, les saints servent pour le bien des âmes, mais leurs souffrances n'ont pas de limites". A cette époque, Padre Pio se trouvait lui aussi en grande difficulté.

Le Bienheureux Padre Pio envoyait beaucoup de gens chez Luisa Piccarreta et disait aux habitants de Corato qui venaient à San Giovanni Rotondo: "Que venez-vous faire ici, vous avez Luisa, allez chez elle". Padre Pio conseilla à plusieurs de ses fidèles (dont Federico Abresch) d'ouvrir à San Giovanni Rotondo un centre de spiritualité s'inspirant de la Servante de Dieu, Luisa Piccarreta. L'héritière de cette volonté de Padre Pio, est actuellement Mademoiselle Adriana Pallotti ( fille spirituelle de Padre Pio) qui a ouvert une Maison du Divin Vouloir à San Giovanni Rotondo. Adriana Pallotti affirme que c'est le Bienheureux Padre Pio qui l'a encouragée à répandre la spiritualité de Luisa Piccarreta à San Giovanni Rotondo et à contribuer à la diffusion de Divin Vouloir dans le monde, comme Padre Pio le souhaitait.

Tante Rosaria fréquentait assidûment San Giovanni Rotondo, surtout après la mort de Luisa. Padre Pio la connaissait très bien; et du vivant de Luisa, lorsqu'il voyait tante Rosaria, il lui disait: "Rosa, comment va Luisa?". Rosaria lui répondait: "Elle va bien!" Après la mort de Luisa, ma tante multiplia ses visites à San Giovanni Rotondo, notamment pour avoir des éclaircissements ou recevoir des conseils de Padre Pio. Ma tante fut la seule lueur d'espoir pour tenter de résoudre l'affaire Luisa Piccarreta concernant la sentence du Saint-Office. Elle rencontra plusieurs personnalités ecclésiastiques, et affronta même la Congrégation du Saint-Office. Une fois, elle s'enfila - on ignore comment - dans le bureau du Cardinal Préfet Ottaviani qui l'écouta gentiment et lui promit de s'intéresser au cas. En effet, quelques jours plus tard, Rosaria fut convoquée par Mgr Addazi, Archevêque de Trani. Il lui dit: "Mademoiselle, je ne sais pas si je dois te gronder ou t'admirer pour le courage dont tu as fait preuve. Tu as affronté le mastiff de l'Eglise, le grand défenseur de la foi, sans te faire mordre.". Le résultat fut qu'elle reçut l'autorisation de transférer la dépouille de Luisa du cimetière à l'église Sainte-Marie-la-Grecque. Luisa dit à ma tante: " Tu seras mon témoin" et Padre Pio, un jour, lui déclara à brûle-pourpoint dans son dialecte natal: " Rosa' va nanz, va nanz ca Luisa iè gran e u munn sarà chin di Luisa" ( Rosaria vas-y, vas-y. Luisa est grande et le monde sera plein de notre Luisa). Ma tante racontait souvent cet épisode, mais les choses n'allaient pas bien: tout laissait supposer que Luisa aurait fini par tomber dans l'oubli.

A la mort du Vénérable Padre Pio, ma tante me dit un jour: "Pare Pio a prédit que Luisa serait connue du monde entier". Et elle répétait la phrase que Padre Pio avait prononcé dans son dialecte. Je lui répondis que le cas de Luisa Piccarreta n'aurait pas été facile à résoudre. A Corato, en effet, on n'en parlait plus et la phrase de Padre Pio pouvait être vue comme une parole de consolation. Mais Rosaria insistait: "Non, Padre Pio durant la confession m'a dit que Luisa n'est pas un fait humain, c'est une œuvre de Dieu. Lui-même la fera apparaître et sa grandeur stupéfiera la terre entière; il nous faut attendre quelques années avant que cela ne se produise. Le nouveau millénaire verra la lumière de Luisa". Une assertion qui me laissa sans voix. Alors ma tante me demanda: "Mais toi, tu y crois à Luisa?" Je lui répondis oui. Alors elle me dit: "Dans quelques jours viens me voir car j'ai quelque chose de très important à te dire". Nous sommes dans les années 70 et Padre Pio était mort depuis quelques années.

Le secret de tante Rosaria

En 1975, le 2 février précisément - je me souviens que c'était un jour de grand froid - ma tante me convoqua chez elle. Elle était déjà fort âgée et commençait à avoir des problèmes aux yeux à cause de son diabète. Mes deux neveux, Vincenzo et Sara, venaient chez elle lui tenir compagnie. Ce jour-là, je la trouvai assise derrière la vitrine en train de réciter son chapelet. Je me suis assis à côté d'elle et, après lui avoir dit bonjour, je lui demandai ce qu'elle me voulait dire d'aussi important.

Elle me regarda et dit: "Ce que je vais te dire est très important. Essaies d'en faire bon usage et je t'exhorte à méditer sur les merveilles du Seigneur que nous a données Luisa, précieuse créature aux yeux de Dieu et instrument de sa miséricorde. Tu trouveras difficilement une âme aussi précieuse et aussi grande. Luisa se surpasse elle-même et tu ne peux la contempler totalement que dans le mystère de Dieu. Marie est celle qui a porté dans le monde la Rédemption, à travers son Fiat; ainsi le Seigneur la combla au point de l'élever à la plus haute dignité de Mère de Dieu. Marie est la Mère de Dieu et jamais aucune créature ne pourra l'égaler dans sa grandeur et sa puissance. Après Dieu, elle est la seule à pouvoir exprimer les merveilles du Seigneur. Après la Vierge Marie, c'est au tour de Luisa d'apporter au monde le troisième Fiat, le Fiat de la Sanctification". Elle dit cela lentement, articulant bien ses mots, convaincue de ce qu'elle disait. J'étais bouleversé.

"Voilà pourquoi Luisa est toujours restée clouée au lit, offerte chaque jour au Maître Divin comme victime d'expiation à la Très Sainte Volonté de Dieu - continua-t-elle - Cette créature lui plaisait et il en était tellement jaloux qu'il l'enleva d'entre les hommes, la confiant tout entière à son Eglise, afin qu'elle veille sur elle et, humainement, la façonne à une infinité de pénitences et d'incompréhensions. Ma Luisa ne connut aucune sorte de consolation humaine, uniquement la consolation divine, et son corps lui aussi était continuellement suspendu entre le ciel et la terre. Sa vie sur terre fut en contradiction permanente avec celle des hommes. De même que son corps ne devait appartenir qu'à Dieu". Puis elle me confia: "Un jour le Seigneur dit à Luisa: "Tous ceux qui t'ont vue et connue seront sauvés". Cher Peppino, ceci est un superbe don de Dieu que Luisa a voulu garder sous silence pour ne pas que le monde sache et que sa personne devienne objet de curiosité et de vénération, ce qu'elle disait ne pas mériter. Seul son confesseur, un jour, me dit que je pouvais le dire et le répandre discrètement autour de moi. A toi je l'ai dit, espérant que tu en feras bon usage". Ce jour-là je fus émerveillé par le langage qu'utilisait ma tante, à savoir un langage poétique qui exprimait des concepts théologique d'une grande précision. Les notes recueillies furent, par un hasard malheureux, furent égarées et je me suis limité à écrire ce dont je me souviens. Sa mort, presque subite, ne me laissa pas le temps de lui poser d'autres questions qui auraient pu apporter de nouvelles lueurs à ce qu'elle m'avait confié. Ma tante Rosaria mourut en 1978.

CHAPITRE QUATRE

Annibale Maria Di Francia et Luisa Piccarreta

Ma tante Rosaria parlait souvent et bien volontiers du Bienheureux Père Annibale Di Francia, fondateur des Pères Rogationnistes et des Filles du Divin Zèle. Elle parlait de lui comme d'un ami très intime, le désignant sous le nom de 'P. Francia'. Moi-même, prenant très à cœur l'histoire de cet homme, j'ai demandé plusieurs fois aux Pères Rogationnistes de chercher dans leurs archives s'ils avaient par hasard des papiers se référant aux liens qui unissaient Luisa et le Bienheureux Annibale. Je me suis également rendu à l'Institut Saint Antoine de Corato que le Bienheureux avait fait ériger dans le but précis d'y transférer Luisa au milieu de ses sœurs. Le P. Annibale, racontait ma tante, avait projeté de transférer Luisa dans son Institut des Sœurs à Trani. Mais Luisa, lui ayant fait part de la volonté du Seigneur de la garder à Corato, c'est en 1928 que le projet du P. Annibale se réalisera, c'est-à-dire après sa mort.

Confesseur spécial de la Servante de Dieu, Luisa Piccarreta, Annibale Di Francia prit également en charge la publication de ses écrits. Il est de ces prêtres dont la sainteté et le service auprès des orphelins et des jeunes laissés-pour-compte édifièrent l'Eglise de Dieu. Leur apostolat fut d'un grand concours pour l'Italie et pour l'Eglise de l'époque, frappées par une forte vague d'anticléricalisme. A en croire les paroles de ma tante, le Bienheureux jouissait d'une grande estime auprès de Saint Pie X qui lui accordait facilement des audiences privées. Le Pape montrait, parait-il, beaucoup d'intérêt au cas de Luisa Piccarreta: c'est à lui que notre Bienheureux soumettait d'ailleurs ses écrits avant de les éditer.

Rosaria affirmait qu'après avoir lu plusieurs de ses ouvrages, en particulier ses fameux écrits sur la Passion de Notre Seigneur, publiés sous le titre L'Horloge de la Passion, Saint Pie X s'était exclamé: "Très cher Père tu dois lire ces écrits en t'agenouillant, car ici c'est Notre Seigneur Jésus Christ qui parle". Et ce fut le Saint-Père en personne qui exhorta le P. Annibale à publier ses écrits. Annibale se rendait périodiquement chez Luisa, via Nazario Sauro, pour des conversations spirituelles qui duraient des heures. Souvent, il amenait avec lui un évêque italien ou d'ailleurs. Ma tante se rappelait d'un évêque de Hongrie. Pour lever certains, doutes le Bienheureux Père amenait chez elle des théologiens qui, à l'issue de leur longue conversation avec la Servante de Dieu, se retiraient dans une autre pièce pour discuter encore longuement de ce qu'ils venaient d'entendre.

Ma tante se rappelait qu'un évêque hongrois, après avoir parlé avec Luisa, était sorti de la pièce, l'air bouleversé, en disant dans un mauvais italien: "Priez pour mon peuple": Luisa lui avait annoncé qu'un sombre avenir attendait sa patrie. Rosaria ne sut me dire avec précision de quel évêque il s'agissait, ni d'où il venait exactement. Elle me dit simplement: "Evêque magyar". Je compris qu'il s'agissait d'un évêque hongrois. Les visites du P. Annibale ne se réduisaient pas à de simples entretiens avec Luisa. Il donnait chez elle des conférences pour tous ceux qui fréquentaient sa maison, la plupart étant des jeunes garçons ou des jeunes filles. Ces conférences feront d'ailleurs naître beaucoup de vocations, puisque plusieurs filles décidèrent de prendre le voile et beaucoup de garçons entrèrent dans les ordres. La toute jeune congrégation du P. Annibale en accueillit beaucoup.

Beaucoup de gens allaient chez Luisa dans l'intention de se confesser au P. Annibale. Ceci m'a été confirmé par le chanoine Andrea Bevilacqua qui, du temps de son séminaire, allait lui aussi s'y confesser. Le P. Annibale était également confesseur spécial du vénéré et bien-aimé Archevêque de Trani, Monseigneur Leo. Ma précédente publication ne fait nulle part mention du Bienheureux Annibale Di Francia, car il me fut conseillé de me taire pour éviter toute entrave à la cause de béatification en cours.

Il serait très intéressant de consulter les archives de la Congrégation des Pères Rogationnistes et celles des Filles du Divin Zèle où, très certainement, l'on retrouverait des traces de la longue correspondance qu'entretenaient entre eux la Servante de Dieu, Luisa Piccarreta, et le Bienheureux Père Annibale. Ma tante me disait que la règle de l'institut était axée sur la spiritualité de Luisa. Il serait intéressant de lire les anciennes règles et constitutions des deux instituts. J'espère que maintenant que le Père Annibale a été proclamé Bienheureux par l'Eglise, les Rogationnistes et les Filles du Divin Zèle pourront élever la Servante de Dieu Luisa Piccarreta à sa juste valeur; ses prières, ses conseils et ses écrits ayant fortement contribué à leur essor.

Il reste encore beaucoup à dire sur les liens qui unissaient le Bienheureux Annibale, la Servante de Dieu Luisa Piccarreta et saint Pie X, pour lequel Luisa avait une grande vénération. A l'époque déjà, elle le vénérait comme un saint. Elle disait souvent: "Le Seigneur a donné à l'Eglise de notre époque deux grands Pontifes; le premier, fils bien-aimé de la Vierge Marie - en référence à Pie X -, le second, défenseur de la Foi et de l'Eucharistie". Le Bienheureux Annibale Di Francia aura à surmonter de grandes épreuves avant de pouvoir réaliser son projet de transférer Luisa dans une des maisons de sa Congrégation . Il disait souvent: "L'accueil de Luisa dans une maison de mon Institut sera une bénédiction de Dieu pour toute la Congrégation". En effet, bien qu'il y existât déjà deux maisons de la Congrégation des Filles du Divin Zèle à Trani, il s'obstinait à vouloir en construire une à Corato, non loin du village natal de Luisa. Les difficultés rencontrées furent grandes et le saint fondateur mourut avant de voir la fin des travaux. Deux ans après sa mort, Luisa fit son entrée chez les Filles du Divin Zèle, via delle Murge.

Souvenirs de Rosaria Bucci

Le Bienheureux Annibale Di Francia fréquentait la Servante de Dieu et entretenait avec elle de longues conversations. Il restait des heures entières dans sa petite chambre où il avait d'ailleurs pris l'habitude de célébrer des messes. Voici ce que ma tante Rosaria me racontait et ce dont je me souviens. En 1910, arriva chez Luisa un prêtre demandant à lui parler. Ce fut la première des nombreuses rencontres entre les deux "saints". Ce jour-là, c'est ma tante Rosaria qui lui ouvrit la porte. Quatre ans après son arrivée, ma tante était désormais bien intégrée dans l'entourage de Luisa et elle participait, avec Angelina, à l'entretien de la maison. De plus, elle avait si bien appris le travail aux fuseaux, qu'elle enseignait la dentelle aux autres jeunes filles. Luisa faisait également appel à elle pour rectifier son travail. Les stigmates, cachées sous sa peau, étaient une source de souffrance pour la Servante de Dieu qui avait beaucoup de mal à serrer ses nœuds. Rosaria, à plusieurs occasions, prépara un petit lit dans une des chambres pour que le Bienheureux Annibale puisse s'y reposer, notamment lorsque sa visite au sein de la famille Piccarreta durait plus d'une journée. La durée de son séjour dépendait du temps que mettait Luisa à relire et à expliquer, point par point, certains passages de ses textes, trop flous ou difficiles à comprendre, avant de les lui remettre. C'est ma tante Rosaria qui remit personnellement au Bienheureux Annibale le fameux manuscrit sur la Passion. Ce dernier le publia sous le titre: L'horloge de la Passion, un titre qui, au début, déplut beaucoup à notre Luisa. Accompagné d'une longue préface du Bienheureux, cet ouvrage fut publié quatre fois. Un jour, se souvint Rosaria, le Bienheureux Annibale distribua cet ouvrage à toutes les filles et à toutes les personnes fréquentant habituellement la maison de Luisa. Les invitant à le lire et à méditer dessus, il leur dit: "Avant de faire imprimer ce manuscrit, j'ai été reçu par Sa Sainteté le Pape Pie X auquel j'ai remis un exemplaire. Quelques jours plus tard, j'y retournai pour des questions inhérentes à ma toute nouvelle Congrégation, et voici textuellement ce qu'il me dit: "Fais immédiatement imprimer "L'horloge de la Passion" de Luisa Piccarreta. Agenouillez-vous et lisez-le, car dedans c'est notre Seigneur qui parle". Ne disposant d'aucune autre documentation nous devons nous fier au témoignage de Rosaria Bucci.

Le Bienheureux Annibale et les Frères Capucins de la Province Monastique des Pouilles

Les Pères Franciscains, et en particulier les Capucins, auraient, semble-t-il, suggéré au Bienheureux Annibale de placer ses œuvres sous la protection de saint Antoine de Padoue. Il est vrai que l'estime était réciproque entre le Bienheureux Annibale et les Capucins. J'ai jadis moi-même entendu parler très souvent du Bienheureux Annibale Maria Di Francia dans la bouche de nos Pères. Le Père Annibale divulguait les écrits de Luisa, dont la plupart était offert à nos religieux qui recevaient l'ordre de ne jamais révéler le nom de l'auteur, cette dernière préférant taire son identité.

Le Frère Capucin qui a le plus parlé de cette circonstance fut le P. Isaia da Triggiano, une authentique figure de prêtre, un homme simple et modeste. Ce Père avait une profonde vénération pour Luisa Piccarreta. Il conservait jalousement ses écrits et d'autres objets ayant appartenu à la Servante de Dieu. Parmi ces objets, une petite image sur laquelle Luisa avait inscrite à la main l'une de ses petites prières. Le P. Isaia répétait souvent ces mots: "Luisa est une grande sainte et le P. Annibale un grand saint lui aussi puisqu'il nous l'a fait connaître. Les saints entre eux se comprennent. C'est Dieu qui les unit".

En 1917, le P. Isaia da Triggiano était étudiant chez les Capucins au couvent de Francavilla Fontana, un couvent situé non loin de la localité d'Oria, où le P. Annibale Maria Di Francia s'était retiré pour écrire une de ses œuvres. A cette occasion, les prêtres du couvent reçurent plusieurs visites du Bienheureux. Voici les impressions du P. Isaia à son sujet: "C'était un vrai prêtre de Dieu et nous, étudiants, lorsqu'il nous arrivait de le voir, nous l'entourions de notre grande sympathie. Nous allions tous nous confesser avec lui. Son aspect était singulier, même dans sa manière de parler et de gesticuler. Toujours mesuré, il avait un caractère réservé qui inspirait, non pas la crainte, mais plutôt l'envie de se confier. Il nous parlait toujours de la Volonté de Dieu et nous exhortait à supporter toute privation et contradiction. Il nous disait qu'une âme, totalement consacrée à Dieu, souffrait et priait pour tous". "Cette âme - disait le P. Annibale au P. Isaia - est une fille de chez toi. Signe que le Seigneur bénit le peuple de Bari". Pour le réconforter, dans ses doutes et ses souffrances, il lui donna L'horloge de la Passion. Le jeune Isaia lui demanda alors où elle vivait et qui était cette sainte âme, mais le P. Annibale répondit: "Pense d'abord à préparer dignement ton sacerdoce et à suivre la Volonté de Dieu; avec le temps, tu découvriras qui est cette âme". Puis devenu prêtre, le Père Isaia eut recours aux conseils de Luisa Piccarreta. Il prit l'habitude d'aller la trouver, cherchant en elle un réconfort pour poursuivre son apostolat mis à mal par les mauvaises langues. A l'époque, la Province Monastique des Pouilles traversait une période plutôt difficile: divers contrastes opposaient les villes de Bari et de Lecce, unifiées en une seule et unique Province Monastique. Certains pères avaient pris la tête d'une réforme qui fut bloquée par Saint Pie X. La plupart d'entre eux se soumirent, mais d'autres, plus récalcitrants, finirent par être expulsés de l'Ordre puis excommuniés. Parmi eux le Père Gerardo, supérieur et directeur du collège de Francavilla.

Ce Père avait une manière singulière de diriger le collège. Il concevait la discipline de manière draconienne, n'hésitant pas à laisser ses élèves à jeun pour qu'ils se mortifient et ressemblent au crucifié. Pire encore, il leur interdisait d'étudier, ne fondant leur apprentissage que sur le crucifix et la pénitence (Un gros crucifix et un cilice pour le supplice furent accrochés aux murs de leurs chambres). L'on comprend parfaitement dans quel état psychologique pouvaient se trouver tous ces élèves. La plupart d'entre eux tombèrent malades. Le P. Annibale Di Francia, au cours de l'une de ses visites, rappela à l'ordre le P. Gerardo, lui faisant comprendre que l'on ne pouvait imposer un tel régime à des jeunes en phase de croissance. Et lui-même donna l'exemple en prônant plusieurs mesures dans ce couvent, notamment celle de les faire manger à leur faim, au moins une fois de temps en temps. Le P. Annibale était très sensible à la santé des étudiants et leur disait souvent: "Ceci n'est pas la Volonté de Dieu". Il semble que le Père Gerardo ne resta pas insensible aux exhortations du P. Annibale. Ce dernier savait parler d'un ton si convaincant et si charitable que les cœurs les plus durs finissaient par être touchés. Les résultats se firent vite sentir: des livres utiles à la formation sacerdotale des jeunes furent achetés de même que l'on commença à voir apparaître sur les tables un peu plus de pain et de bouillon. Quelques temps plus tard le P. Gerardo sortit de l'Ordre et fut excommunié pour ses idées bizarres et pour s'être rebellé à l'Eglise. Les paroles du Vénérable Annibale se réalisèrent. En effet, lorsque les étudiants découragés s'agenouillaient à ses pieds pour se confesser, il leur disait souvent: "Continuez de vivre intensément la Volonté de Dieu, car d'ici peu tout changera. Prenez courage!". Plusieurs pères furent en contact avec le P. Annibale et, grâce à lui, firent la connaissance de Luisa. Comment oublier le Père Daniele da Triggiano, cette superbe figure de Capucin, fine fleur de saint François. Sa simplicité, ses paroles, ses gestes sont encore vifs dans la mémoire de notre Province Monastique. Le Père Daniele parlait de Luisa Piccarreta comme d'une créature venue du ciel et lorsque, jeune séminariste, je me rendais chez lui pour me confesser, il me disait toujours: "C'est toi Bucci de Corato? Tu as connu Luisa? Sache que c'est une grande sainte et que tu ne dois pas t'arrêter de prier si tu veux être prêtre". Le Père Daniele fut l'historien de Triggiano. Il écrivit plusieurs manuels de piété, puisant à pleines mains dans les livres de Luisa Piccarreta. La manière dont il parlait de Luisa nous fit penser qu'il avait eu des contacts directs avec la Servante de Dieu et avec le Vénérable Annibale.

J'ai également beaucoup entendu parler de la Servante de Dieu Luisa Piccarreta par les pères suivants: le Père Giovanni De Bellis, souvent invité à faire des sermons à Corato, et qui en profitait pour se rendre chez Luisa. Le Père Giovanni qui était avec moi au Couvent de Trinitapoli, alors que j'y étais comme supérieur et curé de paroisse, me parlait souvent de Luisa Piccarreta et du Bienheureux Annibale Maria Di Francia qu'il avait connu personnellement. J'eus la chance d'assister les derniers instants de la vie du Père Giovanni, mort à l'âge de 92 ans. Il mourut en prières, les mains jointes, son chapelet enroulé autour de ses doigts. Ses dernières paroles furent: "Que la Volonté de Dieu s'accomplisse". C'était en 1982. Le Père Terenzio da Campi Salentina avait lui aussi une grande vénération pour la Servante de Dieu, Luisa Piccarreta, et à chaque fois que nous nous rencontrions, il me parlait d'elle. C'est lui qui m'annonça l'ouverture du procès de béatification du Père Annibale, confesseur de Luisa. Quand j'étais jeune novice au couvent d'Alessano, le Père Terenzio était supérieur. Un jour il m'offrit ce témoignage: "Ma foi traversait une période de crise et un jour je me rendis chez Luisa qui, après m'avoir gentiment écouté, clarifia tous mes doutes en me donnant des explications théologiques si claires et si profondes qu'elles furent pour moi une révélation. Tous les doutes que mes études de théologie n'avaient pas réussi à effacer, c'est elle qui me les ôta. Luisa avait le don de la science infuse. C'est certain".

Le Père Guglielmo da Barletta, l'un des prêtres les plus illustres de la Province, plusieurs fois ministre provincial, recteur de notre institut de théologie, profita un jour d'un cours sur l'ascétisme, pour nous parler du vénérable P. Annibale et de ses œuvres. Il parla longuement de L'Horloge de la Passion et du livre Marie dans le Royaume de la Volonté Divine. Au sujet de Luisa Piccarreta il déclara: "C'est une grande et merveilleuse âme. Et nous ne sommes même pas le quart de ce qu'elle est." Le Père Guglielmo ne me dit pas s'il l'avait connut personnellement. Presque tous nos pères de l'époque eurent des contacts directs ou indirects avec le Vénérable Annibale et Luisa Piccarreta. Parmi eux: le P. Zaccaria de Triggiano, plusieurs fois provincial; P. Fedele de Montescaglioso; P. Giuseppe de Francavilla Fontana; P. Tobia de Triggiano; P. Antonio de Stigliano, qui laissa plusieurs écrits sur le Serviteur de Dieu Fra Dionisio de Barletta; P. Arcangelo de Barletta, lui aussi provincial; P. Pio de Triggiano, provincial; P. Gabriele de Corato; P. Timoteo d'Acquarica, grand ami du dernier confesseur de Luisa, Don Benedetto Calvi, qui prêcha maintes fois dans sa paroisse (il assista aussi au transport de la dépouille de Luisa du cimetière à l'église et célébra en l'Eglise Mère la fonction de l'ouverture du procès de béatification de la Servante de Dieu Luisa Piccarreta); P. Salvatore de Corato, dont je parlerai dans un chapitre à part. Plusieurs frères laïcs, qui se rendaient à Corato pour la quête, ne manquaient pas de rendre visite à notre Luisa: Fr. Ignazio, Fr. Abele, Fr. Rosario, Fr. Vito, Fr. Crispino, très enthousiastes, me parlaient souvent de Luisa. Ils lui vouaient une grande vénération.

 

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22/01/2008
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