Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Bienheureux Pierre de Luxembourg

Le Bienheureux Pierre de Luxembourg

Evêque de Metz et Cardinal

1369-1387

Fête le 2 juillet

 

Qui pourrait assez admirer le bienheureux Pierre de Luxembourg? A l'âge de dix ans il exerce toutes les fonctions d'un archidiacre accompli à l'âge de seize ans, il remplit tous les devoirs d'un évêque très zélé à l'âge de dix-sept ans, il possède toutes les vertus d'un cardinal très parfait. (Durand, « Caractères des Saints ») La maison de Luxembourg est une des plus illustres de l'Europe, puisqu'elle a donné des rois à la Hongrie et à la Bohême, cinq empereurs à l'Allemagne, et une reine à la France, Bonne de Luxembourg, première femme du roi Jean II et mère de Charles V, dit le Sage. Elle a reçu encore un grand surcroît de gloire, lorsqu'elle est devenue comme la tige de nos rois de Bourbon, par le mariage de François de Bourbon, duc de Vendôme, bisaïeul d'Henri le Grand, avec Marie de Luxembourg, fille de Pierre, comte de Saint Pol. Mais il faut avouer que tout cela ne peut égaler la gloire qu'elle à reçue par la naissance de son illustre prince, notre bienheureux Pierre de Luxembourg; si cette noble race paraît éteinte du côté des mâles dès l'année 1616, elle demeure immortelle en ce saint personnage, qui en éternise la mémoire au ciel et sur la terre par ses mérites et ses incomparables vertus.


Il vint au monde le 20 juillet 1369, en la ville de Ligny-en-Barrois, au diocèse de Verdun. Son père fut Guy de Luxembourg, comte de Ligny, seigneur de Roussy et sa mère Mahault, autrement dite Mathilde de Châtillon, comtesse de Saint Pol, issue des anciens comtes de Champagne. Cette vertueuse princesse conçut d'abord un amour si tendre pour ce fils, qu'elle ne voulut jamais permettre qu'il fut nourri d'un autre lait que du sien, afin de pouvoir répandre dans son coeur avec le lait les semences de la véritable piété. A l'âge de trois ans il perdit son vertueux père, et un an plus tard sa mère descendait au tombeau et le laissait ainsi orphelin presque en naissant. Il fut alors mis sous la conduite de Jeanne, comtesse d'Orgières, sa tante. C'était une dame qui faisait profession d'une très-haute vertu, et qui ne manqua pas d'élever ce cher neveu dans toutes les pratiques du christianisme elle lui donna aussi de bons précepteurs pour lui faire apprendre les éléments des lettres humaines mais à condition que l'unique fin de ses études fût de plaire à Dieu, et de le rendre capable de le servir plus parfaitement. Aussi ses moeurs incorruptibles et toujours accompagnées d'humilité et de modestie, lui attirèrent bientôt l'admiration de tout le monde on ne voyait rien de puéril en ses discours ni en ses manières; sa dévotion ne le rendit point incommode dans les compagnies il savait tempérer sa gravité par une affabilité charmante; il ne laissait pas de répandre en toute occasion une suave odeur de sainteté; il était facile de juger qu'il serait un jour une excellente lumière de l'Evangile, une ferme colonne de l'Eglise et un ornement de grand éclat dans l'édifice de Jésus-Christ. A l'âge de six ans il voua à Dieu sa virginité, et la fit vouer à Jeanne do Luxembourg, sa soeur ainée, qui avait douze ans, afin qu'elle ne fût pas moins sa soeur par la ressemblance de la pureté virginale que par la participation d'un même sang. Ayant appris que ses ancêtres s'étaient particulièrement distingues par la charité envers les pauvres, il voulut aussi lui-même en faire sa vertu principale, et il n'oublia rien pour en exercer les oeuvres.


A l'âge de dix ans on l'envoya faire ses études à Paris, où, en peu d'années, il fit de grands progrès, tant dans les humanités que dans la philosophie et dans le droit canon, qu'il apprit parfaitement. Il fut néanmoins interrompu dans son cours par un accident fâcheux la captivité de Valeran, son frère aîné, devenu comte de Saint Pol, qui fut fait prisonnier de guerre par les Anglais dans un combat entre les troupes du roi de France et celles du roi d'Angleterre. Le bienheureux Pierre n'eut pas plus tôt appris cette nouvelle, qu'il quitta tout pour se rendre à Calais, où il convint avec les ennemis de demeurer chez eux en otage pendant que son frère viendrait lui-même rassembler la somme qu'ils lui demandaient pour sa rançon. Cette affaire dura neuf mois, pendant lesquels le saint jeune homme gagna tellement le coeur des Anglais, qu'ils lui donnèrent la liberté d'aller où il voudrait sur sa parole. Le roi d'Angleterre le pria même plusieurs fois, par des lettres très-obligeantes, de le venir trouver à Londres, où il l'assurait qu'il serait le bienvenu. Mais le comte de Saint Pol étant enfin revenu avec la. somme qui devait leur rendre la liberté, notre Saint dut céder sa 'curiosité & ses obligations et reprit le chemin de Paris, pour y achever ses études il se remit à ses exercices de piété avec plus de ferveur que jamais, et les accompagna de nouvelles mortifications, affligeant son corps par des jeûnes, des veilles, des disciplines et d'autres austérités qu'il pratiquait avec un courage invincible. Ce fut alors qu'il lia une étroite amitié avec Philippe de Maizières, ancien chancelier des royaumes de Chypre et de Jérusalem, qui, ayant reconnu par mille expériences la vanité des grandeurs et des plaisirs de ce monde, s'était retiré chez les Célestins de Paris, où, sous un habit séculier, il menait une vie pénitente et religieuse. Cet excellent homme modéra un peu l'ardeur avec laquelle notre bienheureux écolier se portait aux austérités corporelles mais en même temps il lui servit beaucoup pour profiter dans la vie de l'esprit, pour s'avancer dans la pratique de l'oraison, et pour se rendre la présence de Dieu et l'entretien humble et amoureux avec lui, familiers et presque continuels.


D'autre part, le comte de Saint Pol, son frère, qui fut depuis connétable de France, craignant que cette pieuse assiduité dans le couvent des Célestins ne le dérobât tout à fait au siècle et à sa famille, en l'engageant dans la vie monastique, lui procura un canonicat dans l'église cathédrale de Paris, en attendant que son âge permît de lui ménager une dignité ecclésiastique plus considérable. Le Saint accepta ce bénéfice avec respect, comme un honneur dont il s'estimait indigne, et il s'y comporta avec tant d'humilité, qu'un jour le clerc qui devait porter la croix à une procession ayant, par orgueil, refusé de le faire, il la prit avec une joie et une ardeur incroyables, et la porta effectivement d'une manière si modeste, qu'il attira sur lui l'estime et l'admiration de tous les Parisiens; il semblait, en le voyant, qu'on vît un ange sous forme humaine, et il sortait de ses yeux et de tout son visage des étincelles d'un feu céleste, qui faisait assez paraître que son coeur était tout rempli et tout possédé du divin amour. Sa sainteté et l'illustration de sa famille portèrent plusieurs prélats à l'attacher à leur Eglise par quelque dignité. C'est ainsi qu'il fut nommé successivement archidiacre de Dreux, au diocèse de Chartres, et de Bruxelles, dans l'ancien diocèse de Cambrai. L'antipape Clément VII, qui était reconnu pour vrai Pape en France, où il avait établi son siège dans la ville d'Avignon, étant informé de son éminente sainteté, et désirant d'ailleurs avoir de grands hommes de son côté pour autoriser son parti, ne fit pas difficulté de le créer évêque de Metz, quoiqu'il n'eût encore que seize ans. Notre saint Chanoine fit ce qu'il put pour se défendre d'une charge qu'il croyait excéder ses forces et devoir même donner de l'épouvante aux Anges, comme parle saint Bernard. Se croyant néanmoins obligé d'obéir à celui que sa bonne foi lui faisait reconnaître pour chef de tous les fidèles, il baissa la tête sous le joug et soumit ses épaules à la pesanteur de ce fardeau.


Il vint donc dans son diocèse et fit son entrée publique à Metz, non pas avec la majesté d'un prince ni avec le faste et la pompe d'un grand seigneur, mais les pieds nus, monté seulement sur un âne, comme un humble disciple de Jésus-Christ. Ayant pris possession de la dignité épiscopale, il s'appliqua généreusement à en remplir tous les devoirs, et Dieu lui donnant dans un âge si peu avancé la sagesse et la maturité d'un vieillard, il travailla par tout son diocèse avec un merveilleux succès à affermir la foi à désarmer le vice et à mettre en vigueur les plus saintes lois du christianisme. Sa charité parut alors dans tout son éclat car, étant persuadé que les revenus des évêques et des bénéficiers sont les biens de l'Eglise et des pauvres, il divisa les siens en trois parties égales, destina la première & réparer des temples ruinés et à en bâtir de nouveaux, et ensuite à leur fournir les vases et les ornements nécessaires pour la célébration des divins Mystères consacra la seconde à l'entretien des pauvres, des veuves et des orphelins, et ne prit pour lui et pour toute sa famille que la troisième, dont il retranchait même assez souvent quelque chose pour augmenter la portion des nécessiteux et de tous ceux qu'il voyait dans la misère.


Quelques villes se révoltèrent contre lui, et se choisirent de nouveaux magistrats sans sa participation, ce qui était attaquer un droit dont ses prédécesseurs avaient toujours joui. Le comte de Saint Pol, son frère, n'en eut pas plus tôt été averti, qu'il s'avança avec des troupes pour faire rentrer les rebelles dans le devoir. Le saint Evêque fut extrêmement mortifié de cet accident, et avec son patrimoine il dédommagea même les rebelles des pertes qu'ils avaient essuyées. Une telle charité lui gagna tous les coeurs. Le soin infatigable qu'il avait de son troupeau ne lui fit pas oublier sa propre sanctification. II avait une conscience si délicate, que l'ombre même du péché lui faisait peur, selon le témoignage de ceux à qui il a été obligé de découvrir les plus secrets replis de son coeur il a conservé son innocence baptismale jusqu'à la mort, et ne s'est jamais souillé d'aucun péché mortel. Cependant, il ne laissait pas de se confesser fort souvent avec la même componction que s'il eût été un très-grand pécheur et, avant d'approcher du saint tribunal, il expiait ses fautes, qui n'étaient ordinairement que de légères imperfections, par les larmes de ses yeux, par la contrition de son âme et par la rigueur de la pénitence. Un jour qu'il était en chemin pour ses visites, ayant ressenti un mouvement de la chair un peu violent, et craignant d'avoir eu de la lâcheté à le combattre, il en voulut porter la peine sur-le-champ, et, se trouvant auprès d'un bois dont l'épaisseur pouvait le cacher aux yeux des hommes, il entra dedans, et s'y donna une si rude discipline, que son corps en fut tout déchiré ce qui lui ôta tous les sentiments de plaisir que la jeunesse et le bouillonnement du sang lui avaient causés.


Cependant, le bruit d'une vie si remplie de merveilles continuant de se répandre de tous côtés, Clément VII voulut l'avoir à sa cour pour le combler de nouveaux honneurs. Ce ne fut qu'avec répugnance que le bienheureux Pierre quitta son diocèse pour se rendre à Avignon, auprès de lui mais, le tenant pour le Pape légitime, comme on le tenait en France, en Espagne et en d'autres lieux, il se crut encore obligé de se soumettre à ses ordres. Dès qu'il fut arrivé, Sa Sainteté le créa cardinal du titre de Saint Georges au voile d'or, dans la pensée qu'un astre si éclatant et si bienfaisant devait être placé dans un endroit de l'Eglise qui fût à la vue de tous les fidèles, afin qu'ils en pussent recevoir les lumières et ressentir les favorables influences. Pierre demeura tout confus d'un honneur dont il s'estimait indigne, et que tout autre motif que l'obéissance n'aurait jamais été capable de lui faire accepter. Aussi, appréhendant que la pompe et les délicatesses de la cour d'Avignon ne lui inspirassent de la vanité et de la mollesse, il redoubla ses veilles, ses prières, ses jeûnes et ses autres mortifications; aux jours de jeûnes commandés par l'Eglise, il se contentait de pain et d'eau il jeûnait encore très-rigoureusement pendant tout l'Avent, et le lundi, le vendredi et le samedi de chaque semaine l'usage du cilice, de la haire et de la discipline lui était aussi très-ordinaire; enfin, il se réduisit à un genre de vie si austère, que ceux qui en étaient informés s'étonnaient qu'il pût subsister avec une si grande rigueur. Clément étant averti que, s'il n'y mettait ordre, il perdrait bientôt cet excellent sujet qu'il venait d'élever, et qui pouvait être dans la suite si utile à l'Eglise, l'envoya chercher pour lui en faire la remontrance. Lorsque ce bienheureux pénitent entra, il parut au Pape, ainsi qu'au cardinal de Cambrai qui s'entretenait avec lui, tout rayonnant et tout environné de lumière. Clément ayant congédié ce cardinal, dit à Pierre: « Je suis heureux de voir qu'il y a encore dans l'Eglise des saints personnages qui éclairent les fidèles des pures lumières de leur intérieur, en cassant pour ainsi dire, par la mortification et la pénitence, les vases fragiles de leurs corps; quant à vous, vous m'honorez par la sainteté qui reluit en toutes vos actions car tout le monde, en vous voyant, applaudit au choix que j'ai fait en vous nommant cardinal. Cependant je ne puis approuver la grande rigueur et la sévérité inexorable que vous exercez contre vous-même, dans le rang où la divine Providence vous a élevé vous devez vivre moins pour vous que pour les âmes rachetées au prix infini du sang de Jésus-Christ vous devez vous conserver pour elles, au lieu de vous suicider par des austérités indiscrètes; je vous exhorte donc et même je vous commande d'apporter de la modération à cette sévérité, de traiter désormais votre corps, non pas comme un ennemi, mais comme un fidèle compagnon de vos travaux, de peur de vous rendre homicide de vous-même et coupable devant Dieu en lui donnant plus de charge qu'il n'en pouvait porter ». L'humble Pierre, confus de ces paroles, répondit modestement qu'il n'était qu'un serviteur inutile, et promit néanmoins de faire ce que Sa Sainteté ordonnait; ensuite il se jeta à ses pieds pour recevoir sa bénédiction. Clément l'embrassa comme son frère par la dignité épiscopale, et comme son fils à cause dé sa jeunesse et de sa qualité d'ouaille de Jésus-Christ; mais il fut bien surpris, en l'embrassant, de sentir une odeur excellente qui s'exhalait de toute sa personne. Il crut d'abord qu'on avait parfumé ses habits mais, s'étant informé si cela était, il apprit que, bien loin de porter des habits parfumés, il ne souffrait pas même qu'aucun des siens se servît d'odeurs pour se rendre plus agréable ainsi, il reconnut que celle qu'il avait sentie en l'embrassant était une odeur surnaturelle qui venait de la pureté de son âme, laquelle rejaillissait sur son corps il l'assura depuis à un cardinal, qui était surpris lui-même de ce que le bienheureux Pierre sentait toujours si bon, et qu'on ne pouvait approcher de lui sans en être parfumé.


S'il avait eu tant de charité pour les pauvres avant son épiscopat et durant son séjour en son diocèse, il semble qu'il ait voulu pratiquer cette vertu, au suprême degré, depuis qu'il se vit promu au cardinalat. En effet, ne se contentant pas d'avoir destiné, par un voeu exprès, la troisième partie de ses revenus au soulagement des membres souffrants de Jésus-Christ, ni d'en avoir appliqué un autre tiers à la réparation des églises, il se dérobait encore à lui-même et aux commodités de sa maison, presque tout le reste qu'il avait réservé pour son usage afin de le répandre sur les nécessités de son prochain; et, comme il savait cd que Notre-Seigneur prescrit dans l'Evangile, de faire ses aumônes en secret autant qu'il est possible, il se déguisait quelquefois pour aller jeter aux pauvres, par leurs fenêtres, ce que sa miséricorde lui inspirait de leur donner. Celui qui avait le soin de sa dépense, voyant que ces libéralités excessives lui faisaient quelquefois manquer du nécessaire pour le vivre et pour le vêtir, prit la liberté de lui en témoigner son sentiment et de lui dire qu'à la vérité c'était une chose fort louable de subvenir aux besoins des pauvres, mais, qu'après tout, il fallait, en cela, éviter l'excès et ne pas s'ôter le pain à soi-même pour le donner à ceux qui en pouvaient avoir ailleurs. Mais le bienheureux Pierre, à qui cette prudence de la chair était inconnue, lui répondit sans s'émouvoir: « Que sa maison ne manquerait jamais de rien, pourvu qu'elle établît son trésor dans le ciel, et que c'était de là uniquement qu'elle devait attendre ses besoins et son abondance ». Aussi, malgré cette remontrance, il demeura toujours ferme dans ses charitables pratiques. Il avait cette sainte coutume, quand il sortait, de faire donner l'aumône à tous les mendiants qui se montraient à sa porte. Un jour, voyant un de ses gens traiter un peu rudement quelqu'un de ces malheureux, il l'en reprit fortement, et, depuis ce temps-là, il faisait la charité lui-même sans s'en reposer sur personne. Une autre fois, allant par la ville, un pauvre s'adressa à lui-même, et, lui exposant sa misère et sa faim, le supplia, au nom de Dieu, de lui faire la charité. Il n'avait alors aucun argent mais, ne pouvant éconduire un membre de son Sauveur, il envoya sur-le-champ vendre l'anneau de son doigt ce qui servit à soulager cet infortuné et beaucoup d'autres qui se présentèrent ensuite. Si son amour pour les pauvres était si ardent, celui qu'il avait pour la pauvreté n'était pas moindre bien qu'il fût né dans l'éclat d'une maison illustre et opulente, et que son rang dans l'Eglise l'obligeât à vivre au milieu des splendeurs d'une cour, il n'avait néanmoins jamais qu'un seul habit, et ne le quittait point pour en prendre un autre qu'il ne fût tout à fait usé. Sa table était extrêmement frugale, ses meubles communs, et son épargne était si vide, qu'après sa mort on ne lui trouva en tout que vingt sous dans ses coffres, les mains des pauvres ayant porté le reste de ses trésors dans le ciel. Il étendit ce zèle de la pauvreté jusqu'aux cérémonies de la sépulture il la choisit dans le cimetière des pauvres, et ordonna que son corps ne fût couvert que d'un drap d'une grosse toile, marqué dessus d'une croix rouge, et qu'on n'y portât que trois cierges allumés, deux à la tête et un aux pieds, pour honorer la très-sainte Trinité.


Il ne faut point douter qu'un homme d'une si haute perfection n'aimât beaucoup l'oraison mentale, et qu'il n'y passât ses heures les plus précieuses du jour et de la nuit. On ne peut dire les grâces extraordinaires qu'il a reçues en particulier dans cet exercice, parce que son humilité les lui a fait tenir sous le secret; mais Notre-Seigneur nous en a voulu donner quelques échantillons par deux ravissements qui lui arrivèrent en public à la suite d'une forte application au mystère de la Passion et des plaies du Sauveur. Un jour qu'il se rendait de son palais à l'église de Saint-Pierre d'Avignon, Notre-Seigneur, l'ayant environné d'une grande clarté, lui apparut sur la croix et le remplit d'une ardeur et d'une onction merveilleuse; son coeur se fondant de dévotion, il tomba en défaillance entre les mains de ceux qui l'accompagnaient; on fut obligé de le porter dans la maison la plus proche, que l'on croit avoir été l'hôpital de Saint-Antoine, où il fut une demi-heure en extase. L'autre extase lui arriva à Neufchâtel, près d'Avignon, à la suite de Clément se trouvant subitement couvert de lumière et consolé de la présence de Nôtre-Seigneur, qui eut encore la bonté de le visiter, il se mit à genoux au milieu de la boue pour l'adorer, et y demeura longtemps tout ravi, sans que ses habits fussent aucunement salis.

 

Il était à souhaiter qu'une vie si adorable continuât longtemps à éclairer et à édifier les fidèles; mais Dieu, qui avait avancé la sainteté de son serviteur en lui donnant, avant dix-huit ans, ce que les plus grands Saints ont eu de la peine à acquérir en soixante ans, voulut aussi avancer sa couronne. Ainsi, dix mois après sa promotion au cardinalat, il fut saisi d'une fièvre que l'on attribua d'abord à ses pénitences, mais que les médecins jugèrent bientôt être dangereuse et mortelle. ils lui conseillèrent de changer d'air et de se faire porter à Villeneuve, sur les terres de France, au-delà du pont d'Avignon; il y consentit très-volontiers, non pas qu'il désirât la santé, mais pour s'éloigner davantage des troubles et des tempêtes de la cour, dont l'air lui était insupportable. On l'obligea aussi aux bains, qu'il ne refusa pas, parce qu'il était tellement mort à sa volonté, qu'il se laissait conduire aveuglément en toutes choses. Et depuis, l'eau où on l'avait baigné servit à la guérison de beaucoup de malades. Quelque grande que fût sa maladie, il ne laissait pas de réciter tout son office, ou, si la violence du mal et son extrême faiblesse l'empêchaient de prononcer les mots, il le faisait réciter en sa présence, afin qu'en l'entendant, il eût un nouveau secours pour s'élever à Dieu et pour produire des actes des plus excellentes vertus; et l'on remarquait que pendant que sa langue, toute brûlante des ardeurs de la fièvre, demeurait sans parole, son coeur, encore plus embrasé des flammes du divin amour, poussait des soupirs continuels vers le ciel, où était tout son bonheur et toute son espérance. Il communiait aussi tous les jours, et se confessait deux fois le jour, le matin et le soir, afin de recevoir avec plus d'abondance la grâce de la pureté intérieure. Son mal s'étant augmenté et ne laissant plus aucune espérance de guérison, il reçut le saint Sacrement en Viatique, ce qu'il fit avec une ferveur et une dévotion dignes de sa piété. Puis, ayant aperçu un de ses frères, nommé André, qui fut depuis évêque de Cambrai, il lui donna des instructions très-salutaires pour sa conduite, et, lui recommandant leur bien-aimée soeur, Jeanne de Luxembourg, il le pria de lui remettre un petit Traité de la Perfection qu'il avait composé en sa faveur. C'est cette soeur à qui il avait fait faire voeu de virginité à l'âge de douze ans, et qui mena toujours une vie très-exemplaire et très-sainte.


Notre saint cardinal fit encore, dans ses derniers moments, un acte bien surprenant d'humilité et de pénitence; ayant fait venir tous ses domestiques devant lui, il leur demanda pardon de ne les avoir pas toujours édifiés et de les avoir traités comme ses serviteurs et non pas comme ses frères, quoiqu'ils fussent en vérité ses frères, puisqu'ils étaient les enfants de Dieu et les membres de Jésus-Christ, et il les obligea absolument de lui frapper les épaulas avec sa discipline. Il est aisé de juger qu'ils s'en défendirent autant qu'il leur fut possible; mais ils ne purent refuser ce châtiment à ses prières et à ses larmes, d'autant plus qu'il leur avait fait promettre auparavant qu'ils feraient ce qu'il leur demanderait. Ensuite, il leur donna le baiser de paix et sa bénédiction, et, peu de temps après, ayant l'esprit élevé en Dieu, et le coeur tout brûlant de le posséder, il lui rendit sa belle âme, qui n'avait pas été dix-huit ans dans son chaste corps, le 2 juillet 1387. Clément VII, informé de cette mort, se transporta aussitôt à Villeneuve, pour honorer ce grand serviteur de Dieu. Ainsi il fut témoin lui-même de la beauté extraordinaire qui paraissait sur son visage et de l'odeur merveilleuse qui sortait de ses membres, laquelle surpassait toute la douceur des parfums de la terre ce qui lui fit dire beaucoup de choses à la louange du saint défunt. S'il faut en croire quelques auteurs, pendant qu'il le regardait fixement, le bienheureux cardinal lui lança un regard qui le remplit d'étonnement et d'effroi et l'obligea de se retirer la nuit suivante dans la Chartreuse de Villeneuve, où il la passa en prière; c'était peut-être pour l'avertir que, reconnaissant alors la vérité de son schisme, qu'il n'avait pas connue pendant qu'il était sur la terre, il n'avait plus pour lui la vénération qu'il avait eue jusqu'à sa mort, et pour l'exhorter à mettre fin à la division et à rendre la paix àl'EgIise. Quoi qu'il en soit, Clément, sachant qu'il avait ordonné, par son testament, de l'enterrer au cimetière de Saint-Michel d'Avignon, s'il mourait dans le comtat, et au cimetière des Saints-Innocents, à Paris, s'il mourait hors du comtat, fit transférer son corps à Avignon, où on l'inhuma dans le lieu qu'il avait choisi pour sa sépulture. On représente le bienheureux Pierre de Luxembourg 1° en prières, vêtu de ses habits pontificaux; 2° couronné par un ange à côté de lui se voient les insignes du cardinalat; 3° pieds nus et monté sur un âne, faisant son entrée dans sa ville épiscopale; 4° voyant Jésus crucifié qui lui apparaît pour le récompenser de son esprit de dépouillement qu'il poussait au plus haut degré; 5° près du pont d'Avignon, comme patron de cette ville; 6° on gardait dans la collégiale de Notre-Dame d'Autun un tableau qui le représentait en extase, et au bas duquel on lisait ces mots qu'il répétait souvent: « Méprisez le monde, méprisez-vous vous-même, réjouissez-vous dans le mépris de vous-même, mais prenez garde de mépriser qui que ce soit ».



Culte et reliques



Les miracles que fit notre Saint avant qu'on le mit en terre et depuis qu'il fut dans le tombeau sont si illustres et en si grand nombre, qu'il y a peu de bienheureux dont Dieu ait déclaré la sainteté d'une manière plus authentique on compte même jusqu'à quarante morts qui furent ressuscités par son intercession. C'est ce qui fit que bientôt après on éleva une chapelle au-dessus de son sépulcre, et qu'ensuite on bâtit au même lieu l'église et le couvent des Célestins d'Avignon; c'est dans l'église de ces religieux que se gardait le corps du Bienheureux, enchâssé sous un magnilique mausolée. La ville d'Avignon le prit pour patron en 1432, à l'occasion d'un prodige éclatant arrivé à son tombeau, te 5 juillet, jour de son enterrement et auquel on a depuis célébré sa fête. Elle portait en procession, sous un baldaquin, son précieux chef. Dans cette fête, le pape Clément VII autorisa la récitation de son office, qui est celui d'un confesseur non pontife. On en faisait mémoire à Roubaix, avant la Révolution, dans la chapelle de Sainte Elisabeth, bâtie par les parents du Bienheureux. La chapelle actuelle de Saint-Druon, à Carvin-Epinoy, chef-lieu de canton à vingt-six kilomètres N. E. d'Arras, fut dédiée à saint Druon et au bienheureux Pierre de Luxembourg. Le chapelain était à la nomination de l'abbé du monastère de Saint-Pierre de Gand. Ce bénéfice avait été créé et fondé par le prince de Meiun-Epinoy, époux de Yolande de Luxembourg, dame de Roubaix, Cysoing, etc. Ses précieuses reliques se conservent encore aujourd'hui à Avignon, dans l'église de Saint Didier.

 

Nous lisons dans une monographie du bienheureux Pierre de Luxembourg, qui porte la date de 1710: « La ville d'Avignon n'est pas la seule qui honore le saint Cardinal et qui implore son intercession dans ses besoins. Il n'y a point de monastère de Célestins où il ne soit invoqué du peuple, et leur église de Paris voit tous les jours des malades qui viennent lui adresser leur prière et demander à toucher son manteau. Il est de couleur de rose sèche, tel que tes cardinaux en portent le troisième dimanche de l'Avent et le quatrième de Carême. Dieu, qui a renouvelé au tombeau de ce bienheureux enfant les miracles qui se sont faits à ceux des plus grands Saints, renouvelle à Paris, par l'attouchement de son manteau, ceux qui se faisaient autrefois par les mouchoirs de saint Paul, par l'ombre de saint Pierre et par la frange de la robe de Jésus-Christ ». On montre encore à Ligny, parmi les ruines de l'ancien château féodal de Luxembourg, la chambre où naquit notre Bienheureux. C'est une pièce carrée, voûtée en arc-de-cloitre, éclairée par deux croisées dont les embrasures sont côtoyées de bancs en pierre, et sur la voûte de laquelle on lit le millésime de 1191. Cette salle sert encore de nos jours à renfermer des malfaiteurs, des vagabonds, des condamnés On l'appelle Chambre Saint Pierre. Il est à regretter qu'un appartement, illustre jadis par une si glorieuse naissance, n'ait qu'une destination aussi profane. La tour, dite de Luxembourg, attenante à la chambre, formait jadis l'angle nord du château de Ligny. Elle fut construite en 1191, et était une de celles qui défendaient la porte orientale de ce château sa collatérale, qui portait le nom de Tours des Canons, fut démolie en 1747. Elle présente une hauteur de vingt-deux mètres, sur un diamètre d'environ sept mètres.


La ville de Ligny ne possédait des restes dit saint Cardinal, qu'un gland de son chapeau, informée que ses reliques jadis dispersées par suite des guerres et de la Révolution, avaient été heureusement retrouvées pur Mgr Debetay, archevêque d'Avignon, elle réclama, par l'organe de son conseil de fabrique, une part dans ce précieux trésor. Le vénérable prélat accueillit, avec autant de bienveillance que de générosité, des voeux si légitimes, et envoya à la paroisse une relique insigne, dont l'arrivée à Ligny, le 9 juillet 1854, fut le signal de l'une de ces fêtes religieuses et populaires que la foi seule sait inspirer. Mgr Rossât, évoque de Verdun, se rendit lui-même à Ligny pour présider à sa translation. Mgr Didiot, évêque de Bayeux, alors vicaire général du diocèse de Verdun, fit le panégyrique de notre Bienheureux.

 

Pour ce qui est des écrits de notre Bienheureux, voici en raccourci ce que nous lisons dans la monographie citée tout à l'heure « La lecture attentive de ses ouvrages contenus dans un ancien manuscrit des Pères Célestins de Paris, donne lien de les distinguer en cinq différents écrits. « Le premier est une instruction que le Saint donne à un pécheur pour lui apprendre comment il doit retourner à Dieu, et ce qu'il doit faire après qu'il se sera réconcilié avec lui pour conserver la grâce qu'il aura reçue cet ouvrage est rempli de règles et de maximes très-solides. Le second est une apologie de la prière, considérée en tant que moyen d'obtenir la grâce sans laquelle le pécheur ne peut retourner à Dieu par une conversion véritable l'auteur donne dix règles ou préceptes sur la manière de prier. Le troisième est un recueil de maximes courtes et simples, mais solides et utiles, sur la morale. Le Saint les composa pour les peuples de son diocèse, car il les commence par ces mots Très-chers frères et soeurs. Le quatrième est une lettre qu'il adresse à sa soeur Jeanne de Luxembourg comme elle se sentait ébranlée dans le dessein qu'elle avait pris d'être tout entière à Dieu et de ne s'engager jamais dans le monde, l'auteur la fortifie dans ses premiers projets. Cette lettre rappelle celle que saint Paul adressait aux fidèles séduits par les faux docteurs. Le cinquième est une seconde lettre à sa soeur il y fait l'apologie de la prudence et de la charité, deux vertus essentielles pour résister aux plus fortes tentations du démon ».

 

Texte extrait des Petits Bollandistes, Volume 8



20/11/2010
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