Bienheureux Luchesio suite
Bienheureux Luchesio, suite
Religieux dans le monde
Il vécut dès lors, avec Bonadonna, dans une pauvreté rigoureuse, être des religieux, vivre comme frère François, n’être plus du monde, comme il leur avait dit, c’est leur pensée directrice. Le religieux n’ont rien, et François était affamé de pauvreté ; Luchesio aliéna ce qu’il lui restait de biens, ne se réservant qu’un petit champ, qu’il cultivait lui-même dont il partageait le prit avec les nécessiteux. Bonadonna elle-même l’y poussait : la pauvreté était devenue leur but, leur joie et leur trésor. Le sénat de Poggi-Bonzi plein de reconnaissance pour François, l’avait prié d’établie une communauté de Frères dans la ville et l’avait autorisé à bâtir un couvent sur la colline où se dressaient les ruines d’un château-fort démantelé.Luchesio en fut ravi et offrit ses services aux Frères pour les travaux de la construction ; il se mit à l’œuvre avec ardeur, arrachant les pierres de l’ancien château et les transportant à pied d’œuvre, il se mêlait aux ouvrier, cassait la croûte avec eux sur le chantier et les traitait en camarades : et cette simplicité de messire Luchsio dans le métier de manœuvre fit plus pour le rapprochement social que beau de discours et de politique, quand à lui, il trouvait dans cet humble labeur et cette fraternité, une joie qu’il n’avait jamais ressentie dans sa vie fastueuse. Quand les religieux furent installés, ce fut entre les frères du premier et du troisième ordre, un assaut de pauvreté, de prières et de bonnes œuvres. Nous devons, avait dit Luchesio à sa femme, avoir nous aussi notre couvent : ce sera notre maison. Les franciscains donnaient du pain et de la soupe aux pauvres à leur porte : Luchesio fit de même. Mais comme son couvent à lui n’avait pas de clôture, il faisait manger les pauvres à sa table, leur laissant le meilleur et se contentant lui-même d’une croûte.
Les franciscains mendiaient ce qu’ils donnaient ; Luchesio, devenue pauvre, alla de porte en porte quérir de quoi nourrir les malheureux : et ses frères tertiaires, touchés de cet exemple, lui donnaient largement. Puis il se mit à faire loger chez lui les pauvres et les malades, et, avec sa femme, à leur prodiguer tous les soins. Ils avaient découvert, a maintenant que tous les faux besoins étaient supprimés, que leur maison était bien trop grande et comportait beaucoup de place inemployé : elle fut bientôt transformé en refuge, en hospice et en hôpital. On l’appelait en ville ‘’ L’auberge des pauvres.’’ La chambre de Luchesio était toujours disponible, car il avait pris l’habitude de dormir dans les corridors ou même à l’extérieur sur la terre nue. Il éprouvait une étrange et profonde joie à dorloter dans son bon lit un pauvre hère ou à veiller sur un malade la nuit durant. Il se souvenait alors de la parole du Maître ; ‘’ Ce que vous faites au plus petit des miens, c’est à moi-même que vous le faites ‘’ : et en vérité, il lui semblait alors soigner Jésus-Christ même; et c’était là une chose délicieuse, et il redoublait envers ces pauvres gens, devenus sacrés, d’attention et de délicatesse ; et quand il se pendait sur eux, c’était avec plus que de la compassion ; c’était avec amour. La plus grande partie de son temps se passait dans les hôpitaux voisins, où il se dépensait sans compter dans son rôle d’infirmier. Quand à son propre hôpital. Sa maison pleine des malades de pauvres, c’était t le domaine de Bonadonna ; elle était la maman de tous, besognant , trottant, préparent onguents et tisanes, et, ce faisant, riait, chantait, et… ne s’était jamais sentie aussi heureuse.
Luchesio allait cherche lui-même les malades et les amenait chez lui, les soutenant, les prenant dans ses bras, les chargeant sur ses épaules. C’est ainsi qu’un jour un jeune home l’aperçut escorté de deux infirmes et en portant un troisième sur son dos. Celui-ci devait avoir bien mauvaise apparence, car au passage le jeune malappris s’écria ; Eh, c’est le diable qui est assis sur ton dos ! Non, repartit le saint, soudain tout ému, ce n’est pas le diable, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Or, sur-le-champ, l’étourdi se trouva frappé de mutisme. Il se jeta aux pieds de Luchesio, pleurant, geignant, mains jointes ; et le bons Samaritain, ayant prié, lui rendit la parole et lui dit doucement : Allez en paix et ne péchez plus contre la sainte charité.
Il entourait ses chers malades de soins si maternels, il leur montait tant de vraie tendresse, il leur parlait avec une telle persuasion qu’il atteignait leurs âmes en soignant leurs corps : si bien que beaucoup, qu’il avait trouvés aigris et révoltés, se convertirent, sous l’empire de sa bonté, à la pauvreté et à la vie parfaite. Seul la charité a des pareils triomphes. Tout disgrâce, tout besoin ou physique ou moral était certain de trouver auprès de lui un accueil amical. Un solliciteur est pour nous un fâcheux ; ces visites-là ne sont qu’en source d’ennuis, et à y donner suite on est vite débordé par un tas de soucis. C’est pourquoi une des grandes préoccupations du monde est de se retrancher contre ces importuns. Luchesio, lui, les recherchait et c’était héroïque, cela. IL s’attendait pas qu’on vînt lui demander service ; généreusement il allait au-devant des traces et des peines qu’impose la charité. Il était à l’affût des misères, afin d’y porter remède. Aussi le champ de sa charité s’étendait toujours plus, et sa vie n’était plus qu’un harassement sans répit, mais sa peine était son bonheur, car il avait appris de François le secret de la ‘’ joie parfaite’’ : et il n’en avait jamais assez.
Il y avait, entre Poggi-Bonzi et Sienne, de vastes plaines marécageuse, les Maremmes, foyers de fièvres et de maladies. Les habitants, clairsemés et très pauvres, de ce triste pays étaient presque tous atteints de la malaria et se trouvaient fort abandonnés ; on évitait de passer par là car criante de la contagion, qui était redoutable, cela ne pouvait manque de solliciter l’active compassion de Luchesio ; il avait gardé son esprit entreprenant, mais toute son initiative maintenant était tournée vers le biens des autres. Il se fit médecin, acheta un âne, le chargea de fébrifuges et de toniques, et se mit à parcourir les Maremmes. De masure en masure, sous un soleil torride, dans l’atmosphère étouffante de ces marais, risquant sans cesse de prendre lui-même la maladie, il allais soigner, réconforter, aider, aimer ces malheureux ; et, dit son biographe, mieux que sa pharmacie, sa seule présence les guérissait. Car, pour le récompenser de cette merveilleuse charité, Dieu daignait maintenant l’y seconder Lui-même ; Luchesio faisait des miracles. Cela ne le rendait d’ailleurs que plus humble, et quand on faisait son éloge il répondait simplement ‘’ Oh ! un homme ne vaut que ce qu’il est devant Dieu’’. Mais ce pouvoir surnaturel lui assurait partout une influence décisive, et il en profitait pour amener les âmes au bien, étendre de plus en plus le bienfaisant tiers ordre et y enrôler de nouvelles recrues ; celui-ci finit par grouper la plus grande partie de la population.
Ce zèle, cette abnégation, cette héroïque bonté, n’étaient que la flamme qui montait du foyer d’un autre amour: celui du Christ auquel il s’était donné corps et âme. Comme son maître le séraphique stigmatisé, il était ivre de cet amour unique. Sa vie n’était qu’une prière, une ferveur jaillissant vers Celui qui l’avait conquis et qui était devenue son tout. Au dedans comme au dehors, dans le travail comme dans le repos, sur les chemins comme à la maison, son esprit ne cessait de prier. Sa labeur inhumain ne l’empêchait jamais de vaquer à ‘’ l’unique chose nécessaire ‘’ la sainte contemplation : à l’église ou, la nuit, au chevet des malades, il parvenait à trouver de longues heures durant lesquelles, lâchant bride à son cœur, il s’évadait du monde en brûlant colloques avec le Bien-Aimé ; et parfois on le voyait immobile, insensible, transfiguré et entouré d’une lumière céleste. Il sortait de ces extases avec une âme renouvelée et radieuse. Il méditait sans cesse sur la pauvreté et les souffrances de Jésus et de Marie, cette pensée lui arrachait des larmes, et il ne avait qu’inventer pour tendre, à leur suite, à plus de pauvreté et à plus de souffrance. Avec Bonadonna, il menait, par amour du Christ, une vie extrêmement dure et mortifiante : ils couchaient sur le carreau, portent le cilice et se donnaient des sanglantes disciplines ; ils ne se permettaient plus aucun plaisir, l’abstinence et le jeûne étaient passés chez eux à l’état d’habitude.
Mais ensemble ils priaient, ensemble ils recevaient le seul pain qui eût encore de la saveur pour leurs bouches sanctifiées, ensemble ils aimaient Jésus d’un amour qui, chaque jour, les envahissait un peu plus : et cet amour et cette union au Maître du bonheur, mettaient en leur coeur des allégresse ineffables des transports d’une joie pure et vaste comme le ciel, et cette ‘’paix du Christ qui dépasse tout sentiment’’. Ayant tout donnée ils avaient trouvé le Royaume des Cieux : ils avaient trouve le bonheur. Oh ! oui, Luchesio ,disait Bonadonna, tu avais bien raison : il faut peu de chose pour être heureux ; il faut l’amour de Dieu. Et c’est avec des larmes de bonheur qu’elle remerciait son époux de lui avoir montré les chemins de la joie. Ils moururent le même jour, à la même heure : Dieu leur fit cette dernière et touchante grâce de pouvoir, s’étant unis sur la terre dans un mariage céleste plus haut que le premier, s’envoler de concert en la Cité céleste vers laquelle ils avaient de concert voyagé et lutté, et de n’être point séparés une heure ni ici-bas , ni là-haut. Ceci arriva le 9 avril 1260, parmi les parfums du printemps italien, après quarante ans de cette vie héroïque.
Cette mort ‘’eut la grandeur et la sérénité de celle des patriarches ‘’. Comme ils étaient tous deux malades, l’état de Bonadonna s’aggrava tout à coup, Lucesio, oubliant son propre mal, se leva, alla la réconforter et l’engager à recevoir les derniers sacrements, et il trouva l’énergie de l’assister lui-même. Après la pieuse cérémonie, il lui dit, d’une voix où chantait déjà ; toutes les allégresses du ciel : O ma Bona, tu sais dans quelle union de cœurs nous avons servi ensemble notre bon Seigneur, voici qu’ensemble aussi nous allons partir pour êtr e avec Lui là-haut. Oh ! Bona, bientôt ! tout à l’heure ! Mon cœur se fond à cette douce pensées… Attends-moi un peu : je vais à mon tour recevoir le sait Viatique, et puis j’irais au Ciel avec toi. Et il traça sur elle un grand signe de croix et regagna péniblement sa couche. Son confesseur, le Père Hildebrand, du couvent des franciscains, lui dit : Mon cher frère Luchesio soyez fort et préparez-vous à la venue de votre Sauveur, car elle est proche. Repoussez toute tentation ; vous pouvez m’en croire, aujourd’hui même, vous verrez le salut et la couronne de gloire. Luchesio souleva un peu sa tête moribonde : Aimable Père Hildebrand, dit-il en souriant, si j’avais attendu jusqu’à ce jour pour me préparer à mourir, eh bien ! tenez, je ne désespérais pas encore de la bonté de Dieu`mais à vrai dire, je serais moins tranquille. Et, levant les mains et les yeux au ciel : Je vous rends grâce, s’écria-t-il, ô sainte et adorable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, et à vous mon Père béni, bienheureux François , de m’avoir délivré des pièges de l ’enfer, me voici prêt, libre et joyeux, et c’est à vous que je le dois par les mérites de la Passion de Note – Seigneur Jésus-Christ ! =Dans cette fête de son âme, il reçut les derniers sacrements. Puis, entendant que sa femme tait à l’agonie, il fit un dernier effort, se traîna jusqu’ à elle, prit ses mains dans les siennes et la réconforta par les plus douces et par les plus sublimes paroles. Il défaillait. On le porta sur son lit. Aussitôt son regard divin fixe. On l’entendit murmurer : ‘’ Jésus… Marie… François, mon Père… ‘’ Puis il fit le signe de la croix, et son âme donna la main à celle de son épouse pour s’envoler au ciel.
Épilogue
Luchesio, s’étant converti à l’amour, y avait converti, à l’amour, y avait converti la vielle qu’il habitait, mieux que n’aurait fait beaucoup de sermons, de carême et de missions : il avait simplement, donné l’exemple. Des faits pareils n’étaient pas rates à cette époque ; ils foisonnaient sous les pas de saint François d’Assise ; dans une société en déroute, le petit pauvre attirait, aimantait, groupait autour de lui tout ce qui restait bon, toutes les âmes encore nobles qui, déboutées de leur milieu, éprouvaient au besoin de renouveau, attenant l’homme qui leur en apporterait la formule. Il avait de la sorte constitué ce moyen, pièce maîtresse de toute rénovation sociale, qui allait agir sur les masses. Les résultats furent prodigieux. Le tiers ordre fit tache d’huile en Italie, en Europe, dans le monde entier. Débordant le domaine religieux ou plutôt tu prolongeant celui-ci, son influence, gagne toutes les branches du domaine social et politique : non seulement il restaura partout la piété, les bonnes mœurs et l’obéissance des fidèles, mais il assura le triomphe du Saint-siège, acheva l’autonomie des communes et fois à l’empereur à déposer les armes. En toute vérité, selon la vision prophétique d’Innocent III, saint François avait, grâce surtout a tiers ordre, refait une chrétienté nouvel et sauvé à la fois l’Église et la société. Le secret de ces triomphes ? ‘, Vives l’Évangiles ‘’, avait dit le petit pauvre : cela avait suffi à tout. Car cette formule, pour chacun engageait toute la vie, la transformait selon l’esprit chrétien : et de la sanctification ainsi opérée, jaillissaient naturellement le zèle, le dévouement, l’exemple et toutes les œuvres que réclamaient les circonstances du temps. Cela avait suffi alors, comme cela avait suffi aux premiers siècles à conquérir l’empire romain. Cela suffirait encore aujourd’hui ; c’est hélas! Ce qu’on oublie le plus aujourd’hui. Au cours des siècles, le tiers ordre est resté une pépinière de saints. Plus de cent tertiaires ont été mis sur les autels, à commencer par leurs deux admirables patrons, saint Louis de France et saint Élisabeth de Hongrie, et plus de cinq cents sont mort en odeur de sainteté, ces fêtes sont pour les chrétiens une admirable école de perfection. Les chrétiens doivent se sanctifier, tous. Les sains, les saints tertiaires surtout, ces laïques, leur montrent éloquemment comment ils peuvent le faire dans l’était où ils sont. Si l’Église les canonise, c’est pour en faire leurs modèles. No pas que chacun doive pousser aussi loin q’un Luchesio : ce sont des cimes dont l’ascension exige une vigueur trop rare. Pourtant le Saint-Esprit souffle encore de nos jours : un Matt Talbot ne le cède en rien à l’Héroïque Luchesio. Mais qu’au moins, devant de tels exemples, ils prennent conscience de ce qu’implique leur titre des chrétiens, qu’ils revoient leur vie et en entreprennent la réforme ; qu’ils cessent de vouloir marier Dieu et Mammon, le Royaume des Cieux et le Royaume de la terre ; et, prenant l’Évangile au sérieux, qu’ils consentent enfin à poser à la base de leur vie cette pierre fondamentale : le détachement. Ils trouveront alors le temps qui leur manque, disent-ils, pour prier, assister à la messe et aller communier ; ils trouveront des loisirs et des ressources insoupçonnées à dispenser aux pauvres et à l’apostolat. Ce qui manque, c’est le courage. Le seul obstacle, c’est la lâcheté : ils s’effraient, se dérobent devant ce mot rebutant inscrit dans l’Évangile : le renoncement . Ah! Qu’ils en croient les saints, de tous les essais de bonheur qu’ils pourront tenter ici-bas, un seul peut aboutir : celui qui partira cette démarche-là. Seuls les saints sont heureux : la voie est dure, mais au bout est la joie.
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