Spiritualité Chrétienne

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Vie de Sainte Anne 1/2

Vie de Sainte Anne

D'après Maria d'Agreda et plusieurs autres auteurs

 

 

 

I- Le père et la mère de Sainte Anne

 

Avant de faire l'éloge d'un personnage illustre, l'Ecriture commence toujours par louer ceux auxquels il doit la vie. Nous ne pouvons mieux faire que de suivre l'exemple tracé par les livres inspirés du Saint-Esprit, et nous dirons quelques mois du père et de la mère de sainte Anne. Stollan. nommé aussi Sagite, d'après quelques anciens Pères, eut le bonheur d'être le père de la mère de la sainte Vierge. Il était de la famille royale de David; et, dès sa plus tendre enfance, il avait été élevé dans la crainte de Dieu. Il était encore fort jeune lorsqu'il épousa Emérentienne, qui, comme lui, descendait de David , et dont les richesses et les vertus répondaient à cette noble origine.

 

Emérentienne naquit à Zéphor, petite ville de Judée, située à deux lieues de Nazareth. Dès le plus bas âge, on remarqua en elle les plus grandes dispositions à la vertu; tous les mouvements de son cœur l'entraînaient vers Dieu. Son amour pour l'oraison, sa rare modestie, sa retenue exemplaire, l'avaient rendue si agréable au ciel, qu'elle mérita de recevoir, par révélation, une vue anticipée de la gloire de sa postérité. Comme elle avait fait vœu de virginité, elle se plaisait infiniment dans la solitude, et avait des entretiens fréquents avec les disciples des grands prophètes Elie et Elisée, qui vivaient sur le mont Carmel. Souvent elle les interrogeait sur l'Incarnation du Fils de Dieu dans le sein d'une Vierge; et un jour elle leur demanda avec tant de persistance les raisons pour lesquelles le Seigneur avait différé si longtemps d'envoyer le Rédempteur promis aux patriarches et aux prophètes, que les saints cénobites, comme inspirés d'en-haut, lui répondirent : « Dans quelque temps, c'est vous qui nous l'apprendrez vous-même ».

 

Emérentienne, qui ne comprenait rien à ce discours, s'adressa au plus ancien des solitaires, nommé Archos, et âgé de cent trois ans : « Mon père, lui dit-elle, il y a longtemps que je cherche à m'éclairer sur quelques doutes qui me mettent dans une inquiétude mortelle. Voilà quatre mille ans que Dieu nous a promis la venue d'un Rédempteur, qui doit naître d'une Vierge immaculée. Puisqu'il a tant tardé à nous l'envoyer, je crains bien qu'il ne faille attendre longtemps encore. Où trouver, en effet, une femme digne d'enfanter une fille assez vertueuse, assez sainte, pour concevoir et enfanter la mère du Fils de Dieu ?... Ce mystère me confond; je ne doute pas de la puissance infinie de Dieu, qui peut en un seul moment exécuter ce qu'il n'a pas fait en plusieurs siècles; mais je crois fermement que, si on rassemblait en une seule, femme tout ce qu'il y a eu de sainteté sur la terre, cette femme ne saurait être comparée à celle qui aura l'honneur de mettre au jour la mère de la Vierge d'où doit sortir le Messie ».

 

Le saint vieillard, qui avait écouté Emércntienne dans le plus profond silence, ne put s'empêcher d'admirer la profondeur et la vérité d'une telle pensée; et, comme si Dieu lui eût révélé le mystère qui préoccupait la jeune vierge, il lui dit : « O Emérentienne, que vous êtes heureuse ! Vous avez trouvé grâce devant le Seigneur, et vous serez sans doute la racine qui produira la branche d'où sortira la mère du Sauveur. Vous avez tant de ressemblance avec celle dont nous ont parlé nos pères, que je ne puis douter de votre prédestination à cette œuvre sublime ». Emérentienne, en entendant ces paroles, se jeta à genoux et s'écria; les yeux baignés de larmes: « Que suis-je, ô mon Père ! pour aspirer à un tel honneur ? Je ne suis pas digne de la faveur que vous me faites espérer. Cependant, que la volonté du Seigneur s'accomplisse ! Priez pour moi le Dieu d'Israël afin qu'il m'éclaire de ses divines lumières et qu'il me donne la grâce d'accomplir toujours ses divins commandements ».

 

Ces paroles furent prononcées avec tant d'ardeur, avec tant d'exaltation, que tous les solitaires sortirent de leurs cellules; ils furent miraculeusement conduits au lieu où se trouvaient le vieillard et la jeune fille; et, comme s'ils eussent entendu leur céleste entretien, ils s'écrièrent tous: « Réjouissez-vous, Emérentienne; réjouissez-vous: vous avez trouvé grâce devant le Soigneur ». La jeune fille , transportée d'une joie toute spirituelle, retourna dans la maison de son père en rendant grâces à Dieu. Elle commença une vie plus retirée et pins mortifiée que jamais; elle ne voyait personne, ne se nourrissait que de racines sauvages, et couchait sur la dure. Mais le Seigneur, qui avr.'t ses desseins sur clic . ne permit pas qu'elle jouit plus longtemps des douceurs de la solitude. A peine eut-elle atteint sa dix-huitième année, que ses parents exigèrent qu'elle quittât la cellule où elle vivait presque continuellement enfermée depuis quatre ans, et qu'elle se mêlât aux jeunes vierges d'Israël.

 

La jeune fille, qui savait qu'un père et une mère tiennent ici-bas la place de Dieu, obéit dans toute la simplicité de son cœur. Elle ne parut pas longtemps dans la ville sans exciter l'admiration la plus vive par sa beauté et par sa vertu. Plusieurs jeunes Israélites sollicitèrent sa main; Stollan, qui était tout à fait digne d'Emérentienne par le cœur et par l'esprit, par la fortune et par la communauté d'origine , fut agréé par les parents. Quand ce choix fut annoncé à Emérentienne, elle en fut profondément affectée. Jamais elle n'avait songé au mariage; et, comme elle avait fait vœu de virginité, elle ne voulut pas d'abord accorder son consentement à cette union. Cependant, pour ne pas s'opposer aux desseins de Dieu sur elle, elle prit humblement l'avis des solitaires du Mont-Carmel, et les conjura instamment d'unir leurs prières aux. siennes pour connaître la volonté de Dieu sur ce mariage. Ces saints ermites, qui étaient convaincus de la vertu d'Emérentienne, et qui savaient que les temps de la Rédemption approchaient, lui promirent d'implorer les lumières du Très-Haut.

 

Eu effet, pendant qu'Emérentienne, enfermée dans sa chère cellule, attendait, dans la prière et les larmes, l'ordre de Dieu par la bouche de ses serviteurs, les pieux solitaires ne cessèrent, pendant trois jours, de prier, de jeûner et de se macérer le corps. Le Seigneur «lors leur envoya une vision. Ils aperçurent un grand arbre, qui surpassait en beauté et en verdure tous ceux qu'ils avaient l'habitude de voir. Sur cet arbre, il n'y avait qu'un fruit, et, quand ils l'eurent cueilli, toutes les branches se séchèrent. Mais, quelques instants après, par une soudaine métamorphose, l'arbre parut aussi brillant que le soleil, et il portait un nouveau fruit d'une si grande beauté, qu'on ne pouvait le regarder sans éblouissement et sans admiration. Les saints ermites, ayant reconnu que cette vision était surnaturelle, redoublèrent de ferveur pour en obtenir de Dieu l'explication. Leur prière fut exaucée; ils entendirent une voix du ciel qui leur parla en ces termes: « L'arbre que vous avez vu représente le mariage d'Emérentienne, qui ne tardera pas à s'accomplir; le premier fruit que vous y avez remarqué, c'est le premier enfant qui naîtra de cette union. La sécheresse des branches indique la stérilité d'Emérentienne après ce premier enfantement. Enfin le changement de l'arbre, et la clarté qui l'environne, montrent la puissance divine par laquelle Emérentienne concevra de nouveau, et contre le cours de la nature. Le second fruit signifie l'enfant qui naîtra alors; son nom se répandra par toute la terre, et d'elle naîtra la mère de Celui qui fera renaître tous les hommes à une nouvelle vie ».

 

A la suite de cette explication, les pieux ermites n'hésitèrent plus à dire à Emérentienne que la volonté du ciel était qu'elle embrassât l'état du mariage. « O mon Dieu! s'écria-t-elle alors les yeux baignés de larmes; que votre volonté s'accomplisse en moi !... et, puisque vous m'ordonnez de rompre mon vœu de virginité, donnez-moi pouf époux un homme juste et selon votre cœur ! » Elle sortit immédiatement de sa cellule et se mit aux ordres de ses parents. Deux mois plus tard, elle épousait Stollan. Quelque temps après, elle mettait au monde une fille qui fut nommée Ismérie, et qu'à l'âge de quinze ans on donna pour épouse à un homme pieux, du nom d'Eliud. C'est de ce mariage que naquit Elisabeth, femme de Zacharie et mère du Précurseur.

 

II- Conception de Sainte Anne

 

Ainsi que les solitaires du Carmel le lui avaient annoncé, Emérentienne, après la naissance d'Ismérie, resta longtemps stérile. Elle avait atteint sa cinquantième année, lorsque Dieu voulut réaliser en elle les magnifiques promesses qu'il avait faites. Un jour que, absorbée par son oraison, elle était prosternée la face contre terre, elle entendit un grand bruit et se vit environnée d'une clarté resplendissante, au travers de laquelle lui apparut un ange, qui lui parla ainsi: « Emérentienne, le temps approche où le Tout-Puissant veut répandre sa miséricorde sur tout le genre humain; la racine de Jessé fleurira, la race d'Abraham recevra tonte sorte de bénédictions, et le trône de David aura un successeur. Tu dois avoir confiance en mes paroles: l'esprit du Dieu vivant parle par ma bouche ».Emérentienne parut d'abord surprise de ce discours; mais la voix qui l'avait troublée la rassura bientôt. « Adore ton Créateur de toutes tes forces, reprit l'ange; car par sa grâce tu concevras une fille de laquelle naîtra Celle qui de toute éternité doit être élevée au-dessus de toutes les créatures ». Emérentienne, transportée de joie, répondit : « Je sais que rien n'est impossible à Dieu. Qu'il me soit fait, non selon mes mérites, mais selon la miséricorde de mon Créateur ». L'ange poursuivit: « Demeure en paix ! Je vais annoncer à Stollan la volonté du Seigneur ». Et il disparut. Stollan était à deux lieues d'Emérentienne, visitant ses troupeaux et sa maison des champs. Il faisait son oraison lorsque, du milieu d'un nuage resplendissant de lumière sortit une voix qui lui dit: « Stollan, la paix soit avec toi ! Voici qu'Emérentienne ton épouse va concevoir de toi une fille dont le nom sera manifesté par toute la terre ».

 

Le saint homme, qui était âgé de soixante et onze ans, se crut d'abord l'objet d'une illusion de ses sens abusés; niais la voix céleste, pour lui 'faire comprendre que telle était la souveraine volonté de Dieu, poursuivit: « Sur le chevet de ton lit nuptial tu trouveras quatre lettres d'or; ces quatre lettres, assemblées, formeront le nom que, sur l'ordre du Seigneur, tu donneras à l'enfant qui naîtra de ta femme et de toi ». Alors la voix cessa et la clarté qui environnait Stollan s'évanouit. Le saint vieillard, obéissant au message céleste, se rendit immédiatement vers Emérentienne , qui l'accueillit avec joie et qui lui raconta la vision qu'elle avait eue de son côté. A peine furent-ils entrés dans la chambre nuptiale, qu'ils virent, ainsi que l'ange l'avait annoncé, quatre lettres d'or sur le chevet du lit. Ces lettres étaient « AANN ». Stollan les prit pour les montrer à sa femme, et, les ayant posées sur la table pour en admirer la beauté, ils s'aperçurent que ces lettres formaient le mot Anna, qui signifie « grâce ». « Voilà, dirent-ils aussitôt, le nom miraculeux que Dieu, dans sa grande miséricorde, veut donner à l'enfant qui doit naître de nous. Que sa sainte volonté soit faite ! » Plusieurs mois s'écoulèrent. Emérentienne, qui avait passé dans la retraite et l'oraison les premiers temps de sa grossesse, voulut, lorsque s'approcha le terme de sa délivrance, visiter les saints ermites du Carmel pour leur demander le secours de leurs prières. Les disciples d'Elie, transportés de joie à sa vue, se prosternèrent la face contre terre ; et, adorant le Seigneur dans les merveilles qu'il opérait en elle, ils le supplièrent de les faire vivre assez pour qu'ils pussent voir cet enfant de bénédiction. Leurs prières furent exaucées.

 

III- Sainte Anne est sanctifiée dès le sein de sa mère, sa nativité

 

Dieu, qui aime l'innocence, et qui a voulu que la Sainte Vierge fût exempte de la tâche originelle, a dû vouloir aussi que la mère de la Divine Mère fut sanctifiée avant sa naissance. Elle était, il est vrai, fille d'Adam, et dès lors sujette au péché d'origine. Néanmoins, comme mère de Marie, comme aïeule de Jésus selon la chair, elle a dû être arrachée dès le sein de sa mère à l'esclavage de Satan. La glorieuse place Qu'elle tient dans l'adorable mystère de l'Incarnation doit lui faire accorder ce privilège avec plus de justice qu'à Jérémie et qu'à saint Jean-Baptiste. Jérémie ne fut que prophète et Jean-Baptiste que le précurseur de Jésus; tandis que sainte Anne fut la mère de la Mère de Jésus, et c'est de son sang et de sa chair que furent formés le sang et la chaude la Vierge immaculée. La raison de ce privilège est d'autant plus convaincante pour nous, que, dès le moment de sa conception, elle était prédestinée à devenir ce vase d'élection d'où devait sortir la mère du Désiré des nations, et, comme telle, regardée par le ciel avec amour. Or, Dieu ne pouvant regarder avec amour une âme souillée du péché, il est nécessaire que, dès l'instant de sa conception, elle ait dû être affranchie de la tache originelle. Voici comme en parle saint Jean Damascène: « Sainte Anne n'a pas dû rester longtemps sous la loi du péché, car elle a eu toute la plénitude des grâces qui ne sont données que par partie aux autres créatures; elle est un océan, un abîme de grâces, et par conséquent remplie d'une telle perfection, qu'on ne peut presque rien imaginer au delà. Nous pouvons donc en conclure que, si nous en exceptons la sainte Vierge, nul entre les enfants d'Adam n'a été plus aimé de Dieu, nul n'a reçu plus de privilèges; et, puisqu'il est quelques grands saints qui ont été sanctifiés dès le sein de leur mère, on ne peut refuser cet honneur à notre Sainte, qui est un abîme de grâces, la mère de toutes les grâces ».

 

Après saint Jean Damascène, nous pourrions citer plusieurs docteurs, plusieurs théologiens; qui ont soutenu l'opinion que nous avons émise, mais nous avons hâte de raconter les merveilles qui accompagnèrent la naissance de sainte Anne. Ce fut un mardi, à la fin du quarantième siècle de la Création du monde, vers l'an 3980, que Dieu jeta les premiers fondements ou mystère adorable de l'incarnation du Verbe par la naissance de notre Sainte; et, pour faire connaître que cette naissance était une grande joie dans le ciel, il voulut le manifester à la terre. A peine l'enfant eut-il vu le jour, qu'un ange, apparaissant dans la maison de Stollan la prit des mains de la sage-femme, et lui imprima sur la poitrine le nom d'Anne, en disant: « Voilà le nom que Dieu lui donne ! » Le mot Anne, dit saint Epiphane, signifie grâce, ou bien, selon l'étymologie hébraïque, il veut dire gracieuse, pleine de miséricorde. Dieu voulait nous apprendre par là que cette sainte enfant devait être une des causes les plus effectives de notre bonheur et une des sources les plus abondantes de ses miséricordes.

 

Lorsque l'ange eut disparu, on s'aperçut que le nom gravé par lui sur la poitrine de l'enfant se trouva inscrit en plusieurs endroits de l'appartement. Le bruit de ce miracle se répandit aussitôt dans tout le pays; tout le monde désirait la voir de ses propres yeux; la maison de Stollan fut envahie par les visiteurs, et, pour contenter la curiosité publique, on fut obligé de laisser découverte la poitrine de notre Sainte, comme pour lui apprendre de bonne heure à souffrir. Ce nom, qui, donné d'une manière si miraculeuse, faisait l'entretien et l'admiration de toute la Judée, enfanta bientôt d'autres merveilles. Un personnage distingué de Nazareth, nommé Séral, qui était aveugle de naissance, entendit parler de ce prodige. Jugeant que cette enfant était appelée à de sublimes destinées, il se recommanda à Dieu, et, espérant recouvrer la vue s'il parvenait seulement à toucher le saint nom, il se rendit à pied, suivi de tous ses serviteurs, jusqu'à la maison de Stollan. Là il se mit à genoux devant sainte Anne, et, après avoir baisé son saint nom, il prit ses petites mains et les porta sur ses yeux, en lui disant: « Fille de Dieu, ouvrez mes yeux, afin que je puisse voir les merveilles opérées en vous par le Ciel ». Il recouvra la vue aussitôt. Si ce nom admirable a opéré de si grandes merveilles lors de son apparition, que ne devons-nous pas en attendre maintenant dans nos besoins si nous l'invoquons avec une grande foi et une ferme confiance ! Dieu ne nous l'a-t-il pas envoyé comme une promesse et un gage : promesse de miséricorde, gage de salut ?

 

IV- Sainte Anne au Temple de Jérusalem, vertus qu'elle y pratique

 

Bien que la bienheureuse Anne eût été sanctifiée dès le sein de sa mère et qu'elle pût dire comme l'Apôtre : « J'adore le Dieu que ma famille a toujours servi, et j'ai le bonheur de lui être consacrée par mes ancêtres comme par ceux qui m'ont mis au monde »; néanmoins Stollan et Emérentienne voulurent, par reconnaissance envers le Seigneur, la lui consacrer d'une manière plus particulière. Pour que leur sacrifice fût plus parfait, ils résolurent de la faire élever au pied des autels et nourrir au milieu du sanctuaire. Dans ce but, ils la conduisirent à Jérusalem et la mirent entre les mains des prêtres qui, étant venus au-devant d'elle en grande pompe, la présentèrent au Temple. Elle atteignait à peine sa troisième année, et prit place parmi les autres vierges qui vivaient dans la maison du Seigneur. Elle n'y fut pas longtemps sans faire paraître, malgré son bas âge, une modestie, une attention et un recueillement vraiment angéliques. Son esprit n'avait aucune pensée pour les amusements ordinaires des jeunes enfants; son cœur n'était ouvert qu'à l'amour de Dieu. Cet amour débordait tellement dans tous ses actes, dans toutes ses paroles, qu'on ne pouvait la voir ou4'entendre sans le ressentir soi-même.

 

Chaque jour elle employait cinq ou six heures à la lecture de l'Ecriture sainte. Ses manières, simples, gracieuses, jointes à un visage toujours empreint d'une gaieté douce et modeste, inspiraient l'estime en même temps qu'elles gagnaient lès cœurs. Jamais jeune vierge ne fut plus fervente dans l'oraison; elle y consacrait une partie de ses nuits, et son plus grand bonheur était de s'abîmer dans les grandeurs infinies de son Dieu ou de soupirer après l'avènement de Jésus Christ. Il ne faut pas croire que ce portrait de la Sainte soit une invention faite à plaisir. Nous trouvons, dans un livre qui fait partie des œuvres de Saint Jérôme, une page qui confirme pleinement tout ce que nous venons de dire. D'après cet auteur, la Sainte vivait dans la, crainte de Dieu et dans la simplicité de la foi; elle aimait la justice, était droite dans toutes ses actions, et remplissait toutes les œuvres d'une piété et d'une charité parfaites. Ainsi, lors même que nous attribuerions à la bienheureuse mère de Marie toutes les vertus imaginables, nous serions encore au-dessous de la réalité.

 

Concluons donc, avec l'Ange de l'école, que Sainte Anne n'a pu donner un démenti à son nom, et qu'ayant possédé la grâce dans toute sa plénitude, elle a pratiqué toutes les vertus à un degré inouï jusque-là, puisque la terre ne possédait pas encore la Sainte Famille, Jésus, Marie, Joseph. La volonté, de Dieu et de ses parents était la seule règle de sa conduite; la retraite et la solitude faisaient ses délices ; l'oraison, et le travail, cette autre oraison si agréable au Seigneur, étaient toute son occupation ; ses paroles simples et douces n'offensaient jamais personne ; ses yeux étaient si réglés, qu'elle ne les arrêtait sur aucun objet profane. La retenue se remarquait dans toutes ses actions, la modestie dans tous ses gestes ; jamais pensée ou désir impur ne ternit le cristal de son âme. En un mot. en la voyant et en l'étudiant, on eût dit que Dieu avait pris plaisir à réunir en elle toutes les vertus afin d'en faire un modèle de perfection. Tout ce qu'elle faisait, elle le faisait en vue de glorifier le Seigneur : son corps ne se mouvait que pour le servir ; ses mains n'agissaient que pour lui obéir ; ses oreilles ne s'ouvraient qu'à sa voix ; ses yeux ne regardaient que ses intérêts; sa bouche ne formulait des paroles que pour le louer; son esprit n'avait de pensées que pour lui, et pour lui était tout l'amour de son cœur. Après avoir passé douze ans dans le Temple, estimée des prêtres, aimée et admirée de ses compagnes, elle perdit son père Stollan. Sa mère l'ayant appelée auprès d'elle pour adoucir les derniers jours qu'il lui restait à vivre, Anne quitta, non sans regret, l'asile sacré où s'était si doucement écoulée sa première jeunesse.

 

V- Mort d'Emérentienne, affliction de Sainte Anne

 

Emérentienne, étant parvenue à l'âge de soixante-dix-huit ans, connut que Dieu voulait l'appeler à lui. Deux heures avant sa mort, elle manda sa fille auprès d'elle et lui adressa ces dernières paroles : « Ma fille, je touche à mon heure dernière ; mon âme va se séparer de sa terrestre enveloppe. Tu me feras ensevelir auprès de Stollan, ton père. Ne sois pas affligée de ma mort, ma chère enfant. Mets toute ta confiance en Dieu, et attends l'effet de ses divines promesses ; car le temps viendra où tu donneras au monde une fille dont le nom seul réjouira le ciel et la terre. Marche toujours dans les voies du Seigneur et observe fidèlement ses commandements; console les affligés, soulage les pauvres, méprise les biens périssables de la terre, et, dans les difficultés qui t'environneront en foule, prends toujours le conseil de tes proches parents ». Après ces mots, Emérentienne donna sa bénédiction à sa fille, l'embrassa une dernière fois, et rendit l'esprit.

 

Anne fut pénétrée de la plus vive douleur. Quoiqu'elle sût parfaitement que la mort n'épargne personne, l'amour qu'elle portait à sa digne mère l'emporta sur la résolution qu'elle avait prise de supporter cette perte avec calme et résignation. Elle s'abandonna à toute la vivacité de ses regrets, et elle éprouva malgré elle ce qu'exprima plus tard avec tant d'énergie le dernier Père de l'Eglise, saint Bernard : « Mon cœur, écrivait ce saint illustre pleurant la mort d'un frère bien-aimé, mon cœur n'est pas de pierre et ma chair n'est pas de bronze. La mort m'arrache les entrailles et il ne me serait pas permis de pleurer ! » Enfin notre Sainte, se rappelant que l'Ecriture nous dit qu'a la mort des personnes qui nous sont chères nous ne devons pas tellement abandonner nos âmes à la tristesse que nous ne nous soumettions à la volonté de Dieu, comprima ses larmes et offrit ses souffrances au Seigneur. Elle fit ensevelir sa mère ainsi qu'elle le lui avait ordonné, et ne songea plus qu'à se retirer du commerce du monde pour s'abandonner totalement à Dieu. Mais, obéissant aux dernières volontés de sa mère mourante, elle voulut, avant de s'enfermer dans une perpétuelle retraite, communiquer son dessein à ses proches. Ceux-ci s'y opposèrent vivement; ils lui parlèrent des promesses faites à la famille de David; ils lui dirent que les temps approchaient où Dieu devait envoyer un Rédempteur aux hommes, et que les merveilles qui avaient accompagné sa conception et sa naissance merveilleuses faisaient présager qu'elle devait être quelque chose dans l'accomplissement de cet auguste mystère. Il ne fallut pas moins que toutes ces considérations pour vaincre le goût de la solitude que, comme sa mère, Anne avait toujours manifesté. Elle se rendit aux vœux de ses parents ; et, trois ans après la mort d'Emérentienne, elle épousait Joachim.

 

VI- Sainte Anne épouse Saint Joachim, sa conduite dans l'état du Mariage

 

Joachim était issu de la famille royale de David. C'était un homme selon le cœur de Dieu, riche en vertus comme en biens de ce monde. La pratique des bonnes œuvres remplissait toutes ses journées ; ses parties, pleines de douceur et de gravité, lui gagnaient tous les cœurs ; en un mot, il était digne de servir de modèle à tous les jeunes hommes comme Anne à toutes les jeunes filles. C'est en l'an du monde 3998 environ, que le mariage entre ces deux saints personnages fut conclu. Ils ne furent pas plutôt unis, qu'ils menèrent une vie plus angélique qu'humaine. Pendant que l'un priait, l'autre poussait d'ineffables soupirs vers le ciel pour attirer la bénédiction divine sur leur mariage. Si Joachim ouvrait sa maison aux pauvres pour soulager leur misère, Anne les allait chercher pour adoucir leurs souffrances et leur prodiguer ses aumônes. Leur maison devint une école de vertu où toutes les âmes qui désiraient plaire à Dieu dans leur famille venaient s'inspirer de leur exemple. Pas de luxe dans leurs habits et dans leur ameublement; la plus grande sobriété dans leurs repas, partout la crainte de Dieu. Les deux époux n'eurent jamais qu'une seule et même volonté; jamais entre eux ni parole piquante ni discorde passagère ; pendant que l'un faisait le bien, l'autre s'efforçait d'empêcher le mal, de sorte qu'on eût dit qu'ils n'avaient qu'un seul cœur, qu'une seule âme.

 

Anne, lisant un jour le passage de la sainte Ecriture où Judith exhorte son fils à donner aux pauvres la plus grande partie de ses biens, tomba dans une méditation profonde et laissa paraître sur sou visage une grande expression de tristesse. Joachim aussitôt lui dit : « Pourquoi vous attrister ? Ne pouvons-nous pas mettre en pratique le conseil de cette sainte veuve ? Secourons les pauvres avec le plus de libéralité possible. Dieu lui-même pourvoira à tous nos besoins ». Sur-le-champ ils s'occupèrent de faire trois parts des grands biens qu'ils possédaient. Ils consacrèrent la première au service du Temple et à l'entretien de ses ministres ; la seconde au soulagement des pauvres et des voyageurs ; la troisième, qui était la plus minime, fut réservée pour leurs besoins personnels. C'est dans la pratique de toutes ces bonnes œuvres qu'ils passèrent les quarante premières années de leur mariage. Dieu, qui de toute éternité, les avait prédestinés à avoir pour fille la mère de son Fils, les faisait préluder ainsi à l'honneur ineffable qu'il leur réservait. Il était juste que le père et la mère de la plus pure de toutes les créatures fussent un modèle de toutes les vertus.

 

VII- Épreuves par lesquelles passent Anne et Joachim, un Ange de Dieu vient les consoler, conception de la Sainte Vierge

 

La stérilité dans le mariage était regardée, parmi les Juifs, comme la plus grande de toutes les calamités. On le voir par l'exemple même de leur père, Abraham. Dieu lui ayant dit qu'il voulait être sa récompense et sa consolation, son grand serviteur lui répondit: « Que me donnerez-vous, Seigneur, qui puisse me consoler parfaitement ? Voilà que j'ai déjà un pied dans la fosse ; j'emporterai dans la tombe le regret de mourir sans postérité et de ne laisser après moi aucun héritier des grands biens que vous m'avez donnés ». Qui ne se rappelle avec quelle fierté Lia montrait ses nombreux enfants à sa sœur Rachel, à laquelle Dieu n'avait encore envoyé ni Joseph ni Benjamin ! Ce sentiment prenait sa source dans les sublimes promesses que Dieu avait faites dès le commencement aux patriarches. Comme le Messie devait sortir de la race d'Abraham, il n'y avait pas de Juif, pas de. Juive qui n'aspirât au bonheur de donner naissance au Sauveur du genre humain. Ne pas avoir d'enfant, c'était en quelque sorte être jugé indigne d'une telle paternité ; c'était, aux yeux du peuple, une espèce d'ignominie comme une espèce de châtiment infligé par le ciel. Nous avions besoin de dire ceci pour faire comprendre ce qui va suivre.

 

Un jour Joachim s'étant présenté au Temple pour faire son offrande, le grand prêtre Issachar le repoussa rudement, en lui disant qu'il n'était pas digne, à cause de la stérilité de son mariage, d'offrir des présents au Seigneur. Joachim, couvert de confusion, sortit aussitôt sans prononcer une seule parole et en jetant son offrande. Anne la ramassa avec un visage calme et serein, et passa, sans plainte comme sans murmure, au milieu de la foule, qui répétait à ses oreilles le reproche du grand prêtre, et qui lui disait que ses péchés l'avaient rendue indigne d'avoir le Messie dans sa famille. Loin de se défendre et de s'excuser, elle garda le maintien doux et modeste qui lui était habituel, et elle regagna sa maison avec une tranquillité digne de la grandeur de son âme.

 

Mais, quand elle eut pénétré dans son appartement et que ses serviteurs lui eurent appris que Joachim, en proie au chagrin le plus profond, s'était enfoncé dans le désert, elle tomba à deux genoux, et, levant au ciel ses yeux baignés de larmes : « O mon Dieu, dit-elle, si ma stérilité est un crime, c'est moi seule qui suis coupable; si elle est une malédiction, c'est sur moi seule que doit tomber votre courroux, et non sur mon époux bien-aimé. Mais, si c'est ensuite de votre sainte volonté que nous n'avons pas de postérité, pourquoi votre bonté, pourquoi votre justice souffre-t-elle que nous soyons méprisés pour un crime dont nous sommes innocents ? Dieu puissant, veuillez faire cesser notre ignominie ; accordez-nous un sourire de votre miséricorde ; accordez-nous l'enfant que nous vous demandons depuis si longtemps ; et, nous vous le jurons, nous le consacrerons à votre service dans le Temple, aussitôt qu'il aura atteint sa troisième année. Néanmoins, aujourd'hui comme toujours, je vous le dis : « Que votre sainte volonté s'accomplisse !... »

 

En ce moment l'Archange Gabriel, tout resplendissant de lumière, apparut à cette épouse désolée et lui dit : « Je suis l'ange du Seigneur, c'est lui qui m'envoie pour vous annoncer une nouvelle qui remplit le ciel d'une immense joie : vos jeûnes, vos mortifications, vos aumônes, ont été agréables à Dieu; vos prières seront exaucées, et l'humiliation que vous avez subie au Temple, devant tout le peuple, sera glorieusement réparée. Si Dieu a permis que vous fussiez stérile pendant votre jeunesse, c'est afin de faire paraître en vous sa force et sa puissance. Comme ce fut dans, la vieillesse que Sara enfanta Isaac, que Rachel enfanta Joseph, qu'Anne enfanta Samuel ; de même vous donnerez le jour à une fille choisie de toute éternité pour être le temple du Seigneur. Elle sera conçue sans péché; vous la nommerez Marie, nom qui fera trembler Satan et tous les démons jusqu'au plus profond des abîmes ; le Saint-Esprit, dont elle sera remplie, daignera produire lui-même dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu, le Rédempteur promis, le Salut d'Israël, le Messie. Retournez donc à Jérusalem, vous trouverez Joachim à la Porte Dorée ». A ces mots, l'archange se retira, laissant notre Sainte dans la contemplation de la grâce sublime que le Seigneur venait de lui annoncer.

 

L'Archange Gabriel apparut immédiatement après à Joachim, qui s'était renfermé dans une cellule et qui priait avec force larmes et force gémissements le ciel de faire descendre sur lui et sur sa chaste épouse la féconde rosée de sa miséricorde. « Joachim, lui dit l'ange, sèche tes larmes ; le Seigneur a entendu ta prière et il l'exauce. Sors de ta cellule et retourne à Jérusalem, tu trouveras Anne à la Porte Dorée ». Et après lui avoir répété les merveilles qu'il avait annoncées à notre Sainte, il remonta dans le Ciel.

 

Anne et Joachim exécutèrent avec une admirable foi et un saint empressement les ordres que Dieu leur avait transmis par la bouche de l'archange. Anne désirait arriver avant Joachim ; Joachim désirait devancer Anne; mais, par un décret adorable de la divine Providence, ils arrivèrent tous les deux au même instant à la Porte Dorée. Après s'être communiqué l'un à l'autre les paroles de l'Envoyé céleste, ils se rendirent au Temple pour remercier le Seigneur; puis ils partirent pour Nazareth. C'est dans cette ville, où devait plus tard s'opérer le mystère ineffable de l'Incarnation, qu'eut lieu la Conception immaculée de la Mère de Dieu. Les historiens sacrés ne sont pas d'accord sur l'âge de notre Sainte lors de l'Immaculée Conception de Marie. Les uns prétendent qu'elle n'avait atteint que sa quarante-deuxième année; d'autres affirment qu'elle était arrivée aux dernières limites de l'existence humaine. Pour nous, appuyé sur l'autorité de plusieurs Pères de l'Eglise Grecque, nous pensons que sainte Anne était alors âgée de cinquante-huit ans. En effet, elle s'était mariée à l'âge de dix-huit ans, et elle avait passé environ quarante années dans les afflictions de la stérilité.

 

 

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14/08/2012
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