Spiritualité Chrétienne

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Saint Martin de Tours SUITE

 Saint Martin de Tours, Suite

Guérison de la jeune paralysée de Trèves


Comme beaucoup de saints, Martin de Tours eut le charisme des guérisons. C'est l'un des dons spirituels particuliers énumérés par saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens : " Il y a ceux que Dieu a établis dans l'Eglise, premièrement comme apôtres, deuxièmement comme prophètes, troisièmement comme docteurs. Puis ce sont les miracles, puis les charismes de guérison, d'entraide, de direction, les diverses sortes de langues " ( 1Co. 12, 28 ). Ce charisme de guérison fait bien de Martin un digne successeur des apôtres. A Trèves, il guérit une jeune fille paralysée et aphasique depuis bien longtemps. Le père de la malade le supplie à genoux, en pleine église, probablement l'ancêtre de l'actuelle cathédrale de Trèves construite vers 326, remplie d'évêques, de se rendre auprès de sa. fille, de la bénir. Car, dit-il, j'ai foi que, par ton intercession, elle sera rendue à la santé. Pour commencer, Martin a recours à ses armes habituelles. Il se prosterne sur le sol et il prie. Puis, examinant la malade, il se fait donner de l'huile qu'il bénit et versa dans la bouche de la jeune fille. Aussitôt, celle-ci recouvre la parole et progressivement ses membres se raniment jusqu'au moment où, d'un pied assuré, elle se lève devant le peuple. Accomplie dans la capitale impériale des Gaules, cette guérison établit partout l'autorité de l'évêque de Tours, à la cour comme à la ville. La demande de guérison pour sa fille est adressée à Martin par le père en présence d'un nombre important d'évêques (... multisque aliis praesentibus episcopis), sans doute attirés à Trèves, du fond de la Gaule et de l'Espagne, comme l'évêque de Tours, par le procès d'un évêque espagnol accusé d'hérésie, Priscillien. Anathématisé par les conciles de Saragosse ( 380 ) et de Bordeaux (384 ), Priscillien fut condamné à mort par l'empereur usurpateur Maxime et exécuté à Trèves en 385, premier hérétique à périr sous les coups du bras séculier. Que lui reprochait-on ? Nous ne le savons pas au juste : du néo-gnosticisme ? de l'illuminisme ? une surenchère ascétique ? Ce qui est certain, c'est que l'enjeu était important pour la sauvegarde de l'Orthodoxie de l'Eglise d'Espagne. C'est une bonne preuve de l'autorité de Martin au sein de l'épiscopat gaulois de cette époque. Nous savons que l'évêque de Tours fit au moins deux séjours dans la capitale impériale des Gaules : l'un au début de 386 ou dès la fin de 385, l'autre à l'automne de 386. Sulpice Sévère avait des liens familiaux avec la ville natale de saint Martin. En effet, sa belle-mère, Bassula, était domiciliée à Trèves. On peut raisonnablement penser que celle-ci était présente dans la cathédrale de Trèves au moment où le père de la malade supplie Martin de bien vouloir guérir sa fille. Et si elle ne s'y trouva pas, il est tout à fait probable qu'elle entendit parler de l'événement dans sa ville et informa son gendre. La documentation du biographe est sans doute ici de première main.


A la même époque, l'esclave d'un certain Tetradius, un ancien proconsul, donc de haut rang, vivant peut-être en retraite dans l'un de ses domaines, était possédé d'un démon qui le torturait atrocement. Saint Martin donna l'ordre de faire amener le malade, mais il était impossible de l'approcher, tant il se jetait à belles dents sur ceux qui s'y essayaient. Tetradius supplia alors Martin de descendre lui-même jusqu'à la maison. Mais Martin refusa, car Tetradius était encore païen. Ce dernier promit de se faire chrétien si le démon était chassé de son jeune esclave. Alors, Martin accepta, imposa les mains sur le possédé et en expulsa l'esprit impur. C'est le geste rituel de l'exorcisme, que le prêtre orthodoxe utilise encore au cours de la célébration du catéchuménat. A cette vue, Tetradius eut foi dans le Christ et devint aussitôt catéchumène et reçut peu après le baptême. Il garda toujours une affection extraordinaire pour Martin.


Dans la même ville, Martin entra chez un père de famille ou plutôt s'arrêta sur le seuil, disant qu'il voyait un affreux démon dans la cour de la demeure. Comme il lui intimait l'ordre de déguerpir, le démon se saisit du cuisinier du maître de maison, qui, lui, se trouvait à l'intérieur. Le malheureux entra en une violente crise de rage et se mit à déchirer à belles dents tous ceux qu'il trouvait sur son passage. Quel branle-bas, quelle panique parmi les esclaves et les habitants de la maison ! Martin s'élança au devant du furieux qui grondait, la bouche grande ouverte et lui enfonça les doigts jusqu'à la gorge en disant : " si tu as quelque pouvoir, dévore-les ". Alors le possédé, comme s'il avait reçu dans la gorge un fer incandescent, écarta les dents en se gardant de toucher les doigts de Martin. L'exorcisme est alors naïvement conçu comme l'expulsion d'un corps étranger par les voies naturelles (... fluxu ventris, c'est-à-dire : par un flux de ventre !). C'est la conclusion truculente tirée d'une très ancienne croyance, qui n'est pas de foi, pour nous, selon laquelle les démons pénètrent dans le corps humain par la nourriture, les fermentations intestinales étant considérées comme l'œuvre des démons et le signe de leur présence ! Ici l'hagiographie s'achève en folklore scatologique !


Il y eut encore la guérison d'un lépreux à Paris, que Martin baisa et bénit et qui fut aussitôt purifié entièrement de son mal. Il y eut aussi celle d'une jeune fille tuberculeuse à laquelle Martin fit remettre une lettre écrite de sa main. Au contact de la lettre la fièvre fut chassée et la jeune fille guérie. Son père, un certain Magnus Arborius, ancien préfet, voua sa fille à Dieu. Et ce fut Martin qui lui imposa l'habit des vierges et la consacra. Ce faisant, Arborius se conformait aux usages romains de toute-puissance du " pater familias ", tout autant qu'aux usages chrétiens contemporains. Sans doute fit-il le voyage d'Aquitaine à Tours pour y faire prendre le voile à sa fille des mains mêmes de Martin. Il y eut également la guérison de Paulin de Nole, le disciple chéri d'Ausone, qui perdait la vue, probablement à cause d'une cataracte plus ou moins douloureuse. Cela se passait peut-être à Vienne, près de Lyon. Les historiens de la Gaule connaissent bien l'extension considérable des maladies oculaires dans la population gallo-romaine. En effet, on a retrouvé sur le territoire de la Gaule romaine de nombreux cachets d'oculiste et de bâtons de collyre portant l'empreinte de ces cachets. Martin lui toucha l'œil avec un pinceau et lui rendit la santé. Dans le cas de cette guérison plus médicale que proprement miraculeuse, Martin opère comme un ophtalmologue gallo-romain, sans signation, sans prière, sans imposer les mains à Paulin. Enfin, Martin lui-même, qui avait fait une chute dans un escalier et en souffrait terriblement, vit disparaître miraculeusement son mal en une nuit. C'est, pourrait-on dire, le conte du guérisseur guéri. On songe au proverbe juif dont le Christ prête la mention malveillante à ses auditeurs de Nazareth. " Médecin, guéris-toi toi-même " (Luc 4, 23). Nous avons là un fïoretto qui achève d'idéaliser la figure de saint Martin, évêque Tours, le thaumaturge.


Le festin chez l'empereur Maxime, à la cour de Trèves

Saint Martin fit à Trèves deux séjours, à l'occasion de l'affaire Priscillien [évêque espagnol accusé d'hérésie, anathématisé par les conciles de Saragosse (380 ) et de Bordeaux (385), condamné à mort par Maxime et exécuté à Trèves en 385], en 385-386 et en 386-387. Invité à sa table plusieurs fois par l'empereur, l'évêque de Tours eut l'audace inouïe, à cette époque, de refuser ces invitations que les évêques courtisans, ses contemporains, s'empressaient d'accepter. Mais pour comprendre l'intransigeance et la fermeté de saint Martin face à cet empereur, nous devons dire quelques mots de ce Maxime.


En 383, l'empereur Gratien, fils de Valentinien 1er , et qui, depuis 378, est en rapports étroits et amicaux avec saint Ambroise de Milan, est assassiné sur l'ordre de Maxime qui usurpe ainsi le pouvoir impérial et s'empare des Gaules à l'été 387, tandis que l'Italie et ses dépendances restent aux mains de Valentinien II, frère de Gratien, un enfant de douze ans, que dirigent sa mère, l'arienne Justine, et son premier ministre, le païen Bauton. A Trèves, Maxime, pour faire oublier l'illégitimité de son pouvoir, se montre aussi zélé catholique ou orthodoxe (ces deux épithètes n'ont pas, à cette époque, et pour longtemps encore, le sens confessionnel qu'elles ont de nos jours. A l'époque de saint Martin, elles s'opposent à arien et à tout adjectif qualifiant une hérésie en rupture de communion avec l'Eglise une : montaniste, apollinariste, etc) que le prince qu'il a fait assassiner. Il s'est fait baptiser en Bretagne à la veille de son usurpation. Cela ne lui évite pas d'être excommunié par saint Ambroise qui lui reproche de soutenir l'évêque Itace et ses partisans. Maxime finira par être tué par les soldats de Théodose.


Saint Martin motivait donc son refus, humiliant pour Maxime, de dîner avec lui, par le fait que Maxime était un usurpateur et qu'il était coupable de la mort de Gratien. Cependant, il finit par se rendre à la cour. Mais ce fut pour humilier à nouveau l'empereur, en présence des plus hauts dignitaires de la cour, du préfet, du consul, des autres évêques, de Marcellin, le frère de Maxime, ainsi que de son oncle. En effet, nous dit Sulpice Sévère, " vers le milieu du repas, selon l'usage, un serveur présenta une large coupe au souverain. Lui, donne l'ordre de la remettre plutôt au très saint évêque, car son attente et son ambition étaient de recevoir cette coupe de sa main. Mais Martin, après avoir fini de boire, tendit la coupe au prêtre qui l'accompagnait, jugeant sans doute que nul n'était plus digne de boire le premier après lui, et qu'il aliènerait sa liberté s'il faisait passer avant un prêtre soit le souverain en personne, soit les personnages les plus proches du souverain ". On peut dire que saint Martin était de la même race épiscopale que le grand Basile de Césarée qui, au préfet Modestus envoyé par l'empereur pro-arien Valens pour menacer Basile de la confiscation des biens et de l'exil et lui arracher une déclaration signée de son adhésion à l'arianisme, avait répondu sur un tel ton que Modestus avait dit à l'archevêque de Césarée : " Personne, jusqu'à ce jour, ne m'a tenu pareil langage et avec tant de liberté ". Et Basile avait eu le dernier mot en lançant au préfet cette réplique admirable : " Peut-être n'es-tu jamais tombé sur un évêque ! " L'évêque de Tours était aussi de la race épiscopale d'Ambroise de Milan qui, avant d'en arriver à excommunier Maxime, n'avait pas craint d'entrer en conflit avec ses officiers qui prétendaient mettre la main sur un trésor confié par une veuve à l'évêque de Pavie : ce dernier, conseillé par saint Ambroise, s'opposa à cette confiscation au nom des droits de l'Eglise et des pauvres. Et l'on sait dans quelles circonstances Ambroise imposa une pénitence publique à l'empereur Théodose qui, pour réprimer une révolte de la ville de Thessalonique, avait décidé un massacre général de la population. Saint Martin rappela donc à Maxime les droits imprescriptibles des évêques et des prêtres et il lui prédit les malheurs qui l'attendaient. A ce même Maxime, écrit Sulpice Sévère, " Martin prédit longtemps à l'avance que, s'il se rendait en Italie, où il comptait aller porter la guerre contre l'empereur Valentinien, il devait savoir qu'il serait sans doute vainqueur au début de son offensive, mais qu'il périrait peu après ". De fait, si Maxime commença par mettre en déroute Valentinien II, environ un an après, il finit par être vaincu par Théodose, sous les murs d'Aquilée où il paya l'assassinat de Gratien. Cet épisode du festin à la cour de Trèves est à l'origine du fait que, dans la France des siècles passés, saint Martin était considéré comme le patron des buveurs.


Le pèlerinage de Sulpice Sévère à Marmoutier


Sulpice Sévère, le futur biographe de notre saint et son contemporain, qui connaît la réputation de l'évêque de Tours dans toute la Gaule, décide un beau jour d'effectuer le pèlerinage de Bordeaux à Tours, à l'époque, sans chemin de fer ni routes goudronnées, c'était un long voyage afin de faire la connaissance de saint Martin : un disciple séduit par l'idéal ascétique vient prendre les conseils d'un maître et entendre son enseignement. Sans doute saint Martin a-t-il reçu Sulpice Sévère au monastère de Marmoutier plutôt qu'à Tours, après 390. Le biographe de l'évêque de Tours a gardé un souvenir inoubliable de l'accueil plein d'humilité et de bonté que lui réserva saint Martin. " L'on ne saurait croire avec quelle humilité, avec quelle bonté il m'accueillit alors : il se félicitait à l'extrême et se réjouissait dans le Seigneur de ce que nous l'eussions estimé assez pour que le désir de le rencontrer nous eût, fait entreprendre ce lointain voyage. Misérable que je suis, j 'ose à peine l'avouer, quand il daigna me faire partager son saint repas, c'est lui qui nous lava les pieds... Nous n'eûmes pas le courage de nous y opposer ou d'y contredire : son autorité avait sur moi une telle emprise que j 'aurais considéré comme un sacrilège de ne point le laisser faire ". L'accueil que Martin réserve au pèlerin bordelais, ce sont, transposés en Occident, les rites de l'hospitalité monastique, tels qu'ils étaient pratiqués dans les communautés égyptiennes. En effet, par Cassien, nous savons que, chaque dimanche soir, dans les monastères orientaux, les moines qui venaient d'assumer leur tour de service hebdomadaire achevaient celui-ci en lavant les pieds de leurs frères. D'autre part, il est bien, évident que le biographe de saint Martin a songé au geste accompli par Jésus, le soir du Jeudi saint, dans l'intimité de la dernière cène.


La mort et les funérailles de saint Martin de Tours


Saint Martin sait qu'il va mourir. Son décès a dû se produire dans sa 81ème année et dans la première quinzaine du mois de novembre 397, peut-être le 8. Sulpice Sévère nous parle de cette prescience dans une lettre à sa belle-mère, Bassula, qui résidait à Trèves. Martin dut effectuer une visite pastorale dans la paroisse de Candes, " car les clercs de cette église se querellaient, et il désirait y restaurer la paix... La paix rétablie entre les clercs, il songeait désormais à revenir à son monastère, quand, soudain, ses forces physiques commencèrent à l'abandonner ; il convoque ses frères et leur fait savoir qu'il est mourant. Mais alors, ce fut chagrin et deuil parmi les assistants ; ils n'ont qu'une seule plainte à la bouche : Père, pourquoi nous abandonnes-tu ? A qui nous laisses-tu, dans notre esseulement ? Sur ton troupeau vont se jeter des loups rapaces ; qui nous gardera de leur morsure, si le pasteur est frappé ? Nous savons bien que ton unique désir est le Christ, mais tes récompenses sont hors de toute atteinte : elles ne diminueront pas pour avoir été retardées. Aie plutôt pitié de nous, que tu abandonnes ". Saint Martin fait alors songer à saint Paul dans son épître aux Philippiens. Saint Paul écrit : " si vivre dans la chair fait fructifier mon œuvre, je ne sais que choisir. Je suis pressé des deux côtés : j'ai le désir de m'en retourner pour être avec le Christ, car c'est de beaucoup le meilleur ; mais rester dans la chair est plus nécessaire à cause de vous. Et dans cette conviction, je sais que je demeurerai et que je resterai près de vous tous pour votre progrès et la joie de votre foi, afin que vous ayez en moi un abondant sujet de vous vanter en Christ Jésus, par mon retour auprès de vous " ( Ph. 1, 22-26 ). A l'instar de saint Paul, Martin de Tours est partagé entre son désir d'être réuni au Christ par la mort, et celui de continuer à le servir en acceptant de poursuivre auprès de ses moines et de ses ouailles son travail apostolique. Et saint Martin, pour sa part, adresse au Christ cette prière : " c'est un lourd combat que nous menons, Seigneur, en te servant dans ce corps ; en voilà assez des batailles que j 'ai livrées jusqu'à ce jour. Mais si tu m'enjoins de rester en faction devant ton camp pour continuer d'y accomplir la même tâche, je ne me dérobe point et je n'invoquerai point les défaillances de l'âge. Je remplirai fidèlement la mission que tu me confies. Tant que tu m'en donneras l'ordre toi-même, je servirai sous tes enseignes. Et bien que le souhait d'un vieillard soit de recevoir son congé, sa tâche terminée, mon courage demeure pourtant victorieux des ans et ne sait point céder à la vieillesse. Mais si désormais tu épargnes mon grand âge, c'est un bien pour moi que ta volonté, Seigneur ? Quant à ceux-ci, pour qui je crains, tu les garderas toi-même ".


L'ultime prière de l'évêque de Tours est celle d'un vieux lutteur qui fut un soldat et qui est parvenu au bout de ses forces : " un lourd combat mené en te servant dans ce corps (gravis corporeae pugna militiae), les batailles que j'ai livrées jusqu'à ce jour (quod hucusque certavi), rester en faction devant ton camp (pro castris tuis stare), je servirai sous tes enseignes (sub signis tuis militabo) ". C'est une profession de fidélité aux ordres de son divin " imperator ", de son divin général. Finalement, saint Martin de Tours meurt en moine et en pasteur, c'est-à-dire en évêque et non pas, comme ce sera trop souvent le cas jusqu'à nos jours, hélas, en administrateur. En pasteur, puisqu'il meurt dans une de ses paroisses, à Candes, au cours d'une visite pastorale ayant eu pour fin éminemment épiscopale de rétablir la concorde à l'intérieur du " presbyterium ". En moine allongé dans la cendre, en ascète étendu sur le cilice, refusant d'adoucir ses souffrances de vieillard agonisant en acceptant " que l'on plaçât du moins sous son corps de misérables couvertures ".
Quant aux funérailles, qui eurent lieu peut-être le 11 novembre 397, elles furent triomphales. " Tout naturellement, le pasteur menait devant lui ses troupeaux : pâles foules et cohortes en pallium d'une sainte multitude, vieillards aux labeurs émérites ou jeunes recrues qui venaient de prêter leurs serments au Christ. Ensuite venait le chœur des vierges : si, par pudeur, elles s'abstenaient de pleurer, sous quelle sainte joie dissimulaient-elles leur souffrance ! Car la foi eût interdit les pleurs, mais l'affection ne leur en arrachait pas moins des gémissements. Et de fait, il y avait autant de sainteté, dans leur exultation de sa gloire, que de piété dans leur tristesse de sa mort. On pouvait pardonner à leurs larmes, on pouvait se féliciter de leur joie : chacun faisant en sorte de souffrir pour lui-même et de se réjouir pour Martin. Cette troupe escorte donc de la mélodie de ses hymnes célestes le corps du bienheureux jusqu'au lieu de sa sépulture ".


Mais ne nous y trompons pas : le titre de gloire le plus authentique et le plus durable de saint Martin de Tours, est secret et invisible. Ce titre est d'être mort comme il n'avait cessé de vivre depuis qu'il s'était donné tout entier au Christ : comme un pauvre de Iahvé (Cf Albert Gelin. Les pauvres de Yahvé. Paris, 1954), qui, tel le personnage de Lazare dans la parabole lucanienne ( Lc. 16, 19-31), se trouve dans le sein d'Abraham. La vie de saint Martin nous enseigne qu'à l'encontre de la sagesse purement humaine, l'existence chrétienne bien comprise est une folie de la croix selon laquelle, pour pénétrer dans la sphère d'existence de la plénitude divine, l'homme n'a que l'ouverture de son vide à offrir à Dieu, avec l'aveu défaillant de sa misère et de sa faiblesse. La vie toute entière de saint Martin de Tours vérifie et démontre, d'une manière existentielle, vécue, concrète, et non pas discursive et abstraite, intellectuelle, ce fait que, dans ses Béatitudes, Jésus se plait à renverser les normes terrestres de bonheur et à briser l'orgueilleuse fermeture de la perfection humaine enfermée dans son immanence close. La grande leçon de la vie de saint Martin, évêque de Tours, c'est l'affirmation que l'homme n'a pas été créé par Dieu pour être rempli de soi-même, mais afin de n'être qu'un pur réceptacle de Dieu, c'est la proclamation de l'éminente dignité de l'humilité, de la mort vivifiante au vieil homme et de sa résurrection en Christ ressuscité à la vie de l'homme nouveau, de la pauvreté spirituelle chantée par la première Béatitude : " Bienheureux les pauvres en esprit ", bienheureux les pauvres dans le saint Esprit !


Saint Martin de Tours est commémoré le 12 novembre dans les synaxaires grecs et le 12 octobre dans les documents slaves, mais sa fête est traditionnellement fixée au 11 novembre en Occident, jour de ses funérailles. Lorsque, dans notre cher Midi, l'automne est ensoleillé et chaud, on parle " d'été de la saint Martin ". Dans la Provence de Frédéric Mistral, la fête de saint Martin était une date pour la location des valets de ferme. La date de cette fête, c'est-à-dire, après les vendanges, explique l'expression provençale de jadis " faire sant Martin ", c'est-à-dire boucher les tonneaux, et, à cette occasion, monter à califourchon sur les fûts pour goûter le vin nouveau avec un chalumeau. Pour la même raison, on rencontre, dans l'œuvre de Rabelais, l'expression " martiner ". Dans son " Tresor dou Felibrige ", Mistral cite de nombreux proverbes provençaux qui relient la fête de saint Martin de Tours aux vendanges. Saint Martin de Tours fut le premier confesseur ( non martyr ) objet d'un culte public en Occident. Ses reliques attirèrent pendant de nombreux siècles des foules de pèlerins, et il est considéré comme le saint protecteur de la France.

 



23/09/2008
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