Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Saint Edmond Campion

Saint Edmond Campion

Jésuite Martyr en Angleterre

1540-1581

Fête le 1er décembre


Le martyre d'Edmond Campion, à Tyburn, le 1er décembre 1581


Edmond Campion naquit à Londres en 1540. Il étudia à Oxford, où il prit ses degrés et fit concevoir les plus hautes espérances; il fut reçu en qualité de diacre dans l'Eglise anglicane. Quelque temps après il se convertit, fit son abjuration et vint au séminaire anglais de Douai. De là il se rendit à Rome et prononça ses voeux dans la Compagnie de Jésus, en 1573. Il se montra successivement à Vienne et à Prague, puis rentra à Rome, où il reçut mission de pénétrer en Angleterre pour y travailler au soutien des catholiques persécutés. En 1580, Campion débarqua, et tout aussitôt son ministère frit signalé par un très grand nombre de conversions Le gouvernement de la reine Elisabeth le fit rechercher, et Campion fut livré par un traître nommé Elliot qui avait assisté, avec tous les dehors de la piété, à la messe dite au château de Lyford.


Le martyre d'Edmond Campion et de ses compagnons


Les documents relatifs au procès de Campion montrent clairement combien le Conseil était peu fixé sur le choix des chefs d'accusation à faire valoir contre lui. Le premier acte d'accusation qui devait servir de base au procès porte simplement que « en juin, dans la 23e année du gouvernement de la reine, il prétendit criminellement avoir le pouvoir de délier les sujets de ladite reine de leur obéissance naturelle à Sa Majesté, et cela avec l'intention de détacher lesdits sujets de ladite reine de la religion établie pat- son autorité suprême dans ce royaume d'Angleterre, pour les faire entrer dans la religion romaine, et d'engager les mêmes sujets de ladite reine à promettre obéissance à la prétendue autorité du Siège de Rome et à la mettre en pratique dans les Etats de ladite reine ; — Que de plus le même Campion, dans l'intention de détacher de l'obéissance légitime un sujet de ladite reine né dans ce royaume, s'est efforcé en mainte rencontre, par des moyens pervers, faux et traîtres, de l'amener à renoncer à la religion établie et à promettre obéissance à la prétendue autorité, etc., malgré les prescriptions d'un statut fait et stipulé pour ce cas, et au risque d'induire tous les autres sujets à suivre ce mauvais exemple. » Une condamnation obtenue dans ces conditions aurait évidemment été considérée comme motivée par la religion, et non par un acte de trahison. En conséquence, on supposa un complot et on rédigea le nouvel acte d'accusation suivant :


« Le jury représente au nom de la reine que William Allen D. D., Nicholas Marton D. D., Robert Parsons, clerc, et Edmond Campion, clerc — (ils furent d'abord seuls à être accusés, mais après réflexion on trouva que le; complot était assez vaste pour que l'on y pût faire entrer tous les prêtres alors en prison, si bien que l'on ajouta en marge) — Jacque Bosgrave, William Filby, Thomas Ford, Thomas Cottam, Laurence Richardson, Jean Collyton, Ralph Sherwin, Luc Kirby, Robert Johnson, Edouard Rushton, Alexandre Briant, Henry Orton, bourgeois, et Shert ; que les susnommés étant traîtres à leur reine, dépourvus de toute crainte de Dieu, infidèles à leurs devoirs d'allégeance, égarés par le démon, résolus à éteindre, à faire disparaître l'amour et l'obéissance que de vrais et fidèles sujets doivent avoir pour leur reine, recourant à des moyens perfides et criminels, ont conspiré, comploté, soit le dernier jour de mai, dans la 22e année du règne actuel, à Rome en Italie, soit le dernier jour d'avril de la même année, à Reims en Champagne, et à d'autres jours et dans d'autres occasions avant ou après, également à Rome et à Reims et dans d'autres lieux sis au delà de la mer, non seulement pour priver et dépouiller ladite reine de ses Etats, titres et pouvoirs royaux, du gouvernement de son royaume d'Angleterre, mais encore pour mettre la même reine à mort, pour exciter, soulever des séditions dans ledit royaume, et aussi pour organiser un massacre des sujets de ladite reine dans tout le royaume, pour fomenter la révolte contre ladite reine, leur première et légitime souveraine, pour changer, d'après leur bon plaisir, le gouvernement dudit royaume avec la religion qui y a été légitimement établie, pour bouleverser et renverser complètement la fortune publique de ce royaume, pour engager, exciter divers étrangers non soumis à ladite reine à envahir le royaume, à faire des armements et à combattre contre ladite Leine, et dans le but de mettre à exécution ces projets criminels, lesdits Allen, Morton, Parsons et Campionont conféré, comploté, conspiré entre eux le dernier jour d'avril à Reims, et en d'autres jours, relativement aux moyens d'assurer la mort de ladite reine, et de soulever une sédition dans le royaume ; et dans ces desseins, lesdits Allen, Morton, Parsons et Campion, le 20 mai 1580 à Rome, et à d'autres jours soit avant, soit après, se sont efforcés par discours et par lettres d'engager divers étrangers à envahir le royaume et à faire la guerre à la reine.


« Que, de plus, les mêmes Allen, Morton, Parsons et Campion ont résolu d'un commun accord, le 20 mai à Rome, et le dernier jour du même mois à Reims, que lesdits mêmes Parsons et Campion passeraient en Angleterre et y recruteraient parmi les sujets de la reine des soutiens et des auxiliaires pour les étrangers qu'ils y introduiraient, afin d'exciter la révolte et la guerre contre la reine, et d'y changer la religion établie.


« Que, dans la suite, c'est-à-dire le let juin 1580, grâce à la trahison, aux secours et aux encouragements d'Allen et de Morton à Reims, lesdits Parsons et Cam-pion se mirent en route pour l'Angleterre, afin d'y mettre à exécution Peurs criminels et déloyaux projets contre la paix de ladite reine, contre sa couronne, contre sa dignité, au mépris manifeste des lois du royaume et contrairement aux prescriptions de divers statuts relatifs à ce cas. » D'après cet acte, les accusés auraient été réunis à Rome le 31 mars 1580, puis à Reims le 30 avril suivant, et de nouveau à Rome le 20 mai et à Reims le 31 mai. Parsons et Campion seraient partis de Reims le let juin. Il était évidemment impossible de prouver la vérité d'une histoire si mal bâtie ; mais les officiers de la Couronne avaient reçu ordre d'arriver au but par n'importe quels moyens.


Le mardi 14 novembre, Campion, Sherwin, Kirby, Bosgrave, Cottatn, Johnson, Orton et Rushton comparurent devant le grand jury à Westminster-Hall. Après la lecture de l'acte d'accusation, Campion s'exprima ainsi: « Je proteste devant Dieu et ses saints anges, devant le ciel et devant la terre, devant le monde et devant ce tribunal, faible nuage du redoutable tribunal de l'autre vie, que je ne suis coupable d'aucun des chefs d'accusation mentionnés dans l'acte, pas plus que d'aucune sorte de trahison. » Puis, pendant que l'on formait la liste du jury pour le lundi suivant, il éleva la voix et ajouta : « Est-il possible de trouver dans cette ville et clans ce pays douze hommes assez pervers et assez dépourvus de conscience pour nous juger tous complices et coupables de ce même crime, alors que plusieurs d'entre nous ne se sont jamais rencontrés ni vus avant d'être traduits devant cette barre ? »


Sherwin ajouta : « La vraie raison de notre présence) ici est la religion et non une trahison. »


Sur ce, Sir Christophe Wray, président du Banc du roi, dit : « L'heure de votre procès n'est pas encore arrivée ; vous pouvez jusque-là garder vos discours en réserve. Alors vous aurez pleine liberté de vous défendre pendant que je siégerai impartial entre Sa Majesté et vous; pour le moment, contentez-vous de déclarer si vous vous reconnaissez coupables ou non. » — Ou leur demande alors, conformément à la coutume, de lever la main. Mais Campion avait les bras comme paralysés après avoir été plusieurs fois mis cruellement à la question, et il les tenait enveloppés dans des morceaux de fourrure ; il ne pouvait lever la main aussi haut que les autres le faisaient, et qu'il le fallait. Grâce à un de ses compagnons qui lui enleva ses bandages et lui baisa la main si maltraitée pour la foi du Christ, il leva le bras aussi haut qu'il le put, et, comme les autres, se déclara « non coupable ». On les ramena alors en prison.


Le lendemain, on agit de même pour les autres accusés. Le 20 novembre suivant, Campion fut de nouveau mis dans un bateau sous bonne garde et conduit de la Tour à Westminster-Hall pour y être jugé. Malgré les précautions prises, la foule y était énorme. Les uns voulaient assister à la fin d'une tragédie émouvante ; d'autres voulaient voir si les vieilles traditions nationales d'honneur et de justice l'emporteraient sur la violence. Mais la journée montra que l'équité, les lois, la conscience et la justice avaient succombé en même temps que la foi catholique. La constitution du jury marquait l'espèce de jugement que l'on devait attendre. Le mercredi précédent, la liste qui fut publiée renfermait les noms de trois gentilshommes qui firent défaut le jour du procès, persuadés que les règles de la justice n'y seraient point observées. Les accusés ne récusèrent aucun des autres jurés, car ils ne les connaissaient pas. A la tête du jury était un nommé William Lee, homme riche mais délateur et fanatique, et bien pénétré du genre de devoir qu'il avait à remplir. Le tribunal se composait du premier président Wray, qui, par son apparente impartialité, réussissait à obtenir des verdicts de culpabilité. Il y avait deux autres juges, sans doute Thomas Gawdy et William Ayloff. L'accusation était soutenue par l'avocat général de la reine, Edmond Anderson, assisté de John Pophane, procureur général, et de Thomas Egerton.


Quand les prisonniers eurent comparu, le secrétaire de la Couronne lut l'acte d'accusation, puis exposa leur rôle aux jurés. S'ils trouvaient que les inculpés étaient coupables des trahisons mentionnées ou avaient pris la fuite à l'occasion de quelques-unes d'entre elles, ils devaient chercher quels biens, quelles propriétés, les coupables possédaient alors ou avaient acquis depuis ; s'ils ne les trouvaient pas coupables, ils devaient se contenter de le déclarer.Campion fut le premier à parler.


« Milord, dit-il, puisque les charges pesant sur nous sont distinctes et que, la faute de l'un n'étant pas la faute de tous, un ne doit pas avoir à répondre du crime d'un autre, j'aurais voulu que, pour éviter toute confusion, il y eût eu un acte d'accusation pour chacun de nous en particulier. De plus. les accusations mettant notre vie en jeu, il serait à désirer qu'un jour entier fût consacré au procès de chacun, car bien que je regarde les jurés! comme des hommes sages et très expérimentés dans des cas semblables, dès lors que les témoignages seront présentés simultanément, cela ne pourra manquer d'engendrer de la confusion dans leur esprit, en sorte qu'ils pourront appliquer à l'un le crime de l'autre, enfin absoudre le coupable et condamner l'innocent. Je demande donc que les actes d'accusation soient individuels et que plusieurs jours soient consacrés aux débats.


Hudson : « II paraît bien, Campion, que vous avez conféré avec votre avocat.


Campion : « Avec nul avocat, si ce n'est avec une conscience pure.


Le premier président : « Bien que l'acte d'accusation soit dressé contre plusieurs individus à la fois, il sera regardé comme personnel pendant les débats, en sorte que chacun d'eux devra être convaincu séparément et répondra personnellement aux charges portées contre lui. En conséquence, le jury examinera tout avec ordre. Cependant, si le temps l'avait permis, j'aurais désiré moi-même qu'un jour entier eût été consacré au procès de chaque inculpé, mais nous devons prendre les choses telles qu'elles sont, puisque nous n'y pouvons rien changer. » Sur ce, 1'avocat général Anderson, Pophane et Egerton se préparèrent à soutenir l'accusation. Le premier, Anderson, prit la parole en ces fermes :


Anderson : « Pour comprendre la bonté et les mérites de la souveraine dont cette île est redevable au Tout-Puissant depuis vingt-trois ans, il suffit de considérer la paix, la tranquillité, la richesse et l'abondance, mais tout particulièrement la connaissance et les progrès de l'Evangile dont ce royaume a joui plus que tout autre depuis l'avènement de Sa Majesté. Tant d'avantages auraient dû développer dans tous les coeurs une affection loyale et dévouée pour celle à qui, après Dieu, nous les devons. Cependant nous n'avons pas manqué de voir, de temps en temps, des ennemis de son bonheur qui, soit par des déclarations de guerre insolentes et ouvertes, soit par des machinations perfides et secrètes, se sont efforcés de la dépouiller de ses droits et de nous priver de ces avantages. Cependant, grâce à la puissance incomparable de Dieu contre les hommes, à sa tendre sollicitude pour elle, à sa miséricorde pour nous, ces criminels n'ont point réussi ; notre souveraine n'a rien perdu de ses Etats ni nous de notre tranquillité. En effet, qui ignore les rébellions et les soulèvements du Nord ? qui a oublié les démonstrations tragiques de Storie ? qui ne voit encore les menées perfides de Felton ? Ont-ils prévalu ? Leur force n'a-t-elle pas été brisée ? Leurs cabales n'ont-elles pas échoué? Dieu ne les a-t-il pas livrés pendant qu'il protégeait la reine ? Ces souvenirs sont encore tout frais. Leurs corps partagés en quartiers sont à peine décomposés. Ils ont été découverts; ils ont été convaincus ; ils ont été châtiés : c'est ce que nous avons vu. Si vous me demandez à quelle source ces trahisons et ces conspirations ont pris naissance, je vous demanderai à quelle autre, sinon le pape. En effet, si nous considérons les séditions du Nord, c'est lui qui non seulement encouragea les coupables, mais encore leur donna un refuge lors de leur fuite. Si nous examinons le cas de Storie, c'était lui le maître et seigneur d'un si perfide sujet. Si nous passons à Felton, ce fut lui qui excommunia la reine et tous ses fidèles sujets En résumé, si nous passons en revue toutes les trahisons, toutes les rébellions qui ont eu lieu depuis le premier jour du règne actuel, c'est encore lui qui en a été le principal instigateur. Allons-nous donc nous imaginer que les récentes conspirations se sont ourdies à l'insu et sans l'assentiment du pape ? Pouvons-nous croire que Campion et ses compagnons aient formé leurs complots au delà des mers sans l'assentiment du pape ? Quoi ? ne recevaient-ils pas de lui leurs moyens d'existence ? N'existait-il pas un motif pour la réciprocité de services mutuels : eux, papistes, et lui. pape ; eux, s'enfuyant de leur patrie, et lui, leur donnant asile ; eux, jésuites, lui, leur fondateur ; lui, la tête, eux, les membres ; lui, le chef, et eux, les sujets dévoués ? — Comment admettre qu'il a été simple confident, lui, l'organisateur et l'auteur? Ennemi de la Couronne, fléau de l'Evangile, envieux de l'une, opposé aux progrès de l'autre, il voulait ruiner les deux. Toujours conséquent avec lui-même, il ne l'a jamais été plus que dans le cas actuel. Il savait bien que sa haine ne pouvait recourir à des étrangers. L'Espagnol eût été découvert ; le Français, suspecté ; le Romain, sans créance. Quoi donc ? Des hommes nés et élevés dans notre propre nation, connaissant parfaitement notre langue et nos idiomes, instruits dans nos Universités, voilà ceux qui doivent seuls travailler à notre ruine ? Comment? Ils viendront secrètement dans ce royaume ; ils changeront de costume et de nom ; ils cacheront leur caractère ; ils voyageront inconnus. — Pourquoi cela ? Pour détacher les habitants de leur obéissance à la raine, les réconcilier avec le pape, implanter la religion romaine et renverser le gouvernement. Par quels moyens ? En disant la messe, en administrant les sacrements, en écoutant des confessions. Avec ces projets, ces efforts, ces pratiques, sont-ils, oui ou non, coupables de trahison ? S'ils ne le sont pas, ajoutez qu'ils furent confidents et complices des révoltes du Nord, qu'ils furent les instruments des machinations de Storie, qu'ils furent ministres chargés d'appliquer la bulle envoyée par Pie V contre Sa Majesté. Comment le prouver? Comment? Comment le prouver mieux que par vos propres paroles ? Ils encouragèrent hautement la rébellion dans le Nord ils se réjouirent grandement de la constance de Storie ils contribuèrent à la bulle par leurs conseils et leurs conférences. Oui, et chose qui nous tient vivement au coeur, ils prodiguèrent tellement leurs encouragements à Sanders, louant sa manière d'agir récemment en Irlande, qu'on ne peut le comprendre s'ils n'ont pas été ses complices. Pour conclure, quelle loyauté espérer du pape ? quelle confiance mettre en ceux qui ont fui et abandonné leur patrie ? Comment leur retour serait-il sans danger quand leur départ a été plein de périls pour nous ? Notez toutes les circonstances, toutes les probabilités il n'en est pas une qui ne dénote des traîtres en eux. Puisqu'il en est ainsi, il est juste qu'ils subissent le châtiment réservé aux traîtres ; nous le demandons au nom de fa reine, et nous espérons que le jury sera d'un avis conforme à nos allégations. »


Après ce discours prononcé avec véhémence et force gestes, les accusés protestèrent de leur innocence, et Campion demanda à Anderson s'il était un orateur chargé de les accuser ou un avocat chargé de prouver les faits.


Le premier président: « Vous devez avoir de la patience à son égard. Des membres du Conseil de la reine n'ont en vue que les devoirs envers Sa Majesté. Je ne puis assez m'étonner de voir des personnes de votre profession s'oublier tellement en pareille occasion. Quant aux allégations de mon frère Anderson, elles sont seulement des préliminaires, et chacun de vous répondra personnellement. »


Alors Campion, en son nom et au nom de ses compagnons, répondit au discours d'Anderson en ces termes :


Campion : « Les lois sages et prévoyantes de l'Angleterre ont réglé que l'on ne mettrait point en jeu dans un procès la vie ou la mort d'un homme quelconque s'il n'y avait point de crime suffisamment établi et des témoins réels. Autrement rien n'empêcherait la vie d'un homme d'être mise en danger par les périodes et les ornements d'un discours recherché ; rien n'empêcherait une faute ordinaire de paraître mériter la mort, grâce à la persuasion d'un orateur ou d'un avocat passionné en l'absence de tout témoin capable d'attester la même chose de vive voix. Aussi je ne vois pas à quel but tendait le discours de M. Anderson, ou, si j'en vois un, je vois qu'il est manqué. Car, quand même la faute n'est qu'une bagatelle, la loi a son application. Quand il n'y aurait qu'un vol d'un sou, des témoins doivent être produits ; en sorte que des suppositions, des exagérations, des inventions, ne sont pas la balance où doit être pesée la justice, mais bien des témoins, des serments et une apparence de culpabilité. Que signifient alors ces allégations de trahison ? Il se contente d'affirmer ; nous nions, purement et simplement. Mais examinons-les : quelle force ont-elles contre nous ? — Nous nous sommes enfuis de notre patrie : quelle conséquence en tirer ? — Le pape nous a donné des moyens de subsistance : comment cela ? — Nous avons persuadé les gens : que s'ensuit-il? Que nous sommes des traîtres. —Nous nions la conséquence. Il n'y a là pas plus de logique que si dans le cas de vol d'un mouton vous teniez ce raisonnement pour m'accuser : Mes parents sont des voleurs ; mes compagnons sont des gens suspects ; moi-même je suis un méchant sujet, et j'aime le mouton, donc je dois avoir volé le mouton en question. Qui ne le voit ? Il est odieux de diffamer quelqu'un devant le jury et de conclure sans motif à sa culpabilité. — Oui, mais nous avons par la séduction détaché les sujets de la reine de leur soumission à Sa Majesté ! Quoi de plus invraisemblable !


« Nous sommes des hommes morts au monde ; nous ne voyagions que pour le bien des âmes ; nous ne nous occupions ni de gouvernement ni de politique : telle n'était point notre mission. Quelle séduction avons-nous donc exercée ? — Mais nous avons réconcilié les gens avec le pape... Comment cela, puisque l'on ne doit être réconcilié qu'avec Dieu ? Ces expressions ne semblent pas appartenir au vocabulaire des gens de loi, et on en force le sens contre nous. La réconciliation que nous nous efforcions d'effectuer était seulement avec Dieu, conformément à la parole de Pierre : Reconciliamini Domino. — Quelles charges restent donc contre nous ? Que nous étions confidents des révoltés du Nord, des instruments de Storie, des ministres de Felton, des complices de Sanders. Comment cela? Vraiment ce sont de simples présomptions. — Oui, mais nous avons complimenté certains individus ; nous nous sommes réjouis avec d'autres ; à l'égard d'autres nous avons donné des avis ou tenu des conférences. — Comment l'établir ? Rien moins que par nos propres discours. Dieu nous est témoin que nous n'avons jamais rien imaginé, rien rêvé de semblable. Des faits de cette nature doivent être prouvés et non pas supposés ; établis d'une manière évidente et non pas conjecturés par l'imagination... Quand même il en serait ainsi, cependant toutes les circonstances dénotent en nous des traîtres. En vérité, tout ce qu'on allègue contre nous se réduit à quelques détails, et ne constitue pas des arguments capables de prouver que nous sommes des traîtres, et réellement nous sommes traités durement si nous devons répondre à des points de détail et non à des preuves... En conséquence, au nom de Dieu, nous demandons que l'on apporte de meilleures preuves, et que nos vies ne soient pas mises en danger par de simples conjectures. »


Au témoignage d'Anthony Munday, cette réponse de Campion, son ton, ses gestes, montrèrent qu'on avait raison de le regarder comme un orateur sans rival pour l'éloquence à la fois simple et familière.


L'avocat général : « C'est la coutume de tous les séminaristes, quand ils entrent pour la première fois dans leur séminaire, de faire personnellement deux serments : l'un de se conformer à toutes les prescriptions contenues dans le livre intitulé Motifs de Bristow, l'autre d'être fidèles au pape et à ses successeurs. Or ces deux serments constituent des actes de trahison. Comment un homme, en effet, peut-il être fidèle à notre Etat et jurer de se conformer à l'ouvrage indiqué, être un loyal serviteur de son souverain et jurer obéissance au pape, alors que l'un est tout à fait contraire à nos lois et à notre constitution, et que l'autre est l'ennemi le plus acharné de Sa Majesté ?


Campion : « Quels que soient les serments prêtés à l'entrée au séminaire, que les Motifs de Bristow soient contraires ou non à nos lois, cela ne fait rien à notre cause, car nous ne sommes pas des gens de séminaire, et nous n'avons point prêté de serment semblable. Mais quand même il y aurait des séminaristes parmi nous, ces affirmations ne nous regarderaient pas, car personne n'est obligé de prêter serment aux articles de Bristow, à part des adolescents en cours d'études ; les hommes d'âge mûr et de connaissance suffisamment approfondie en religion, comme le sont la plupart des Anglais qui passent la mer, n'ont jamais à prêter ce serment, et les études sont assez florissantes à Rome pour que séminaristes et autres puissent mieux y employer leur temps qu'à lire des pamphlets anglais.


Kirbie : « Je crois en conscience qu'il n'y a pas dans tous les séminaires quatre exemplaires de l'ouvrage de Bristow . »


Sur ce, tous s'écrièrent que s'ils étaient cités pour la cause de trahison, ils avaient lieu de craindre d'être condamnés à cause de leur religion. C'est ce que Campion prouva de la manière suivante :


Campion : « On nous a proposé de nous mettre en liberté si nous consentions à aller écouter des sermons au temple ; c'est en acceptant ces conditions que Pascoll et Nicolls, chargés des mêmes accusations que nous, ont été remis en liberté, tandis que s'ils avaient eu le bonheur de persévérer jusqu'au bout, ils auraient partagé nos malheurs. Par conséquent, si la liberté nous était offerte à condition d'aller écouter des sermons au temple, chose que nous ne pouvons faire d'après nos principes religieux, — le fait de changer de religion et de devenir protestants nous vaudrait la liberté. Notre religion est donc la cause de notre emprisonnement ; à elle, par conséquent, il faudra attribuer notre condamnation.


Le proureur général Popham : « Ces cas n'étaient pas connus ; ils n'étaient même pas soupçonnés lorsque Nicolls fut remis en liberté ; nous ne pouvons supposer qu'il fût capable de pareilles tendances ou de pareils projets, car il n'était pas, comme vous, attaché d'une manière opiniâtre à une religion qui peut bien être un moyen de colorer et de couvrir des trahisons.


L'avocat général : « Tous, en commun ou en particulier, vous avez reçu du pape de l'argent à dépenser dans vos voyages, les uns deux cents couronnes, d'autres plus, d'autres moins, chacun selon son rang ou sa condition. — Est-ce que cette libéralité du pape était sans motif ? Non, elle avait un but, et lequel, sinon de faire appliquer ses maximes et exécuter ses projets perfides par le moyen de vos invectives et de vos déclamations dans ces conciliabules secrets ?


Campion : « Nous avons reçu des dons de lui dans la proportion qu'il trouvait convenable. Nous ne voyons pas qu'il y eût des raisons de les refuser ou des moyens de venir ici sans un sou. Il a été libéral; il a pourvu à nos besoins ; que voulez-vous que nous eussions fait ? Nous avons accepté : où y a-t-il trahison ? Mais c'était pour un but. Je l'admets, car s'il n'y avait pas eu de but, la chose eût été inutile. Et quel but pouvait être en vue? Assurément celui de prêcher l'Evangile : il ne s'agissait point de trahison ; on ne se proposait rien de semblable. »


On fit alors paraître un témoin, nommé H. Caddy ou Caddoche, qui déposa d'une façon générale contre tous les inculpés. Il déclara qu'étant outre-mer, il entendit parler d'un voeu religieux fait en commun par le pape et les prêtres anglais pour la restauration et le rétablissement de la religion en Angleterre. Dans ce dessein, deux cents prêtres devaient venir dans ce royaume. On le fit savoir à Sir Ralph Shelley, chevalier anglais et capitaine au service du pape, en lui disant qu'il conduirait une armée en Angleterre, afin de soumettre ce royaume au pape et d'exterminer les hérétiques, ce à quoi Sir Ralph répondit que plutôt que de voir la ruine de sa patrie, il boirait du poison, comme Thémistocle, ajoutant que les catholiques anglais, au lieu de prêter leur concours à cette entreprise, seraient les premiers à prendre les armes contre le pape.


L'avocat général : « Le cas est bien clair : le voeu a été fait ; deux cents prêtres ont reçu des charges ; le capitaine général a été nommé ; notre ruine a été décidée. Si maintenant nous réunissons toutes les apparences, quoi de plus clair que vous ayez fait partie de ces deux cents prêtres, et que, par conséquent, vous soyez confidents et complices de la trahison ?


Campion : « Deux cents prêtres ont pris l'engagement sacré de travailler au rétablissement de la religion. Il semble, d'après toutes les apparences, que nous étions de ce nombre, et que, par suite, nous sommes confidents et complices de la trahison. Voici une conclusion qui n'a pas un point de rapport avec les prémisses. — D'abord un voeu, puis l'établissement de la religion. « Quelle apparence de trahison voyez-vous là ? Toute cette affaire de trahison dont on parle sans cesse ne concernait que Sir Ralph Shelley ; il n'en fut pas dit une syllabe aux prêtres. Mais admettons, chose non affirmée par les témoins, que nous faisons partie de ces deux cents prêtres : vous voyez sir Ralph Shelley, catholique, capitaine du pape et simple laïque, affirmer qu'il aimerait mieux boire du poison que de prendre part à une telle trahison ; est-il vraisemblable que des prêtres, hommes de piété, morts au monde, puissent le moins du monde y consentir? Cette déposition est bien plutôt pour nous que contre nous. »


Alors on décida de lire à chacun son acte d'accusation, afin que chacun pût répondre en personne. Le premier tour fut celui de Campion.


L'avocat général : « Il y a environ dix ans, Campion, vous avez été appelé en conférence par le cardinal de Sainte-Cécile au sujet de la bulle où Pie V a excommunié la reine, la noblesse, les citoyens, déchargeant les catholiques de toute, soumission à Sa Majesté. Cette conférence ne pouvait avoir trait qu'à l'application de cette bulle. Or cette bulle constituant un acte manifeste de trahison, dont vous avez eu connaissance, vous êtes par là même convaincu de trahison.


Campion : « Vous, jurés, je vous en prie, écoutez-moi. Les paroles que vous venez d'entendre me concernent : je vais y répondre. Il est vrai que lors de ma première arrivée à Rome, il y a environ dix ans, j'eus le bonheur d'être reçu par ledit cardinal. Celui-ci, s'étant pris de quelque intérêt pour moi, aurait pu me donner les moyens de parvenir au poste qui m'aurait plu. Mais comme ma vocation était décidée, je lui répondis que je ne désirais me mettre au service de personne, et que mon intention était d'entrer dans la Société de Jésus, où je prononcerais mes voeux et ferais profession. Ayant été interrogé sur l'opinion que j'avais de la bulle, je dis qu'elle avait donné lieu à de grandes rigueurs en Angleterre et appesanti la main de Sa Majesté sur les catholiques. Alors le capitaine répliqua que, sans aucun doute, cette bulle serait adoucie de façon à permettre aux catholiques de reconnaître Son Altesse comme leur reine, sans encourir la peine d'excommunication. Voilà quelle fut ma conversation avec le cardinal. On n'y peut rien trouver à critiquer, et encore moins à donner comme preuve de trahison.


L'avocat général : « D'après vos paroles, il ne s'agissait que d'une mitigation de la bulle à l'égard des catholiques seulement. Par conséquent le point principal, c'est-à-dire l'excommunication de Sa Majesté, restait dans toute sa force sans que vous la fissiez connaître. Vous étiez donc par là même confident, et dès lors traître.


Campion : « La connaissance que j'avais de la bulle ne prouve pas que j'y donnais tout mon assentiment : j'y ai montré plutôt de l'opposition en disant qu'elle avait donné lieu à beaucoup de rigueurs. De plus, comme elle avait été publiée ici avant que je pusse la faire connaître (personne, en effet, n'ignorait que la reine d'Angleterre avait été excommuniée), la connaissance que j'en ai eue est excusable et ne peut m'être imputée à trahison.


L'avocat général : « Vous avez eu une conférence avec l'évêque de Ross, un papiste avéré et un ennemi mortel du gouvernement et de la couronne d'Angleterre. Or à quoi pouvait tendre une pareille conférence, sinon à l'exécution des projets de trahison formés par les conspirateurs ?


Campion : « Ce qu'est l'évêque de Ross au point de vue religieux ou dans ses sympathies regarde peu, il me semble, ma personne et encore moins le cas en question: mais quant à une conférence entre lui et moi, je nie absolument qu'il y en ait eu, et en tout cas qu'on le prouve.


Le secrétaire de la Couronne lut alors une lettre du Dr Allen au Dr Sanders en Irlande. Le Dr Allen y donnait deux raisons de l'insuccès de l'insurrection dans le Nord : ou bien Dieu réservait de plus grands châtiments à l'Angleterre, ou bien les catholiques des autres contrées ne comprenaient pas l'entreprise. On marquait encore dans cette lettre que X. craignait la guerre comme un enfant craint la verge, et que X. serait prêt à n'importe quel jour avec 2.000 hommes pour l'aider.


L'avocat général: « Vous ne pouvez avoir ignoré que le pape avait levé cette armée avec le concours du roi, d'Espagne et du duc de Florence pour ruiner ce pays, renverser la reine et placer la reine d'Ecosse à la tête du gouvernement de l'Angleterre. En effet, ayant été envoyé de Prague, alors votre lieu de résidence, à Rome, puis chargé actuellement par le pape d'une mission en Angleterre, quel objet pouvez-vous avoir eu en vue dans cette ambassade si précipitée, sinon l'accomplissement de ces projets de trahison ? « Vous êtes d'autant plus suspect que, au cours de votre voyage de Rome en Angleterre, vous avez eu à Reims un entretien secret avec le Dr Allen, dont vous avez dû connaître les lettres sur ce pays que nous avons déjà mentionnées. Vous êtes venu comme représentant du pape et du Dr Allen, pour communiquer ces projets aux papistes anglais, détacher les gens de leur soumission légitime et les préparer à recevoir ces pouvoirs étrangers. « Qu'est-ce qui sent plus la trahison que cette lettre ? Il a regret d'avoir trahi ses appuis catholiques, et il pense avoir par là porté préjudice à la religion. Que pouvons-nous donc penser de ce qu'il cache ? Ce doit être quelque chose de bien grave et de bien criminel pour que ni la torture ni la pendaison ne puissent le lui arracher. Car, comme il ne s'agit point de questions de conscience ou de religion, assurément s'il n'y avait point eu d'autres projets plus étendus, des entreprises contre l'Etat et le gouvernement, nous aurions découvert l'affaire aussi bien que la personne. Il serait donc à désirer que ces secrets cachés fussent révélés, et alors on verrait toutes ces trahisons au grand jour.


Campion : « Etant prêtre par état et profession, je me suis engagé par voeu à toutes les obligations attachées à cette vocation. J'ai ainsi à remplir un devoir sacerdotal qui consiste à écouter les confessions et donner l'absolution. A ce sujet, lors de mon ordination, je dus, comme tous les autres prêtres, promettre solennellement à Dieu de ne jamais révéler les secrets entendus en confession. La force et les effets de ce voeu sont tels que tout prêtre est tenu, sous peine de damnation éternelle, à ne jamais dévoiler les fautes et misères dont il a ainsi reçu la confidence. En vertu de ma profession, dans l'exercice de mon sacerdoce, j'ai eu l'occasion de recevoir en confidence les secrets de différentes personnes, non pas des secrets concernant l'Etat ou le gouvernement sur lesquels je n'ai pas autorité, mais des secrets qui troublaient une âme repentante, et que j'avais le pouvoir d'absoudre en confession. Voilà les mystères, les secrets que je me réjouis d'avoir gardés pour moi, et que ni la torture ni le gibet ne pourront m'arracher. »


Alors le secrétaire lut certains papiers renfermant des formules de serments qui devaient être présentées aux gens pour les faire renoncer à la soumission à Sa Majesté, jurer obéissance au pape qu'ils regarderaient comme leur chef et guide souverain ; les papiers avaient été trouvés dans diverses maisons où Campion s'était introduit avec mystère et avait reçu l'hospitalité.


L'avocat général : « Quoi de plus clair ? Sans que nous allions plus loin, ces formules de serment suffisent à vous convaincre de trahison. Peut-on, en effet, trouver rien de plus criminel que d'aliéner les coeurs des sujets de Sa Majesté, d e leur faire refuser obéissance à son autorité et jurer soumission au pape? Par conséquent ces papiers trouvés dans les maisons où vous avez passé prouvent clairement que, les ayant propagés, vous êtes un traître.


Campion : « Il n'y a rien, on ne peut rien imaginer de plus contraire à ma profession que de faire prêter des serments ; je n'avais nul pouvoir ni autorité pour agir ainsi, et je ne voudrais pas commettre une faute si contraire à ma vocation pour tous les biens et trésors du monde. Mais supposons que j'y fusse autorisé : alors que ces papiers ne sont point écrits de ma main et que nulle preuve ne peut m'en imputer la provenance, quelle logique y a-t-il à soutenir que je les ai répandus moi-même, par cela seul qu'on les a trouvés dans les maisons où j'ai séjourné ? C'est là, tout le monde peut le voir, une simple présomption : il n'y a rien de probant et de solide contre moi.


Anderson : « On ne peut pas avoir d'autre sentiment que celui-ci. C'est vous qui avez procuré ces formules de serments, et comme on les a trouvées après vous, c'est vous qui les avez laissées. En effet, si un pauvre et un riche entrent ensemble dans une maison et qu'après leur départ on trouve un sac d'or caché, le pauvre n'ayant certainement pas tant de fortune, et ne pouvant par conséquent laisser un tel sac derrière lui, on supposera généralement que le riche et non l'autre a caché le sac. De même vous, un papiste avéré, vous venez dans une maison ; après votre départ on y trouve de ces reliques en question : comment ne pas supposer que c'est vous et non un autre qui les avez apportées et laissées là ? Ainsi la chose est évidente : ces papiers sont venus par le moyen d'un papiste, donc c'est par vous.


Campion : « Votre conclusion aurait été logique si vous aviez prouvé aussi qu'il n'est entré dans. ces maisons aucune autre personne de ma condition ; mais comme vous tirez la conclusion avant d'avoir formulé votre mineure, votre raisonnement est imparfait : donc il ne prouve rien.


Aanderson : « Si vous nous apportez ici vos mineures et vos conclusions comme vous le feriez dans une école, vous prouverez seulement que vous êtes un fou. Mais qu'il s'agisse de mineure ou de conclusion, je vais mettre l'affaire au point à l'instant.


L'avocat général : « Vous refusez de faire le serment de suprématie, marque évidente d'une volonté mal disposée pour la couronne. Les commissaires vous ayant demandé si, d'après vous, la bulle où Pie V avait excommunié la reine était valide, et si l'excommunication produisait son effet ou non, vous n'avez rien répondu, sinon que c'étaient des questions de sang et que ceux qui les cherchaient cherchaient aussi votre vie. De plus, vous avez comparé les commissaires aux Pharisiens qui, pour prendre le Christ dans un piège, lui proposaient un dilemme relativement au tribut à payer à César. De même, dans votre interrogatoire, vous cherchiez des détours et faisiez des réponses en l'air, ce qui dénotait grandement une conscience coupable, car la vérité n'aurait point cherché à se cacher dans des coins. »


Les deux commissaires qui étaient présents certifièrent l'exactitude de ces faits.


Campion : « Il n'y a pas longtemps, il plut à Sa Majesté de me demander si je la reconnaissais pour ma reine ou non. Je lui répondis que je la reconnaissais non seulement pour ma reine, mais encore pour ma très légitime souveraine. Sa Majesté m'ayant encore demandé si je reconnaissais au pape le droit de l'excommunier ou non, je confessai mon incapacité à décider entre Sa Majesté et le pape dans une controverse si ardue, sur un sujet où la lumière n'est pas encore faite et où les meilleurs théologiens de la chrétienté ne sont pas d'accord. Cependant j'exprimai l'opinion que si le pape le faisait, il pourrait le faire sans raison valable, car on le reconnaît, clavis errare potest ; mais les théologiens catholiques distinguent dans l'autorité du pape celle qui est ordinata et celle qui est inordinata. La première s'exerce dans les matières purement spirituelles et ne donne pas le droit d'excommunier les princes et les souverains; l'autre s'exerce dans les cas de lois, d'appels et autres semblables et, selon certains auteurs, renferme le droit d'excommunier et de déposer les princes. Les commissaires me pressèrent encore sur les articles, et principalement sur la question de la suprématie et d'autres que je ne pouvais prévoir. Je leur dis effectivement que c'étaient là des questions de sang, vraiment dignes de Pharisiens et destinées à mettre ma vie en danger. C'est pourquoi je répondis comme le Christ : « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Je reconnus Son Altesse comme ma maîtresse et ma souveraine ; je reconnus Sa Majesté comme étant, de droit et de fait, ma reine ; j'admis que l'on devait obéissance à la couronne comme étant la première autorité dans l'ordre temporel. Ce que je dis alors, je le dis encore maintenant. Si donc nos déclarations sont insuffisantes, je suis prêt à y suppléer. Que voulez-vous de plus ? Je suis prêt à rendre à Sa Majesté; ce qui lui appartient, mais je dois aussi payer à Dieu ce' qui lui revient. Alors, au sujet de l'excommunication de Sa Majesté, on voulait me forcer à dire si, dans le cas où l'excommunication serait effectuée et où le pape aurait le pouvoir de la porter, je me croirais dégagé de mes devoirs de sujet ou non. — Je répondis que c'était là une question dangereuse, et que pour la poser il fallait vouloir mon sang. En admettant... — Pourquoi admettre ? Quelles conséquences ne peut-on pas tirer de choses admises et concédées ? — En admettant son pouvoir, en supposant qu'il excommuniât la reine, j'agirais alors comme Dieu m'en donnerait l'inspiration. Mais je n'ai jamais admis pareilles choses, et je ne dois pas être tourmenté avec des suppositions de ce genre. Mais alors, me dit-on, puisque je n'ai pas voulu donner nettement des réponses que je ne pouvais pas donner, j'ai certainement cherché des détours, et mes réponses étaient à côté de la question. Bien, puisqu'il faut encore s'expliquer une fois, je dirai que ces matières sont seulement des points de doctrine spirituelle, des sujets de discussion pour les écoles, qu'elles ne font point partie de mon acte d'accusation, qu'elles n'ont point à être établies et qu'elles ne sont point à discuter au Banc du roi. Pour conclure, ce ne sont point des questions de fait : elles n'appartiennent point à un tribunal civil, et les jurés n'ont point à s'en occuper. Ils sont, je n'en doute pas, gens fort habiles et très versés dans les controverses et discussions relatives à leurs professions, mais néanmoins ce sont des laïques, ils s'occupent des choses de ce monde et ne sont point des juges propres à décider sur une question si profonde. »


Elliot, un des témoins, déposa alors contre Campion relativement à un sermon qu'il avait prêché dans le comté de Berk. Le texte montrait le Christ pleurant sur Jérusalem. Campion y exposait les vices et les monstruosités qui pullulaient en Angleterre, en particulier les hérésies dont il s'affligeait que ses compatriotes fussent aveuglés. Mais il espérait qu'un jour de changement ne tarderait pas à venir, jour heureux pour les catholiques actuellement agités et dispersés, terrible pour les hérétiques au comble de la prospérité. Elliot ajoutait que Campion avait engagé vivement son auditoire à être soumis au pape. Mais, pressé de questions par Campion, il dut avouer qu'il ne se rappelait pas si le pape avait été une seule fois nommé dans ce sermon.


Campion : « Lors de mon admission dans l'ordre des jésuites, je promis par voeu trois choses inhérentes à ma vocation : la chasteté, la pauvreté et l'obéissance ; par la chasteté je renonçais aux appétits et aux convoitises de la chair ; par la pauvreté je méprisais les richesses de ce inonde et comptais, pour ma subsistance, sur la charité d'autrui ; par l'obéissance je m'engageais à accomplir les ordres de mes supérieurs. En vertu de mon vœu d'obéissance, je vins de Prague à Rome, où j'étais mandé, sans avoir la moindre idée des troupes en question ni la moindre inclination à m'occuper des chose de ce genre. Là, je restai huit jours, attendant le bon plaisir de mon prévôt, qui, en vertu de mon voeu d'obéissance, auquel avec la grâce de Dieu je serai fidèle en toute circonstance, m'ordonna d'entreprendre ce voyage en Angleterre : je le fis, puisque j'étais commandé, non en traître pour conspirer à la ruine de mon pays, niais en prêtre pour y administrer les sacrements et y entendre les confessions. Cette mission, je l'affirme devant Dieu, je l'aurais accomplie tout aussi volontiers si, au lieu d'être envoyé dans ma patrie, je l'avais été chez les Indiens ou dans les parties du monde les plus reculées. Pendant mon voyage, je ne puis le nier, j'ai dîné avec le Dr Allen à Reims, et après le dîner nous nous sommes promenés dans son jardin, causant de nos anciennes relations d'amitié. Dans le cours de cette visite, j'en prends Dieu à témoin, il n'a été nullement question de la couronne ou du gouvernement d'Angleterre ; je n'ai eu aucune connaissance des lettres envoyées à Sanders ; je n'ai pas eu le moindre aperçu des projets en question. Par conséquent rien de plus faux que de me faire passer pour un mandataire du pape et du Dr Allen. Le premier me considérait comme étant absolument en dehors des affaires de gouvernement ou d'expéditions militaires ; à l'autre je ne devais aucune obéissance qui me contraignît à accomplir des actes opposés à ma mission. Mais, en admettant — chose absolument contraire à la réalité — que le Dr Allen m'ait communiqué des affaires de ce genre, dès lors qu'il n'était pas mon supérieur, j'aurais été un véritable apostat en lui obéissant. J'honore le Dr Allen pour sa science et sa foi, mais je ne suis ni son sujet ni son inférieur, pas plus qu'il n'avait des ordres à me donner.


L'avocat général: « Si votre conduite dans la suite ne vous avait pas complètement trahi, votre discours serait plus plausible, niais toutes les grandes protestations d'après coup rendent ces excuses illusoires ; vos actions montrent que vos discours sont mensongers. Pourquoi avoir changé votre nom ? Pourquoi ces déguisements de costume ? Ces artifices peuvent-ils ne pas éveiller des soupçons ? Votre nom étant Campion, pourquoi vous appeler Hastings ? Vous, un prêtre, un homme mort au monde, quel plaisir aviez-vous à courir de côté et d'autre ? Un chapeau de velours avec plume, un pourpoint de couleur chamois, des parements de velours, entrent-ils dans le costume d'homme mort au monde ? Ce qui convient à peine à un laïque sérieux peut-il convenir à un religieux ? Non, il y avait un but caché. Vos manières de rôder çà et là et de vous cacher dans des retraites mystérieuses dénotent avec tout le reste des intentions perfides. Si vous étiez venu ici par amour de 'votre pays, vous ne vous seriez point fait une cachette ; si vous aviez eu l'intention de bien faire, vous n'auriez point fui la lumière : par conséquent cette conduite dénote votre trahison.


Campion : « Aux temps où l'Eglise primitive était persécutée et où Paul travaillait à propager l'Evangile, lui et ses compagnons, personne ne l'ignore, furent souvent réduits à de dures extrémités. Dans ces conditions, tout en étant parfaitement résolu à affronter le martyre plutôt que de s'écarter d'un pouce de la vérité qu'il prêchait, il n'hésita pas à recourir à divers expédients lui permettant d'accroître le nombre des fidèles et d'échapper à la persécution, dès lors qu'il y avait quelque espoir ou des moyens de se dérober, et qu'il trouvait la continuation de sa vie plus utile à l'Eglise que sa mort. En particulier il changeait souvent de nom, s'appelant Saul ou Paul selon qu'il le trouvait plus à propos il ne trouvait pas toujours expédient non plus de se Maire connaître, et préférait se tenir caché, dans la crainte que, s'il était découvert, il ne s'ensuivît une persécution et un arrêt considérable dans la propagation de l'Evangile. Telle était sa manière de voir lorsque, souffrant persécution pour la religion, il échappa à ses ennemis dans une corbeille. Si on approuve ces expédients chez Paul, les condamnera-t-on chez moi, alors qu'il est apôtre et moi jésuite ? La cause nous est commune à tous deux : l'effet sera-t-il réservé à un seul ? J'aspirais à implanter l'Evangile là où je savais que l'on professait une religion contraire. Je vis que si j'étais connu je serais arrêté ; alors je changeai de nom, je vécus caché, j'imitai Paul. Etais-je pour cela un traître ? Mais on exagère le fait d'avoir porté un pourpoint couleur chamois, un chapeau de velours et autres choses semblables, en m'accusant pour cela d'être coupable de trahison. Je ne suis point soumis aux statuts relatifs au costume, lesquels ne sont point en cause ici. Cependant admettons que j'aie offensé Dieu en agissant ainsi : je m'en repens sincèrement, et vous le voyez, j'en fais pénitence ! » (Il venait d'être rasé, portait une robe de bure et un grand bonnet de nuit noir qui lui couvrait la moitié du visage.)


Le secrétaire lut une lettre envoyée par Campion à un catholique nommé Pound. Elle renfermait le passage suivant : « J'ai une peine profonde d'avoir offensé la cause catholique en révélant les noms de quelques amis et gentilshommes chez qui j'ai reçu l'hospitalité, mais je me console grandement par la pensée que je n'ai jamais dévoilé les secrets dont j'y ai reçu la confidence, et que je ne le ferai jamais, qu'il s'agisse de torture ou de pendaison. »


L'avocat général : « Que pourrions-nous trouver de plus évident ? On nous menace d'un grand jour, jour de réconfort pour les catholiques, jour terrible pour nous. Quel jour serait-ce sinon celui où le pape, le roi d'Espagne et le duc de Florence doivent envahir ce royaume ?


Campion : « O Judas ! Judas ! aucun autre jour, je l'affirme, n'était présent à ma pensée, sinon celui où il plaira à Dieu de rétablir la foi et la religion ! En Angleterre, comme dans toutes les autres communautés chrétiennes, les vices et les iniquités abondent, et il n'existe point de royaume si pieux, de peuple si dévot et si religieux qu'on n'y trouve et de grands abus et des méchants parmi ceux qui exercent l'autorité et le gouvernement. En conséquence, comme le fait en chaire tout protestant, l'ai annoncé un grand jour, non pas un jour où un pouvoir de ce monde s'exercerait, mais un jour où le juge terrible révélerait les consciences de tous les hommes et jugerait tous les membres de chaque religion. Voilà le jour de malheur, voilà le grand jour que j'ai annoncé, heureux pour les bons croyants, terrible pour tous les hérétiques. Dieu m'est témoin que je n'avais aucun autre jour en vue. »


Munday, un autre témoin, déposa qu'il avait entendu les Anglais, tels que docteurs et autres, conspirer et former des trahisons contre l'Angleterre, et que Campion et autres avaient eu dans la suite une conférence avec le Dr Allen.


Campion : « Cette déposition ne m'atteint pas directement. Quant à ma conférence avec le Dr Allen, on sait quand elle a eu lieu et ce qu'elle a été. »


On appela alors Sherwin qui, devant les commissaires, avait refusé de prêter le serment de suprématie, et ne voulait pas donner une opinion nette et précise sur la bulle du pape, mais qui avait avoué être venu en Angleterre pour prêcher la religion catholique.


L'avocat général : « Vous saviez bien qu'il ne vous était pas permis de prêcher aux sujets de Sa Majesté une religion différente de celle que l'on professe ici d'après ses ordres, et par conséquent si vous n'aviez pas eu d'autre projet en vue, vous auriez gardé votre sentiment en vous-même et votre personne là où vous étiez.


Sherwin : « Nous lisons que les apôtres et les Pères de la primitive Eglise ont enseigné et prêché dans les Etats et les empires de princes païens sans être jugés où l'on professe ouvertement le christianisme et le culte du vrai Dieu. Sans doute, étant donnée la différence de religion, j'avais à craindre de ne pouvoir suivre ma conscience sans danger; mais cependant je ne devais pas pour cela renoncer à mes fonctions, bien que la conscience soit chancelante, faible, et capable d'être écartée de son devoir par la crainte d'un danger.


L'un des juges: « Mais votre cas diffère de celui des apôtres et des premiers Pères, car ceux-ci n'ont jamais conspiré la mort des empereurs ni des chefs des États où ils enseignaient et prêchaient. »

 

Suite

 



18/02/2009
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