Spiritualité Chrétienne

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Le très-bas

Le Très Bas

Extraits du livre de Mr Christian Bobin

 

Connaître François

On sait de François peu de choses et c'est tant mieux. Ce qu’on sait de quelqu’un empêche de le connaître. Ce qu’on en dit, en croyant savoir ce qu’on dit, rend difficile de le voir. On dit par exemple: Saint-François-d’Assise. On le dit en somnambule, sans sortir du sommeil de la langue. On ne dit pas, on laisse dire. On laisse les mots venir, ils viennent dans un ordre qui n'est pas le nôtre, qui est l'ordre du mensonge, de la mort, de la vie en société. Très peu de vraies paroles s'échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n'ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre.”

 

Un amour éternel

Je t'aimais. Je t'aime, Je t'aimerai. Il ne suffit pas d’une chair pour naître. Il y faut aussi cette parole. Elle vient de loin. Elle vient du bleu lointain des cieux, elle s'enfonce dans le vivant, elle ruisselle sous les chairs du vivant comme une eau souterraine d'amour pur. Ce n'est pas nécessaire de connaître la Bible pour l'entendre. Ce n'est pas nécessaire de croire en Dieu pour être vivifié par son souffle. Cette parole imprègne chaque page de la Bible, mais elle imprègne aussi bien les feuilles des arbres, le poil des animaux et chaque grain de poussière volant dans l'air. Le fin fond de la matière, son dernier noyau, sa pointe ultime, ce n’est pas la matière mais cette parole. Je t'aime, Je t’aime d’un amour éternel, éternellement tourné vers toi - poussière, bête, homme. Avant de planer sur les berceaux, avant de danser aux lèvres des mères, cette parole se fraie un chemin au travers des voix qui font une époque, qui en donnent le ton et la couleur. Paroles de guerre et de commerce. Paroles de gloire et de désastre. Paroles de sourds. Et par le travers, et par en dessous, et par en dessus, l'esprit du vent, la folle rumeur, le bourdonnement dans le sang rouge: je t'aime. Bien avant que tu sois né. Bien après la fin des temps. Je t'aime dans toutes éternités. Il vient de là, François d’Assise. Il vient de là et il y retourne comme on revient au lit profond entres les bras d'une belle.”

 

Les pauvres

Mais rapprochons-nous un peu. Ecoutons les bruits du monde à la fenêtre. Le bruit de l'or, le bruit de l'épée, le bruit des prières. Ceux qui comptent leurs sous derrière un rideau lourd. Ceux qui cuvent un vin noir au fond de leurs châteaux. Ceux qui marmonnent sous la dentelle des anges. Le marchand, le guerrier et le prêtre. Ces trois-là se partagent le treizième siècle. Et puis il y a une autre classe. Elle est dans l’ombre, trop retirée en elle-même pour qu’aucune lumière puisse jamais l’y chercher. Elle est comme la matière première des trois autres. Les marchands y puisent la main d’oeuvre dont ils ont besoin. Les guerriers y trouvent de quoi renouveler leurs armées. Les prêtres y flairent les âmes dont ils ont goût. Ces trois-là espèrent quelque chose en récompense de leur travail: la fortune, la gloire ou le salut. Cette classe n'espère rien, pas même le passage du temps, l'endormissement de la douleur. Cette classe est celle des pauvres. Elle est du treizième et elle est du vingtième, elle est de tous les siècles. Elle est aussi vieille que Dieu, aussi muette que Dieu, aussi perdue que lui dans sa vieillesse, dans son silence. Elle donnera à François d'Assise son vrai visage. Un visage bien plus beau que celui en bois peint des églises, bien plus pur que celui des grands peintres. Un simple visage de pauvre. Un pauvre visage de pauvre, d’idiot, de gueux.”

 

Un nom pour la vie

L'enfant s’appelle d’abord Jean. C'est le voeu de la mère, c’est son choix. C'est sous ce nom qu'il est baptisé, en l’absence du père, de nouveau en France pour ses affaires. A son retour il enlève ce prénom comme une mauvaise herbe, il l'efface pour le recouvrir d'un autre: François. Deux noms, l'un dessus l’autre. Deux vies, l'une dessous l'autre. Le premier nom vient droit de la Bible. Il ouvre le Nouveau Testament et il le clôt. C’est Jean le Baptiste qui annonce la venue du Christ, qui prend l'eau des fleuves dans le creux de ses mains pour donner l'avant-goût d'une fraîcheur insensée, d'une ondée d'amour fou. Et c'est Jean l'Evangéliste qui écrit ce qui s’est passé et comment ce qui est passé demeure dans le passage. Jean des sources et Jean des encres. La mère a voulu ce prénom. Ce qu'une mère veut dans un prénom, elle le glisse entre le corps et l'âme de son enfant, là, bien enfoui comme un sachet de lavande entre deux draps. Jean main d'eau, Jean bouche d'or. et par-dessus, l'autre prénom, l'autre vie. François de France. François coeur d'air, sang de Provence. Par le nom de famille, un enfant rejoint l’amoncellement des morts en arrière des parents. Par le prénom, il rejoint l'immensité fertile du vivant, tout le champ du possible: louer l'amour fort - comme un évangéliste. Ou caresser la vie faible - comme un troubadour. Et, pourquoi pas, faire les deux choses, être les deux: l'évangéliste et le troubadour, l'apôtre et l'amant.”

 

Enfants du 20ème et du 13ème siècle

Petits enfants du vingtième siècle, vos parents sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Ils vous demandent de les porter sur vos épaules, de leur donner coeur et force. Petits enfants des temps modernes, vous êtes des rois dans un désert. Petits enfants du treizième siècle, on vous accorde peu d'importance. Vous êtes comme un troupeau parfois transi de fièvre, clairsemé par les guerres, les famines ou la peste. On vous parle très peu dans vos premières années. A peine si on vous regarde, de ce regard attendri qu'on accorde aux chiens de ferme avec lesquels vous jouez dans la poussière des cours. Petits sauvages du treizième siècle, vous grandissez inaperçus sous le regard de tous, mêlés aux valets dans les écuries et aux poules dans la grande salle.”P 32-33 Le Très-Bas:“...Rien ne peut être connu du Très-Haut sinon par le Très-Bas, par ce Dieu à hauteur d'enfance, par ce Dieu à ras de terre des premières chutes, le nez dans l'herbe.”

 

La sainteté

...la sainteté ne détruit pas l'enfance, elle la parfait. Pour le reste, pour plus de détails, c'est en regardant l'adulte qu’on découvrira l’enfant. La croissance de l'esprit est à l'inverse de la croissance de la chair. Le corps grandit en prenant de la taille. L'esprit grandit en perdant de la hauteur. La sainteté renverse les lois de la maturité: l'homme y est la fleur, l'enfance y est le fruit.”

 

L’âme

On a vingt ans et des poussières. Les vingt ans c'est pour le corps, la poussière c'est pour l'âme. L'âme on ne s'en occupe guère, on la laisse voltiger dans le coeur, on lui fait une place à côté des amis, des jolies femmes d'Assise, du vin, du jeu et des chants. Une toute petite place poussiéreuse. Une chambre dans le coeur, la plus retirée, la moins fréquentée. On y entre quelques heures dans l'année, à Noël et à Pâques. Et ça suffit comme ça. On y croit, oui, mais comme on croit à d'autres invisibles - les licornes, par exemple. L'existence de l'âme n'est ni plus ni moins fabuleuse que celle d'une licorne. Elle ne demande pas plus de soin. L'âme est de la famille des oiseaux....”

 

L’amour de soi

Douceur de vivre, amour de soi: là se tient le Très-Bas, anonyme, moqueur, inaperçu des moralistes qui le cherchent dans les foudres d'un ciel ou dans les tombes d'un repentir. L'amour de soi est à l'amour de Dieu ce que le blé en herbe est au blé mûr. Il n'y a pas de rupture de l'un à l'autre - juste un élargissement sans fin, les eaux en crue d'une joie qui, après avoir imprégné le coeur, déborde de toutes parts et recouvre la terre entière. L'amour de soi naît dans un coeur enfantin. C'est un amour qui coule de source. Il va de l'enfance jusqu'à Dieu. Il va de l'enfance qui est la source, à Dieu qui est l'océan. Quant à la douceur de vivre, elle est inchangée avec les siècles. Elle est faite du calme d'un entretien, du repos d'un corps, d'une couleur d'un mois d'août. Elle est faite du pressentiment que l'on vivra toujours, dans l'instant même où l'on vit. L'amour de soi est le premier tressaillement du Dieu dans la jubilation d'un coeur. La douceur de vivre est l'avancée d’une vie éternelle dans la vie d'aujourd’hui.

 

Conversion

Trois mots donnent la fièvre. Trois mots vous clouent au lit: changer de vie. Cela c'est le but. Il est clair, simple. Le chemin qui mène au but, on ne le voit pas. La maladie c'est l'absence de chemin, l'incertitude des voies. On n'est pas devant une question, on est à l'intérieur. On est soi-même la question. Une vie neuve, c'est ce que l'on voudrait mais la volonté, faisant partie de la vie ancienne, n'a aucune force. On est comme ces enfants qui tendent une bille dans leur main gauche et ne lâchent prise qu'en étant assurés d’une monnaie d'échange dans leur main droite: on voudrait bien d'une vie nouvelle mais sans perdre la vie ancienne. Ne pas connaître l'instant du passage, l'heure de la main vide. Ce qui vous rend malade c'est l’approche d'une santé plus haute que la santé ordinaire, incompatible avec elle. Mais bon, on résiste. Tout vous retient, la mère, les amis, les jeunes dames. On n'aime plus guère cette vie-là, mais au moins on sait de quoi elle est faite. Si on la quitte, il y aura un temps où on ne saura plus rien. Et c'est ce rien qui vous effraie. Et c'est ce rien qui vous fait hésiter, tâtonner, bégayer - et finalement revenir aux voies anciennes.

 

Spolète

Qui peut éveiller celui qui rêve et triomphe dans son rêve? Rien, personne sinon un autre rêve qui arrive dans un sommeil à la ville de Spolète. Les chroniques disent: Dieu lui parle et l’arrête en chemin. Les chroniqueurs font des hommes des marionnettes et de Dieu un ventriloque. Quelque chose se passe bien à Spolète, oui. Mais rien de clair: ni Dieu le père avec ses tambours, ni le Très-Haut avec sa voix de foudre. Juste le Très-Bas qui chuchote à l'oreille du dormeur, qui parle comme seulement il peut parler: très bas. Un lambeau de rêve. Un pépiement de moineau. Et cela suffit pour que François renonce à ses conquêtes et s'en retourne au pays. Quelques mots pleins d'ombre peuvent changer une vie. Un rien peut vous donner à votre vie, un rien peut vous en enlever. Un rien décide de tout.”

 

Conversion

...Et lui François ne dit plus rien. Il chante toujours. Il chante de plus en plus. La prison de Pérouse, la maladie d'Assise et le rêve de Spolète: trois plaies discrètes par lesquelles s'en va le mauvais sang de l'ambition. Ne reste plus que cette gaieté à présent sans objet. Les amis, les filles, le jeu: il ne trouve plus cela assez joyeux. Il espère à présent une jouissance plus grande que celle d'être jeune et adoré sur la terre....... Ainsi se sépare-t-il des siens, dans les nuées d'une fête, tournant vers eux son visage le plus clair, le corps déjà plus qu’à demi engagé dans la nuit. Il ne déserte pas les noces pour se couvrir de cendres. Il ne va pas de la rosée des corps de jeunes filles à la pluie des gargouilles de cathédrales. Ce n'est pas du monde qu'il sort, c’est de lui. Il va là où le chant ne manque jamais de souffle, là où le monde n'est plus qu'une seule note élémentaire tenue infiniment, une seule corde de lumière vibrant éternellement en tout, partout.”

 

Conversion

Une dernière réticence qu’il formule au plus près, avec la précision du maçon passant la main sur une lézarde invisible dans le mur - faille dedans l’âme, fêlure du chant: “Il me semblait alors extrêmement amer de voir des lépreux.” La pauvreté, dans son dénuement matériel, l’attire. La pauvreté, dans sa vérité charnelle, le révulse. Il y a encore ce point du monde que sa joie n’atteint pas. Et qu’est-ce qu’une joie qui laisse une chose en dehors d’elle? Rien. Moins que rien. Un amour du bout des lèvres. Un amour sans amour. Un sentiment friable, poreux - comme tous les sentiments. Les bourgeois rêvent d’un pauvre conforme à leurs espérances. Lui, François d’Assise, ne rêve pas, ne rêve plus. Il voit: la pauvreté n’est rien d’aimable. Une tare, une souffrance, une plaie, oui. Mais rien d’aimable. Personne n’est naturellement digne d’amour, ni le riche ni le pauvre. Par nature l’amour n’existe pas - juste une eau trouble dans un miroir, l’alliance momentanée de deux intérêts, une mélange de guerre et de commerce. Ce qui est naturel c’est cette manière d’aimer qui vous ressemble et vous flatte - les amis accueillants, les femmes parfumées. Ce qui est surnaturel c’est d’entrer dans la léproserie près d’Assise, passer une salle après l’autre, aller d’un pas de paysan, calme soudain, tranquille soudain, voir s’avancer vers vous ces guenilles de chair, ces mains crasseuses qui se posent sur vos épaules, palpent votre visage, contempler les fantômes et les serrer contre soi, longtemps, en silence, bien évidemment en silence: on ne va pas leur parler de Dieu à ceux-là. Ils sont de l’autre côté du monde. Ils sont les déjections du monde, interdits du plaisir des vivants comme du repos des morts. Ils en savent assez long sur le monde pour comprendre d’où vient ce geste du jeune homme, pour comprendre qu’il ne vient pas de lui mais de Dieu: seul le Très-Bas peut s’incliner aussi profondément avec autant de simple grâce. Il sort de là la fièvre au coeur, le rouge aux joues. Ou plutôt il n’en sort pas, il n’en sortira plus. Il a trouvé la maison de son maître. Il sait maintenant où loge le Très-Bas: au ras de la lumière du siècle, là où la vie manque de tout, là où la vie n’est plus rien que vie brute, merveille élémentaire, miracle pauvre.”

 

« Abraham s’est levé. Il lui était demandé infiniment »

Il lui était demandé de quitter sa famille, son pays, ses amis. Il est toujours infiniment demandé à celui qui désire d’un désir infini. Et Abraham s’est levé, est parti. Et Moïse, et David, et tous se sont levés et dans le geste de se lever ont perdu leurs vêtements de langue, leurs vêtements d’amitié, leurs vêtements de sagesse, et tous ont reçu l’infini dans leur coeur mis à nu. A sa mère qui le pressait de rentrer à la maison, honteuse de le voir traîner les chemins avec une douzaine de fainéants, le Christ a répondu: où est ma vraie famille, qui sont les miens? Et sa mère n’a pas compris - alors comment pourrais-tu comprendre: je reviens à ma vraie famille. Je reviens à ceux-là qui sont partis sans plus savoir qui ils étaient, où ils allaient. Oh mon père commerçant, oh mon père qui voudrait m’empêcher de grandir, sais-tu ce qu’il faut de violence pour jouir de vraie douceur, sais-tu que ton fils est fou de douceur folle? Ce n’est pas une chimère que j’épouse. Ce n’est pas la pureté que je veux. La pureté laisse l’impur en dehors d’elle et je ne veux plus d’en-dehors, je ne veux plus d’une église avec ses anges dans le choeur et ses diables à la rue, le visage écrasé contre les vitraux comme des pauvres à la Noël aux carreaux du boulanger. Je ne veux plus rien que la vie nue et fraternelle....... Hier je rêvais de princesses et de chevaliers. Aujourd’hui j’ai trouvé plus grand que mon rêve. L’amour a réveillé ma vie dormante. J’ai trouvé la vie et c’est vers elle que je pars, c’est pour elle que je combattrai et c’est son nom que je servirai. Je pars, que peux-tu contre cela? Je te laisse jusqu’au dernier de mes vêtements. On tient les gens par tout ce qu’on leur donne. Je t’ai rendu ce que tu m’as donné - sauf la vie. Mais la vie me vient de plus que toi. Mais la vie me vient de la vie et c’est vers elle que je vais, vers mon amie aux yeux de neige, ma petite source, ma seule épouse. La vie, rien que la vie. La vie, toute la vie.”

 

Le saint

Le fou est celui qui, énonçant la vérité, la rabat sur lui, la capte à son profit. Le saint est celui qui, énonçant la vérité, la renvoie aussitôt à son vrai destinataire, comme on rajoute sur une enveloppe l’adresse qui manquait. Je dis le vrai donc je ne suis pas fou, dit le fou. Je dis le vrai mais je ne suis pas vrai, dit le saint. Je ne suis pas saint dit le saint, seul Dieu l’est, à qui je vous renvoie...... Le fou est dans la compagnie des morts. Il a son visage tourné vers l’ombre. Plus rien ne lui arrive que du passé. Il ne peut se lier à rien ni personne, il ne peut nouer aucune histoire vivante avec les vivants. Le saint a son visage tourné comme une proue vers ce qui vient de l’avenir pour féconder le présent - pollen de Dieu transporté par toutes sortes d’anges. Le saint n’en finit pas de relier le proche au lointain, l’humain au divin, le vivant au vivant..” La Mort: “Loué sois-tu pour notre soeur la mort - celui qui écrit cette phrase, celui qui a en lui le coeur de la prononcer, celui-là est désormais au plus loin de lui-même et au plus proche de tout. Plus rien ne le sépare de son amour puisque son amour est partout, même dans celle qui vient le briser. Loué sois-tu pour notre soeur la mort - celui qui murmure cette phrase est venu à bout du long travail de vivre, de cette séparation partout mise entre la vie et notre vie. Trois épaisseurs de verre se tiennent entre la lumière et nous, trois épaisseurs de temps: du côté du passé, l’ombre des parents, portée loin en avant sur nos jours. Du côté du présent, l’ombre de nos actes et cette image de nous qu’ils secrètent, fossile, incassable. François d’Assise a épuisé ces deux ombres, traversé ces deux vitres avec assez d’élan pour ne pas s’y blesser. Reste l’ultime épreuve, l’ultime opacité, du côté du proche avenir - la peur de mourir devant quoi même les saints peuvent se cabrer, cheval refusant l’obstacle au tout dernier instant. Loué sois-tu pour notre soeur la mort - en lançant son amour loin devant lui vers l’ombre qui vient le prendre, François d’Assise lève le dernier obstacle - comme un lutteur défait son adversaire en le prenant par les épaules pour lui donner une accolade. Loué sois-tu pour notre soeur la mort - voilà, c’est dit, c’est fait: il n’y a plus rien entre la vie et sa vie, il n’y a plus rien entre lui et lui, il n’y a plus ni passé ni présent ni avenir, plus rien que Dieu Très-Bas soudain Très-Haut, soudain partout répandu comme de l’eau.

 

Actualité

Au treizième siècle il y avait les marchands, les prêtres et les soldats. Au vingtième siècle il n’y a plus que les marchands. Ils sont dans leurs boutiques comme des prêtres dans leurs églises. Ils sont dans leurs usines comme des soldats dans leurs casernes. Ils se répandent dans le monde par la puissance de leurs images. On les trouve sur les murs, sur les écrans, dans les journaux. L’image est leur encens, l’image est leur épée. Le treizième siècle parlait au coeur. Il ne lui était pas nécessaire de parler fort pour se faire entendre. Les chants du Moyen- Age font à peine plus de bruit que de la neige tombant sur de la neige. Le vingtième siècle parle à l’oeil, et comme la vue est un des sens les plus volages, il lui faut hurler, crier avec des lumières violentes, des couleurs assourdissantes, des images désespérantes à force d’être gaies, des images sales à force d’être propres, vidées de toute ombre comme de tout chagrin. Des images inconsolablement gaies. C’est que le vingtième siècle parle pour vendre et qu’il lui faut en conséquence flatter l’oeil - le flatter et l’aveugler en même temps. L’éblouir. Le treizième siècle a beaucoup moins à vendre - Dieu ça n’a aucun prix, ça n’a que la valeur marchande d’un flocon de neige tombant sur des milliards d’autres flocons de neige.”

 

Texte extrait du site http://mondieuetmontout.com

 



08/03/2008
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